TPICE, 2e ch., 12 novembre 1996, n° T-47/96
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
Syndicat départemental de défense de droit des agriculteurs
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bellamy
Juges :
MM. Kirschner, Kalogeropoulos
Avocats :
Mes Girard, Joissains-Masini
LE TRIBUNAL DE PREMI RE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),
1 Par lettre en date du 28 août 1995, le Syndicat départemental de défense du droit des agriculteurs (ci-après "SDDDA") a saisi la Commission d'une plainte dénonçant la violation par la République française de son obligation de transposer correctement en droit national les dispositions de la directive 92-49-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives 73-239-CEE et 88-357-CEE (JO L 228, p. 1, ci-après "troisième directive assurance non-vie"), et de la directive 92-96-CEE du Conseil, du 10 novembre 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe sur la vie et modifiant les directives 79-267-CEE et 90-619-CEE (JO L 360, p. 1, ci-après "troisième directive assurance vie").
2 Dans sa plainte, le requérant soutenait que les deux directives posaient le principe de la suppression de tout monopole en la matière, permettant, ainsi, à tout preneur d'assurance de faire appel à tout assureur ayant son siège social dans la Communauté. A l'appui de son argumentation, il invoquait l'article 54 de la troisième directive assurance non-vie, selon lequel l'assurance privée ou souscrite sur une base volontaire peut se substituer partiellement ou entièrement à la couverture "maladie" fournie par le régime légal de sécurité sociale. Selon le requérant, l'application de ces deux directives faisait l'objet d'un refus systématique de la part des autorités françaises, alors même qu'elles avaient été transposées en droit interne par la loi 94-5, du 4 janvier 1994, modifiant le Code des assurances, et par la loi 94-678, du 8 août 1994, modifiant le Code de la sécurité sociale. Les autorités françaises auraient en effet interprété l'article 2, paragraphe 2, de la troisième directive assurance non-vie, dont il ressort que les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale ne sont pas assujetties aux règles prudentielles d'agrément, comme signifiant que les directives ne s'appliquent qu'à l'égard de prestations facultatives et complémentaires de celles qui sont couvertes par un régime de sécurité sociale obligatoire.
3 En outre, le requérant invoquait un défaut de transposition des directives en ce qui concerne les mutuelles, qui, avec les sociétés anonymes, les sociétés d'assurance mutuelles et les institutions de prévoyance, constituent les seules formes qu'une entreprise établie en France peut adopter pour exercer une activité en matière d'assurance.
4 Le requérant invitait, ainsi, la Commission à "mettre en œuvre les pouvoirs qu'elle [tenait] de l'article 169 du traité et [à] émettre un avis motivé sur le manquement grave et caractérisé de l'État français".
5 Par lettre en date du 29 septembre 1995, la Commission a répondu au requérant que les directives communautaires sur l'assurance dommages, telle que la troisième directive assurance non-vie, n'avaient pas pour "objet d'altérer la frontière tracée dans chaque État membre entre les assurances privées et les assurances relevant des régimes légaux de sécurité sociale, ni la manière utilisée par les États membres pour organiser leur système de sécurité sociale, ni la couverture des risques qui doivent relever d'un système de sécurité sociale obligatoire". S'agissant du champ d'application de la troisième directive assurance non-vie, la Commission soulignait que la première directive 73-239-CEE du Conseil, du 24 juillet 1973, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et son exercice (JO L 228, p. 3), avait clairement exclu de son champ d'application "les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale" et que cette exception avait été reprise par la troisième directive assurance non-vie, et, en particulier, par l'article 2, paragraphe 2, qui prévoit que cette dernière "ne s'applique ni aux assurances et opérations, ni aux entreprises et institutions auxquelles la directive 73-239, du 24 juillet 1973, précitée, ne s'applique pas, ni aux organismes cités à l'article 4 de celle-ci".
6 La Commission ajoutait à cet égard que, "étant donné que les régimes légaux de sécurité sociale obligatoire existant dans les États membres ne sont dès lors pas visés par les directives communautaires sur l'assurance dommages, les États membres demeurent compétents, dans les limites des règles du traité sur l'Union européenne, pour les organiser de la manière qu'ils estiment la plus adéquate et pour fixer, par exemple, l'étendue de leur couverture, les catégories de personnes ou d'activités qui tombent dans le champ de ces régimes, ou l'organisation et la structure du régime de sécurité sociale".
7 Selon la Commission, ce serait dans ce contexte que devrait être interprété l'article 54 de la troisième directive assurance non-vie. Cet article viserait la situation particulière de certains États membres en matière de couverture des risques "maladie", à savoir ceux dont le système de sécurité sociale prévoit que, dans certains cas bien précis, certaines catégories de personnes peuvent faire couvrir leurs risques "maladie" par une entreprise d'assurance privée, plutôt que par une caisse de maladie dans le cadre d'un régime d'affiliation obligatoire.
8 Quant à la thèse du requérant selon laquelle les deux directives auraient supprimé le monopole des caisses de maladie en matière d'assurance, la Commission a précisé que, si selon l'article 3 de la troisième directive assurance non-vie, les États membres devaient prendre toutes les dispositions pour que les monopoles concernant l'accès à l'activité de certaines branches d'assurance, accordés aux organismes établis sur leur territoire et visés à l'article 4 de la directive 73-239, du 24 juillet 1973, précitée, disparaissent avant le 1er juillet 1994, les activités visées par cette disposition étaient celles qui ne relevaient pas d'un régime légal de sécurité sociale. Selon la Commission, les régimes légaux de sécurité sociale obligatoires des États membres n'étaient, par conséquent, pas visés par les directives.
9 La Commission ajoutait, enfin, que la question de l'application des directives aux organismes et institutions faisant partie d'un régime légal de sécurité sociale était, en outre, pendante devant la Cour, suite à une question préjudicielle émanant d'une juridiction française (affaire García e.a., C-238-94).
10 La Commission a, ainsi, estimé que, sur la base des considérations précédentes et tant que la Cour n'avait pas encore statué dans l'affaire précitée, il n'y avait pas lieu "d'engager la procédure en constatation de manquement, en vertu de l'article 169 du traité CEE à l'égard de la France au motif qu'elle maintient le caractère obligatoire pour la couverture des risques faisant partie du régime légal de sécurité sociale qu'elle a mis en place".
11 S'agissant de la non-transposition des directives en ce qui concernait les mutuelles, la Commission a informé le requérant que ses services avaient déjà pris contact avec les autorités françaises à ce sujet "afin de régulariser cette situation et obtenir les modifications nécessaires du Code de la mutualité dans les meilleurs délais".
12 Par lettre en date du 24 octobre 1995, adressée à la Commission, le requérant a contesté la thèse de la Commission selon laquelle les régimes légaux n'étaient pas visés par les directives, en faisant valoir qu'une telle thèse était "au moins paradoxale" dans la mesure où, selon les termes de la loi 94-678 portant transposition des deux directives en cause dans le Code de sécurité sociale, "les institutions de prévoyance peuvent désormais transférer tout ou partie de leur portefeuille [...] à une ou plusieurs entreprises d'assurance dont l'État d'origine est membre de la Communauté européenne". Il a, ainsi, réitéré sa demande visant à ce que la Commission engage la procédure en constatation de manquement prévue par l'article 169 du traité à l'encontre de la République française.
13 Par lettre en date du 21 novembre 1995, la Commission a répondu au requérant que, ainsi qu'elle l'avait indiqué dans sa lettre du 29 septembre 1995, en l'absence d'une violation de la troisième directive assurance non-vie de la part de la France, il n'y avait pas lieu d'engager la procédure en constatation de manquement à son encontre. En outre, une telle procédure ne saurait être engagée tant que la Cour n'avait pas statué dans l'affaire García e.a., précitée, portant sur l'application de la troisième directive assurance non-vie à l'égard des régimes légaux de sécurité sociale obligatoire en France.
14 Par lettre en date du 22 janvier 1996, le requérant a fait savoir à la Commission:
"Votre décision de rejet de la plainte, telle que détaillée dans nos courriers des 28 août et 24 octobre 1995, ne répond pas à l'obligation de motivation telle que définie par les instances judiciaires de l'Union européenne. En effet, force est de constater que vous n'apportez pas une réponse claire à chacun des griefs qui ont été formulés dans la plainte, et alors même comme vous ne l'ignorez probablement pas qu'ils vous appartenait de répondre d'office aux griefs que nous aurions pu soulever si nous avions eu communication des informations à la disposition de la Commission. De ce fait, compte tenu de l'insuffisance de motivation de votre décision de rejet au regard des multiples points auxquels il n'a pas été répondu, un recours auprès des instances judiciaires européennes apparaît s'imposer."
15 Par lettre en date du 27 février 1996, le directeur de la direction générale Marché intérieur et services financiers a répondu au requérant comme suit:
"Dans mes courriers précédents des 29 septembre et 21 novembre 1995, j'ai avancé les raisons pour lesquelles la Commission estime qu'il n'y a pas lieu d'engager cette procédure à l'encontre de la France, car nous sommes de l'avis que les directives du Conseil 92-49-CEE et 92-96-CEE ne concernent pas les régimes légaux de sécurité sociale obligatoire des États membres et que, dès lors, on ne peut se prévaloir de leurs dispositions pour imposer l'abolition du monopole qui est à la base du régime légal de sécurité sociale obligatoire en France. Je vous ai aussi indiqué que la Commission attend la décision de la Cour de justice dans l'affaire C-238-94 qui est en instance et qui devra apporter des précisions sur la portée des directives précitées, avant de prendre une décision définitive sur l'ouverture d'une procédure d'infraction à l'égard de la France à ce sujet. Je ne peux que confirmer mes courriers précédents et dès lors vous indiquer que, dès que la Cour aura rendu sa décision dans l'affaire C-238-94, la Commission analysera la conformité de la législation française qui accorde ce monopole au profit des organismes chargés de régimes légaux de sécurité sociale avec l'ordre juridique communautaire et plus particulièrement les directives du Conseil 92-49-CEE et 92-96-CEE".
16 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 1996, le requérant a introduit le présent recours.
17 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 7 mai 1996, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure. Le requérant a déposé ses observations sur celle-ci le 11 juin 1996.
18 Le 23 août et le 18 septembre 1996, la République française et le Royaume d'Espagne ont, respectivement, demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
Conclusions des parties
19 Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
° accueillir le recours comme juste et bien fondé;
° constater la carence de la Commission à répondre clairement au problème de l'applicabilité des directives 92-49 et 92-96 au regard du monopole du régime légal de sécurité sociale français dans les domaines de l'assurance non-vie et de l'assurance vie;
° considérer lesdites directives applicables de plein effet;
° prendre les mesures qui s'imposent et notamment ordonner la transposition de ces directives dans le Code de la mutualité française;
° condamner la Commission aux dépens.
20 Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
° déclarer le recours irrecevable;
° condamner le requérant aux dépens.
21 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
° déclarer l'exception d'irrecevabilité non fondée;
° constater la carence de la Commission à répondre clairement à l'ensemble des griefs formulés en particulier dans les correspondances du 28 août et du 24 octobre 1995;
° lui accorder le bénéfice de ces conclusions ainsi que des conclusions précédentes.
22 En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal (deuxième chambre) s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu'il n'y a pas lieu d'ouvrir la procédure orale.
Sur la recevabilité
Argumentation des parties
23 La Commission fait observer, à titre préliminaire, que le recours semble avoir deux objets formellement distincts, dans la mesure où le requérant conclut à la fois à la constatation d'une carence de sa part à émettre un avis motivé, d'une part, et "à répondre clairement au problème de l'applicabilité des directives" au regard du régime légal de sécurité sociale en France, d'autre part.
24 Elle soutient à cet égard que, pour autant que le recours vise à constater la carence de la Commission "à répondre clairement au problème de l'applicabilité des directives", il est manifestement irrecevable, un tel recours n'étant prévu par aucune des voies de recours existantes ouvertes aux particuliers par le traité CE. De telles conclusions ne relèveraient ni du recours en annulation de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE, ni, à défaut d'un préjudice, du recours en responsabilité des articles 178 et 215 du traité CE. En outre, un tel recours ne s'inscrirait pas, non plus, dans le cadre du recours en carence de l'article 175 du traité CE, dès lors que le défaut d'une "réponse claire" n'équivaut pas à un défaut d'adoption par l'institution concernée d'un acte juridique dont le requérant serait le destinataire.
25 La Commission soutient que, bien que ce chef de conclusions puisse être considéré comme un moyen de fond invoqué à l'appui d'un recours en annulation, d'un recours en réparation ou, comme en l'espèce, d'un recours en carence, il n'en reste pas moins que le requérant n'apporte aucun élément de fait ou de droit pour démontrer son bien-fondé.
26 La Commission estime, ainsi, que le véritable objet du recours est de faire constater par le Tribunal la carence de la Commission à engager la procédure de l'article 169 du traité et, en particulier, à émettre un avis motivé à l'encontre de la République française en raison d'une transposition incorrecte en droit interne des directives. Or, un tel recours serait également irrecevable pour diverses raisons qu'elle expose.
27 En premier lieu, selon les termes de la l'article 175, troisième alinéa, du traité, un particulier ne saurait invoquer la carence d'une institution qu'en cas de défaut d'adoption par celle-ci d'un acte juridique contraignant dont il aurait dû être le destinataire. Or, l'acte dont la non-adoption est reprochée en l'espèce, c'est-à-dire un avis motivé émis par la Commission à l'encontre d'un État membre défaillant, n'est pas un acte destiné au requérant.
28 En deuxième lieu, il ressortirait de la jurisprudence en la matière que "les particuliers ne sont pas recevables à attaquer un refus de la Commission d'engager une procédure en manquement à l'égard d'un État membre" vu le "pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par l'article 169 du traité lui-même" (arrêts de la Cour du 1er mars 1966, Luetticke e.a./Commission, 48-65, Rec. p. 27, du 14 février 1989, Star fruit/Commission, 247-87, Rec. p. 291; ordonnances du Tribunal du 13 novembre 1995, Dumez/Commission, T-126-95, Rec. p. II-2863; Société auxiliaire d'entreprises/Commission, T-127-95, non publiée au Recueil; Aéroports de Paris/Commission, T-128-95, non publiée au Recueil).
29 En troisième lieu, la recevabilité d'un recours en carence devrait également s'apprécier en "fonction de la nature de la demande", c'est-à-dire de l'acte sollicité. Or, dans la mesure où l'avis motivé prévu par l'article 169 du traité ne constitue, selon la jurisprudence, qu'une phase préalable au dépôt éventuel d'un recours en constatation de manquement devant la Cour, il ne saurait être regardé comme un acte susceptible de faire l'objet d'un recours en annulation, de sorte que "le refus de la Commission d'engager une procédure en manquement constitue, également, un acte inattaquable" (ordonnance Aéroports de Paris/Commission, précitée, point 36).
30 Enfin, la Commission soutient que, au cas même où les conditions de recevabilité d'un recours en carence seraient réunies dans le chef du requérant, le recours est devenu, au moins partiellement, sans objet et, partant, irrecevable suite à la lettre de mise en demeure qu'elle a adressée le 31 janvier 1996 aux autorités françaises, conformément à la procédure prévue par l'article 169 du traité, en raison, précisément, de la non-transposition des directives dans le Code de la mutualité.
31 Le requérant soutient que son recours ne vise ni l'annulation d'une décision quelconque de la Commission ni l'engagement de la responsabilité de la Communauté, mais vise uniquement à faire constater la carence de la Commission à engager la procédure prévue par l'article 169 du traité à l'encontre de la République française.
32 Il souligne que la Commission persiste à ne pas répondre à chacun des griefs formulés dans la correspondance qu'il a entretenue avec elle au sujet de sa plainte du 28 août 1995 ni aux conclusions formulées dans sa requête et que, en choisissant la voie de l'exception d'irrecevabilité, elle ne fait que confirmer le bien-fondé de son recours.
33 Il soutient que la Commission a fait preuve d'une inertie et d'une abstention d'agir critiquables à l'égard de ses membres adhérents, alors que ces derniers étaient et demeurent les vrais "destinataires" de la carence reprochée. Ce faisant, la Commission aurait méconnu certains principes fondamentaux tels que le principe de l'égalité de traitement, la protection des droits de la défense, le principe de la sécurité juridique, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité et aurait ainsi privé les particuliers concernés de la possibilité d'exercer la plénitude des droits que leur confèrent les deux directives.
34 Le requérant relève que la Commission, elle-même, admet dans l'exception d'irrecevabilité que son recours est, au moins, partiellement justifié. Quant à l'affirmation de la Commission selon laquelle il n'apporte aucun élément de fait ou de droit à l'appui du bien-fondé de son recours en carence, le requérant soutient qu'il suffit à cet égard de se reporter à la lettre de mise en demeure adressée par la Commission au Gouvernement français le 31 janvier 1996 pour constater sa parfaite concordance avec les termes de sa plainte du 28 août 1995. Ce faisant, le Tribunal ne pourrait que constater que la Commission n'avait pas examiné avec le sérieux et la diligence requis sa plainte.
35 S'agissant de l'obligation incombant à la Commission de répondre de façon claire à chacun des griefs formulés dans sa plainte, voire de répondre d'office aux griefs qu'il aurait pu soulever s'il avait eu connaissance de toutes les informations dont dispose la Commission, le requérant soutient qu'une telle obligation relève d'un principe général, quelle que soit la nature juridique du recours.
36 Selon le requérant, l'argumentation de la Commission est entachée d'incohérence dans la mesure où elle soutient que son recours serait, d'une part, irrecevable du fait qu'elle n'est pas tenue d'engager la procédure de l'article 169 à l'encontre de la République française, et, d'autre part, devenu sans objet après qu'elle eut envoyé au Gouvernement français une lettre de mise en demeure le 31 janvier 1996. En tout état de cause, le requérant considère que cette lettre, qui n'a jamais été portée à sa connaissance, ne saurait rendre le présent recours sans objet.
37 Enfin, le requérant estime que la Commission, en ignorant le bien-fondé de sa plainte pendant plusieurs mois, l'a mis dans l'impossibilité d'exercer la plénitude de ses droits devant les juridictions nationales, alors même qu'elle avait pris l'initiative, en octobre 1995, d'introduire un recours en manquement à l'encontre de la République hellénique pour non-transposition des directives. Ce faisant, la Commission aurait ignoré les principes fondamentaux du traité CE découlant des articles 48, 52, 59, 67 et 90 et notamment de l'article 7, dans la mesure où les ressortissants français se trouveraient dans une situation de discrimination en raison de leur nationalité.
Appréciation du Tribunal
38 Il convient de relever, à titre liminaire, en ce qui concerne le deuxième chef des conclusions de la requête, par lequel le requérant demande au Tribunal de "constater la carence de la Commission à répondre clairement au problème de l'applicabilité des directives 92-49-CEE et 92-96-CEE au regard du monopole du régime légal de sécurité sociale français dans les domaines de l' " assurance non-vie " et de l' " assurance vie ", que, bien que le requérant ne se réfère pas expressément à la carence de la Commission à engager la procédure de l'article 169 à l'encontre de l'État français, il conclut, cependant, en ce sens dans le dernier paragraphe de la partie II de la requête, intitulé "Discussion", où il invite le Tribunal à relever "la carence de la Commission européenne à émettre un avis motivé sur chacun des griefs soulevés et [à statuer] ce que de droit à ce sujet".
39 Par conséquent, le deuxième chef des conclusions du requérant, tel qu'il figure dans sa requête, doit être interprété, ainsi que les parties l'ont par ailleurs fait dans leurs mémoires respectifs, comme visant à ce que le Tribunal constate la carence de la Commission, d'une part, à répondre clairement au problème de l'applicabilité des directives susvisées, et, d'autre part, à émettre un avis motivé à l'encontre de la République française pour transposition incorrecte desdites directives en droit interne.
40 S'agissant de la prétendue carence de la Commission à répondre de façon claire aux griefs soulevés par le requérant dans sa plainte, le Tribunal relève, à titre liminaire, que les personnes physiques ou morales ne peuvent se prévaloir de l'article 175, troisième alinéa, du traité qu'en vue de faire constater l'abstention d'adopter, en violation du traité, un acte dont ils sont les destinataires potentiels (ordonnances du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T-3-90, Rec. p. II-1; du 29 novembre 1994, Bernardi/Commission, T-479-93 et T-559-93, Rec. p. II-1115, point 31; arrêt du Tribunal du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277-94, Rec. p. II-0000 point 58). Or, en l'espèce, le requérant ne saurait être regardé comme étant le destinataire potentiel d'un acte émanant de la Commission concernant le bien-fondé de sa plainte, dans la mesure où aucune disposition du traité ou du droit dérivé ne prévoit dans le chef de la Commission l'obligation d'adresser à un particulier un acte ayant comme objet la constatation de la compatibilité d'une législation nationale avec les dispositions du droit communautaire. En outre, le Tribunal rappelle que, en tout état de cause, selon une jurisprudence constante, du moment que la Commission a effectivement répondu ou a pris position à l'égard de la demande d'un particulier, il n'y a plus carence au sens de l'article 175 du traité. Le fait que l'acte adopté ou la position prise par l'institution concernée ne donne pas satisfaction au requérant est à cet égard indifférent, car, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence en la matière, l'article 175 du traité vise la carence par abstention de statuer ou de prendre position et non pas l'adoption d'un acte autre que celui que le requérant aurait souhaité ou estimé nécessaire (arrêts de la Cour du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8-71, Rec. p. 705, 710, du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-88 et 220-86, Rec. p. 6473, point 17, du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C-15-91 et C-108-91 Rec. p. I-6061, point 17, et du 1er avril 1993, Pesqueras Eschebastar/Commission, C-25-91, Rec. p. I-1719, point 12). A cet égard, le Tribunal constate que, dans ses lettres du 29 septembre 1995, du 21 novembre 1995 et du 27 février 1996, la Commission a exposé sa position à l'égard des questions juridiques soulevées dans la plainte du requérant, de sorte qu'il n'y a plus de carence, au sens de l'article 175 du traité.
41 S'agissant de la prétendue carence de la Commission à émettre un avis motivé à l'encontre de la République française, fondé sur les griefs exposés par le requérant dans sa plainte, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, un recours en carence au titre de l'article 175 du traité introduit par une personne physique ou morale visant à faire constater que, en n'engageant pas contre un État membre une procédure en constatation de manquement, la Commission s'est abstenue de statuer en violation du traité est irrecevable.
42 En effet, d'une part, la Commission n'est pas tenue d'engager contre un État membre une procédure en manquement, mais elle dispose, au contraire, d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d'exiger d'elle qu'elle prenne position dans un sens déterminé. D'autre part, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus (voir point 40), les personnes physiques ou morales ne peuvent se prévaloir de l'article 175, troisième alinéa, du traité qu'en vue de faire constater l'abstention d'adopter, en violation du traité, un acte dont ils sont les destinataires potentiels. Or, dans le cadre de la procédure en constatation de manquement régie par l'article 169 du traité, les seuls actes que la Commission peut être amenée à prendre sont adressés aux États membres (ordonnances de la Cour du 30 mars 1990, Emrich/Commission, C-371-89, Rec. p. I-1555, points 5 et 6, du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C-72-90, Rec. p. I-2181, points 10 et 11; ordonnances du Tribunal du 27 mai 1994, J/Commission, T-5-94, Rec. p. II-391, point 16, Bernardi/Commission, précitée, point 31, Dumez/Commission, précitée, points 43 et 44, Aéroports de Paris/Commission, précitée, points 42 et 43, et Société auxiliaire d'entreprises/Commission, précitée, points 43 et 44).
43 Il convient d'ajouter qu'une personne physique ou morale qui demande à la Commission d'ouvrir une procédure en application de l'article 169 du traité sollicite, en réalité, l'adoption d'un acte qui ne la concerne pas directement et individuellement au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité et qu'en tout état de cause elle ne pourrait pas attaquer par la voie du recours en annulation (ordonnance du Tribunal du 4 juillet 1994, Century Oils Hellas/Commission, T-13-94, Rec. p. II-431, point 14).
44 Il résulte de ce qui précède que le deuxième chef des conclusions du requérant est irrecevable dans ses deux branches.
45 Quant aux troisième et quatrième chefs des conclusions de la requête, visant, respectivement, à ce que le Tribunal "considère les directives applicables de plein effet", d'une part, et "ordonne la transposition de ces directives dans le Code de la mutualité française", d'autre part, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le juge communautaire est incompétent aussi bien pour adresser des injonctions aux institutions communautaires et aux États membres que pour se prononcer, à l'initiative d'une personne physique ou morale, sur la compatibilité avec les dispositions du traité du comportement d'un État membre (arrêts Century Oils Hellas/Commission, précité, point 17, du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575-93, Rec. p. II-0000, points 29 et 30). Par voie de conséquence, il n'est pas, non plus, compétent pour se prononcer, dans le cadre d'un tel recours, sur l'applicabilité des dispositions du droit communautaire aux faits du litige concerné.
46 Il en résulte que les troisième et quatrième chefs des conclusions du requérant sont également irrecevables et que le recours doit être, ainsi, déclaré irrecevable dans son ensemble.
47 Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention du Royaume d'Espagne et de la République française.
Sur les dépens
48 En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens. En vertu de l'article 87, paragraphe 4, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dans l'hypothèse où, à l'occasion de leur demande tendant à être admis à intervenir dans le présent litige, le Royaume d'Espagne et la République française auraient exposé des dépens, il convient de décider qu'ils en supporteront la charge.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
ordonne:
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) Il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes en intervention.
3) La partie requérante est condamnée aux dépens. Le Royaume d'Espagne et la République française supporteront chacun leurs propres dépens.