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Décisions

Cass. 1re civ., 12 juillet 2005, n° 03-19.820

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Association départementale de transfusion sanguine de la Loire, Etablissement français du sang Auvergne Loire, Générali France (Sté), La Concorde (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouscharain (faisant fonction)

Lyon, 1re ch. civ., du 4 sept. 2003

4 septembre 2003

LA COUR : - Attendu que M. X, ayant reçu en 1982 des produits sanguins fournis par l'Association départementale de transfusion sanguine de la Loire, a appris en 1995 qu'il était contaminé par le virus de l'hépatite C et a assigné en déclaration de responsabilité et indemnisation de son préjudice l'Association départementale de transfusion aux droits de laquelle se trouve l'Etablissement français du sang Auvergne Loire (EFS) et la société Générali France venant aux droits de la compagnie La Concorde ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Générali France fait grief à l'arrêt attaqué (Lyon, 4 septembre 2003) d'avoir déclaré l'EFS responsable du préjudice subi par M. X en application de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et de l'avoir condamnée in solidum avec l'EFS au paiement de dommages et intérêts, alors, selon le moyen, que les dispositions des articles 1386-1 à 1386-8, issues de la loi du 19 mai 1998 sont applicables aux produits dont la mise en circulation est postérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi ; que la cour d'appel qui a retenu la responsabilité de l'EFS, en raison de transfusions sanguines pratiquées en 1982, par application de la loi du 19 mai 1998 a violé l'article 21 de cette loi ;

Mais attendu que selon l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang, qu'au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination, que le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et que le doute profite au demandeur ;

Attendu que l'arrêt a relevé, en se fondant sur le rapport d'expertise, que le donneur dont le sang avait été administré à M. X était contaminé par le virus de l'hépatite C, que sur neuf personnes ayant reçu du sang de ce même donneur et qui avaient pu être contrôlées huit s'étaient révélées séropositives, qu'il existait une identité totale des deux types de virus dont étaient atteints le donneur et M. X et que le lien de causalité était ainsi établi de façon certaine entre la séropositivité au virus de l'hépatite C de M. X et les transfusions sanguines effectuées en 1982 ; qu'il en résulte que M. X satisfaisait aux conditions posées par l'article 102 pour prétendre à une indemnisation ; que, par ce motif de pur droit, substitué, après avis donné aux parties à ceux justement critiqués par le moyen, la décision déférée se trouve légalement justifiée ; que le moyen ne peut donc être accueilli ;

Et sur le second moyen prix en ses six branches : - Attendu que la société Générali France fait encore grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée in solidum avec l'EFS au paiement de dommages et intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'aux termes de l'article 5, alinéa 2, de la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, "sans préjudice de l'application des clauses contractuelles stipulant une période de garantie plus longue, tout contrat d'assurance de responsabilité civile garantissant les risques mentionnés à l'article L. 1142-2 du Code de la santé publique, conclu antérieurement à cette date (de publication de la présente loi), garantit les sinistres dont la première réclamation est formulée postérieurement à cette date et moins de cinq ans après l'expiration ou la résiliation de tout ou partie des garanties, si ces sinistres sont imputables aux activités garanties à la date d'expiration ou de résiliation et s'ils résultent d'un fait générateur survenu pendant la période de validité du contrat" ; qu'il en résulte qu'aucune réclamation ne peut être fondée sur un contrat d'assurance de responsabilité civile médicale obligatoire expiré ou résilié après la période de garantie stipulée ; que la cour d'appel, qui a retenu la garantie de la compagnie Generali France sur le fondement des clauses du contrat-type annexé à l'arrêté du 27 juin 1980, tout en constatant que la réclamation avait été formulée postérieurement à la date d'expiration du délai de cinq ans suivant la résiliation du contrat, a violé l'article 5 de la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité civile médicale, ensemble l'article 1134 du Code civil et l'article 4 du contrat-type annexé à l'arrêté du 27 juin 1980 ; 2°) que l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, et l'impératif de sécurité juridique s'opposent à ce que la déclaration d'illégalité d'un règlement par la juridiction administrative puisse remettre en cause les droits antérieurement acquis par des particuliers au titre de ce règlement ; qu'il en résulte que la déclaration d'illégalité de l'article 4 de l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980, intervenue le 29 décembre 2000, ne peut avoir pour effet de remettre en cause rétroactivement le contrat d'assurance et, plus particulièrement, la clause de garantie subséquente stipulée conformément à l'autorisation donnée par ce texte alors que le contrat a été régulièrement conclu, exécuté, puis résilié dans le strict respect de la norme ultérieurement déclarée illégale ; que la cour d'appel qui, pour juger la compagnie Generali France tenue de garantir la réparation du préjudice de M. Didier X, s'est fondée sur la déclaration, par arrêt du Conseil d'Etat du 29 décembre 2000, de l'illégalité de l'article 4 de l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980, a méconnu le principe susvisé, ensemble les articles 1134 et 1351 du Code civil et l'article 6 e la CEDH ; 3°) que la déclaration, par les juridictions de l'ordre administratif, de l'illégalité d'un acte administratif règlementaire, n'a que l'autorité relative de la chose jugée et laisse subsister l'acte à l'égard des tiers ; que la cour d'appel qui, pour juger la compagnie Generali France tenue de garantir la réparation du préjudice de M. Didier X, s'est fondée sur la déclaration, par arrêt du Conseil d'Etat du 29 décembre 2000, de l'illégalité de l'article 4 de l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980, a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 1351 du Code civil ; 4°) que la cause des obligations d'une partie à un contrat synallagmatique réside dans l'obligation de l'autre ; que la cour d'appel, pour juger la compagnie Generali France tenue de garantir la réparation du préjudice de M. Didier X, s'est fondée sur la déclaration, par arrêt du Conseil d'Etat du 29 décembre 2000, de l'illégalité de l'article 4 de l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980 ; qu'en statuant ainsi, et sans rechercher, comme elle y était invitée si, en contrepartie des primes versées pendant la durée du contrat, le centre de transfusion n'avait pas bénéficié de la garantie de l'assureur pour les réclamations présentées pendant la durée du contrat et dans les cinq ans qui avaient suivi sa résiliation, ni s'expliquer sur l'existence d'une contrepartie aux garanties imposées pour une durée illimitée (conclusions récapitulatives n° 2 du 24 mars 2003, p. 17 et 23), la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1131 du Code civil ; 5°) et subsidiairement, qu'il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention ; que la cour d'appel, pour condamner la compagnie Generali France, a retenu que l'existence d'un vice du consentement n'était pas établie, les parties ayant contracté dans le cadre d'une assurance obligatoire et alors que la limite de la garantie dans le temps s'accompagnait par ailleurs d'une limitation du montant de la garantie par sinistre et par année d'assurance ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur l'incidence de la limitation de garantie, notamment quant au montant des primes, moyennant lesquelles l'assureur n'aurait pas accepté de s'engager pour une durée illimitée, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du Code civil ; 6°) et aussi subsidiairement, que le moyen tiré de la nullité de l'acte sur laquelle est fondée une demande constitue une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause ; que les juges du fond, qui ont retenu que la société Generali France ne saurait invoquer à titre subsidiaire la nullité du contrat d'assurance pour erreur sur la substance alors que l'examen de la validité du contrat était nécessairement préalable à celui des conditions de sa mise en œuvre, ont violé l'article 72 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, qu'il résulte de la combinaison des articles 1131 du Code civil, L. 124-1 et L. 124-3 du Code des assurances qu'en l'absence d'autorisation législative spécifique qui soit applicable en la cause, le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d'effet du contrat d'assurance et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s'est produit pendant cette période et que toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l'assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l'assuré est génératrice d'une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite ; que le Conseil d'Etat a, le 29 décembre 2000, déclaré illégal l'article 4 de l'annexe de l'arrêté du 27 juin 1980 ; que cette décision, même intervenue dans une autre instance, affecte nécessairement la validité de la clause du contrat d'assurance obligatoire stipulée sur le fondement de ce texte déclaré illégal dès son origine et, par conséquent, le présent litige portant sur la couverture actuelle du risque assuré par le contrat contenant une telle clause, peu important, à cet égard, que celui-ci soit ou non expiré ; que, dès lors, c'est à bon droit, sans être tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et sans conférer d'effet rétroactif à la déclaration d'illégalité, que les juges du fond ont décidé que la clause litigieuse était illicite, sans que puissent y faire obstacle les objectifs invoqués de sécurité juridique, d'intelligibilité de la loi et de confiance légitime ; qu'ensuite, c'est dans l'exercice de leur pouvoir souverain qu'ils ont relevé l'absence, lors de la formation du contrat, de toute erreur portant sur la substance même de son objet et qu'en cet état et dès lors qu'aucune erreur ne pouvait être imputée à la déclaration d'illégalité, fût-elle intervenue postérieurement à la formation du contrat, ils ont rejeté à bon droit la demande d'annulation de celui-ci ; que, dès lors, les motifs critiqués par la dernière branche du moyen sont surabondants ; que le moyen est donc mal fondé en ses cinq premières branches et inopérant en sa sixième ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.