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Décisions

CJCE, 10 juin 1982, n° 246-81

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lord Bethell

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

CJCE n° 246-81

10 juin 1982

LA COUR,

1. Par requête déposée au greffe de la Cour le 10 septembre 1981, Lord Bethell a introduit, en vertu de l'article 175, alinéa 3, du traité CEE, un recours visant à faire constater que la Commission se serait, en violation du traité, abstenue de prendre, comme le requérant le lui avait demandé par une lettre datée du 13 mai 1981, des mesures à l'encontre d'une concertation qui existerait entre les compagnies aériennes européennes en matière de tarifs dans le domaine du transport des passagers.

2. A titre subsidiaire, le requérant demande à la cour, en vertu de l'article 173, alinéa 2, d'annuler la communication du 17 juillet 1981, constituant la réponse à sa lettre du 13 mai 1981, par laquelle la Commission aurait refusé d'agir dans le sens désiré par lui.

Sur les antécédents du litige

3. Il résulte du dossier que Lord Bethell, membre du Parlement européen, membre de la House of Lords, président d'une association appelée "Freedom of the skies campaign", mène depuis quelque temps une action contre une entente qui, selon lui, existerait entre les transporteurs aériens réguliers en matière de tarification des transports de passagers en Europe.

4. Dans une lettre adressée à la Commission le 13 mai 1981, après avoir exposé l'ensemble du problème, le requérant s'est plaint de ce que la Commission n'aurait rien fait pour mettre fin à cette situation et a demandé "que la Commission fasse un début en assumant l'obligation qu'elle aurait dû assumer dans le passé et qu'elle annonce qu'elle va agir en vertu de l'article 89 (du traité CEE) et qu'elle commence a le faire en demandant des informations et des explications aux transporteurs aériens". En conclusion, Lord Bethell donnait à la Commission l'avertissement de ce qu'il aurait l'intention de saisir la Cour en vertu des articles 173 ou 175 du traité s'il ne recevait pas satisfaction.

5. Par lettre du 17 juillet 1981, le directeur général de la concurrence a explique au requérant la position de la Commission au regard du problème soulevé par sa lettre du 13 mai 1981, dans la mesure où celle-ci a trait à la fixation des tarifs aériens. Il a indique a ce sujet qu'une étude récente, menée par la Commission en coopération avec des experts gouvernementaux, aurait fait apparaître que, dans la plupart des cas, la détermination des tarifs aériens relèverait, en dernière analyse, de la responsabilité exclusive des Etats membres et qu'il n'y aurait donc pas, en principe, de raison d'examiner l'activité des compagnies aériennes sur base de l'article 85. Toutefois, compte tenu des rapports particuliers existant entre les états et les compagnies, la Commission aurait l'intention de continuer l'examen de cette question sous l'angle des articles 5 et 90 du traité, en liaison avec l'article 86, compte tenu du fait que la plupart des lignes aériennes régulières se trouveraient dans une position dominante à l'intérieur du marché commun. Apres avoir souligne la difficulté et la complexité d'une analyse destinée à établir le caractère éventuellement abusif des tarifs de transport, le directeur général a informé le requérant des intentions de la Commission en ce qui concerne son action future : transmission au conseil d'un rapport sur les investigations jusqu'ici accomplies ; communication aux Etats membres attirant leur attention sur le fait que les tarifs aériens ne sauraient être fixés à des niveaux abusifs, incompatibles avec l'article 86 ; communication adressée aux compagnies en vertu de l'article 89 du traité et demandant a celles-ci des détails complets sur diverses modalités des transports aériens ; présentation au conseil d'une proposition de directive sur les tarifs aériens et d'une proposition de règlement ayant pour objet l'application des articles 85 et 86 du traité aux transports aériens, complémentaire du règlement n° 17/62.

6. N'étant pas satisfait de cette réponse, Lord Bethell a introduit le 10 septembre 1981 un recours fondé, alternativement, ainsi qu'il est dit ci-dessus, sur les articles 175 et 173 du traité.

7. Par demande du 17 novembre 1981, présentée en vertu de l'article 91 du règlement de procédure, la Commission a soulevé une exception d'irrecevabilité et demande a la cour de statuer a ce sujet sans engager le débat au fond.

8. Le gouvernement du Royaume-Uni et un groupe de transporteurs aériens, comprenant les principales compagnies aériennes européennes, ont demandé à intervenir au procès. Le gouvernement du Royaume-Uni a déclaré vouloir intervenir à l'appui des conclusions de Lord Bethell visant à l'annulation de la communication de la Commission du 17 juillet 1981, pour autant que celle-ci déclare qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 85 au regard de la détermination des tarifs aériens. Les compagnies aériennes, pour leur part, ont demandé à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.

9. Déférant à la demande de la Commission, la cour a décidé d'examiner à titre préliminaire l'exception d'irrecevabilité. A la suite de cette décision, elle a, par ordonnance du 17 février 1982, renvoyé l'affaire devant la deuxième chambre pour la décision sur la recevabilité du recours.

10. Par ordonnances de même date, la cour a admis l'intervention du gouvernement du Royaume-Uni et des compagnies aériennes. Seules ces dernières se sont, au cours de la procédure orale, prononcées sur la question de recevabilité.

Sur la question de recevabilité

11. Aux termes de l'article 173, alinéa 2, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions indiquées au même article, un recours "contre les décisions dont elle est le destinataire, et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement".

12. Selon l'article 175, alinéa 3, toute personne physique ou morale peut saisir la Cour, dans les conditions indiquées au même article, pour faire grief à l'une des institutions "d'avoir manqué de lui adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis".

13. Il apparaît des dispositions citées que, pour être recevable en son recours, le requérant doit être en mesure d'établir soit qu'il est destinataire d'un acte de la Commission ayant à son égard des effets juridiques déterminés, susceptible comme tel d'annulation, soit que la Commission, dûment mise en demeure conformément à l'article 175, alinéa 2, a manqué de prendre à son égard un acte auquel il pouvait légalement prétendre en vertu des règles du droit communautaire.

14. En réponse à une question de la cour, le requérant a fait connaître que l'acte auquel il estime avoir droit serait "une réaction ou une réponse adéquate à sa plainte, disant soit que la Commission allait agir, soit qu'elle n'agirait pas et, dans ce dernier cas, indiquant des motifs". Alternativement, le requérant estime que la lettre qui lui a été adressée le 17 juillet 1981 par le directeur général de la concurrence serait à qualifier d'acte susceptible de recours au sens de l'article 173, alinéa 2.

15. La question primordiale qu'il s'agit de résoudre en l'occurrence consiste a savoir si la Commission avait, en vertu des règles du droit communautaire, le droit et l'obligation de prendre à l'égard du requérant une décision dans le sens de ce que ce dernier lui avait demande de faire par sa lettre du 13 mai 1981. Il résulte du contenu de cette lettre et des explications fournies en cours d'instance que le requérant exige de la Commission qu'elle procède à une investigation à l'égard des compagnies aériennes en matière de détermination des tarifs aériens, en vue de leur appliquer éventuellement les dispositions du traité en matière de concurrence.

16. Il apparaît donc que le requérant demande à la Commission non de prendre une décision à son égard, mais d'ouvrir une procédure d'investigation à l'égard de tiers et de prendre des décisions à leur charge. Sans doute, en sa double qualité d'usager des lignes aériennes et d'animateur d'un mouvement d'usagers des mêmes services, le requérant est intéressé indirectement, comme pourraient l'être d'autres usagers, à une telle action et à son résultat éventuel, mais il ne se trouve pas, pour autant, dans la position juridique précise du destinataire actuel d'un acte susceptible d'annulation, au sens de l'article 173, alinéa 2, ni dans celle du destinataire potentiel d'un acte juridique que la Commission serait obligée de prendre à son égard, comme c'est l'hypothèse de l'article 175, alinéa 3.

17. Il en résulte que le recours est irrecevable, qu'il soit considéré sous l'angle de l'article 175 ou sous celui de l'article 173.

Sur les dépens

18. Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens.

19. Le requérant ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

20. Seule la Commission ayant présente des conclusions a cet effet, cette condamnation doit se limiter aux dépens exposés par la Commission.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre)

Déclare et arrête :

1) le recours est rejeté comme irrecevable.

2) le requérant est condamné aux dépens exposés par la Commission. Les parties intervenantes supporteront leurs propres dépens.