CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 24 janvier 2006, n° 04-01148
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vinceneux (ès qual.), Queva Roques (SARL)
Défendeur :
Babou (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lebreuil
Conseillers :
MM. Grimaud, Baby
Avoués :
Me de Lamy, SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri
Avocats :
Me Castagnon, SELARL Juripole
Me Vincerieux en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la société Queva Roques a relevé appel le 18 mars 2004 du jugement rendu le 1er mars 2004 par le Tribunal de commerce de Toulouse qui a jugé de la rupture du contrat de mandat aux torts de la société Queva Roques, qui a jugé cette société redevable de 194 865,07 euro à titre de dommages et intérêts, qui a fixé la créance de la société Euro Textile à ce montant avec intérêts au taux légal à compter du 14 février 2002.
La société Babou, anciennement Euro Textile, est propriétaire de plusieurs magasins à l'enseigne Babou et elle en confie la gestion à des tiers par le biais de contrats qualifés de mandats. Le 28 novembre 2000, la société Babou a conclu un contrat pour l'exploitation du magasin Babou de Roques avec la société Queva Roques dans laquelle M. et Mme Queva sont gérants et associés. Bien que le contrat ait prévu que les recettes devaient être déposées quotidiennement sur un compte bancaire ouvert au nom de la société Babou, la société Queva Roques n'a pas respecté cette obligation et, à deux reprises, la recette de plusieurs jours a été dérobée lors d'un vol à main armée. La société Babou a résilié le contrat le 29 janvier 2002 et elle a saisi le tribunal de commerce pour obtenir réparation de son préjudice. Elle a obtenu satisfaction par le jugement déféré.
Me Vinceneux ès qualités a sollicité un sursis à statuer en l'attente d'une part du résultat d'une procédure pénale, d'autre part de la décision de la chambre sociale à intervenir sur l'existence d'un contrat de travail entre M. et Mme Queva et la société Babou. Par arrêt du 5 avril 2005, la cour a sursis à statuer en l'attente de l'arrêt à intervenir sur appel du jugement du Conseil de prud'hommes de Toulouse du 9 octobre 2003. Cet arrêt a été rendu le 8 avril 2005 et la chambre sociale a confirmé le jugement du conseil de prud'hommes selon lequel il n'existe pas de lien de subordination entre d'une part M. et Mme Queva, d'autre part la société Babou. L'affaire revient en cet état.
Me Vinceneux ès qualités continue de solliciter un sursis à statuer en l'attente du résultat d'une procédure pénale en cours au Tribunal de Clermont-Ferrand dans le ressort duquel se trouve le siège de la société Babou. Elle invoque un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 1991 par lequel le dirigeant de la société Babou a été condamné pour violation des dispositions du Code du travail. Elle invoque un arrêt rendu par la même juridiction le 21 septembre 1999, arrêt selon lequel des co-gérants d'une société exploitant un magasin Babou auraient été jugés salariés de la société Babou. Elle invoque enfin un arrêt de la Cour d'appel de Lyon du 19 février 2004, confirmé par arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2004 et selon lequel le dirigeant de la société Babou a été condamné en qualité de dirigeant de fait d'une société exploitant un magasin Babou, société dont les dirigeants se sont vus reconnaître le statut de salariés. Elle retrace l'évolution de la carrière de M. et Mme Queva qui ont géré à plusieurs reprises des magasins Babou. Elle soutient qu'en l'espèce les dirigeants de la société Babou étaient gérants de fait de la société Queva Roques en ce qu'ils concentraient la propriété des actifs, la gestion des emplois salariés, la gestion des stocks, le choix des marchandises, les prix, l'animation et la décoration, les jours et horaires d'ouverture les encaissements, les rémunérations. Elle ajoute que la gestion juridique, comptable et financière de la société Queva Roques était opérée par la société Babou ou par des sociétés avec lesquelles la société Babou a des liens étroits. Elle reproche à celle-ci d'avoir mis fin au mandat d'exploitation qui était confié à la société Queva Roques, condamnant ainsi cette société à l'inactivité et donc à la liquidation judiciaire avec un passif de 345 828,60 euro. Me Vinceneux ès qualités conclut en premier lieu au sursis à statuer en l'attente de la décision à intervenir sur la procédure pénale initiée à Clermont-Ferrand, en second lieu à la condamnation de la société Babou à combler l'insuffisance d'actif à hauteur de 345 828,60 euro, en troisième lieu au paiement par la société Babou de 45 735 euro outre intérêts représentant une créance de redevances contractuelles pour décembre 2001 et janvier 2002. Elle solicite en toute hypothèse 10 000 euro pour frais irrépétibles et la distraction des dépens au profit de Me de Lamy,
La société Babou relève que la chambre sociale de cette cour a jugé, comme le conseil de prud'hommes, que la société Queva Roques n'était pas fictive et que M. et Mme Queva ne pouvaient se prévaloir de la qualité de salariés. Elle relève par ailleurs que la cour a jugé, dans son précédent arrêt, qu'il n'était pas justifié d'une constitution de partie civile régulière et qu'à ce jour il n'est pas établi qu'il existe une procédure pénale de nature à influer sur le sort du présent litige de sorte que la demande de sursis à statuer de ce chef n'est pas fondée. Elle analyse les fautes de la société Queva Roques dans l'exécution de son mandat, fautes qui ont conduit à ce que la recette de plusieurs jours soit dérobée à deux reprises soit un préjudice de 194 865,07 euro. Elle argue de l'arrêt de la chambre sociale qui a écarté la thèse d'un contrat de travail et qui a jugé de l'autonomie de la société Queva Roques. Elle réfute point par point les éléments avancés par Me Vinceneux ès qualités au soutien de sa thèse d'une fictivité de la société Queva Roques. Sur le comblement de passif, la société Babou fait valoir qu'elle n'est pas dirigeant de droit ou de fait, qu'elle n'a pas commis de faute de gestion, que la procédure en comblement de passif n'a pas été respectée, qu'en toute hypothèse le montant du passif admis est de 148 382,25 . Elle conteste par ailleurs la somme demandée par Me Vinceneux ès qualités au titre des redevances de décembre 2001 et janvier 2002 et elle soutient que cette créance n'est pas établie par les seules factures de la société Queva Roques. Elle conclut à la résiliation du mandat aux torts de la société Queva Roques, à la fixation de sa créance à la somme de 194 865,07 euro avec intérêts au taux contractuel à compter de l'assignation, au débouté des prétentions de Me Vinceneux ès qualités, éventuellement à la compensation entre dettes et créances réciproques, au paiement par Me Vinceneux ès qualités de 2 000 euro pour frais irrépétibles, à la distraction des dépens au profit de la SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri.
Sur quoi
Attendu, sur le sursis à statuer en l'attente du résultat d'une procédure pénale, qu'il n'y a lieu de surseoir à statuer que si la procédure pénale est réellement en cours et si elle est de nature à influer sur le litige civil ;
Attendu qu'à ce jour il est justifié d'un dépôt de plainte non daté et sans constitution de partie civile ; qu'il est versé par ailleurs aux débats un courrier d'un juge d'instruction du 15 juillet 2005 dont on ne sait s'il se rapporte à des parties ou à des faits en cause dans la présente instance ; qu'en l'état de ces pièces, la demande de sursis à statuer n'est pas justifiée ;
Attendu que la société Babou a signé le 28 novembre 2000 avec la société Queva Roques un mandat aux fins de gérer et d'animer le fonds de commerce à l'enseigne Babou situé au centre commercial Le Roques à Roques-sur-Garonne (31) ; que cette convention fait suite à un précédent acte du 19 mai 1998 ;
Attendu que le mandat contient à son article 3-4-2 une clause de résiliation de plein droit si, 15 jours après une mise en demeure par lettre recommandée, la partie qui a manqué à ses engagements n'y satisfait toujours pas ;
Attendu que le contrat contient à l'article 2-1 l'obligation pour la société Queva Roques d'encaisser et de recouvrer le produit des ventes, de les conserver, de les transporter et de les déposer quotidiennement sur un compte bancaire ouvert au nom de la société Babou ;
Attendu qu'un vol à main armée s'est produit le 8 septembre 2001 au cours duquel la recette de la journée a été dérobée ; qu'un second vol à main armée s'est déroulé le 25 décembre 2001 au cours duquel la recette de plusieurs jours a été dérobée ;
Attendu que par acte d'huissier du 11 janvier 2002, la société Babou a demandé à la société Queva Roques de justifier du dépôt quotidien des recettes du 17 au 24 décembre 2001 inclus, se proposant de tirer toute conséquence utile de la carence de sa mandataire ; qu'il n'a pas été justifié du dépôt quotidien des recettes de sorte que la société Babou a mis fin au mandat le 29 janvier 2002 ;
Attendu qu'à la rupture du mandat conclu entre la société Babou et la société Quova Roques, M. et Mme Queva ont soutenu que la société qu'ils avaient créée était fictive et qu'ils étaient dans une situation de subordinatIon juridique à l'égard de la société Babou ;
Attendu que par jugement du 9 octobre 2003 le Conseil de prud'hommes de Toulouse a constaté l'absence de fictivité de la société Queva Roques. Il a écarté la qualification de contrat de travail, il a débouté M. et Mme Queva de leurs demandes ; que ce jugement a été confirmé par arrêt de la chambre sociale de cette cour du 8 avril 2005 ;
Attendu que la société Queva Roques persiste dans son argumentation et elle produit à l'appui de ses dires nombre de documents ; qu'il en résulte que la gestion des marchandises, les stocks, les prix, les rabais, la présentation des articles, la gestion du personnel, étaient traités par la société Babou ou par des sociétés ayant leur siège à proximité de celui de la société Babou et déjà clientes de celle-ci ; que les instructions de la société Babou sur la gestion des marchandises et les prix faisaient l'objet d'une surveillance par des inspecteurs ; que toutefois certaines de ces interventions apparaissent plus comme des services rendus à la société Queva Roques que comme une obligation imposée à celle-ci (prestations comptables et sociales);
Attendu que la société se définit comme la volonté de collaborer en vue d'une entreprise commune ; que la réunion des associés de la société Queva Roques a eu pour objet de répondre à la proposition qui leur était faite de créer une structure pour exploiter un magasin dans des conditions bien définies; que le contrat de mandat stipule la rémunération de la société Queva Roques par un pourcentage sur le chiffre d'affaires (M. et Mme Queva ayant par ailleurs une rémunération fixée par les statuts) ; que les éléments du contrat de société se retrouvent chez les associés qui étaient intéressés à la bonne marche de la société Queva Roques;
Attendu en conséquence ni la société Queva Roques, ni le mandat qui lui était confié n'ont un caractère fictif ;
Attendu que la société Queva Roques ne conteste pas n'avoir pas respecté l'obligation qui lui était faite de déposer quotidiennement la recette du magasin sur un compte bancaire ; que la résiliation du mandat à ses torts est justifiée ;
Attendu, sur le préjudice, que la somme de 194 865,07 euro correspondant aux recettes perdues, n'est pas contestée ; que la créance sera fixée à ce montant étant précisé que les intérêts ne peuvent courir que jusqu'au jour d'ouverture de la procédure collective par application de l'article L. 621-48 du Code de commerce ; que le jugement du tribunal de commerce sera confirmé sous cette réserve ;
Attendu, sur la demande de Me Vinceneux ès qualités en comblement de passif à l'égard de la société Babou, que cette action est prévue à l'article 624-3 du Code de commerce ; qu'elle est soumise à une procédure particulière fixée notamment par l'article 164 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 ; que cette procédure spécifique n'a pas été respectée par Me Vinceneux ès qualités dont la demande sera jugée irrecevable ;
Attendu que Me Vinceneux ès qualités demande paiement de la somme de 45 735 euro au titre des redevances de décembre 2001 et janvier 2002 ; qu'elle produit à l'appui deux factures correspondant à ces deux mois; que la créance est calculée par un pourcentage de 10 % du chiffre d'affaires hors taxes;
Attendu que la société Babou conteste devoir cette somme au motif que les factures ne font pas la preuve ni du principe ni du quantum de la créance ;
Attendu cependant que le contrat de mandat prévoit la rémunération de la société Queva Roques à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires hors taxe du mois considéré ; que le principe de la créance existe donc ; que le montant est calculé sur le chiffre d'affaires de sorte qu'il appartient à la société Babou de rectifier ce chiffre si elle le considère inexact ou de justifier qu'elle s'est acquittée de se dette pour les mois de décembre 2001 et janvier 2002 ; que tel n'est pas le cas; que la société Babou sera donc déclarée débitrice de la société Queva Roques pour 45 735 euro ;
Attendu que les dettes et créances réciproques sont nées à l'occasion du même contrat ; que la compensation doit être effectuée avec la somme de 194 865,07 euro de sorte que ta créance de la société Babou n'est plus que de 149 130,07 euro ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré dans ses dispositions non contraires à celles du présent arrêt, Réformant pour le surplus et y ajoutant ; Dit que les intérêts au taux légal sur la somme de cent quatre vingt quatorze mille huit cent soixante cinq euro sept centimes (194 865,07 euro) sont dus jusqu'au jour du jugement ouvrant la procédure collective de la société Queva Roques. Déclare irrecevable l'action de Me Vinceneux ès qualités en comblement de passif à l'encontre de la société Babou. Condamne la société Babou à payer à Me Vinceneux ès qualités quarante cinq mille sept cent trente cinq euro (45 735 euro) au titre des redevances de décembre 2001 et janvier 2002. Après compensation, Fixe la créance de la société Babou au passif de la liquidation judiciaire de la société Queva Roques à la somme de cent quarante neuf mille cent trente euro sept centimes (149 130,07 euro) avec intérêts au taux légal du 14 février 2002 jusqu'au jour du jugement ouvrant la procédure collective. Dit n'y avoir lieu d'appliquer l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Me Vinceneux ès qualités aux dépens. Autorise la SCP Cantaloube Ferrieu Cerri à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.