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Décisions

TPICE, président, 21 octobre 1996, n° T-107/96 R

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Pantochim (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Bourgeois

TPICE n° T-107/96 R

21 octobre 1996

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Faits à l'origine du litige

1 La requérante, Pantochim SA, dont le siège social est à Feluy (Belgique), est une filiale de la Società italiana serie acetica sintetica (ci-après "Sisas"), qui est établie à Milan (Italie). Pantochim dispose à Feluy d'une unité de production de gazole d'origine végétale, appelé Sisoil E. Le Sisoil E est un ester méthylique d'huiles végétales, qui peut être utilisé seul ou en mélange avec les gazoles classiques pour la carburation et le chauffage domestique.

Sur la demande d'exonération de la taxe intérieure de consommation

2 La loi française de finances pour l'année 1992 (loi 91-1322 du 30 décembre 1991, publiée au Journal officiel de la République française du 31 décembre 1991, p. 17229), en son article 32, exonère jusqu'au 31 décembre 1996 de la taxe intérieure de consommation les esters d'huile de colza et de tournesol utilisés en substitution du fioul domestique et du gazole ainsi que l'alcool éthylique, élaboré à partir de céréales, topinambours, pommes de terre ou betteraves, et incorporé aux supercarburants et aux essences, et les dérivés de ce même alcool. L'arrêté du 27 mars 1992, portant application de l'article 32, édicte les critères à remplir pour bénéficier de cette exonération. En particulier, il requiert que les produits visés soient utilisés dans le cadre d'un projet expérimental et soient élaborés dans des unités considérées comme pilotes (articles 3 et 5). Pour devenir une unité pilote, chaque établissement ou ensemble d'établissements doit faire l'objet d'un agrément ministériel (article 6).

3 Sisas a marqué, dès le mois de novembre 1992, auprès de l'administration française son intérêt en vue d'obtenir l'agrément de sa filiale Pantochim et notamment de son usine de Feluy comme unité pilote. Jusqu'à présent aucun agrément ne lui a été accordé.

4 En particulier, par lettre du 21 juin 1996, adressée au conseil de Pantochim, le ministre français de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation a fait observer que, selon une enquête sur place, l'usine de Feluy disposait d'une capacité de production supérieure au volume d'agrément demandé. Or, étant donné que la directive 92-81-CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 12), n'autorise les États membres à appliquer des exonérations ou réductions totales ou partielles du taux de l'accise que dans le cadre exclusif de projets pilotes définis par la capacité de production des installations, aucun agrément ne pouvait être donné à cette usine en tant qu'usine pilote. En outre, le ministre a affirmé que, étant donné qu'une procédure de contrôle de la compatibilité de la législation française avec le Marché commun était en cours devant la Commission, les autorités françaises étaient dans l'impossibilité d'accorder tout nouvel agrément. Il a ajouté que, "dans la mesure où les propositions faites à la Commission [seraient] retenues et [permettraient] le règlement des procédures en cours, la société Pantochim [pourrait], comme toute entreprise communautaire productrice de biocarburants, prétendre à l'attribution d'un agrément délivré dans le cadre d'une procédure publique, en fonction de critères et modalités définis dans le strict respect des règles concurrentielles et qui [seraient] portés à la connaissance des intervenants intéressés".

Sur la procédure administrative concernant la législation française exonérant de la taxe intérieure de consommation les biocarburants

5 Le 7 décembre 1994, la Commission a ouvert la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité CE, à l'égard de la législation française exonérant de la taxe intérieure de consommation les biocarburants. Elle en a informé les autorités françaises par lettre du 12 décembre 1994.

6 Une communication "au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité CE [...] concernant des aides que la France a accordées dans le secteur des biocarburants" a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes du 9 juin 1995 (JO C 143, p. 8).

7 Dans le cadre de cette procédure administrative, Sisas a présenté ses observations le 29 juin 1995. Elle a, en outre, demandé à la Commission, en premier lieu, "de constater que, en raison de ces modalités contraires à l'article 95 du traité instituant la Communauté européenne, l'aide accordée par la France à la production de biodiesel n'est pas compatible avec le Marché commun aux termes de l'article 92 de ce traité", en second lieu, "de décider que la France doit modifier cette aide en permettant à du biodiesel produit dans d'autres États membres et livré en France de bénéficier des mêmes avantages" et, en troisième lieu, "de prendre les mesures provisoires qui s'imposent en demandant à la France de procéder dans les meilleurs délais à l'agrément de l'usine de Sisas à Feluy comme 'unité pilote'provisoirement pour une quantité de 20 000 tonnes par an pour 1995".

8 En l'absence de toute réponse de la part de la Commission, Sisas, par lettre du 29 mars 1996, a adressé une mise en demeure à la Commission. Réitérant les demandes qui figuraient dans sa lettre du 29 juin 1995, elle a invité, conformément à l'article 175 du traité CE, la Commission à prendre position dans un délai de deux mois. Elle a ajouté qu'elle réservait "le droit de sa filiale Pantochim SA de demander à l'État français ainsi qu'à la Communauté européenne la réparation du dommage économique considérable que Pantochim a subi du fait de son exclusion légale du marché français de biodiesel détaxé depuis 1993".

9 Par lettre du 24 mai 1996 adressée au conseil de Sisas, la Commission a fait savoir que ladite lettre du 29 mars 1996 avait été enregistrée en tant que plainte visant à déclencher une procédure d'infraction au titre de l'article 169 du traité CE.

Procédure

10 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 1996, Pantochim a introduit un recours visant, d'une part, au titre de l'article 175 du traité, à la constatation de la carence de la Commission, en ce que celle-ci a omis d'interdire, dans le cadre de la procédure engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité à propos de la détaxation des biocarburants en France, l'octroi discriminatoire de cette détaxation, ainsi que, d'autre part, au titre des articles 178 et 215 du traité CE, à la réparation du préjudice qu'elle a prétendument subi du fait de la carence de la Commission.

11 Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 1996, la requérante a introduit, en vertu de l'article 186 du traité CE, la présente demande de mesure provisoire, visant à ce que "la Commission impose, dans le cadre de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité CE, à la France, [de lui] attribuer, à titre provisoire, de [...] la quotité sollicitée de biodiesel pouvant bénéficier de l'exonération du droit d'accise applicable".

12 La Commission a présenté ses observations écrites par acte déposé au greffe du Tribunal le 1er août 1996.

13 Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 7 octobre 1996.

En droit

14 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité et de l'article 4 de la décision 88-591-CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93-350-Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les autres mesures provisoires nécessaires.

15 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires doivent spécifier les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant, à première vue, l'octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire en ce sens qu'elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir l'ordonnance du président du Tribunal du 8 octobre 1996, Cipeke/Commission, T-84-96 R, Rec. p. II-0000, point 23).

Arguments des parties

Sur la recevabilité du recours au principal

16 La Commission estime que la présente demande doit être déclarée irrecevable, le recours au principal étant lui-même irrecevable aux motifs que la requérante n'a pas respecté la procédure de l'article 175 du traité et que cette procédure ne lui est pas ouverte.

17 En premier lieu, la Commission rappelle, d'une part, que le législateur communautaire, en indiquant que toute personne peut saisir le juge communautaire après que l'institution en cause a été mise en demeure d'agir (article 175, deuxième alinéa, du traité), a entendu que la mise en demeure soit adressée par la même personne que celle qui introduit le recours en carence et, d'autre part, que la jurisprudence a considéré cette obligation de saisine préalable comme une formalité initiale essentielle aux fins de la recevabilité du recours (arrêt de la Cour du 4 février 1959, de Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité, 17-57, Rec. p. 9, et plus récemment arrêt du Tribunal du 18 septembre 1993, Asia Motor France/Commission, T-28-90, Rec. p. II-2285). Compte tenu du fait que, en l'espèce, la lettre de mise en demeure a été adressée à la Commission par Sisas alors que le recours en carence a été introduit par Pantochim, le présent recours serait donc irrecevable.

18 En outre, même si Pantochim est une filiale de Sisas, la requérante doit être considérée, d'après la défenderesse, comme une personne juridique différente par rapport à sa société mère, les règles procédurales ne prenant jamais en compte, pour l'appréciation de la recevabilité d'un recours, les liens financiers qui peuvent exister entre des personnes morales.

19 En second lieu, la défenderesse considère que Pantochim est également irrecevable à introduire un recours en carence parce qu'elle ne serait pas le destinataire de l'acte, ayant trait à la compatibilité de la législation française avec le droit communautaire, que la Commission serait, d'après la requérante, obligée de prendre. En effet, selon l'article 175, troisième alinéa, du traité une personne ne peut introduire un recours en carence que dans le cas où elle est le destinataire potentiel de l'acte juridique que l'institution, attraite en justice, serait obligée de prendre (arrêt de la Cour du 10 juin 1982, Lord Bethell/Commission, 246-81, Rec. p. 2277, point 16, et ordonnance du Tribunal du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T-3-90, Rec. p. II-1, points 35 et 37).

20 En particulier, dans un cas comme celui de l'espèce, qui a trait à une procédure en matière d'aides d'État, l'article 93, paragraphe 2, du traité ne reconnaîtrait aux entreprises intéressées à participer à la procédure administrative devant la Commission que le droit de présenter leurs observations (arrêt de la Cour du 12 janvier 1973, Commission/Allemagne, 70-72, Rec. p. 813, point 19). Or, compte tenu, d'une part, de ce que les possibilités d'introduire un recours au titre de l'article 175 du traité sont plus restreintes que celles prévues par l'article 173 et eu égard, d'autre part, au caractère particulier de la procédure en matière d'aides d'État, une entreprise tierce intéressée ayant présenté, comme en l'espèce, des observations au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité ne serait pas recevable à engager un recours en carence pour faire sanctionner l'absence de prise de décision par la Commission.

21 Enfin, à supposer même qu'il faille apprécier la recevabilité d'un recours en carence conformément aux conditions qu'édicte l'article 173, quatrième alinéa, du traité quant au recours en annulation, force serait de constater que le recours au principal introduit par Pantochim est également irrecevable. En effet, d'après la jurisprudence du Tribunal, une entreprise ne peut être considérée comme individuellement concernée par une décision approuvant un régime général d'aides comme celui en cause, puisque dans le cadre d'un tel régime général "l'existence d'un bénéficiaire actuel, et donc l'existence d'une entreprise concurrente effective de ce dernier, présuppose une application concrète du régime d'aides par l'octroi d'aides individuelles" (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Kahn Scheepvaart/Commission, T-398-94, Rec. p. II-477).

22 La requérante, pour sa part, prenant appui sur l'arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission (169-84, Rec. p. 391, point 22), estime que la décision que la Commission a omis de prendre l'atteint en raison de certaines qualités qui lui sont particulières et d'une situation de fait qui la caractérise par rapport à tout autre personne et, de ce fait, l'individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire. A ses dires, elle serait la seule entreprise à avoir répondu à l'invitation de la Commission à présenter des observations qui figure dans la communication publiée au Journal officiel le 9 juin 1995. Elle serait également la seule victime des modalités discriminatoires selon lesquelles l'exonération de la taxe sur les biocarburants est accordée en France, puisqu'elle serait la seule, parmi les producteurs de la Communauté, à être réellement compétitive pour livrer du biodiesel en France à un prix concurrentiel. Partant, il ne saurait faire de doute que l'omission de la Commission met en jeu ses "intérêts légitimes", dans la mesure où les modalités retenues par la France pour exonérer les biocarburants de la taxe intérieure de consommation affecteraient substantiellement sa position sur le marché en cause.

23 La requérante souligne que l'obligation en cause n'est pas l'obligation de la Commission d'entamer une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité, mais plutôt celle, incombant à la même institution, de la mener, une fois qu'elle a été engagée, à bonne fin dans un délai raisonnable, conformément à l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité. En l'espèce, eu égard au fait que la lettre de mise en demeure lui a été adressée le 29 mars 1996, la Commission aurait bénéficié d'un délai plus que raisonnable pour mener ladite procédure à son terme (ordonnance de la Cour du 11 juillet 1979, Fédération nationale des producteurs de vins de table et vins de pays/Commission, 59-79, Rec. p. 2425), d'autant plus qu'elle aurait été informée du fait que le Gouvernement français fixe les quotas pouvant bénéficier de la détaxation par campagne et que cette campagne court généralement du 1er juillet au 30 juin de l'année suivante.

Sur la légalité de la mesure provisoire demandée

24 La Commission conteste également la légalité de la mesure demandée au motif qu'elle est contraire aux principes définis par les articles 92 et 93 du traité.

25 Premièrement, d'après la défenderesse, la mesure demandée, si elle était accordée, s'adresserait, nonobstant les termes dans lesquelles elle est formulée, à la France. Or, puisque celle-ci n'est pas partie à la procédure, l'injonction demandée par Pantochim porterait atteinte à la règle de procédure selon laquelle, avant qu'une mesure conservatoire soit prise au titre des articles 92 et 93 du traité, l'État membre concerné doit être mis en mesure de s'exprimer sur la mesure projetée (arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission, C-301-87, Rec. p. I-307, point 19).

26 Deuxièmement, la défenderesse soutient que la Commission ne pourrait nullement imposer à un État membre, dans le cadre de la procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, premier alinéa, du traité, de modifier, à titre provisoire, l'aide accordée; elle pourrait uniquement imposer la suspension du versement de l'aide et demander la transmission des documents, informations et données nécessaires à l'examen de la compatibilité de cette aide (arrêts de la Cour France/Commission, précité, et du 11 juillet 1996, SFEI/Commission, C-39-94, point 45, Rec. p. I-0000).

27 Troisièmement et en tout état de cause, dans l'hypothèse où l'aide serait incompatible avec le Marché commun, il serait contraire aux principes définis par les articles 92 et 93 du traité qu'une entreprise qui n'en bénéficie pas y acquière droit.

28 Enfin, la Commission invoque la jurisprudence (notamment l'ordonnance du président de la Cour du 15 juin 1987, Belgique/Commission, 142-87 R, Rec. p. 2589) selon laquelle l'existence de voies de recours nationales permettant d'éviter le préjudice justifie que la demande de mesures provisoires soit rejetée. Or, en l'espèce, selon la défenderesse, la requérante pouvait attaquer la décision ministérielle de rejet de sa demande d'agrément devant le juge administratif français. La requérante aurait pu également, dans la mesure où l'aide litigieuse, selon la Commission, n'a pas été notifiée, demander au juge national, sur la base de l'article 93, paragraphe 3, du traité, d'ordonner la suspension de son versement, voire sa restitution (arrêts de la Cour du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumons, C-354-90, Rec. p. I-5505, et SFEI/Commission, précité).

29 Selon la requérante, les dispositions pertinentes en l'espèce, contrairement à ce qu'affirme la partie adverse, ne sont pas celles figurant au paragraphe 2 de l'article 93 du traité, mais plutôt celles contenues au paragraphe 3 de ce même article. Il s'ensuivrait que la définition des compétences de la Commission en matière de mesures provisoires, telle qu'elle ressort de la jurisprudence invoquée par la défenderesse, qui lui reconnaît uniquement le pouvoir d'ordonner la suspension du versement de l'aide et de demander les renseignements nécessaires pour examiner sa compatibilité, ne serait pas applicable en l'espèce.

30 Aucune disposition ne s'opposerait donc à ce que la Commission ait compétence pour enjoindre aux autorités françaises de modifier les modalités d'octroi de l'aide en cause.

31 En outre et en tout état de cause, le fait que la requérante ait introduit, devant le juge national, une action contestant la décision de refus qui lui a été opposée par les autorités françaises ne saurait avoir une influence sur la légalité de la mesure provisoire demandée. De plus, puisque le rôle du juge national serait uniquement d'assurer le respect des obligations des États membres en cas de défaut de notification des mesures d'aides et que, en l'espèce, selon la requérante, le régime d'aide a été notifié à la Commission, l'intervention du juge national n'aurait aucune pertinence dans l'appréciation de la recevabilité et du bien-fondé de la demande en référé.

Appréciation du juge des référés

32 La présente demande en référé vise à ce qu'il soit enjoint à la Commission d'imposer aux autorités françaises d'exonérer, à titre provisoire et pour la quantité de 20 000 tonnes de biodiesel par an, la requérante de la taxe intérieure de consommation, ainsi que le prévoit l'article 32 de la loi française de finances pour l'année 1992, précitée.

33 Il convient d'examiner, à titre liminaire, la relation entre la mesure envisagée et les compétences de la Commission dans le cadre de la procédure administrative en cours.

34 Il découle des termes de la communication concernant l'ouverture de cette procédure administrative, précitée, que celle-ci a été ouverte par la Commission au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité et a pour objet l'examen de la compatibilité avec le Marché commun de la législation française dans le secteur des biocarburants. Cette législation prévoit, d'après la Commission, "une aide directe aux biocarburants d'origine agricole (esters d'huile de colza et de tournesol et bioéthanol fabriqué à partir de céréales, de topinambours, de pommes de terre et de betteraves) et une aide indirecte à certains produits de base" (point 2 de la communication). En outre, il ressort à première vue du dossier que les autorités françaises ont institué ce prétendu régime d'aides sans en notifier préalablement le projet à la Commission et qu'elles ont déjà exonéré de la taxe intérieure de consommation certaines entreprises qui continuent à bénéficier de cette mesure.

35 Comme l'a rappelé la défenderesse, selon une jurisprudence bien établie, lorsque la Commission constate, dans le cadre d'une procédure au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité, qu'une aide a été instituée sans lui avoir été, ainsi que le prévoit l'article 93, paragraphe 3, du traité, préalablement notifiée, elle ne peut adopter d'autre mesure provisoire que celle consistant en une injonction adressée à l'État membre concerné de suspendre immédiatement le versement de l'aide et de lui fournir, dans un délai qu'elle fixe, tous les documents, informations et données nécessaires pour examiner la compatibilité de cette aide avec le Marché commun (voir, en dernier lieu, l'arrêt SFEI/Commission, précité, point 45).

36 Or, la mesure que la requérante demande au juge des référés, à savoir qu'il soit ordonné à la Commission d'enjoindre à la France d'exonérer la requérante, à titre provisoire et dans certaines limites, de la taxe intérieure de consommation, se situe manifestement en dehors des compétences qui ont été reconnues à l'institution défenderesse dans la procédure administrative prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité.

37 En outre, force est de constater qu'une telle mesure serait contraire aux règles communautaires en matière d'aides d'État (articles 92 et 93 du traité).

38 En effet, la limitation du contenu des mesures provisoires qui peuvent être adoptées dans le cadre d'une telle procédure administrative résulte des principes inspirant le régime des aides d'État mis en place dans le traité. L'article 92, paragraphe 1, du traité prévoit une interdiction générale des "aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit". Cette interdiction, ainsi que la Cour l'a déjà souligné, n'est ni absolue ni inconditionnelle, puisque, en particulier, le paragraphe 2 de cette même disposition accorde à la Commission un large pouvoir d'appréciation en vue d'admettre des aides par dérogation à l'interdiction générale dudit paragraphe 1.

39 L'article 93 du traité prévoit une procédure spéciale pour permettre à la Commission d'exercer un examen permanent et un contrôle des aides. Il édicte, notamment, en son paragraphe 3, une interdiction de mise à exécution visant à garantir que les effets d'un régime d'aides ne se produisent pas avant que la Commission n'ait eu un délai raisonnable pour examiner le projet en détail et, le cas échéant, entamer la procédure prévue au paragraphe 2 de ce même article et, en cas d'ouverture de ladite procédure, avant que la Commission n'ait adopté une décision finale sur la compatibilité du projet d'aide avec le Marché commun.

40 Or, l'efficacité de ce système, comme il a été précisé par la Cour, implique que des mesures à caractère conservatoire puissent être prises par la Commission. Ces mesures ont néanmoins uniquement pour fin de contrecarrer toute violation des règles de l'article 93, paragraphe 3, du traité et, notamment, la violation de l'interdiction de versement des aides qui s'impose, en principe, jusqu'à la décision finale de la Commission sur leur compatibilité avec le Marché commun (arrêts France/Commission, précité, points 15 à 18, et SFEI/Commission, précité, points 35 à 38).

41 Il s'ensuit que, dans une telle procédure, toute mesure adoptée à titre provisoire qui ne vise pas un tel but ne trouve pas sa justification à l'intérieur de ce système et doit être considérée comme illégale.

42 Il en découle que la mesure demandée par la requérante dans le cadre du présent recours en référé, visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'enjoindre aux autorités françaises d'exonérer, à titre provisoire et dans certaines limites, Pantochim de la taxe intérieure de consommation ainsi que le prévoit l'article 32 de la loi de finances pour l'année 1992, est contraire aux règles communautaires en matière d'aides d'État.

43 De surcroît, il convient de souligner que, en l'espèce, la mesure provisoire demandée au juge des référés aurait le même contenu et les mêmes effets que la mesure que, selon la requérante, la Commission a omis d'adopter. Or, il ne serait pas conforme aux principes qui régissent la répartition des compétences entre les différentes institutions de la Communauté, telle qu'elle a été voulue par les auteurs du traité, que le juge communautaire puisse imposer à la Commission d'accueillir la demande de mesures provisoires qui lui a été soumise (ordonnance du président du Tribunal du 6 décembre 1989, Cosimex/Commission, T-131-89 R, Rec. 1990, p. II-1, points 11 et 12).

44 De même, en l'espèce, la requérante demande au juge des référés de se substituer à la Commission dans l'appréciation de la prétendue mesure d'aide ainsi que de l'éventuelle nécessité de son extension à la requérante avant toute décision de cette institution en la matière. De plus, le juge des référés s'adresserait ainsi non pas à l'institution défenderesse, mais plutôt à l'État membre concerné.

45 Sur la base de tout ce qui précède et sans qu'il soit nécessaire d'analyser le bien-fondé des autres moyens invoqués par les parties, il y a lieu de constater que les conditions permettant en droit l'octroi de la mesure provisoire sollicitée ne sont pas remplies et que, par conséquent, la demande doit être rejetée.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) La demande de mesures provisoires est rejetée.

2) Les dépens sont réservés.