CJCE, 28 mars 1979, n° 90-78
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Granaria BV
Défendeur :
Conseil ; Commission des Communautés européennes
LA COUR,
1. Attendu que, par requête introduite le 3 avril 1978 contre le conseil et la commission, la Société néerlandaise Granaria bv, ci- après 'Granaria', a demandé à la Cour, d'une part, de constater au titre de l'article 175 du traité CEE que les deux institutions, conjointement ou séparément, avaient méconnu les obligations qui leur incombaient, en manquant d'adresser à Granaria un acte qu'elle avait demandé et, d'autre part, au titre de l'article 215, alinéa 2, du traite, de condamner la communauté a l'indemniser d'un préjudice qui lui aurait été cause par les institutions défenderesses ;
2. Que ces demandes trouvent leur origine dans le fait que, au 1 août 1974, date de l'entrée en vigueur du règlement n 1125/74 du 29 avril 1974 modifiant le règlement n 120/67 portant organisation commune des marches dans le secteur des céréales (JO n° l 128, p. 12), l'octroi de restitutions à la production de Quellmehl, dont Granaria avait bénéficié après avoir entamé cette production en 1972, avait pris fin, et n'a été réintroduit qu'en ce qui concerne la fabrication de Quellmehl destiné à la panification, par la règlement n° 1127/78 du conseil du 22 mai 1978 modifiant le règlement n° 2742/75 relatif aux restitutions à la production dans le secteur des céréales et du riz (JO n° l 142, p. 24) ;
Qu'a l'appui de ses demandes, Granaria invoque l'arrêt de la Cour du 19 octobre 1977 dans les affaires jointes 117/76, Ruckdeschel/Hauptzollamt Hamburg-st. Annen, et 16/77, Diamalt/Hauptzollamt Itzehoe (Recueil, p. 1753), dans lequel il est dit pour droit que les dispositions réglementaires en cause étaient incompatibles avec le principe de l'égalité dans la mesure où elles comportaient une différence de traitement entre le Quellmehl et l'amidon gonfle en ce qui concerne les restitutions a la production pour le mais utilise dans la fabrication de ces deux produits ;
3. Attendu que le recours dans son ensemble vise essentiellement a obtenir réparation du préjudice que Granaria prétend avoir subi du fait de s'être vu refuser l'octroi des restitutions réclamées ;
Qu'il convient donc en premier lieu d'examiner la demande basée sur l'article 215, alinéa 2 ;
Sur la recevabilité du recours pour autant qu'il est base sur les articles 178 et 215, alinéa 2
4. Attendu que le conseil et la commission ont soulevé une exception d'irrecevabilité en faisant valoir que la requête ne répond pas aux exigences de l'article 38, paragraphe 1, du règlement de procédure en ce qu'elle ne précise ni le caractère ni l'étendue du préjudice allègue, ni le lien de causalité entre les actes de la communauté et le dommage prétendument subi ;
5. Attendu qu'il est vrai que dans la requête Granaria se borne à affirmer qu'elle a subi un préjudice pécuniaire du fait de la réglementation en cause, tout en se réservant de préciser ultérieurement la portée de celui-ci ;
Qu'une requête ainsi limitée, introduite au titre de l'article 178 du traité, ne saurait en général satisfaire aux exigences du règlement de procédure quant à l'indication de l'objet du litige et les moyens invoqués ;
6. Que dans les circonstances de l'espèce, cependant, le caractère incomplet de la requête ne doit pas nécessairement entraîner son irrecevabilité ;
Qu'en effet, lorsque la Cour est saisie d'une action en dommages-intérêts en vertu de l'article 178 du traité et lorsque le fondement juridique de la responsabilité de la communauté est contesté, des considérations tenant à l'économie de la procédure ont parfois amené la Cour à statuer, dans une première phase de la procédure, sur la question de savoir si le comportement des institutions est de nature à engager la responsabilité de la communauté, réservant l'examen des questions relatives à la causalité, ainsi qu'à la nature et à la portée du préjudice à une phase ultérieure éventuelle ;
Qu'en l'espèce, le problème du fondement juridique de la responsabilité se prête particulièrement bien à être tranché séparément selon cette pratique, de sorte que la requête peut à la rigueur être considérée comme suffisante et partant recevable ;
Sur le fond du recours pour autant qu'il est basé sur l'article 215, alinéa 2
7. Attendu que Granaria prétend que la responsabilité de la communauté est engagée du fait que la suppression des restitutions à la production du Quellmehl a créé une situation juridique que la Cour, par son arrêt du 19 octobre 1977, a déclarée illégale pour violation du principe d'égalité ;
8. Attendu que, s'il est vrai que la Cour, par l'arrêt cité, a dit pour droit que les dispositions réglementaires en cause étaient incompatibles avec le principe d'égalité dans la mesure ou elles comportaient une différence de traitement entre le Quellmehl et l'amidon gonfle, il résulte, cependant, des motifs de l'arrêt que cette constatation était basée sur les données soumises à la Cour pendant la procédure ;
Qu'à cet égard, la Cour a retenu que le Quellmehl se trouvait depuis longtemps exposé à la concurrence de l'amidon en raison de la possibilité de substitution de ce dernier produit aux fins de certaines utilisations spécifiques dans le domaine de l'alimentation humaine ;
9. Qu'au vu des allégations faites par le conseil et par la commission en ce sens que le Quellmehl aurait été détourné de sa destination spécifique dans l'alimentation humaine pour être vendu comme aliment de bétail, la Cour a dit que, même à supposer qu'une telle utilisation eut été constatée effectivement, cette circonstance n'aurait pu justifier la suppression de la restitution que pour les quantités ainsi utilisées, et non pour les quantités du produit utilisées dans l'alimentation humaine ;
Que la Cour a estimé que le principe d'égalité n'est violé au préjudice des producteurs du Quellmehl que dans l'hypothèse ou celui-ci est utilisé aux fins qui sont traditionnellement les siennes dans l'alimentation humaine ;
Qu'au cours de la procédure dans la présente affaire, les parties n'ont apporté aucun élément nouveau qui pourrait modifier cette appréciation ;
10. Attendu que les institutions chargées de la mise en œuvre du régime des restitutions a la production dans le cadre de l'organisation commune du marché peuvent légitimement exiger que celui qui réclame le bénéfice des restitutions justifié que le produit est utilisé aux fins visées par ce régime ;
Qu'en l'espèce, Granaria n'a pas apporté une telle justification, ni pour la période pendant laquelle aucune restitution a la production du Quellmehl n'était prévue par la réglementation en vigueur, ni pour la période suivant la réintroduction des restitutions a la production du Quellmehl destiné à la panification ;
11. Qu'il en résulte que la responsabilité de la communauté n'est pas engagée envers Granaria et que, par conséquent, le recours doit être rejeté comme non fondé, pour autant qu'il est basé sur l'article 215, alinéa 2, du traité ;
Sur la recevabilité du recours pour autant qu'il est base sur l'article 175 du traite
12. Attendu que la demande présentée par Granaria, au titre de l'article 175 du traité, vise à faire constater que les institutions défenderesses ont manqué à leurs obligations en ne donnant aucune suite à l'invitation que Granaria leur avait adressée, leur demandant de verser les restitutions réclamées et de reconnaître leur responsabilité pour la préjudice que leur comportement aurait cause ;
13. Qu'aux termes de l'article 175, alinéa 3, toute personne physique ou morale peut saisir la Cour de justice, dans les conditions fixées aux alinéas 1 et 2 du même article, pour faire grief au conseil ou a la commission d'avoir, en violation du traité ,'manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis' ;
14. Attendu que le seul instrument juridique permettant de donner satisfaction à la demande présentée aux deux institutions aurait été, en l'espèce, un règlement autorisant la réintroduction des restitutions a la production du Quellmehl et définissant les modalités de la réparation des dommages éventuellement causes par leur suppression ;
Qu'une telle disposition ne saurait être qualifiée, ni en raison de sa forme ni en raison de sa nature, comme un acte dont la requérante pourrait être destinataire au sens de l'article 175, alinéa 3 ;
15. Que le recours doit donc être rejeté comme irrecevable pour autant qu'il est basé sur l'article 175 du traité ;
Sur les dépens
16. Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
Que la requérante ayant succombe en son action, il y a lieu de la condamner aux dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête :
1) le recours est rejeté.
2)la requérante est condamnée aux dépens.