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Décisions

CJCE, 26 novembre 1996, n° C-68/95

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

T. Port GmbH & Co. KG

Défendeur :

Bundesanstalt für Landwirtschaft und Ernährung, Bundesrepublik Deutschland

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Mancini, Moitinho de Almeida, Murray, Sevón

Avocat général :

M. Elmer

Juges :

MM. Kakouris, Kapteyn, Gulmann, Edward, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm

Avocats :

Mes Meier, Anderson

CJCE n° C-68/95

26 novembre 1996

LA COUR,

1 Par ordonnance du 9 février 1995, parvenue à la Cour le 13 mars suivant, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles sur l'interprétation des articles 16 et 30 du règlement (CEE) n° 404-93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après le "règlement"), sur la validité de l'article 19 du règlement et sur l'interprétation du traité CE, plus particulièrement sur le pouvoir du juge national d'ordonner des mesures provisoires jusqu'à ce que les cas de rigueur excessive soient réglementés.

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant T. Port GmbH & Co. KG (ci-après "Port") au Bundesanstalt fuer Landwirtschaft und Ernaehrung (office fédéral de l'agriculture et de l'alimentation, ci-après le "Bundesanstalt") au sujet de l'octroi de contingents d'importation de bananes pays tiers.

3 Le règlement a mis en place, à partir du 1er juillet 1993, un régime commun d'importation de bananes qui s'est substitué aux différents régimes nationaux.

4 Le titre IV du règlement, relatif au régime des échanges avec les pays tiers, prévoit, à l'article 18, paragraphe 1, tel que modifié par le règlement (CE) n° 3290-94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif aux adaptations et aux mesures transitoires nécessaires dans le secteur de l'agriculture pour la mise en œuvre des accords conclus dans le cadre des négociations commerciales multilatérales du cycle de l'Uruguay (JO L 349, p. 105), qu'un contingent tarifaire de 2,1 millions de tonnes/poids net est ouvert pour l'année 1994 et de 2,2 millions de tonnes/poids net pour les années suivantes, pour les importations des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP. Dans le cadre de ce contingent, les importations de bananes non traditionnelles ACP sont soumises à un droit nul et celles de bananes pays tiers à un droit de 75 écus par tonne.

5 L'article 18, paragraphe 1, dernier alinéa, prévoit une augmentation du volume du contingent annuel lorsque la demande déterminée sur la base du bilan prévisionnel augmente et renvoie, pour les modalités, à la procédure de l'article 27.

6 L'article 19, paragraphe 1, opère une répartition du contingent tarifaire qui est ouvert à concurrence de 66,5 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes pays tiers ou des bananes non traditionnelles ACP, 30 % à la catégorie des opérateurs qui ont commercialisé des bananes communautaires ou des bananes traditionnelles ACP et 3,5 % à la catégorie des opérateurs établis dans la Communauté qui ont commencé à commercialiser des bananes autres que les bananes communautaires ou traditionnelles ACP à partir de 1992.

7 Selon l'article 19, paragraphe 2, second alinéa, du règlement:

"Pour le second semestre de l'année 1993, chaque opérateur obtient la délivrance de certificats sur la base de la moitié de la quantité moyenne annuelle commercialisée pendant les années 1989-1991."

8 L'article 19, paragraphe 4, du règlement dispose:

"Dans l'hypothèse d'une augmentation du contingent tarifaire, la quantité disponible supplémentaire est attribuée aux opérateurs des catégories visées au paragraphe 1..."

9 L'article 16, paragraphe 1, du règlement prévoit l'établissement annuel d'un bilan prévisionnel de la production et de la consommation de la Communauté, ainsi que des importations et des exportations.

10 Aux termes de l'article 16, paragraphe 3, du règlement:

"Le bilan peut être révisé en cours de campagne en cas de nécessité et notamment pour tenir compte des effets de circonstances exceptionnelles affectant les conditions de production ou d'importation. En pareil cas, le contingent tarifaire prévu à l'article 18 est adapté selon la procédure prévue à l'article 27."

11 L'article 21, paragraphe 2, du règlement supprime le contingent annuel d'importation de bananes en franchise de droits de douane dont bénéficiait la République fédérale d'Allemagne en vertu du protocole annexé à la convention d'application relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer à la Communauté prévue à l'article 136 du traité CEE.

12 D'après l'article 30 du règlement:

"Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission, selon la procédure prévue à l'article 27, prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires."

13 L'article 27 du règlement auquel font référence les articles 16, 18 et 30 autorise la Commission à arrêter des mesures d'exécution selon la procédure dite du comité de gestion.

14 Conformément à la réglementation communautaire, Port, importateur traditionnel de bananes pays tiers, a obtenu du Bundesanstalt des certificats pour l'importation de bananes pays tiers pour le second semestre de l'année 1993 et pour les années 1994 et 1995, sur la base des quantités vendues au cours des années de référence 1989, 1990 et 1991.

15 Dès 1994, Port a demandé au Bundesanstalt des certificats supplémentaires, en invoquant l'existence d'un cas de rigueur.

16 Cette société a en effet fait valoir qu'elle n'avait pu importer qu'une quantité de bananes inhabituellement faible pendant les années de référence, en raison de la rupture du contrat par un fournisseur colombien. En outre, elle serait liée à des producteurs équatoriens par des contrats à long terme et risquerait de perdre les avances déjà versées si elle ne pouvait pas importer les volumes fixés dans ces contrats. L'accès au marché des bananes communautaires et ACP serait resté fermé. La vente de bananes pays tiers en Autriche, en Suède et en Finlande serait devenue impossible depuis l'adhésion de ces États à la Communauté. Le refus de lui délivrer des certificats supplémentaires d'importation risquerait ainsi de mettre l'intéressée en état de faillite.

17 Une première demande de référé de Port a été rejetée le 27 mai 1994 par le Verwaltungsgericht Frankfurt am Main, décision confirmée en appel par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof.

18 Une nouvelle demande de Port tendant au prononcé d'une ordonnance de référé accordant à l'intéressée des certificats d'importation supplémentaires, pour 1994 et subsidiairement pour 1995, a également été rejetée par une décision du Verwaltungsgericht Frankfurt am Main du 8 décembre 1994, qui a été confirmée par un arrêt du Hessischer Verwaltungsgerichtshof du 23 décembre 1994.

19 Saisi d'un recours constitutionnel introduit par Port, le Bundesverfassungsgericht a annulé, par ordonnance du 25 janvier 1995, la décision du Hessischer Verwaltungsgerichtshof du 23 décembre 1994, au motif que ce dernier n'avait pas considéré que, indépendamment de la question de sa validité, le règlement, notamment ses articles 16 et 30, permettait, eu égard à son libellé qui serait large, d'englober dans son application les cas de rigueur excessive. Selon le Bundesverfassungsgericht, la juridiction d'appel aurait dû examiner si la faillite qui menaçait Port portait irrémédiablement atteinte au droit de propriété garanti par l'article 14 du Grundgesetz (loi fondamentale).

20 A la suite de l'ordonnance du Bundesverfassungsgericht, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof a, par ordonnance du 9 février 1995, modifié la décision du Verwaltungsgerichtshof Frankfurt am Main du 8 décembre 1994 et ordonné au Bundesanstalt de délivrer à Port, pour l'année 1995, des certificats d'importation supplémentaires pour 2 500 tonnes de bananes. La juridiction s'est fondée, pour déterminer ce montant, sur les importations effectuées par Port durant la période allant de 1983 à 1988.

21 L'octroi de ces certificats a été lié à la condition que l'entreprise bénéficiaire accepte, au cas où elle succomberait dans la procédure principale, que ces contingents supplémentaires soient imputés sur ceux qui lui seraient normalement alloués pour les années suivantes.

22 Le Hessischer Verwaltungsgerichtshof a considéré que l'attribution de certificats d'importation supplémentaires n'était envisageable que si la Commission était tenue, en vertu des dispositions combinées des articles 16, paragraphe 3, ou 30 et de l'article 27 du règlement, d'ouvrir des contingents supplémentaires assortis d'un droit de douane de 100 écus par tonne. Il en irait de même s'il était conclu que l'article 19, paragraphe 2, du règlement est dépourvu d'effet parce qu'il ne réglemente pas les cas de rigueur excessive.

23 Dans l'ordonnance du 9 février 1995, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof a également saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes:

"1) L'article 16, paragraphe 3, ou l'article 30 du règlement (CEE) n° 404-93 du Conseil, du 13 février 1993 (JO L 47, p. 1), imposent-ils à la Commission de réglementer les cas de rigueur excessive, dus au fait que des opérateurs de la catégorie A rencontrent des difficultés menaçant leur survie, parce qu'un contingent exceptionnellement bas leur est attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 404-93, et qu'ils ne peuvent se tourner vers le marché des bananes ACP et communautaires ?

2) L'article 19, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 404-93 est-il invalide dans la mesure où il ne prévoit pas, pour les cas de rigueur excessive, durant la période transitoire, la prise en considération d'autres années de référence ?

3) Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à l'une des deux premières questions: sous quelles conditions la juridiction nationale est-elle alors habilitée à prescrire des mesures provisoires, dans le cadre d'une procédure tendant à l'octroi d'une protection provisoire par voie de référé, jusqu'à ce que les cas de rigueur excessive soient réglementés ou jusqu'à ce que l'article 19 du règlement (CEE) n° 404-93 soit complété ?"

24 Par arrêt du 9 novembre 1995, Atlanta Fruchthandelsgesellschaft e.a. (I) (C-465-93, Rec. p. I-3761, ci-après l'"arrêt Atlanta"), la Cour a précisé les conditions dans lesquelles une juridiction nationale peut accorder des mesures provisoires aménageant ou régissant les situations juridiques ou les rapports de droit litigieux au sujet d'un acte administratif national fondé sur un règlement communautaire qui fait l'objet d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité.

25 Invité à apprécier la nécessité d'une réponse à la troisième question au regard de cet arrêt, le Hessischer Verwaltungsgerichtshof a, par ordonnance du 10 janvier 1996, maintenu cette question en la reformulant ainsi:

"Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la question 1: sous quelles conditions la juridiction nationale est-elle alors habilitée à prescrire des mesures provisoires, dans le cadre d'une procédure tendant à l'octroi d'une protection provisoire par voie de référé, jusqu'à ce que les cas de rigueur excessive soient réglementés conformément à l'article 16, paragraphe 3, ou à l'article 30 du règlement (CEE) n° 404-93 du Conseil du 13 février 1993 ?"

Sur la première question relative à la réglementation des cas de rigueur

26 Par la première question, la juridiction nationale demande en substance si les articles 16, paragraphe 3, ou 30 du règlement imposent à la Commission de réglementer les cas de rigueur excessive qui résulteraient du fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur est attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement.

27 S'agissant de l'article 16, paragraphe 3, du règlement, la Cour a déjà jugé dans l'ordonnance du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil (C-280-93 R, Rec. p. I-3667, point 44), que cette disposition oblige en fait les institutions à adapter le contingent tarifaire lorsqu'en cours de campagne une telle nécessité est constatée pour tenir compte de circonstances exceptionnelles affectant notamment les conditions d'importation. Dans ce cas, l'adaptation doit être opérée selon la procédure de l'article 27, c'est-à-dire qu'il appartient à la Commission d'arrêter des mesures, sur avis du comité de gestion de la banane. Si les mesures adoptées ne sont pas conformes à l'avis du comité de gestion, le Conseil peut y substituer sa propre décision dans le délai d'un mois.

28 La Cour a encore jugé au point 45 de cette ordonnance que, si la Commission aboutissait, sur la base de données objectives fiables, à la constatation que le contingent est insuffisant pour satisfaire raisonnablement la demande et que les prévisions faites antérieurement par le Conseil devaient s'avérer erronées, le règlement oblige en fait la Commission et, le cas échéant, le Conseil à procéder aux adaptations nécessaires, avec possibilité pour les États membres de former un recours devant la Cour au cas où ces institutions manqueraient à leurs obligations.

29 Il résulte de ces considérations que l'article 16, paragraphe 3, du règlement oblige la Commission à procéder à une révision du bilan prévisionnel si l'évaluation des perspectives de la production communautaire et de la consommation se révèle inexacte.

30 D'après le libellé de l'article 16, paragraphes 1 et 3, ainsi que du neuvième considérant du règlement, une révision du bilan prévisionnel n'est toutefois possible qu'en cas de circonstances exceptionnelles affectant les conditions de la production communautaire ou de l'importation de bananes traditionnelles ACP.

31 Cette interprétation est confirmée par le système mis en œuvre par le règlement. En effet, le contingent tarifaire institué à l'article 18, paragraphe 1, de ce règlement est établi en fonction des prévisions de production de bananes communautaires et d'importation de bananes traditionnelles ACP ainsi que des prévisions de consommation totale de bananes dans la Communauté. Dès lors, une révision de ce contingent en cours de campagne ne s'impose que si la production de bananes communautaires et les importations de bananes traditionnelles ACP n'atteignent pas les prévisions ou si la consommation effective de bananes dans la Communauté excède ces prévisions.

32 En revanche, des circonstances exceptionnelles qui affectent les conditions de production ou d'importation des bananes pays tiers et des bananes non traditionnelles ACP ne peuvent pas être retenues pour justifier une révision du contingent tarifaire au titre de l'article 16, paragraphe 3, du règlement.

33 De surcroît, les conditions d'un contrat conclu entre un producteur et un importateur de bananes ou la rupture d'un contrat par le producteur ne sauraient relever de la notion de conditions de production ou d'importation, visée à l'article 16, paragraphe 3, du règlement.

34 S'agissant de l'article 30 du règlement, la Cour a constaté dans l'ordonnance Allemagne/Conseil, précitée, points 46 et 47, que, comme il résulte du vingt-deuxième considérant du règlement, cette disposition est destinée à faire face à la perturbation du marché intérieur que risque d'entraîner la substitution de l'organisation commune des marchés aux différents régimes nationaux. A cet effet, ce texte oblige la Commission à prendre toutes les mesures transitoires jugées nécessaires.

35 L'application de l'article 30 est soumise à la condition que les mesures spécifiques que la Commission doit adopter visent à faciliter le passage des régimes nationaux à l'organisation commune des marchés et qu'elles soient nécessaires à cet effet.

36 Ces mesures transitoires doivent permettre de résoudre des difficultés rencontrées après la mise en place de l'organisation commune des marchés, mais qui trouvent leur origine dans l'état des marchés nationaux antérieur au règlement.

37 A cet égard, la Commission doit également prendre en considération la situation d'opérateurs économiques qui ont adopté, dans le cadre d'une réglementation nationale antérieure au règlement, un certain comportement sans avoir pu prévoir les conséquences que ce comportement aurait après l'instauration de l'organisation commune des marchés.

38 Dans l'appréciation de la nécessité de mesures transitoires, la Commission dispose d'un large pouvoir qu'elle exerce selon la procédure prévue à l'article 27 du règlement. Ainsi que la Cour l'a jugé dans l'ordonnance Allemagne/Conseil, précitée, point 47, la Commission ou, le cas échéant, le Conseil sont toutefois obligés d'intervenir si les difficultés liées au passage des régimes nationaux à l'organisation commune des marchés l'exigent.

39 A cet égard, il appartient à la Cour de contrôler la légalité d'une action ou d'une omission d'agir des institutions communautaires.

40 Une intervention des institutions communautaires s'impose, en particulier, si le passage à l'organisation commune des marchés porte atteinte aux droits fondamentaux protégés par le droit communautaire de certains opérateurs économiques, tels que le droit de propriété et le droit au libre exercice des activités professionnelles.

41 Lorsque les difficultés transitoires résultent du comportement des opérateurs économiques antérieur à l'entrée en vigueur du règlement, il est nécessaire que ce comportement puisse être considéré comme normalement diligent, au regard tant de la réglementation nationale antérieure que de la perspective de mise en œuvre de l'organisation commune des marchés, dans la mesure où les opérateurs concernés ont pu en avoir connaissance.

42 S'agissant du contenu des mesures transitoires, il convient de relever que l'article 30 prévoit l'adoption de toutes les mesures jugées nécessaires. Cette disposition autorise dès lors la Commission à déroger, en cas de nécessité, au respect de la période de référence prévue à l'article 19 du règlement, y compris au profit d'opérateurs individuels.

43 Il y a lieu dès lors de répondre à la première question que l'article 16, paragraphe 3, du règlement ne permet pas à la Commission de réglementer les cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement.

En revanche, l'article 30 du règlement autorise la Commission et, selon les circonstances, lui impose de réglementer les cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement, dans l'hypothèse où ces difficultés sont inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du règlement à l'organisation commune des marchés et ne sont pas dues à l'absence de diligence des opérateurs concernés.

Sur la deuxième question relative à la validité de l'article 19, paragraphe 2, du règlement

44 Il résulte de la réponse à la première question que l'article 30 autorise, voire impose à la Commission, selon les circonstances, d'adopter des mesures transitoires qui comportent une dérogation à la période triennale prévue à l'article 19, paragraphe 2, du règlement.

45 Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la troisième question relative à l'adoption de mesures provisoires

46 Par cette question, la juridiction de renvoi vise à savoir si le traité autorise les juridictions nationales à prescrire des mesures provisoires, dans le cadre d'une procédure tendant à l'octroi d'une protection provisoire des opérateurs économiques concernés, jusqu'à ce que la Commission ait adopté un acte juridique pour régler, conformément à l'article 30 du règlement, les cas de rigueur auxquels sont confrontés les opérateurs.

47 A cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans les arrêts du 21 février 1991, Zuckerfabrik Suederdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (C-143-88 et C-92-89, Rec. p. I-415, ci-après l'"arrêt Zuckerfabrik"), et Atlanta, précité, la Cour a reconnu le pouvoir pour les juridictions nationales d'accorder des mesures provisoires dans le cadre de l'exécution d'un acte national fondé sur un règlement communautaire.

48 S'agissant des conditions dans lesquelles ce pouvoir doit être exercé, la Cour a dit pour droit dans l'arrêt Atlanta, précité, que de telles mesures ne peuvent être accordées par la juridiction nationale que

- si cette juridiction a des doutes sérieux sur la validité de l'acte communautaire et si, pour le cas où la Cour ne serait pas déjà saisie de la question de validité de l'acte contesté, elle la lui renvoie elle-même;

- s'il y a urgence en ce sens que les mesures provisoires sont nécessaires pour éviter que la partie qui les sollicite subisse un préjudice grave et irréparable;

- si la juridiction prend dûment en compte l'intérêt de la Communauté;

- si, dans l'appréciation de toutes ces conditions, la juridiction nationale respecte les décisions de la Cour ou du Tribunal de première instance statuant sur la légalité du règlement ou une ordonnance de référé visant à l'octroi, au niveau communautaire, de mesures provisoires similaires.

49 Ainsi que la Cour l'a notamment relevé dans l'arrêt Zuckerfabrik, précité, point 18, le renvoi en appréciation de validité constitue, au même titre que le recours en annulation, une modalité du contrôle de la légalité des actes des institutions communautaires. Or, dans le cadre du recours en annulation, l'article 185 du traité CE donne à la partie requérante la faculté de demander le sursis à l'exécution de l'acte attaqué et à la Cour la compétence pour l'octroyer. La cohérence du système de protection provisoire exige donc que le juge national puisse également ordonner le sursis à l'exécution d'un acte administratif national fondé sur un règlement communautaire dont la légalité est contestée.

50 La Cour a en outre rappelé, dans l'arrêt Zuckerfabrik, précité, point 19, que, dans l'arrêt du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213-89, Rec. p. I-2433), rendu à l'occasion d'une affaire où était en cause la compatibilité d'une loi nationale avec le droit communautaire, elle avait estimé, en se référant à l'effet utile de l'article 177, que la juridiction nationale, qui l'avait saisie de questions préjudicielles en interprétation en vue d'être en mesure de trancher ce problème de compatibilité, devait avoir la possibilité d'ordonner des mesures provisoires et de suspendre l'application de la loi nationale critiquée, jusqu'à ce qu'elle rende son jugement en considération de l'interprétation donnée au titre de l'article 177.

51 Or, la protection provisoire qui est assurée aux justiciables devant les juridictions nationales par le droit communautaire ne saurait varier, selon qu'ils contestent la compatibilité de dispositions de droit national avec le droit communautaire ou la validité d'actes communautaires de droit dérivé, dès lors que, dans les deux cas, la contestation est fondée sur le droit communautaire lui-même (arrêt Zuckerfabrik, précité, point 20).

52 Toutefois, la situation envisagée par la juridiction de renvoi se distingue de celle en cause dans les affaires précitées. En effet, il ne s'agit pas, en l'occurrence, de prescrire des mesures provisoires, dans le cadre de l'exécution d'un règlement communautaire dont la légalité est contestée, en vue d'assurer une protection provisoire de droits que les particuliers tirent de l'ordre juridique communautaire, mais d'accorder aux opérateurs économiques une protection juridictionnelle provisoire dans l'hypothèse où, en vertu d'un règlement communautaire, l'existence et l'étendue des droits des opérateurs économiques doivent être constatées par un acte de la Commission que celle-ci n'a pas encore adopté.

53 A cet égard, il y a lieu de relever que le traité n'a pas prévu la possibilité d'un renvoi par lequel une juridiction nationale demanderait à la Cour de constater à titre préjudiciel la carence d'une institution et que, dès lors, les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour prescrire des mesures provisoires en attendant que l'institution ait agi. Le contrôle de la carence relève de la compétence exclusive de la juridiction communautaire.

54 Dans une situation comme celle de l'espèce au principal, la protection juridictionnelle des intéressés ne saurait ainsi être assurée que par la Cour de justice et, le cas échéant, par le Tribunal de première instance.

55 A cet égard, il convient de rappeler que, d'après la procédure prévue à l'article 27 du règlement, la Commission arrête les mesures transitoires sur avis du comité de gestion saisi par un représentant de la Commission ou d'un État membre.

56 Dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, il appartient à l'État membre intéressé, saisi au besoin par l'opérateur économique concerné, de demander, le cas échéant, la mise en œuvre de la procédure du comité de gestion.

57 Compte tenu du cas de rigueur dans lequel prétend se trouver la requérante au principal, cette dernière peut également s'adresser directement à la Commission en lui demandant d'adopter, selon la procédure prévue à l'article 27 du règlement, les mesures particulières exigées par sa situation.

58 Au cas où l'institution communautaire omettrait d'agir, l'État membre pourrait introduire un recours en carence devant la Cour; de même, l'opérateur intéressé, qui serait le destinataire de l'acte que la Commission aurait omis d'adopter ou, à tout le moins, directement et individuellement concerné par lui, pourrait intenter une telle action devant le Tribunal (voir arrêt du 16 février 1993, ENU/Commission, C-107-91, Rec. p. I-599).

59 En effet, s'il est vrai que l'article 175, troisième alinéa, du traité ouvre aux personnes physiques et morales la possibilité de former un recours en carence lorsqu'une institution a manqué de leur adresser un acte autre qu'une recommandation ou un avis, la Cour n'en a pas moins jugé que les articles 173 et 175 du traité ne forment que l'expression d'une seule et même voie de droit (arrêt du 18 novembre 1970, Chevalley/Commission, 15-70, Rec. p. 975, point 6). Il en résulte que, de même que l'article 173, quatrième alinéa, permet aux particuliers de former un recours en annulation contre un acte d'une institution dont ils ne sont pas les destinataires dès lors que cet acte les concerne directement et individuellement, de même l'article 175, troisième alinéa, doit être interprété comme leur ouvrant également la faculté de former un recours en carence contre une institution qui aurait manqué d'adopter un acte qui les aurait concernés de la même manière. La possibilité pour les particuliers de faire valoir leurs droits ne saurait en effet dépendre de l'action ou de l'inaction de l'institution visée.

60 Dans le cadre de ces recours en carence, la juridiction communautaire pourrait, à la demande des requérants, prendre des mesures provisoires, au titre de l'article 186 du traité. D'une part, cette disposition est rédigée en termes généraux et ne prévoit pas d'exception pour certaines procédures (voir, en ce sens, ordonnance du 29 juin 1994, Commission/Grèce, C-120-94 R, Rec. p. I-3037, point 42). D'autre part, une jurisprudence constante depuis l'ordonnance du 21 mai 1977, Commission/Royaume-Uni (31-77 R et 53-77 R, Rec. p. 921), admet la possibilité pour la Cour d'ordonner des mesures provisoires dans le cadre de procédures à caractère déclaratoire.

61 Par ailleurs, au cas où la Commission refuserait expressément d'agir ou adopterait un acte différent de celui que les intéressés ont souhaité ou estimé nécessaire, l'État membre ou l'opérateur concerné pourraient demander l'annulation de cet acte devant la Cour ou devant le Tribunal (voir arrêts du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8-71, Rec. p. 705; du 15 décembre 1988, Irish Cement/Commission, 166-86 et 220-86, Rec. p. 6473 et ENU/Commission, précité).

62 Il y a lieu dès lors de répondre à la troisième question que le traité n'autorise pas les juridictions nationales à prescrire des mesures provisoires dans le cadre d'une procédure tendant à l'octroi d'une protection provisoire, par voie de référé, jusqu'à ce que la Commission ait adopté un acte juridique pour régler, conformément à l'article 30 du règlement, les cas de rigueur auxquels sont confrontés les opérateurs.

Sur les dépens

63 Les frais exposés par les Gouvernements allemand, espagnol, français et du Royaume-Uni, ainsi que par le Conseil de l'Union européenne et la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur les questions à elle soumises par le Hessischer Verwaltungsgerichtshof, par ordonnance du 9 février 1995, dit pour droit:

1) L'article 16, paragraphe 3, du règlement (CEE) n° 404-93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane, ne permet pas à la Commission de réglementer les cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du règlement.

L'article 30 du règlement n° 404-93 autorise la Commission et, selon les circonstances, lui impose de réglementer les cas de rigueur excessive dus au fait que des importateurs de bananes pays tiers ou de bananes non traditionnelles ACP rencontrent des difficultés menaçant leur survie, lorsqu'un contingent exceptionnellement bas leur a été attribué sur la base des années de référence qui doivent être prises en considération en vertu de l'article 19, paragraphe 2, du même règlement, dans l'hypothèse où ces difficultés sont inhérentes au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur du règlement à l'organisation commune des marchés et ne sont pas dues à l'absence de diligence des opérateurs concernés.

2) Le traité CE n'autorise pas les juridictions nationales à prescrire des mesures provisoires, dans le cadre d'une procédure tendant à l'octroi d'une protection provisoire, par voie de référé, jusqu'à ce que la Commission ait adopté un acte juridique pour régler, conformément à l'article 30 du règlement n° 404-93, les cas de rigueur auxquels sont confrontés les opérateurs.