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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 1 mars 2006, n° 03-16268

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

General Motors France (SAS)

Défendeur :

Coroller Automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Bolling-Durand-Lallement

Avocats :

Mes Henry, Dubos

CA Paris n° 03-16268

1 mars 2006

La société General Motors France est l'importateur exclusif en France des véhicules neufs et des pièces de rechange neuves des marques Opel, Cadillac et Chevrolet, produits qu'elle distribuait jusqu'au 30 septembre 2003 par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires disposant d'une zone d'exclusivité de vente.

C'est ainsi que, sur le secteur d'Argentan et depuis octobre 1982, le concessionnaire exclusif pour la marque Opel de la société General Motors France était la société Coroller Automobiles en vertu de divers contrats successifs dont le dernier à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1997.

Cependant, par courrier du 12 mars 2001, la société General Motors France a résilié cet engagement la liant à la société Coroller Automobiles en lui consentant un préavis de 24 mois tel que le prévoyait l'article 6-1.1 des "dispositions supplémentaires" du contrat de concession.

Les relations contractuelles des parties ont donc pris fin le 14 mars 2003.

Estimant abusive cette résiliation intervenue après 20 ans de collaboration la société Coroller Automobiles a, par acte du 18 janvier 2002, assigné la société General Motors France devant le Tribunal de commerce de Paris en paiement de la somme de 1 446 400,80 euro à titre de dommages et intérêts, outre le versement de 7 622,45 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 19 mai 2003 le tribunal saisi a, notamment :

- dit que la résiliation par la société General Motors France n'est pas intervenue de manière abusive et a débouté la société Coroller Automobiles de ce chef,

- dit l'article 6.2 des "Dispositions supplémentaires" du contrat de concession de vente abusif et non opposable à la société Coroller Automobiles, dans le cadre d'une résiliation opérée au titre de l'article 6.1.1,

- fixé à 409 000 euro la valeur de la clientèle Opel de la société Coroller Automobiles,

- condamné la société General Motors France à payer à la société Coroller Automobiles la somme de 409 000 euro à titre d'indemnité de clientèle et débouté cette dernière du surplus de sa demande, condamné la société General Motors France aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 7 622,45 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire partielle de la décision à concurrence de la somme de 200 000 euro, à charge pour la société Coroller Automobiles de fournir une garantie bancaire couvrant jusqu'à l'exigibilité de leur remboursement éventuel toutes les sommes reçues, majorées des intérêts pouvant avoir couru.

Régulièrement appelante la société General Motors France a, par conclusions enregistrées le 26 avril 2005, prié la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la résiliation du contrat de concession n'était pas intervenue de manière abusive et débouté la société Coroller Automobiles de ce chef,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 19 mai 2003 pour le surplus, et statuant à nouveau

- débouter la société Coroller Automobiles de toutes ses demandes,

- ordonner à cette dernière de restituer la somme de 200 000 euro versée compte tenu de l'exécution provisoire attachée au jugement,

- condamner la société Coroller Automobiles en tous les dépens et au versement de la somme de 7 500 euro au titre de l'article 700 dépens du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 25 février 2005 la société Coroller Automobiles a demandé à la cour de :

- recevoir en la forme l'appel de la société General Motors France, au fond,

- l'en débouter,

- la recevoir elle-même en son appel incident,

- dire que le comportement fautif de la société General Motors France engage sa responsabilité,

- condamner cette dernière à lui régler la somme globale de 1 446 404, 80 euro, tous préjudices confondus,

- condamner l'appelante aux entiers dépens.

Sur ce,

Considérant qu'en prononçant le 12 mars 2001 la résiliation du contrat de concession la liant à la société Coroller Automobiles la société General Motors France n'a fait que mettre en œuvre les stipulations de l'article 6-1-1 des "dispositions supplémentaires" annexées au contrat et aux termes duquel "le concessionnaire Opel peut résilier ce contrat sans motif par notification. Toute résiliation prendra effet à la date spécifiée dans la notification, date qui ne sera pas inférieure à deux ans à compter de la date de réception de la notification" ; que, toutefois, si une telle résiliation peut, même si le préavis conventionnel est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances accompagnant la rupture et révélant un manquement à la bonne foi contractuelle exigée par l'article 1134 alinéa 3 du Code civil, il ressort, en l'espèce, des pièces versées aux débats que l'appelante n'a jamais créé chez son concessionnaire une confiance erronée et fallacieuse dans la poursuite de la relation contractuelle les unissant ni privé d'effet utile le préavis contractuel accordé dont la durée même ne pouvait que faciliter la reprise de la concession; que, si l'appelante reproche, néanmoins, à l'intéressée d'avoir confié par "un choix arbitraire" la concession des produits de la marque Opel dont elle bénéficiait à Argentan à M. Legrand alors que celui-ci, déjà concessionnaire de l'appelante pour un secteur distinct, aurait eu des résultats commerciaux inférieurs aux siens propres, il importe de rappeler que s'agissant d'un contrat de concession caractérisé par la reconnaissance à chacun des distributeurs d'un droit de vente exclusif sur son territoire l'accès au réseau, comme son exclusion, ne sauraient dépendre de la seule conformité à des critères objectifs sauf à méconnaître directement le principe même de la liberté contractuelle du concédant, lequel a le droit de traiter avec le cocontractant de son choix et, ce, sans être tenu de motiver sa décision ni de communiquer les critères en vertu desquels ce choix est exercé; que, si la société Coroller Automobiles fait également grief à la société General Motors France d'avoir fait "pression" sur elle pour qu'elle cède son fonds au concessionnaire appelé à lui succéder et d'avoir ainsi manifesté une véritable "violence morale", elle ne justifie, en aucune manière, de la réalité de telles allégations qu'aucun élément précis et concret ne corrobore ; qu'en revanche, l'examen des courriers échangés entre les parties et régulièrement versés aux débats révèle le souci de l'appelante, laquelle n'était pourtant tenue d'aucune obligation d'assistance à son concessionnaire et n'avait pas à subordonner l'exercice de ses propres compétences contractuelles à la recherche préalable d'une optimisation des conditions de cession du fonds de ce dernier, d'assurer la préservation des actifs de la société Coroller Automobiles ; que, par suite et en l'absence de toute faute de la part de l'appelante dans la résiliation litigieuse, il échet de confirmer, par les motifs sus-exposés, le jugement en ce qu'il a dit cette décision non abusive ;

Considérant, néanmoins, que, non sans contradiction, les premiers juges ont également énoncé que la société General Motors France ne pouvait " loyalement et de bonne foi revendiquer le droit de s'accaparer tout le fruit commun sans reconnaître à la société Coroller Automobiles un droit à indemnisation" et ont alloué à cet effet à cette dernière une "indemnité de clientèle" évaluée à 409 000 euro et dit non opposable l'article 6-2 des " dispositions supplémentaires " susmentionnées excluant toute indemnisation en cas de résiliation conforme aux stipulations contractuelles;

Considérant, cependant, qu'il échet de rappeler que le contrat de concession exclusive ne constitue pas un mandat d'intérêt commun et que le concessionnaire, propriétaire de son fonds, développe sa propre clientèle pour son propre compte et en son propre nom, excluant de la sorte toute possibilité de perception d'une indemnité de clientèle ; qu'en effet, si une clientèle est au plan national attachée à la notoriété de la marque du concédant, la clientèle locale n'existe que par les moyens mis en œuvre par le concessionnaire, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce et l'élément incorporel que constitue le bail; que, par ailleurs, cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du concessionnaire puisque, même si celui-ci n'est pas propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de concession, elle est créée par son activité ; que, par suite, et indépendamment du fait de l'absence de toute faute de la part de la société General Motors France susceptible d'ouvrir droit à indemnisation de l'intimée, celle-ci ne saurait se voir allouer une quelconque "indemnité de clientèle" sauf à méconnaître la nature même et l'économie d'ensemble du contrat de concession qui liait les parties; que le jugement ne peut, dès lors, qu'être infirmé en ce qu'il a accordé une telle indemnité à la société Coroller Automobiles et déclaré, pour ce faire, inopposable à celle-ci l'article 6-2 susmentionné ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'ordonner le remboursement par cette dernière des sommes versées par l'appelante au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré augmentées des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande de ne pas faire droit aux demandes formées par les parties sur le fondement de l'article susvisé tant en première instance qu'en cause d'appel;

Par ces motifs, Reçoit les appels principal et incident jugés régulier en la forme, Au fond, confirme le jugement en ce qu'il a dit non-abusive la résiliation du contrat de concession liant les parties et débouté la société Coroller Automobiles de sa demande indemnitaire de ce chef, L'infirme pour le surplus, Et statuant à nouveau, Déboute la société Coroller Automobiles de l'ensemble de ses prétentions, Ordonne le remboursement par cette dernière des sommes versées par l'appelante au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré augmentées des intérêts au taux légal à compter de la signification de la présente décision, Condamne la société intimée aux entiers dépens de l'instance et d'appel avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Monin-d'Auriac de Brons, avoués, Rejette les demandes formées au titre des frais hors dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.