CA Toulouse, 3e ch. sect. 1, 10 octobre 2000, n° 1999-01267
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Département de l'Aude
Défendeur :
Fabre, Macif Sud Ouest Pyrénées (Sté), Amblard, CPAM du Tarn, MAPA (Sté), Etablissement Pierre Harinordoquy (SARL), Direction départemental des services vétérinaires de l'Aude
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dreuilhe
Conseillers :
MM. Helip, Vergne
Avoués :
SCP Boyer Lescat Merle, Me de Lamy, SCP Sorel Dessart Sorel, SCP Cantaloube Ferrieu Cerri, SCP Rives Podesta
Avocats :
Mes Labry, Laporte Poyto, Coste, SCP Salvaire, Veaute, Arnaud-Laur
Faits/procédure
Monsieur Fabre, victime de trichinellose après avoir consommé de la viande de cheval achetée chez Monsieur Amblard, a, par actes des 7 et 12janvier 1999, fait assigner en référé ce dernier et son assureur, la Macif, pour voir ordonner une mesure d'expertise médicale et se voir allouer une provision de 5 000 F.
Par actes des 21 et 22 janvier 1999, Monsieur Amblard et son assureur ont alors appelé en garantie la SARL Harinordoquy et son assureur la MAPA, lesquels ont appelé en cause le département de l'Aude en sa qualité de responsable du Laboratoire vétérinaire départemental, ainsi que la Direction départementale des services vétérinaires de ce même département qui auraient, après analyses négatives, autorisé la commercialisation de la carcasse du cheval litigieux.
Par ordonnance de référé du 23 février 1999, le Président du Tribunal de grande instance de Castres a fait droit à la demande de Monsieur Fabre et a condamné par ailleurs la SARL Harinordoquy et son assureur à relever et garantir Monsieur Amblard et son assureur de toute condamnation pouvant être prononcée à leur encontre.
Le Président du tribunal de grande instance a en outre déclaré l'ordonnance commune au département de l'Aude et à la Direction des services vétérinaires de l'Aude, en estimant le juge judiciaire compétent pour déclarer commune à des personnes de droit public l'ordonnance désignant un expert dès lors que les opérations d'expertise sont susceptibles d'avoir une influence devant les juridictions administratives.
Sur contredit formé par le département de l'Aude, la Cour d'appel de Toulouse a, tout en déclarant le contredit irrecevable, constaté qu'elle était saisie par la voie de l'appel et invité les parties à constituer avoué. La SARL Harinordoquy et la MAPA ont en outre relevé appel incident de la décision.
Prétentions des parties
Le département de l'Aude soutient qu'il ne peut être appelé en cause devant une juridiction de l'ordre judiciaire.
Il précise que son appel vise à faire constater l'inutilité et l'absence d'intérêt de sa présence à des opérations d'expertise concernant des consommateurs.
Il soutient en effet qu'en sa qualité de personne publique il existe un double défaut d'intérêt à lui rendre commune l'ordonnance de référé.
Il expose d'une part que sa responsabilité ne peut être retenue sur ta base de l'expertise puisque, contrairement à ce qui a été dit en référé, sa mise en cause est indifférente au procès administratif dans la mesure où l'expertise tend non pas à déterminer les différentes responsabilités mais à fixer l'étendue du préjudice de la victime.
Il considère d'autre part qu'en application du principe relatif à la séparation des pouvoirs seul le jugement rendu sur le fond peut constituer un fait générateur de dommage pour Monsieur Amblard et son assureur, et qu'il appartiendra alors à ceux-ci de l'assigner devant le juge administratif afin de rechercher son éventuelle responsabilité.
Il sollicite donc la réformation de la décision, subsidiairement de voir juger que l'appel en cause est sans objet et inutile. Il conclut à l'allocation de la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
En réplique, la SARL Harinordoquy et son assureur soutiennent qu'ils sont bien fondés à appeler en cause la Direction des services vétérinaires et du département de l'Aude aux fins d'entendre déclarer l'ordonnance commune et opposable à ces derniers.
Ils sollicitent la réformation de l'ordonnance quant à l'allocation de la provision à Monsieur Fabre.
Ils soutiennent d'une part que le juge des référés n'est pas compétent pour statuer sur le fondement des articles 1386-1 et suivants dont l'appréciation relève exclusivement de la compétence des juges du fond et invoquent d'autre part l'existence d'une contestation sérieuse résultant de la possibilité pour le producteur d'invoquer les dispositions de l'article 1386-11 du Code civil selon lequel le producteur est exonéré de toute responsabilité s'il prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.
Ils font valoir à ce titre l'inefficacité des analyses scientifique et technique obligatoires prescrites par les services de l'Etat pour déceler les larves de trichine dans la viande ainsi que différents rapports d'expertises tendant aux mêmes conclusions.
Ils concluent à l'allocation de la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Monsieur Amblard et son assureur font observer à titre préliminaire qu'ils n'ont aucune qualité pour intervenir dans le débat relatif à l'opposabilité de la décision à une personne publique bien qu'ils partagent les conclusions de la MAPA et de son assuré sur ce point.
Ils sollicitent la confirmation de la décision pour le surplus et s'en remettent à la cour quant au mérite de l'appel incident tout en relevant qu'ils souhaitent en tout état de cause être relevés et garantis par le fournisseur et son assureur.
Enfin Monsieur Fabre sollicite quant à lui la confirmation de la décision dans toutes ses dispositions et conteste l'existence d'une contestation sérieuse invoquée par la MAPA et son assuré.
La Caisse primaire d'assurance maladie du Tarn a conclu à la confirmation de l'ordonnance de référé et demande que ses droits soient réservés dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise; elle sollicite également la somme de 3 000 F sur la base de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur l'opposabilité de l'ordonnance
- à la Direction départementale des services vétérinaires qui a délivré l'autorisation administrative permettant la mise en vente de la viande
- et au Laboratoire départemental chargé de l'analyse scientifique des prélèvements
Il est incontestable que le département de l'Aude a été directement impliqué dans la mise sur le marché des carcasses infestées dans la mesure où la commercialisation de la viande dépend de cette autorisation administrative.
En droit, en application des dispositions de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, le juge des référés peut être saisi d'une demande d'expertise avant tout procès, c'est-à-dire avant que le juge du fond soit saisi du procès en vertu duquel cette expertise est sollicitée ; qu'il y a lieu de constater que l'expertise ordonnée par le Président du Tribunal administratif de Montpellier est sans rapport avec l'expertise médicale sollicitée par les victimes ; que surtout la spécificité des compétences administrative et judiciaire ne tait pas obstacle à l'application de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile lorsqu'il apparaît, comme c'est le cas en l'espèce, qu'au moment où est demandée la mesure d'instruction le fond du litige relève pour partie des juridictions judiciaires et pour partie des juridictions administratives, et que l'imbrication des faits est telle que chaque partie doit participer à tous les actes d'expertise, même à ceux qui concernent à priori l'autre ordre de juridiction ; qu'il s'agit d'une mesure d'instruction et non, comme l'écrit l'appelant, d'une reconnaissance de responsabilité ou d'une indemnisation définitive.
En conséquence la cour confirme sur ce point la décision appelée.
Monsieur Fabre a été malade après avoir consommé de la viande de cheval achetée au marché de Lameilhe, à la boucherie Amblard.
Les recherches effectuées par les services vétérinaires ont permis d'établir que l'infection dont ont été victimes de nombreux consommateurs de la région de Castres et de Toulouse provient du même cheval dont les parties ont été achetées par Monsieur Amblard près de la SA Harinordoquy, cheval abattu aux abattoirs de Narbonne sous le contrôle du laboratoire vétérinaire du département de l'Aude.
Monsieur Fabre est donc fondé à se prévaloir de la responsabilité de plein droit du producteur (et du vendeur selon l'article 1386-7 du Code civil) du fait des produits défectueux, et si une discussion peut en effet s'instaurer par la suite, le vendeur pouvant demander l'application des dispositions notamment de l'article 1386-11 du Code civil, l'obligation n'est pas en l'état contestable.
Il s'ensuit que la provision allouée est justifiée et que la viande contaminée ayant été vendue par Monsieur Amblard cette provision est à la charge de Monsieur Amblard et de sa compagnie d'assurances la MACIF, sauf pour ces parties, comme l'a dit le premier juge, de se faire garantir par leur propre fournisseur, la SARL Harinordoquy, et l'assureur de cette dernière, la MAPA.
La décision est donc confirmée dans toutes ses dispositions.
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à l'une quelconque des parties.
Les dépens suivent le sort du principal.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions; Laisse les dépens à la charge du département de l'Aude, avec distraction au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.