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Décisions

CJCE, 26 avril 1988, n° 97-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Asteris AE, Strymon Ellas-Afi Bitzidi AE, République hellénique, Adelfi Chatziathanassiadi ABE, Amvrossia Konservopiia Verias AEBE, Elliniki Viomichania Idon Diatrofis AE, Eteria Emboriou Kai Antiprossopion Issagogiki-Exagogiki Darva EPE, Synetairistiki Eteria Viomichanikis Anaptixeos Thrakis Sevath AEB, Anonymos Viomichaniki Eteria Konservon D. Nomikos, Intra Anonymos Viomichanini Kai Emboriki Eteria, Viomichania Trofimon AE, Afi Kanakari AE Kai Exagogiki Eteria Georgikon Proiondon, Sinetairistika Ergostassia Konservopiias Voriou Ellados Sekove AE, Omospondia Georgikon Synetairismon Thessalonikis, Kyknos AEBE, Zanae-Zymai Artopiias Nikoglou AE

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocats :

Mes Stamoulis, Arvanitis, Tsiokas

CJCE n° 97-86

26 avril 1988

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 14 avril 1986 (affaire 97-86), les sociétés mentionnées Sub 1 à 15 ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du règlement n° 381-86 de la Commission, du 20 février 1986, relatif au paiement complémentaire d'une aide à la production pour les emballages de certaines dimensions contenant des concentrés de tomates, obtenus à partir de tomates grecques au cours de la campagne de commercialisation 1983/1984 (JO L 44, p. 10).

2. Par requête déposée au greffe de la Cour le 29 juillet 1986 (affaire 193-86), les sociétés mentionnées Sub 1 à 15 ont introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 2, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du refus de la Commission de se conformer aux arrêts du 19 septembre 1985 (République Hellénique/Commission, 192-83, Rec. p. 2791, et Asteris et autres/Commission, 194 à 206-83, Rec. p. 2815) contenu dans une lettre adressée aux sociétés le 11 juillet 1986.

3. Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 avril 1986 (affaire 99-86), la République hellénique a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du règlement n° 381-86 (précité).

4. Par requête déposée au greffe de la Cour le 6 août 1986 (affaire 215-86), la République hellénique a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE, un recours visant à l'annulation du refus de la Commission de se conformer aux arrêts du 19 septembre 1985 (précités) contenu dans une lettre adressée à la République hellénique le 19 juin 1986.

5. Par ordonnance du 17 juin 1987, la Cour a décidé de joindre les affaires 97, 193, 99 et 215-86 aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

6. Saisie d'un recours introduit par la République hellénique, la Cour avait, par arrêt du 19 septembre 1985 (192-83, précité), annulé le règlement n° 1615-83 de la Commission, du 15 juin 1983, fixant les coefficients à appliquer au montant de l'aide à la production pour les concentrés de tomates pour la campagne 1983/1984 (JO L 159, p. 48). L'annulation était encourue dans la mesure où les coefficients fixés par ce règlement ont pour effet de créer une inégalité de traitement entre les producteurs de la République hellénique et ceux des autres Etats membres en ce qui concerne la compensation des frais supplémentaires occasionnés par l'utilisation d'emballages plus petits que le conditionnement type retenu par le règlement n° 1618-83 de la Commission, du 15 juin 1983, fixant, pour la campagne 1983/1984, le prix minimal à payer, ainsi que le montant de l'aide à la production pour certains produits transformes à base de fruits et légumes (JO l 159, p. 52). Dans cet arrêt, la Cour avait encore déclaré qu'il incombait à la Commission, en vertu de l'article 176 du traité CEE, de fixer, pour la Grèce, de nouveaux coefficients ou tout autre système de compensation tenant compte de la différenciation du régime d'aide entre la Grèce et les autres Etats membres.

7. En exécution de l'arrêt du 19 septembre 1985 (affaire 192-83), la Commission avait adopté le règlement n° 381-86, objet du présent recours. En ce qui concerne les campagnes antérieures à la campagne 1983/1984 ou postérieures, aucun règlement concernant une aide complémentaire n'a été pris.

8. Invitée par les sociétés requérantes et par la République hellénique à fixer, à la suite des arrêts du 19 septembre 1985, une aide complémentaire en faveur des industries helléniques également pour les campagnes 1981/1982, 1982/1983, 1984/1985 et 1986/1987, la Commission a estimé, dans des réponses adressées aux sociétés requérantes le 11 juin 1986 et à la République hellénique le 19 juin 1986, que l'arrêt rendu dans l'affaire 192-83, annulant le règlement n° 1615-83, lui imposait uniquement l'obligation d'adopter un nouveau règlement pour la campagne 1983/1984.

9. Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

Sur les recours introduits par les entreprises

10. Par leurs recours dans les affaires jointes 97 et 193-86, les entreprises requérantes demandent l'annulation du règlement n° 381-86, dans la mesure où il se limite à prévoir une aide complémentaire pour la campagne 1983/1984, et du refus de la Commission, invitée par les requérantes à agir, d'accorder, en exécution de l'arrêt du 19 septembre 1985, une aide complémentaire également pour les campagnes antérieures et postérieures à 1983/1984.

11. En ce qui concerne le recours en annulation du règlement n° 381-86, il convient de rappeler, comme la Cour l'a déjà constaté, en dernier lieu dans son arrêt du 24 février 1987 (Deutz & Geldermann, 26-86, Rec. p. 941), que l'article 173, alinéa 2, du traité CEE subordonne la recevabilité d'un recours en annulation formé par un particulier à la condition que l'acte attaqué, même s'il a été pris sous l'apparence d'un règlement, constitue, en réalité, une décision qui concerne le requérant directement et individuellement. L'objectif de cette disposition est, comme la Cour l'a souligné, notamment d'éviter que, par le simple choix de la forme d'un règlement, les institutions communautaires puissent exclure le recours d'un particulier contre une décision qui le concerne directement et individuellement, et de préciser ainsi que le choix de la forme ne peut pas changer la nature d'un acte.

12. En vertu de l'article 189, alinéa 2, du traité, le critère de la distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l'acte en question. A cette fin, il y a lieu d'apprécier la nature de l'acte attaqué et, en particulier, ses effets juridiques.

13. Ainsi que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 30 septembre 1982 (Roquette/Conseil, 242-81, Rec. p. 3213, point 7), la portée générale et, partant, la nature réglementaire d'un acte ne sont pas mises en cause par la possibilité de déterminer le nombre ou même l'identité des sujets de droit auxquels il s'applique à un moment donné, tant il est constant que cette application s'effectue en vertu d'une situation objective de droit ou de fait définie par l'acte, en relation avec la finalité de ce dernier.

14. Pour que des sujets de droit puissent être considérés comme individuellement concernés par un acte, il faut qu'ils soient atteints dans leur position juridique en raison d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et les individualise d'une manière analogue à celle d'un destinataire (voir, notamment, l'arrêt du 18 novembre 1975, Cam, 100-74, Rec. p. 1393).

15. En l'espèce, le règlement n° 381-86 concerne les entreprises requérantes en raison de leur seule qualité objective de producteurs de concentrés de tomates établis en Grèce au même titre que tout autre producteur de concentrés de tomates se trouvant dans la même situation. Le règlement se présente donc à leur égard comme une mesure de portée générale qui s'applique à des situations déterminées objectivement et comporte des effets juridiques à l'égard d'une catégorie de personnes envisagée de manière générale et abstraite.

16. Il y a dès lors lieu de rejeter comme irrecevable le recours en annulation du règlement n° 381-86, faisant l'objet de l'affaire 97-86.

17. En ce qui concerne le recours en annulation du prétendu refus de la Commission d'exécuter pleinement l'arrêt du 19 septembre 1985, il y a lieu de constater que des particuliers qui ne sont pas recevables à contester la légalité d'un acte réglementaire ne sont pas non plus recevables à saisir la Cour d'un recours en annulation ou en carence après avoir adressé à une institution communautaire une invitation à édicter un acte réglementaire.

18. Il y a dès lors lieu de rejeter comme irrecevable le recours en annulation du prétendu refus de la Commission d'exécuter l'arrêt du 19 septembre 1985, faisant l'objet de l'affaire 193-86.

Sur les recours introduits par la République hellénique

19. Par ses recours dans les affaires jointes 99 et 215-86, la République hellénique demande l'annulation du règlement n° 381-86, dans la mesure où il se limite à accorder une aide complémentaire pour la campagne 1983/1984, et du refus de la Commission, invitée par la République hellénique à agir, de donner une pleine exécution à l'arrêt du 19 septembre 1985 en redressant l'erreur sanctionnée par celui-ci également pour les autres campagnes.

20. A l'appui de ses recours, la République hellénique fait valoir que la Commission aurait violé les obligations qui lui incombent en vertu de l'article 176 du traité CEE qui prévoit que l'institution dont émane un acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire au présent traité, est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.

21. En ce qui concerne le recours en annulation du règlement n° 381-86, il y a lieu de rappeler que ce règlement prévoit une aide complémentaire pour la campagne 1983/1984, faisant l'objet du règlement n° 1615-83, annulé par l'arrêt du 19 septembre 1985 dans l'affaire 192-83 (précitée).

22. La République hellénique ne conteste pas qu'en adoptant le règlement n° 381-86 la Commission a correctement exécute l'arrêt du 19 septembre 1985 pour la campagne 1983/1984, qui, seule, était concernée par le règlement n° 1615-83 annulé. Elle reproche cependant à la Commission de ne pas avoir tiré de l'arrêt les conséquences qui s'imposent pour les campagnes antérieures et postérieures régies par des règlements identiques au règlement annulé et qui n'ont pas été attaqués dans les délais.

23. La République hellénique n'invoque ainsi aucune illégalité qui affecterait le règlement n° 381-86 entrepris, mais prétend que l'arrêt d'annulation impliquait pour la Commission l'obligation de prendre, au-delà du remplacement du règlement annulé, d'autres mesures consistant dans l'adaptation de règlements dont l'annulation n'avait pas été demandée.

24. Les règlements que, selon la République hellénique, la Commission avait l'obligation de modifier sont, les uns, antérieurs au règlement annulé, à savoir les règlements n°s 1962-81 et 1602-82 de la Commission, fixant les coefficients à appliquer au montant de l'aide à la production pour les concentrés de tomates pour les campagnes 1981/1982 et 1982/1983, l'autre, postérieur, à savoir le règlement n° 1709-84 de la Commission, fixant ces coefficients pour les campagnes 1984/1985 à 1986/1987. Ces règlements visent ainsi des situations différentes de celles réglées par le règlement annulé et, en reprochant à la Commission de ne pas les avoir modifiés ou complétés, la République hellénique fait état d'une obligation à charge de la Commission de refaire l'acte annulé et de régler la situation qu'il régissait en conformité avec le dispositif de l'arrêt d'annulation. Or, la voie indiquée par le traité pour faire établir l'existence d'une telle obligation d'agir de la part de la Commission est celle régie par l'article 175, voie que le Gouvernement hellénique a d'ailleurs suivie à titre subsidiaire.

25. Il y a, par conséquent, lieu de rejeter le recours en annulation du règlement n° 381-86 comme irrecevable.

26. Pour statuer sur le recours en annulation du refus d'agir sanctionnant la procédure en carence mise en œuvre contre la Commission, il y a lieu, au préalable, de déterminer les obligations qui dérivent d'un arrêt d'annulation pour l'institution auteur de l'acte annule au titre des mesures que l'article 176 lui impose de prendre pour l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice.

27. Pour se conformer à l'arrêt et lui donner pleine exécution, l'institution est tenue de respecter non seulement le dispositif de l'arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu'ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui, d'une part, identifient la disposition exacte considérée comme illégale et, d'autre part, font apparaître les raisons exactes de l'illégalité constatée dans le dispositif et que l'institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l'acte annulé.

28. Mais, si la constatation de l'illégalité dans les motifs de l'arrêt d'annulation oblige, en premier lieu, l'institution auteur de l'acte à éliminer cette illégalité dans l'acte destiné à se substituer à l'acte annulé, elle peut également, en tant qu'elle vise une disposition d'un contenu déterminé dans une matière donnée, entraîner d'autres conséquences pour cette institution.

29. S'agissant, comme en l'espèce, de l'annulation d'un règlement dont l'effet est limité à une période de temps bien définie (à savoir la campagne 1983/1984), l'institution qui en est l'auteur à d'abord l'obligation d'exclure des textes nouveaux devant intervenir après l'arrêt d'annulation, pour régir des campagnes postérieures à cet arrêt, toute disposition ayant le même contenu que celle jugée illégale.

30. Mais il convient d'admettre que, en vertu de l'effet rétroactif qui s'attache aux arrêts d'annulation, la constatation d'illégalité remonte à la date de prise d'effet du texte annulé. Il faut donc en déduire qu'en l'espèce l'institution concernée a aussi l'obligation d'éliminer des textes déjà intervenus lors de l'arrêt d'annulation et qui régissent des campagnes postérieures à la campagne 1983/1984 les dispositions ayant le même contenu que celle jugée illégale.

31. En conséquence, la constatation d'illégalité de la fixation des coefficients à appliquer au montant de l'aide pour les producteurs grecs s'impose non seulement pour la campagne 1983/1984 ayant fait l'objet du règlement annulé, mais pour toutes les campagnes postérieures. Par contre, cette constatation ne saurait valoir pour les campagnes régies par des règlements antérieurs à la campagne 1983/1984.

32. En refusant de remplacer, avec effet à partir de la date d'adoption du règlement annule, la disposition de même contenu que celle déclarée illégale dans l'arrêt d'annulation figurant dans des textes sortant leurs effets après cette date, la Commission a méconnu les obligations que lui impose l'article 176 et que la procédure de l'article 175 permet de sanctionner.

33. Il y a dès lors lieu d'annuler le refus de la Commission du 19 juin 1986, invitée par la République hellénique, au titre de l'article 175, à donner une pleine exécution à l'arrêt du 19 septembre 1985 dans l'affaire 192-83, de prévoir un paiement complémentaire d'une aide à la production pour des emballages de certaines dimensions contenant des concentrés de tomates obtenus à partir de tomates grecques au cours des campagnes de commercialisation 1984/1985, 1985/1986 et 1986/1987.

Sur les dépens

34. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa 1, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Les sociétés requérantes dans les affaires jointes 97 et 193-86 ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens dans ces affaires. La République hellénique ayant succombé en ses moyens dans l'affaire 99-86, il y a lieu de la condamner aux dépens dans cette affaire. La République hellénique et la Commission ayant succombé sur certains chefs dans l'affaire 215-86, il y a lieu de compenser les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) les recours dans les affaires jointes 97 et 193-86 sont rejetés comme irrecevables.

2) les sociétés requérantes sont condamnées aux dépens dans les affaires jointes 97 et 193-86.

3) le recours dans l'affaire 99-86 est rejeté comme irrecevable.

4) la République hellénique est condamnée aux dépens dans l'affaire 99-86.

5) le refus de la Commission du 19 juin 1986, invitée par la République hellénique, au titre de l'article 175, à donner une pleine exécution à l'arrêt du 19 septembre 1985 dans l'affaire 192-83, de prévoir un paiement complémentaire d'une aide à la production pour des emballages de certaines dimensions contenant des concentrés de tomates obtenus à partir de tomates grecques au cours des campagnes de commercialisation 1984/1985, 1985/1986 et 1986/1987, est annulé.

6) le recours est rejeté pour le surplus.

7) la République hellénique et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens.