Livv
Décisions

CJCE, 27 septembre 1988, n° 302-87

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Parlement européen

Défendeur :

Conseil des Communautés européennes

CJCE n° 302-87

27 septembre 1988

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 2 octobre 1987, le Parlement européen a introduit, en vertu de l'article 173, alinéa 1, du traité CEE, un recours visant à l'annulation de la décision 87-373-CEE du Conseil, du 13 juillet 1987 (JO L 197, p. 33), fixant les modalités de l'exercice des compétences d'exécution conférées à la Commission.

2 Par cette décision, qui est fondée sur l'article 145 du traité CEE tel qu'il a été modifié par l'article 10 de l'acte unique européen, le Conseil a défini les modalités dont il peut assortir l'exercice des compétences qu'il délègue à la Commission pour l'exécution des règles qu'il établit et a adopté les dispositions régissant la composition, le fonctionnement et le rôle des comites des représentants des Etats membres appelés à intervenir.

3 Le Conseil a soulevé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 91, alinéa 1, du règlement de procédure de la cour et a demandé à la Cour de statuer sur cette exception, sans engager le débat au fond.

4 A l'appui de son exception, le Conseil fait valoir que l'article 173, alinéa 1, du traité, ne prévoit pas expressément que le Parlement européen peut introduire un recours en annulation. Cette capacité ne pourrait pas non plus lui être reconnue sur la base d'un raisonnement fonde sur la nécessite d'assurer la cohérence des voies de droit. En effet, l'intervention et le recours en carence, auxquels le Parlement européen à accès, ainsi que la Cour l'a constaté dans ses arrêts du 29 octobre 1980 (Roquette Frères/Conseil, 138-79, Rec. p. 3333, et Maïzena Gmbh/Conseil, 139-79, Rec. p. 3393), et du 22 mai 1985 (Parlement européen/Conseil, "transports", 13-83, Rec. p. 1513), seraient indépendants du recours en annulation.

5 Le Conseil soutient encore que ni l'arrêt du 23 avril 1986 (Parti écologiste "Les Verts"/Parlement européen, 294-83, Rec. p. 1339) ni l'arrêt du 3 juillet 1986 (Conseil/Parlement européen, "budget", 34-86, Rec. p. 2155) ne permettent de conclure que la cour a implicitement reconnu au Parlement européen qualité pour agir en annulation. L'arrêt "les verts", du 23 avril 1986, précité, serait fondé sur la nécessite d'assurer une protection juridictionnelle contre tous actes de nature à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers, quelle que soit l'institution, auteur de l'acte. Il n'en résulterait pas qu'il doive y avoir un parallélisme entre la participation passive et la participation active du parlement au contentieux de la légalité. Ce parallélisme ne saurait pas davantage être déduit de l'arrêt "budget", du 3 juillet 1986, précité, étant donne que tous les actes que le Conseil est amené à prendre dans le cadre de la procédure budgétaire n'ont en toute hypothèse qu'un caractère préparatoire.

6 Le 20 janvier 1988, la Cour a décidé de statuer sur l'exception du Conseil sans engager le débat au fond.

7 Pour un plus ample exposé des faits de l'affaire, du déroulement de la procédure et des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

8 Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que les parties ont situé à juste titre le débat dans le cadre de l'alinéa 1 de l'article 173 du traité.

9 En effet, l'article 173 oppose le droit de recours des institutions qu'il règle, dans son alinéa 1, au droit de recours des particuliers, personnes physiques et morales, dont il détermine les conditions dans son alinéa 2. Le Parlement européen, qui est une des institutions de la Communauté énumérées par l'article 4 du traité, n'est pas une personne morale.

10 En outre, on peut observer que le système de l'article 173, alinéa 2, serait de toute manière inadapté au recours en annulation du Parlement européen. Les requérants visés à l'article 173, alinéa 2, doivent, en effet, être directement et individuellement concernés par le contenu même de l'acte qu'ils attaquent. Or, ce n'est pas le contenu de l'acte qui pourrait faire grief au Parlement européen, mais le non-respect des règles de procédure exigeant son intervention. Par ailleurs, l'article 173, alinéa 2, ne vise qu'une catégorie restreinte d'actes, à savoir des actes de portée individuelle, alors que le Parlement européen entend se voir reconnaître un droit de recours contre des actes de portée générale.

11 Il convient donc d'examiner si le Parlement européen peut se voir reconnaître, par voie d'interprétation de l'article 173, alinéa 1, qualité pour agir en annulation contre les actes du Conseil ou de la Commission.

12 Ainsi qu'il ressort des articles 143 et 144 du traité, le Parlement européen dispose du pouvoir de contrôler politiquement la Commission qui, aux termes de l'article 155, "veille à l'application des dispositions du présent traité ainsi que des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci" et de la censurer, au besoin, si elle ne s'acquittait pas dûment de cette tache. Le contrôle politique du Parlement européen s'exerce encore à travers les débats qu'il peut organiser sur des questions particulières ou générales et qui lui permettent d'adopter des motions sur la politique suivie par le Conseil ou la Commission.

13 Par ailleurs, indépendamment des pouvoirs budgétaires qui lui ont été reconnus par les traités de Luxembourg du 22 avril 1970 et de Bruxelles du 22 juillet 1975, et du pouvoir de codécision qu'il détient depuis l'acte unique européen en matière d'adhésion et d'accords d'association, le Parlement européen est en mesure d'exercer une influence sur le contenu des actes normatifs adoptes par le Conseil, soit par les avis qu'il émet dans le cadre de la procédure de consultation, soit par les positions qu'il prend dans le cadre de la procédure de coopération.

14 Il convient de souligner que le Parlement européen s'est vu doter, ainsi qu'il résulte des termes de l'article 175, alinéa 1, du traité, du droit de faire constater la carence de la Commission ou du Conseil et de faire cesser ainsi une paralysie des mécanismes de décision qui pourrait l'empêcher d'exercer ses pouvoirs. Le Parlement européen a également la possibilité de faire entendre sa voix devant la Cour en intervenant aux litiges dont celle-ci est saisie, ainsi qu'il ressort de l'article 37 du statut de la Cour.

15 De ce droit de faire constater une carence et d'intervenir aux litiges portés devant la Cour, il ne découle pas, contrairement à ce que soutient le Parlement européen, que celui-ci doive se voir reconnaître la possibilité d'introduire le recours en annulation.

16 Il n'y a pas de lien nécessaire entre le recours en annulation et le recours en carence. Cela résulte du fait que le recours en carence permet au Parlement européen de provoquer l'adoption d'actes qui ne peuvent pas toujours faire l'objet d'un recours en annulation. Ainsi, comme le montre l'arrêt du 12 juillet 1988 (Parlement européen/Conseil, 377-87, Rec. p. 0000), tant qu'un projet de budget n'a pas été présente par le Conseil, le Parlement européen peut obtenir un arrêt déclarant la carence du Conseil, alors que le projet qui constitue un acte préparatoire ne pourrait être contesté en vertu de l'article 173.

17 L'argument a encore été avancé que, faute de pouvoir introduire le recours en annulation, le Parlement européen serait dans l'impossibilité de contester, après avoir invité le Conseil ou la Commission à agir au sens de l'article 175, un refus explicite d'agir qui lui serait opposé. Toutefois, cet argument est fondé sur une prémisse inexacte. En effet, un refus d'agir, si explicite soit-il, peut être déféré à la Cour sur la base de l'article 175, dès lors qu'il ne met pas fin à la carence.

18 Il n'y a pas non plus de lien nécessaire entre le droit d'intervention et la possibilité d'introduire un recours. D'une part, aux termes de l'article 37, alinéa, du statut de la Cour de justice de la CEE, le droit d'intervention des particuliers suppose simplement un "intérêt à la solution d'un litige" soumis à la Cour, alors que la recevabilité d'un recours en annulation de leur part est subordonnée à la condition qu'ils soient destinataires de l'acte dont ils demandent l'annulation ou qu'ils soient à tout le moins directement et individuellement concernés par cet acte. D'autre part, aux termes de l'article 37, alinéa 1, le Parlement européen a le droit d'intervenir à des litiges tels que ceux portant sur les manquements des états, alors que l'initiative de les porter devant la Cour est réservée à la Commission et aux Etats membres.

19 Le Parlement européen expose encore que l'article 173, alinéa 1, du traité traduit un principe d'égalité entre les institutions qui y sont expressément mentionnées, en ce sens que chacune d'elles pourrait introduire un recours contre les actes de l'autre et voir, en sens inverse, ses propres actes déférés par l'autre institution à la censure de la Cour. Des lors que la Cour a jugé que les actes du Parlement européen susceptibles de produire des effets juridiques pouvaient faire l'objet d'un recours en annulation, elle devrait, dans le souci de maintenir l'équilibre institutionnel, décider que le Parlement européen à qualité pour attaquer les actes du Conseil et de la Commission.

20 A cet égard, il y a lieu de rappeler que si la Cour a jugé, dans son arrêt du 23 avril 1986 (Parti écologiste "Les Verts"/Parlement européen, précité), que les actes du Parlement européen produisant des effets juridiques vis-à-vis des tiers pouvaient faire l'objet d'un recours en annulation, c'est parce qu'une interprétation qui les aurait exclus du champ de ce recours aurait abouti à un résultat contraire au système du traité qui avait entendu mettre en place un système de protection juridictionnelle complet à l'égard des actes des institutions communautaires susceptibles d'avoir des effets juridiques.

21 La comparaison entre l'article 38 du traité CECA, auquel la Cour s'est spécifiquement référée dans son arrêt "les verts", et l'article 33 du même traité démontre toutefois que dans le système des traités, lorsque les actes du Parlement européen ont été soumis à un contrôle de légalité, le Parlement européen n'a pas été habilité pour autant à prendre l'initiative d'un recours direct contre les actes des autres institutions. L'argument tiré par le Parlement européen de ce qu'il devrait y avoir un parallélisme entre les qualités de défendeur et de requérant dans le contentieux de la légalité doit dès lors être écarté.

22 Le Parlement européen fait valoir, ensuite, que la Cour lui aurait implicitement reconnu qualité pour agir en annulation dans l'arrêt du 3 juillet 1986 (Conseil/Parlement européen, "budget", précité).

23 A cet égard, il convient d'observer que la procédure budgétaire décrite aux paragraphes 4, 5 et 6 de l'article 203 du traité est caractérisée par des délibérations successives des deux branches de l'autorité budgétaire, au cours desquelles chacune de celles-ci peut, dans les conditions de vote fixées par le traité, réagir aux prises de position de l'autre. Ces délibérations constituent autant d'actes préparatoires qui concourent à l'élaboration du budget. Celui-ci, ainsi que cela ressort de l'arrêt du 3 juillet 1986 (Conseil/Parlement européen, "budget", précité), n'acquiert son caractère juridique contraignant qu'au terme de la procédure, c'est-à-dire lorsque le Président du Parlement européen, en sa qualité d'organe de cette institution, constate conformément au paragraphe 7 de l'article 203 du traité que le budget est définitivement arrêté.

24 Il en résulte que, en matière d'approbation du budget, le seul acte susceptible d'annulation émane d'un organe du Parlement européen et doit dès lors être attribué à cette institution elle-même. En conséquence, le Parlement européen ne peut invoquer les pouvoirs budgétaires qui lui ont été conférés par les traités de Luxembourg et de Bruxelles, précités, pouvoirs qui ne sont d'ailleurs pas en cause dans la présente affaire, pour se voir reconnaître le droit d'agir en annulation contre les actes émanant de la Commission et du Conseil.

25 Le Parlement européen a encore exposé que, à défaut de pouvoir introduire le recours en annulation, il ne serait pas en mesure de défendre ses propres prérogatives vis-à-vis des autres institutions.

26 Il y a lieu de relever, à cet égard, que des l'origine le Parlement européen a été doté du pouvoir de participer, à titre consultatif, au processus d'élaboration des actes normatifs, mais qu'il ne s'est pas vu pour autant accorder la possibilité d'agir en annulation. Les prérogatives du Parlement européen ont été accrues par l'acte unique européen qui a consacré un pouvoir de codécision du parlement en matière d'adhésion et d'accords d'association et institué une procédure de coopération dans certains cas déterminés, sans que des modifications aient toutefois été apportées à l'article 173 du traité.

27 En dehors des droits, rappelés ci-dessus, qu'il reconnaît au Parlement européen par son article 175, le traité offre les moyens de déférer à la censure de la Cour les actes du Conseil intervenus en méconnaissance des prérogatives du parlement. Si l'article 173, alinéa 1, ouvre de façon générale le recours en annulation contre de tels actes à tous les Etats membres, l'article 155 du traité attribué plus spécialement à la Commission la responsabilité de veiller au respect des prérogatives du parlement et d'introduire à cet effet les recours en annulation qui se révéleraient nécessaires. Par ailleurs, toute personne physique ou morale peut, en cas de méconnaissance des prérogatives du Parlement européen, invoquer le moyen de violation des formes substantielles ou de violation du traité pour obtenir l'annulation de l'acte adopté ou une déclaration incidente d'inapplicabilité de cet acte sur la base de l'article 184 du traité. De même, l'illégalité d'un acte pour atteinte portée aux prérogatives du Parlement européen peut être soulevée devant une juridiction nationale et l'acte en question faire l'objet d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité à la Cour.

28 Il découle de tout ce qui précède que l'état actuel des textes applicables ne permet pas à la Cour de reconnaître au Parlement européen qualité pour agir en annulation.

29 L'exception d'irrecevabilité doit donc être accueillie et le recours rejeté comme irrecevable.

Sur les dépens

30 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Parlement européen ayant succombe dans son action, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) le recours est rejeté comme irrecevable.

2) le Parlement européen est condamne aux dépens.