CJCE, 5e ch., 11 juillet 1984, n° 222-83
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commune de Differdange, Commune de Dudelange, Commune de Pétange, Commune d'Esch-sur-Alzette, Commune de Sanem
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Elvinger
LA COUR,
1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 3 octobre 1983, cinq communes luxembourgeoises, à savoir les communes de Differdange, de Dudelange, de Pétange, d'Esch-sur-Alzette et de Sanem, ont introduit, en vertu de l'article 173 du traité CEE et, " pour autant que de besoin ", de l'article 31 du traité CECA, un recours visant à l'annulation de la décision 83-397-CEE-CECA de la Commission, du 29 juin 1983, concernant les aides que le Gouvernement luxembourgeois projette d'accorder à la sidérurgie (JO L 227, p. 29).
2. Par cet acte adressé au grand-duché de Luxembourg, la Commission a déclaré compatibles avec le bon fonctionnement du marché commun certaines aides que le Gouvernement luxembourgeois a envisagé d'octroyer aux entreprises Sidérurgiques Arbed et Métallurgique et Minière de Ro-Dange-Athus (MMRA), à condition que les entreprises bénéficiaires procèdent, en contrepartie des aides, à des réductions déterminées de leurs capacités productives, cette contrepartie pouvant également être fournie par d'autres entreprises. La décision attaquée a précisé que la liste des installations à fermer, assortie des dates de fermeture, était à communiquer à la Commission avant le 31 janvier 1984 et que les fermetures envisagées doivent intervenir avant le 31 décembre 1985.
3. Le Gouvernement luxembourgeois a fait usage de l'autorisation contenue dans la décision litigieuse par la loi du 1er juillet 1983 concernant des mesures de nature à favoriser la restructuration et la modernisation de la sidérurgie ainsi que le maintien de la compétitivité générale de l'économie (Journal officiel du grand-duché de Luxembourg du 1.7.1983, p. 1133). Cette loi autorise, entre autres, le Gouvernement luxembourgeois à allouer aux entreprises sidérurgiques luxembourgeoises une aide exceptionnelle au titre de l'exercice 1983 et 1984, à souscrire des obligations convertibles ou des actions et à acquérir des parts sociales des entreprises sidérurgiques luxembourgeoises.
4. La Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, paragraphe 1, du règlement de procédure, en faisant valoir que le recours n'est recevable sur la base ni du traité CECA ni du traité CEE. Les requérantes n'étant pas des entreprises ou associations d'entreprises au sens de l'article 48 du traité CECA, le recours ne serait pas recevable au titre de ce traité. Il serait également irrecevable au titre du traité CEE, étant donné que les requérantes ne seraient pas directement et individuellement concernées au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE par la décision litigieuse.
5. Les requérantes concluent au rejet de l'exception d'irrecevabilité. A leur avis, il suffit de constater que les conditions du traité CEE sont remplies. La décision attaquée, bien qu'elle soit adressée au grand-duché de Luxembourg, les concernerait de façon directe et individuelle, au sens de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, sous un double aspect. D'une part, la réduction des capacités productives et la fermeture d'installations situées sur le territoire communal donneraient lieu à une diminution du produit des impôts communaux. D'autre part, selon un principe du droit administratif de plusieurs Etats membres, applicable également en droit communautaire, les intérêts des habitants des communes et des entreprises implantées sur le territoire communal devraient être considérés comme des intérêts propres de ces communes.
6. Il convient tout d'abord de constater que la décision attaquée est fondée à la fois sur le traité CEE, notamment son article 93, paragraphe 2, et sur le traité CECA et les décisions 257-80 et 2320-81 de la Commission (JO 1980, L 29, p. 5, et JO 1981, L 228, p. 14), adoptées sur la base de ce dernier traité. Dans son arrêt du 10 février 1983 (Luxembourg/Parlement européen, 230-81, Recueil 1983, p. 255), la Cour a jugé en substance que, lorsque l'acte attaqué concerne d'une manière simultanée et indivisible les domaines de plusieurs traités, le recours est recevable dans la mesure où les compétences de la Cour et les voies de recours prévues par les dispositions pertinentes de l'un des traités sont applicables à un tel acte.
7. En ce qui concerne, en premier lieu, les dispositions du traité CECA donnant accès à la Cour, il suffit d'observer que l'article 33 de ce traité ouvre, dans certaines conditions, le recours en annulation contre les décisions et recommandations de la Haute Autorité aux Etats membres, au Conseil et aux entreprises et associations d'entreprises au sens de l'article 48 du traité CECA.
8. Cette disposition énumère de façon limitative les sujets de droit habilités à former un recours en annulation. Les collectivités territoriales, telles que les communes, n'y étant pas mentionnées, il s'ensuit qu'elles ne peuvent pas valablement former un tel recours au titre du traité CECA.
9. En ce qui concerne, en second lieu, la recevabilité du recours au titre du traité CEE, il convient de rappeler que l'article 173, alinéa 2, du traité CEE subordonne la recevabilité d'un recours en annulation formé par une personne physique ou morale contre une décision du Conseil ou de la Commission dont elle n'est pas le destinataire, à la condition que la décision attaquée la concerne directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est d'assurer une protection juridique également à celui qui, sans être le destinataire de l'acte litigieux, est en fait concerné par celui-ci d'une manière analogue à celle du destinataire.
10. En l'espèce, l'acte attaqué, qui est adressé au grand-duché de Luxembourg, confère à celui-ci l'autorisation d'accorder certaines aides aux sociétés nommément désignées sous condition d'une réduction déterminée des capacités productives. Il ne désigne cependant nullement les établissements dans lesquels la production doit être réduite ou arrêtée ni les installations qui doivent être fermées en conséquence d'un arrêt de production. De plus, aux termes de la décision, les dates de fermeture ne devaient être communiquées à la Commission que pour le 31 janvier 1984, de sorte que les entreprises intéressées étaient libres jusqu'à cette date de déterminer, le cas échéant en accord avec le Gouvernement luxembourgeois, les modalités de la restructuration devenue nécessaire pour se conformer aux conditions posées dans la décision.
11. Cette conclusion est d'ailleurs confirmée par l'article 2 de la décision selon lequel les reductions de capacités peuvent également être effectuées par d'autres entreprises.
12. Il en ressort que la décision litigieuse a laissé aux autorités nationales et aux entreprises intéressées une telle marge d'appréciation, en ce qui concerne les modalités de sa mise en œuvre et notamment le choix des installations à fermer, qu'on ne saurait la considérer comme concernant directement et individuellement les communes dont relèvent, au regard de leur implantation, les entreprises visées.
13. Le recours étant donc également irrecevable pour autant qu'il est fondé sur les dispositions du traité CEE, il y a lieu de le rejeter
Sur les dépens
14. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé en leur action, il y a lieu de les condamner solidairement aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
déclare et arrête :
1) le recours est rejeté comme irrecevable.
2) les requérantes sont condamnées solidairement aux dépens.