Conseil Conc., 24 mars 2006, n° 06-D-08
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Correa de Sampaio, par M. Lasserre, président, Mme Aubert, vice présidente, Mme Béhar-Touchais, membre.
Le Conseil de la concurrence (commission permanente),
Vu la lettre enregistrée le 10 janvier 2002, sous le numéro 02/0004 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 modifié, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Bec Construction Languedoc Roussillon, Dumez Sud, Eiffage Construction Languedoc et Sogea Sud ainsi que par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Dumez Sud, Eiffage Construction Languedoc et Sogea Sud, entendus lors de la séance du 28 février 2006 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LES MARCHÉS CONCERNÉS ET LEURS CARACTÉRISTIQUES
1. LE CADRE GÉNERAL DU PROJET DE CONSTRUCTION DES COLLEGES DE FRONTIGNAN-LAPEYRADE, MONTARNAUD ET VENDRES ET LA PROCÉDURE DE MISE EN CONCURRENCE RETENUE
1. Au cours de l'année 2000, le conseil général de l'Hérault a procédé à des consultations en vue de la construction de trois collèges dans les communes de Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres. Ces projets s'inscrivaient dans le cadre d'un vaste plan de construction de nouveaux établissements scolaires afin de répondre à la forte augmentation démographique des élèves de l'enseignement secondaire dans le département.
2. Le choix s'étant porté sur la construction de petites unités, d'une capacité d'accueil de 600 élèves, le conseil général a prévu de créer douze nouveaux collèges entre septembre 2000 et septembre 2007 selon le calendrier suivant :
Septembre 2000 : Jacou
Septembre 2001 : Frontignan-La-Peyrade ; Montarnaud ; Vendres
Septembre 2002 : Fabrègues ; Lansargues ; Villeneuve-Les-Maguelone
Septembre 2003 : Béziers
Septembre 2004 : Marseillan
Septembre 2005 : Montpellier Alco
Septembre 2006 : Saint-André-De-Sangonis
Septembre 2007 : Lompian
3. Pour les trois marchés visés par la saisine du Conseil de la concurrence, les travaux demandés se caractérisaient par des contraintes de réception identiques et, en dépit de différences architecturales, par des estimations administratives proches, ainsi que l'illustre le tableau ci-après :
<emplacement tableau>
4. Les procédures de mise en concurrence ont été semblables dans les trois cas et se sont déroulées en parallèle, selon un calendrier pratiquement identique. Pour chacun des trois marchés, l'appel d'offre initial lancé au printemps 2000 a été déclaré infructueux, en raison de l'écart sensible entre l'offre la moins disante et l'estimation administrative. Dans un second temps, un marché négocié a été lancé au cours de l'été 2000, conduisant à une attribution en septembre 2000.
<emplacement tableau>
5. Pour les trois marchés, le maître d'ouvrage délégué était la Société d'aménagement du département de l'Hérault (SADH), société d'économie mixte agissant pour le compte du département, maître d'ouvrage.
2. LES RÉSULTATS DES APPELS D'OFFRE ET LES ENTREPRISES SOUMISSIONNAIRES
a) Pour la construction du collège de Frontignan-La-Peyrade
6. Pour mémoire, l'estimation administrative (E.a) de ce marché était, en millions de F TTC :
- pour la tranche ferme (tf) : 28,7 MF
- pour la tranche conditionnelle (tc) : 5,02 MF
- au total (tf + tc) : 33,72 MF
7. Les offres des entreprises ont été les suivantes (en millions de F TTC) :
<emplacement tableau>
8. La commission d'appel d'offres a attribué le marché au groupement constitué par Sogea Sud et Auxial Construction, moins-disant, pour un montant négocié de 37 315 200 F, compte tenu des variantes libres.
b) Pour la construction du collège de Montarnaud
9. Pour mémoire, l'estimation administrative (E.a) de ce marché était, en millions de F TTC :
- pour la tranche ferme (tf) : 32,72 MF
- pour la tranche conditionnelle(tc) : 3,26 MF
- au total (tf + tc) : 35,98MF
10. Les offres des entreprises ont été les suivantes (en millions de F TTC) :
<emplacement tableau>
11. La commission d'appel d'offres a attribué le marché au groupement constitué par Dumez Sud et Bec Construction, moins-disant, pour un montant de 39 130 356 F.
c) Pour la construction du collège de Vendres
12. Pour mémoire, l'estimation administrative (E.a) de ce marché était, en millions de F TTC :
- pour la tranche ferme (tf) : 31,296 MF
- pour la tranche conditionnelle (tc) : 3,62 MF
- pour le total (tf + tc) : 34,92MF
13. Les offres des entreprises ont été les suivantes (en millions de F TTC) :
<emplacement tableau>
15. La commission d'appel d'offres a attribué le marché au groupement constitué par Auxial Construction et Travaux du Midi, moins-disant, pour un montant négocié de 39 365 144 F.
B. LES FAITS RELEVÉS
1. EN CE QUI CONCERNE SPECIFIQUEMENT LE MARCHÉ DE MONTARNAUD
16. Lors d'une visite des locaux de la société Bec Construction par les enquêteurs de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) le 15 mai 2001, un document de travail ayant pour titre " CES de Montarnaud récapitulation en débours ", ainsi qu'une étude chiffrée manuscrite ont été saisis (rapport, cotes n° 72 et 73).
17. Sur le premier document, où figure en caractères imprimés un récapitulatif de prix de Bec Construction pour l'appel d'offres initial et pour la relance du marché par lots, avec l'identité des sous-traitants envisagés, sont portées en outre, au crayon noir, les indications manuscrites suivantes :
"GO (*) > 17 700 00
CES (**) > 15 900 00
BEC > 33 600 00
AUX > 34 000 00
P > 34 100 00"
18. Le chiffre porté devant l'abréviation "AUX" a fait l'objet d'une correction à la hausse, une première inscription ayant indiqué 33 millions et non 34 millions.
19. Les mentions manuscrites de ce premier document apparaissent fondées sur le second document entièrement manuscrit qui constitue une étude de prix. On y retrouve, en effet, le prix porté dans le premier document pour Bec Construction pour le gros œuvre, soit 17 700 000 F, qui est l'arrondi d'une somme de 17 657 000 F, figurant à son côté dans ce second document et dont le calcul est détaillé. Immédiatement sous cet arrondi sont inscrites les mentions suivantes :
" Pascal 18 225 000
Auxial 18 010 000 "
20. Ces sommes correspondent manifestement aux prix envisagés pour le gros œuvre par ou pour les entreprises désignées. Le prix indiqué en face de " Pascal " a fait l'objet d'une correction à la hausse au feutre rouge, le prix initial étant de 18 025 000 F. La société Pascal, dont il n'est pas contesté que le " P " du premier document la désigne, a vu une partie de ses actifs rachetée par la société Cuynat, appartenant au groupe lyonnais Megan (SA). Le directeur financier de celui-ci, également administrateur de Cuynat, a déclaré à cet égard le 22 mai 2001 :
"Megan a racheté les actions de la société holding financière Pascal pour profiter de certains biens appartenant à la société, dont la présence en région Languedoc-Roussillon.
[...] Après audit, il s'est avéré que l'on ne pouvait pas reprendre Pascal dans son ensemble. Fin juin 2000, l'entreprise Pascal a été liquidée. L'activité languedocienne de Pascal a été "reprise" dans le cadre de Cuynat, certains membres du personnel Pascal dont le directeur d'agence M. X... ont été intégrés dans l'effectif Cuynat".
21. Comme indiqué au point 10 de la présente décision, c'est effectivement sous le nom de Cuynat que l'offre initialement envisagée sous le nom de Pascal a été déposée.
22. Sur le haut du second document, à gauche, une autre annotation correspond à l'offre totale hors taxes d'Auxial construction, telle qu'indiquée sur le premier document. Y figurent en effet les indications manuscrites suivantes :
<emplacement tableau>
23. Par ailleurs, le document comporte divers ajustements et soustractions ou additions. A l'exception des corrections portées au feutre rouge, il a été rédigé au crayon noir.
2. EN CE QUI CONCERNE SPECIFIQUEMENT LE MARCHE DE VENDRES
24. Lors de la visite des locaux de la société Dumez Sud par les agents de la DGCCRF le 15 mai 2001, ont été saisis les statuts d'une société en participation (SEP) créée par Auxial Construction, Travaux du Midi et Dumez Sud (rapport, cotes n° 75 à 84). Cette société avait pour " objet exclusif la recherche, l'étude, l'obtention et l'exécution des travaux du collège de Vendres ". La page 10 de ce document précise que la signature de ces statuts est du 8 septembre 2000, soit six jours avant l'acte d'engagement du groupement constitué par Auxial Construction et Travaux du Midi, intervenu le 14 septembre 2000. Il y a lieu de préciser que Dumez Sud contrôlait Travaux du Midi.
25. A ce propos, lors de son audition le 15 juin 2001 (rapport, cotes n° 85 à 87), le gérant de Dumez Sud déclarait :
" Les documents de la SEP sont datés du 8 septembre 2000 parce qu'on se préparait pour l'avoir ce marché de Vendres. La constitution de la SEP est intervenue rapidement pour formaliser le groupement et aurait été dissoute si le marché ne nous avait pas été attribué ".
3. SUR L'ENSEMBLE DES TROIS MARCHES
a) Les écarts de prix entre les offres et l'estimation administrative
26. Les écarts de prix entre les offres et l'estimation administrative sont élevés lors du premier tour. Ainsi, pour le marché de Frontignan-La-Peyrade, les offres initiales sont supérieures à l'évaluation administrative de près de 15 % pour la moins disante à plus de 30 % pour la plus disante. Pour le marché de Vendres, les offres initiales sont supérieures à l'évaluation administrative de plus de 16 % pour la moins disante à près de 27 % pour la plus disante. Pour le marché de Montarnaud, les offres initiales sont supérieures à l'évaluation administrative de près de 14 % pour la moins disante et de plus de 18 % pour la plus disante.
27. Au second tour, les écarts entre les offres et l'estimation administrative restent élevés. Pour le marché de Frontignan-La-Peyrade, après relance du marché, l'écart est compris entre plus de 13 % et 22,5 %. Pour le marché de Vendres, il est compris entre 13 % et 26 %. Pour le marché de Montarnaud, entre près de 9 % et près de 14 %.
b) Les écarts entre l'offre la moins disante et l'offre la plus disante
28. Pour le marché de Frontignan-La-Peyrade, l'offre initiale du groupement le plus disant (Dumez Sud + Bec Construction) est supérieure de 13,5 % à l'offre la moins disante (Sogea Sud + Auxial) ; après relance du marché, la différence s'élève à 8,3 %.
29. Pour le marché de Vendres, l'offre initiale de l'entreprise la plus disante (Bec Construction) est supérieure de 9,2 % à l'offre la moins disante (Auxial + Travaux du Midi+Dumez Sud) ; après relance du marché, la différence s'élève à 11,6 %.
30. Pour le marché de Montarnaud, les écarts sont moindres : l'offre initiale de l'entreprise la plus disante (Auxial) est supérieure de 4,1 % à l'offre la moins disante (Dumez Sud + Bec Construction) ; après relance du marché, la différence s'élève à 3,8 %.
c) Les candidatures
31. Les entreprises ont soumissionné aux trois marchés dans des configurations différentes. Ainsi, Auxial Construction s'est alliée, pour le marché de Frontignan-La-Peyrade, avec Sogea Sud ; pour le marché de Vendres, avec Travaux du Midi et a soumissionné seule sur le marché de Montarnaud. De son côté, Bec Construction a présenté une offre en groupement avec Dumez Sud sur les marchés de Frontignan-La-Peyrade et Montarnaud mais a soumissionné seule sur le marché de Vendres. Pour sa part, Sogea Sud, a présenté une offre groupée avec Auxial Construction sur le marché de Frontignan-La-Peyrade mais a soumissionné seule sur le marché de Vendres
32. A l'exception de Dumez Sud, les entreprises membres de ces groupements ont soumissionné seules sur l'un des trois marchés considérés mais aucune n'a présenté dans ces conditions d'offre suffisamment compétitive pour remporter le marché.
d) Les résultats
33. A l'exception d'Auxial Construction qui, dans le cadre de deux groupements, a remporté deux marchés, les autres entreprises visées (Sogea sud, Dumez Sud, Bec Construction et Travaux du Midi) ont chacune remporté un et un seul marché, dans le cadre d'un groupement.
34. Si l'on considère que l'exécution intégrale d'un marché correspond à 100 %, à l'issue de l'attribution des trois marchés considérés dans la présente procédure, la répartition des parts de marché est la suivante :
<emplacement tableau>
C. LES GRIEFS NOTIFIES
35. Sur la base des éléments qui précèdent, les griefs suivants ont été notifiés :
"1 - A l'encontre de la société Auxial Construction
- D'avoir pris part à la concertation entre les candidats qui ont soumissionné sur les marchés de construction de collèges à Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres ;
- D'avoir, dans ce cadre, participé aux échanges d'informations ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, des marchés de Frontignan-La-Peyrade et Vendres ;
- Et d'avoir déposé une offre de couverture au profit d'un autre candidat à l'occasion de la consultation portant sur le marché de Montarnaud,
Pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de ces consultations en violation des dispositions de l'article L. 420-1 précité.
La société Auxial Construction ayant fait l'objet d'une fusion-absorption en date du 9 avril 2001 par la société Eiffage Construction Languedoc, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'audition du Directeur Régional de cette entreprise (cf. annexe n° 6, cote 364), c'est à cette dernière, qui vient aux droits et obligations de la société Auxial Construction, que sont notifiés les griefs retenus à l'encontre d'Auxial Construction.
2 - A l'encontre de la société Bec Construction
- D'avoir pris part à la concertation entre les candidats qui ont soumissionné sur les marchés de construction de collèges à Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres ;
- D'avoir, dans ce cadre, participé aux échanges d'informations ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, du marché de Montarnaud ;
- Et d'avoir déposé des offres de couverture au profit d'autres candidats à l'occasion des consultations portant sur les marchés de Frontignan-La-Peyrade et Vendres,
Pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de ces consultations en violation, des dispositions de l'article L. 420-1 précité.
3 - A l'encontre de la société Dumez Sud
- D'avoir pris part à la concertation entre les candidats qui ont soumissionné sur les marchés de construction de collèges à Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres ;
- D'avoir, dans ce cadre, participé aux échanges d'informations ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, des marchés de Montarnaud et Vendres ;
- Et d'avoir déposé une offre de couverture au profit d'un autre candidat à l'occasion de la consultation portant sur le marché de Frontignan-La-Peyrade,
Pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de ces consultations en violation, des dispositions de l'article L. 420-1 précité.
4 - A l'encontre de la société Sogea Sud
- D'avoir pris part à la concertation entre les candidats qui ont soumissionné sur les marchés de construction de collèges à Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres ;
- D'avoir, dans ce cadre, participé aux échanges d'informations ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, du marché de Frontignan-La-Peyrade ;
- Et d'avoir déposé une offre de couverture au profit d'un autre candidat à l'occasion de la consultation portant sur le marché de Vendres,
Pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de ces consultations en violation, des dispositions de l'article L. 420-1 précité.
5 - A l'encontre de la société Travaux du Midi
- D'avoir pris part à la concertation entre les candidats qui ont soumissionné sur les marchés de construction de collèges à Frontignan-La-Peyrade, Montarnaud et Vendres ;
- D'avoir dans ce cadre participé aux échanges d'informations ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, du marché de Vendres ; La société Travaux du Midi n'existant, depuis 2000, qu'à titre d'enseigne commerciale dans la région Languedoc Roussillon et son activité dans cette région ayant été transférée, avec son personnel, à la société Dumez Sud, ainsi que l'atteste le procès-verbal de l'audition de son gérant (cf. annexe n°3, cote 164), c'est à cette dernière, qui vient aux droits et obligations de la société Travaux du Midi, que sont notifiés les griefs retenus à l'encontre de Travaux du Midi.
6 - A l'encontre de la société Cuynat
36. D'avoir participé à l'échange d'information ayant permis l'attribution, au profit d'un autre candidat, du marché de Montarnaud. "
II. Discussion
A. SUR LA PRESCRIPTION
37. Eiffage Construction Languedoc soulève la prescription des faits, en soulignant que la saisine du Conseil de la concurrence date du 10 janvier 2002 et l'envoi de la notification de griefs du 28 janvier 2005. Le délai de prescription de trois ans prévu à l'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004, portant adaptation de certaines dispositions du Code de commerce au droit communautaire de la concurrence, aurait donc été, selon la société mise en cause, dépassé. Eiffage Construction Languedoc soutient à cet égard que la demande de renseignements de la rapporteure, envoyée par télécopie du 30 septembre 2004 au bureau de l'administration territoriale de la préfecture de l'Hérault (rapport, cotes n°89 à 91), ne constitue pas un acte d'instruction susceptible d'interrompre la prescription car cette demande n'aurait pas été relative aux marchés concernés par la procédure et, de plus, n'était pas revêtue de la signature de la rapporteure. A cet égard, Eiffage Construction Languedoc se fonde sur un arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 1990 (chambre criminelle, n° 90-85189) dont il découlerait que n'ayant pas été signée, la demande en cause ne pourrait " être considérée comme un acte ayant une valeur juridique pouvant interrompre la prescription ".
38. Toutefois, l'article 6 de l'ordonnance nº 2004-1173 du 4 novembre 2004 a porté de trois à cinq ans le délai de prescription prévu à l'article L. 462-7 du Code de commerce. S'agissant d'un texte de procédure et non d'une loi instituant une peine plus sévère, il est applicable immédiatement, y compris à la poursuite et à la sanction des faits antérieurs à son entrée en vigueur, sous la seule réserve qu'il ne puisse permettre de poursuivre ou de sanctionner des faits pour lesquels la prescription a été définitivement acquise en vertu du texte applicable précédemment.
39. Certes, il résulte de décisions du Conseil constitutionnel interprétant le principe de non-rétroactivité des lois répressives posé à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, selon lequel " (...) nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi antérieurement établie et promulguée antérieurement au délit ", que : " ce principe ne concerne pas seulement les peines appliquées par les juridictions répressives mais s'étend nécessairement à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a cru devoir laisser le soin de la prononcer à une autorité de nature non-judiciaire " (voir la décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982, loi de finances rectificative pour 1982, considérant 24, et, par exemple, concernant des sanctions administratives, la décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, liberté de communication, considérants 34 et suivants, ou, concernant des sanctions fiscales, la décision n° 86-250 DC du 29 décembre 1988, loi de finances rectificative pour 1988, considérants 5 et 6).
40. Cependant, l'applicabilité immédiate d'un délai de prescription plus long à des situations dans lesquelles la prescription n'a pas déjà été acquise n'est considérée, ni par la Cour européenne des droits de l'homme, ni par le Conseil constitutionnel, ni par le législateur, comme contraire au principe de non-rétroactivité des lois répressives.
41. Interprétant l'article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui stipule : " Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise ", la Cour européenne des droits de l'homme a, en effet, jugé : " La prolongation du délai de prescription introduit par la loi (...) et son application immédiate par la Cour de cassation ont certes eu pour effet d'étendre le délai pendant lequel les faits pouvaient être poursuivis et ont été défavorables pour les requérants, en déjouant notamment leurs attentes. Pareille situation n'entraîne, cependant, pas une atteinte aux droits garantis par l'article 7 car on ne peut interpréter cette disposition comme empêchant, par l'effet de l'application immédiate d'une loi de procédure, un allongement des délais de prescription lorsque les faits reprochés n'ont jamais été prescrits " (arrêt Coëme et autres c. Belgique du 22 juin 2000, requêtes n° 32492/96 e. a., § 149).
42. Le Conseil constitutionnel a, dans la décision n° 88-250 DC précitée, pour sa part constaté que la loi qui lui était déférée " ne déroge pas (...) au principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif ni à son corollaire qui interdit de faire renaître en cette matière une prescription légalement acquise ". Il peut être observé à cet égard que le Conseil constitutionnel n'a pas considéré comme corollaire du principe de non-rétroactivité des textes à caractère répressif une éventuelle interdiction d'allongement du délai de prescription pour des prescriptions non encore acquises.
43. Enfin, le législateur, en adoptant l'article 72 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi " Perben II ", dont le Conseil constitutionnel, pourtant saisi du texte, n'a pas soulevé d'office l'inconstitutionnalité, a modifié l'article 112-2 du Code pénal, en ce sens que " sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur (...) lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l'action publique et à la prescription des peines ".
44. Ce faisant, le législateur n'a fait que mettre le droit pénal en harmonie avec le principe général de l'applicabilité immédiate des lois de procédure, rappelé aussi bien par la jurisprudence du Conseil d'Etat (7 mars 1975, commune de Bordères sur l'Echez, Section, Leb. p.179) que par celle de la Cour de cassation (3 avril 1984, Patron, 1ère chambre civile, n° 83-10668 et 30 novembre 1999, Oger, chambre commerciale, n° 96-16607, concernant en l'occurrence l'allongement d'un délai de prescription).
45. En l'espèce, la prescription de trois ans, que la saisine du Conseil a fait courir à nouveau à compter du 10 janvier 2002, n'était pas acquise à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 novembre 2004 précitée. C'est donc le délai de cinq ans, fixé par cette dernière, qui s'applique : il n'était pas expiré lorsque la société mise en cause a reçu la notification des griefs qui lui ont été adressés le 28 janvier 2005.
46. Au surplus et à titre tout à fait surabondant, le Conseil rappelle que, même en la limitant à trois ans, la prescription a été interrompue par la demande de renseignements effectuée par la rapporteure par télécopie du 30 septembre 2004 au bureau de l'administration territoriale de la préfecture de l'Hérault.
47. La circonstance que cette demande n'est pas revêtue de la signature de la rapporteure est sans influence sur son effet interruptif de prescription. Sauf pour les cas particuliers où un texte impose cette formalité, il résulte en substance de l'arrêt du 28 janvier 2003 de la Cour de cassation (chambre commerciale, n° 01-00528) que l'absence de signature ne rend pas irréguliers les actes d'instruction auxquels donne lieu la procédure devant le Conseil de la concurrence, dès lors qu'il n'existe aucune ambiguïté sur leur auteur et sur la qualité à agir de celui-ci (pour une illustration, voir la décision du Conseil n° 04-D-01 du 6 février 2004 relative à des pratiques concernant un marché de travaux souterrains de gaz et d'électricité par EDF-GDF en Seine et Marne, points 21 et 22).
48. En l'occurrence, la demande de renseignements en cause envoyée par la rapporteure par télécopie comportait clairement, en page de garde à en-tête du Conseil de la concurrence, ses nom et qualité et y était jointe une copie de la décision du rapporteur général la désignant pour rapporter l'affaire. Aucune ambiguïté n'entourait donc cette demande, à laquelle les services de la préfecture de l'Hérault ont répondu par courrier du 7 octobre 2004.
49. Par ailleurs, ladite demande se référait à la présente affaire en indiquant notamment son numéro d'enregistrement et sollicitait des informations sur les marchés de construction de collèges antérieurs et postérieurs à ceux en cause, s'inscrivant dans le même programme départemental. Il s'agissait pour la rapporteure de recueillir des éléments de comparaison pour analyser les comportements reprochés aux entreprises soumissionnaires dans le cadre de la saisine, ce qui constitue un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des faits au sens de l'article L. 462-7 du Code de commerce.
50. Il résulte de ce qui précède que les faits en cause dans la présente affaire ne sont pas prescrits.
B. SUR LE FOND
51. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce :
" Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :
1. limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;
2. faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;
3. limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;
4. répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ".
52. Chaque marché public passé selon la procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de l'appel d'offres, d'une demande du maître d'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres. Peuvent être sanctionnées, en application de l'article L. 420-1 du Code du commerce, non seulement les pratiques anticoncurrentielles affectant exclusivement ce marché, mais aussi l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur lesdits marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts (Cour d'appel de Paris, arrêts des 14 janvier 2003, SA Bouygues, à l'égard duquel le pourvoi déposé a été rejeté par la Cour de cassation et 13 juillet 2004, Société DTP Terrassement et autres).
53. A de multiples reprises le Conseil de la concurrence a rappelé, en matière de marchés publics sur appels d'offres, qu'il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir notamment les décisions n° 03-D-10 du 20 février 2003 relative à des pratiques constatées lors d'un appel d'offres lancé par le Port autonome de Marseille et n° 03-D-19 du 15 avril 2003 relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche). Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, voire même de désigner à l'avance le futur titulaire du marché, en le faisant apparaître comme le moins disant. Mais de simples échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent également le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres. Alors que les maîtres d'ouvrage organisent un appel d'offres afin d'obtenir, par le jeu de la concurrence, la meilleure offre, conformément aux prescriptions du Code des marchés publics lorsqu'il s'agit d'acheteurs publics, ces pratiques ont pour effet d'élever artificiellement les prix des prestations concernées.
54. La preuve de l'existence de telles pratiques, qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence, peut résulter en particulier d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, même si chacune des pièces prise isolément n'a pas un caractère suffisamment probant (voir notamment les décisions n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre et n° 01-D-20 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées concernant plusieurs marchés de travaux de peinture et d'étanchéité dans le département de l'Indre-et-Loire).
55. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants (Cour d'appel de Paris, 18 décembre 2001, SA Bajus Transport ; Cour de cassation, 12 janvier 1993, société Sogea). La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut de date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques, et notamment avec le résultat des appels d'offres (Cour d'appel de Paris, 2 avril 1996, société Pro Gec SA).
1. EN CE QUI CONCERNE LE MARCHE DE MONTARNAUD
56. Le document de travail, intitulé " CES de Montarnaud récapitulation en débours " et l'étude chiffrée manuscrite qui l'accompagnait présentés aux points 16 et suivants de la présente décision, démontrent que Bec Construction disposait d'informations relatives aux prix de ses concurrents sur le marché de Montarnaud, tout au moins durant la seconde phase de négociation de ce marché.
57. L'abréviation " AUX " qui y est portée correspond à l'évidence à la société Auxial Construction et la lettre "P" renvoie, comme on l'a déjà vu, à la société Pascal dont l'activité en Languedoc a été reprise par la société Cuynat à l'été 2000, période de passation du marché de Montarnaud.
58. Par ailleurs, les chiffres indiqués dans ces documents sont proches des offres réelles des entreprises lorsque l'on y ajoute la T.V.A, ainsi que l'illustre le tableau ci-après :
<emplacement tableau>
59. Les parties mises en cause soulignent que ces documents ne sont pas datés et soutiennent que rien ne prouve qu'ils aient été établis avant l'attribution du marché de Montarnaud. En particulier, Dumez Sud soutient que " rien ne s'opposait à ce que Bec Construction obtienne, après attribution des marchés, communication du montant des offres non retenues, dans la mesure où les procès-verbaux d'analyse des offres, qui comportent ces indications, constituent des documents administratifs communicables ".
60. Plusieurs éléments montrent cependant que Bec Construction détenait ces informations avant la date de remise des offres, après relance du marché sous forme négociée.
61. Tout d'abord, le directeur des affaires juridiques du service des marchés du conseil général de l'Hérault a affirmé que ces informations n'ont pas fait l'objet d'une communication en déclarant, dans un courrier du 3 mai 2005 adressé au Conseil de la concurrence, que les bordereaux de prix des entreprises non-retenues ainsi que les décompositions de prix du titulaire et d'autres soumissionnaires ne sont pas communiqués par le conseil général à des tiers. Seuls sont communiqués " l'avis d'attribution et la réponse à une entreprise candidate sur la motivation du rejet de l'offre " (cote 124 du rapport).
62. Ensuite, les montants manuscrits relevés sur les documents ne correspondent pas aux montants exacts des offres finalement présentées par les candidats et tous les chiffres sont exprimés hors taxes et arrondis, ce qui tend à indiquer qu'il s'agit de données provisoires dans le cadre d'une étude préalable au dépôt des offres. En effet, si ces données résultaient d'informations reçues après l'attribution des marchés, elles correspondraient sinon aux montants exacts effectivement proposés par les entreprises (surtout pour l'offre à laquelle Bec Construction a participé) du moins à des arrondis correspondant à ces offres finales. Or, si l'on calcule ces arrondis à partir des offres finales réelles TTC, on aboutit à un chiffre de 32,7 millions HT au lieu de 33,6 pour l'offre Bec Construction et Dumez Sud, comme porté dans le tableau ci-dessus, et de 33,9 millions HT au lieu de 34,1 pour l'offre Cuynat. Seul l'arrondi concernant Auxial Construction serait inchangé compte tenu de la faiblesse de l'écart entre l'offre portée sur le document examiné et l'offre réelle.
63. A cet égard, l'argument de Dumez Sud selon lequel si les indications sur les montants des offres " devaient provenir d'un échange d'informations avec des concurrents, cela impliquerait que les informations (...) figurant sur ledit document correspondent réellement au montant de l'offre des concurrents " n'est pas convaincant. Des montants exacts pourraient sans doute faire hésiter entre une élaboration antérieure ou postérieure au résultat de l'appel d'offre, mais des montants seulement approchants, comme en l'espèce, permettent d'écarter la thèse d'informations reçues a posteriori.
64. De plus, les informations en cause sont inscrites, s'agissant du premier document, sur un papier qui a manifestement été élaboré par Bec Construction pour la préparation de son offre lors de la seconde phase de consultation. Il s'agit, en effet, d'un document dont les données imprimées ne correspondent pas non plus à l'offre finalement faite par le groupement Bec Construction et Dumez Sud. Il est d'ailleurs biffé d'une large croix manuscrite et les chiffres indiqués à la main le sont au crayon noir. Un récapitulatif des offres effectivement présentées n'aurait très vraisemblablement pas été porté sur un tel document préparatoire. Dumez Sud indique elle-même, dans ses observations en réponse au rapport, qu'" [i]l s'agit probablement de la finalisation du montant de l'offre, qui est affiné au fur et à mesure de la mise au point des prix et en particulier de celui du gros œuvre ".
65. Enfin, l'information manuscrite concernant l'offre qui sera en définitive déposée par l'entreprise Cuynat est identifiée comme relative à la société Pascal désignée par la lettre " P ", dont l'activité languedocienne a été reprise par Cuynat au cours de l'été. L'emploi de l'" ancien " nom au lieu du nom de l'entreprise qui a effectivement déposé l'offre va encore dans le sens d'une élaboration du document antérieure au dépôt des offres.
66. Le second document, sur lequel sont fondées les indications manuscrites du premier, est donc lui aussi un document antérieur au dépôt des offres et à leur éventuelle publicité. Il comporte, comme indiqué précédemment, divers ajustements et soustractions ou additions faits à la main qui confirment qu'il s'agit d'un document de travail et non d'un document récapitulant des offres déjà soumises.
67. Ces deux documents témoignent de la connaissance qu'avait Bec Construction de l'état de la concurrence sur le marché de Montarnaud, connaissance d'ailleurs approfondie, puisque lui étaient connus, non seulement le prix approximatif des offres globales d'Auxial Construction et de Cuynat (alias Pascal), mais aussi leurs prix pour les travaux de gros œuvre, lesquels étaient en l'espèce très proches de ceux envisagés par Bec Construction. De fait, l'estimation de ce dernier est inférieure de seulement 1,75 % et 2,97 % à celles, respectivement, d'Auxial Construction et de Cuynat. La finalisation de l'offre de Bec Construction et Dumez Sud a dépendu vraisemblablement de ces informations.
68. Eiffage Construction soutient que la connaissance par Bec Construction des offres de ses concurrents sur le marché de Montarnaud a sans doute pour origine l'un des " nombreux intervenants dans la sphère de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre ", ce type d'informations circulant, d'après elle, rapidement sans faire l'objet d'une recherche particulière.
69. Cependant, outre le fait que cette thèse n'est soutenue par aucun autre élément figurant au dossier, elle n'est pas vraisemblable car on voit mal les différents candidats donner des informations au maître d'ouvrage ou au maître d'œuvre sur des chiffrages provisoires (tel aurait été le cas en l'espèce), sauf à ce que ces derniers organisent eux-mêmes l'entente anticoncurrentielle, ce qui n'est en l'occurrence pas allégué et ne changerait rien du point de vue de la responsabilité des soumissionnaires du fait de leur participation à celle-ci.
70. Il ressort donc de l'ensemble de ces éléments que les entreprises Bec Construction, Auxial Construction et Cuynat se sont concertées entre elles préalablement à l'attribution du marché de Montarnaud : un faisceau d'indices graves, précis et concordants établit en effet qu'elles ont échangé des informations sur le montant de leurs offres, globales et relatives au gros œuvre, entre la première et la seconde phase de consultation pour le marché de construction du collège de Montarnaud, permettant l'attribution de ce marché au groupement constitué par Dumez Sud et Bec Construction.
71. S'il en était besoin, différents éléments relevés au titre de l'examen de l'ensemble des trois marchés confirment le comportement anticoncurrentiel sur ce marché révélé par les documents saisis. En particulier, au premier tour, l'offre du groupement finalement gagnant, Dumez Sud et Bec Construction, était à + 13,73 % de l'évaluation administrative et celle de son unique compétiteur à ce stade, Auxial Construction, à + 18,42 %. Au second tour, si le groupement gagnant est descendu à + 8,74 %, l'offre d'Auxial Construction s'est établie à + 12,9 % et celle de Cuynat, entré en lice pour ce second tour, à + 12,5 %.
72. Ces niveaux élevés, en particulier pour les " non-gagnants ", qui ont notamment conduit à déclarer le premier tour infructueux, sont cohérents avec la situation d'entente entre les compétiteurs pour laisser le marché à l'un d'eux. Les explications fournies à cet égard ne sont en effet guère convaincantes.
73. Les parties exposent que les écarts constatés entre les prix des soumissions et les estimations retenues par le maître d'ouvrage s'expliquent par la sous-estimation, par ce dernier, du coût réel des travaux projetés. La société Dumez Sud soutient que cette sous-estimation est " quasi-systématique ", les architectes effectuant ces estimations à l'occasion de leur candidature comme maître d'œuvre ayant " comme préoccupation évidente de présenter un projet ayant le plus de chances d'être retenu, étant observé que le coût de réalisation du projet constitue un facteur majeur dans l'attribution du marché ". Dumez Sud souligne que de plus, en l'espèce, le maître d'ouvrage délégué a indiqué : " il est à préciser que cette estimation ne tient pas compte de la révision des prix sur la durée du chantier alors que les offres des entreprises sont fermes. Les pourcentages d'écart des offres par rapport à l'estimation architecte n'ont donc pas de réelle signification en l'état. ".
74. Cependant, le Conseil constate en premier lieu, au vu des réponses apportées par la préfecture de l'Hérault à la demande de renseignements de la rappporteure, qu'une sous-évaluation des estimations administratives est loin d'être systématique. Ainsi, pour les marchés de construction des collèges de Jacou, de la rue Jussieu à Béziers et de Marseillan, faisant partie de la même campagne de construction d'établissements scolaires de 600 places par le département, les offres finalement retenues ont été très proches des évaluations administratives, voire même inférieures à celles-ci. Sur le marché de Jacou, conclu le 5 octobre 1999 avec Sogea Sud, l'offre de cette entreprise n'était supérieure à l'estimation administrative que de 1,32 %. Sur le " macrolot " incluant le gros œuvre du marché de la rue Jussieu, conclu le 22 juillet 2002, l'offre retenue de Eiffage Construction était inférieure de 8,56 % par rapport à l'estimation administrative. De même, sur le " macrolot " incluant le gros œuvre du marché de Marseillan, conclu le 28 juillet 2003, l'offre retenue de Dumez Sud était inférieure de 2,97 % par rapport à l'estimation administrative.
75. En second lieu, même si le maître d'ouvrage délégué a pu en l'espèce estimer, à l'occasion de l'analyse des offres du second tour en septembre 2000, que l'écart entre l'évaluation administrative et les offres ne signifiait rien " en l'état ", compte tenu du caractère ferme des offres et de la durée du chantier, ce qui est d'ailleurs une explication bien différente de la première explication de Dumez Sud, il y a lieu de noter que le chantier ne devait durer qu'un an (premières offres en juillet 2000, attribution du marché en septembre 2000, livraison en septembre 2001) et que Dumez Sud n'a pas montré que pendant cette période, l'inflation générale ou l'évolution de l'indice du coût de la construction constatées ou attendues pouvaient justifier des majorations de près de 9 % à près de 19 %. En outre, le Conseil de la concurrence dispose à ce jour des éléments d'appréciation que constituent les documents saisis chez Bec Construction, ce dont ne disposait pas le maître d'ouvrage délégué.
76. En ce qui concerne le niveau relativement élevé des offres, Dumez Sud et Sogea Sud soutiennent qu'elles étaient dans l'obligation de tenir compte, outre l'inflation prévisible, de coûts supplémentaires dus à la simultanéité des trois marchés en cause dans la présente affaire qui les obligeait à intégrer dans leurs prix la location du matériel et l'emploi d'une main-d'œuvre intérimaire dans l'hypothèse où elles auraient été retenues pour les trois marchés.
77. Ces arguments sont, cependant, affaiblis par le fait que les entreprises mises en cause ont très largement recouru aux groupements pour leurs candidatures, moyen qui permet, précisément, de se porter candidat pour certains chantiers qu'on ne pourrait pas effectuer seul, et ce en limitant le recours à des ressources externes puisque les moyens complémentaires sont pour l'essentiel fournis par l'entreprise partenaire.
78. En outre, Dumez Sud et Sogea Sud ont souligné qu'elles avaient soumissionné pour de nombreux autres marchés publics et privés durant la même période. La situation de se porter candidat pour des chantiers simultanés est donc courante pour de telles entreprises et on peut estimer que sauf à ce qu'elles ne soient jamais compétitives ou refusent un dimensionnement à la hauteur de leur activité courante, ce qui serait irrationnel, cette situation ne justifie pas les surcoûts allégués.
79. Les explications non convaincantes données par les entreprises sur les aspects abordés ci-dessus ne permettent donc pas d'écarter les éléments liés au niveau des offres qui confirment la preuve, fournie par les documents saisis, de l'entente anticoncurrentielle entre Bec Construction, Auxial et Cuynat pour l'attribution au profit du groupement Dumez Sud et Bec Construction du marché du collège de Montarnaud, Auxial Construction et Cuynat ayant dans ces conditions déposé des offres de couverture. S'agissant de Dumez Sud, bien qu'elle ait profité de cette entente en tant que membre du groupement ayant remporté le marché, la preuve n'est pas rapportée qu'elle y a elle-même participé et elle ne saurait donc être incriminée à cet égard (voir en ce sens l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 9 novembre 2004, SA SEE Camille Bayol e. a.). Il y a donc lieu de constater que Bec Construction, Auxial Construction et Cuynat ont enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. SUR LES MARCHES DE FRONTIGNAN-LA-PEYRADE ET DE VENDRES ET SUR L'EVENTUELLE CONCERTATION POUR LA REPARTITION DES TROIS MARCHES
80. En ce qui concerne les griefs notifiés relatifs à une entente anticoncurrentielle pour l'attribution des marchés des collèges de Frontignan-la-Peyrade et de Vendres et ceux relatifs à une entente anticoncurrentielle plus générale de répartition des trois marchés publics concernés par la présente affaire, le Conseil considère qu'il ne ressort pas du dossier et des débats qui ont eu lieu à l'occasion de la séance l'existence de preuves ou d'indices suffisants pour démontrer de telles infractions à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
81. Il n'est donc pas établi que Bec Construction, Auxial Construction, Dumez Sud, Sogea Sud et Travaux du Midi aient enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce à cet égard.
C. SUR LES SUITES A DONNER
1. LE CAS DE CUYNAT
82. Par lettre du 25 février 2005, le directeur général de la " Société nouvelle Cuynat Construction " a informé le Conseil que la SA Cuynat a fait l'objet d'un plan de cession dans le cadre d'un redressement judiciaire arrêté par jugement du Tribunal de commerce de Grenoble le 31 janvier 2003. Par ce jugement, une partie des actifs de la SA Cuynat a été cédée à la SAS EI-GCC. Aux termes de cette cession, a été créée, par la société SAS EI-GCC, la " Société Nouvelle Cuynat Constructions " au capital de 500 000 euro. A ce jour, la SA Cuynat existe toujours pour les besoins de la procédure collective, ainsi que le commissaire à l'exécution du plan de cession désigné par le tribunal de commerce a pu le confirmer au Conseil.
83. Compte tenu de ces éléments et de la pratique constante du Conseil en matière de cession d'actifs, l'infraction commise par la SA Cuynat lui reste imputable et ne peut être imputée à la Société Nouvelle Cuynat Construction.
2. LE CAS DE BEC CONSTRUCTION
84. L'infraction constatée à l'égard de Bec Construction a été le fait de la SA Bec Construction. Le Tribunal de commerce de Montpellier a prononcé, par jugement du 7 janvier 2002, le redressement judiciaire de la SA Bec Construction. La cession totale de l'entreprise a ensuite été ordonnée, par jugement du 8 mars 2002, au profit de la société Fayat-Genest. Comme le précise le mémoire présenté au nom de Bec Construction Languedoc Roussillon, " aux termes de l'acte de cession de créances, la société Bec Construction Languedoc Roussillon (ou Bec Construction L.R.), constituée le 19 avril 2002, est intervenue comme cessionnaire de tous les actifs de l'agence de Montpellier de la SA Bec Construction. A ce jour, la SA Bec Constructions existe toujours (...) ". La SA Bec Construction est, à ce jour, encore inscrite au registre du commerce pour les besoins de l'achèvement du plan de cession.
85. Dans ces conditions, l'infraction commise par la SA Bec Construction lui reste imputable.
3. LE CAS D'AUXIAL CONSTRUCTION
86. La société Auxial Construction a fait l'objet d'une absorption, le 9 avril 2001, par la société Eiffage Construction Languedoc, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de l'audition du directeur régional de cette entreprise (rapport, cotes n° 113 et 114).
87. Lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise, ayant commis des pratiques anticoncurrentielles, a juridiquement disparu parce qu'elle a été absorbée par une autre personne morale, ces pratiques sont imputées à cette dernière (voir, par exemple, la décision du Conseil n° 01-D-59 du 25 septembre 2001 relative à des pratiques relevées lors de marchés de travaux routiers dans le département du Gard).
88. Eiffage Construction Languedoc conteste une telle imputation en se fondant sur le principe de la personnalité de la responsabilité pénale et de la personnalité des peines.
89. Cependant, dans un arrêt du 27 novembre 2001, concernant la décision n° 00-D-28 du Conseil relative à la situation de la concurrence dans le crédit immobilier, la Cour d'appel de Paris a jugé que l'imputation de la responsabilité de pratiques anticoncurrentielles, en cas de disparition de la personne morale responsable de l'entreprise en cause, à la personne morale à laquelle ladite entreprise a été juridiquement transmise et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui en assure la continuité économique et fonctionnelle, ne viole pas le principe fondamental de personnalité des peines, dans la mesure où l'article L. 464-2 du Code de commerce énonce que les peines sont applicables aux " entreprises " auteurs de pratiques. La Cour de cassation a confirmé ce point dans l'arrêt du 23 juin 2004, rendu sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel.
90. L'infraction commise par Auxial Construction doit ainsi être imputée à Eiffage Construction Languedoc.
D. SUR LES SANCTIONS
91. Les pratiques constatées de SA Bec Construction, Auxial Construction et SA Cuynat dans la présente affaire ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu du principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus rigoureuses que celles antérieurement en vigueur, ne sont pas applicables à ces infractions.
92. Aux termes de l'article L. 464-2-II du Code de commerce dans sa rédaction applicable à l'espèce : "Le Conseil de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire (...). Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos".
1. SUR LA GRAVITÉ DES FAITS
93. Les pratiques d'ententes entre les soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics sont particulièrement graves par nature puisque seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. Dans un arrêt du 24 mars 1998 (Sade), la Cour de cassation l'a rappelé dans les termes suivants : " la tromperie de l'acheteur public érigée en système perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique".
2. SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
94. Le dommage causé à l'économie est distinct du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (voir notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot). Dans un arrêt du 12 décembre 2000 (Sogea Sud Est), la Cour d'appel de Paris a précisé que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu ".
95. En l'espèce, le dommage à l'économie doit être apprécié, notamment, au regard du montant du marché attribué, soit 39,13 millions de F (près de 6 millions d'euro) qui a été supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence mais aussi au regard de la malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportements peut susciter pour d'autres marchés publics.
3. SUR LE PRONONCE DES SANCTIONS
96. La société Auxial Construction a pris part à la concertation avec les autres candidats qui ont soumissionné sur le marché de construction du collège de Montarnaud et a déposé dans ce cadre une offre de couverture au profit d'un autre candidat, pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de cette consultation en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce. Cette société ayant été absorbée par la société Eiffage Construction Languedoc, il appartient à cette dernière de répondre des pratiques d'Auxial Construction. Le chiffre d'affaires pour la France d'Eiffage Construction Languedoc en 2004 (dernier exercice clos disponible) s'est élevé à 49 724 794 euro. En fonction des éléments généraux et individuels exposés, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire d'un montant de 600 000 .
97. La SA Bec Construction a participé à un échange d'informations sur les prix ayant permis l'attribution, à son profit en groupement, du marché de Montarnaud, pratique ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de cette consultation, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 précité. Cette société n'a toutefois réalisé aucun chiffre d'affaires en 2004 dans le cadre de son plan de cession toujours en cours et il n'y a pas lieu de lui infliger de sanction pécuniaire.
98. La SA Cuynat a participé à un échange d'informations sur les prix avec les autres candidats qui ont soumissionné pour le marché de construction du collège de Montarnaud, permettant ainsi l'attribution de ce marché à un autre candidat, pratiques ayant eu pour effet de fausser le jeu de la concurrence lors de cette consultation, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 précité. Cette société n'a toutefois réalisé aucun chiffre d'affaires en 2004 dans le cadre de son plan de cession toujours en cours et il n'y a pas lieu de lui infliger une sanction pécuniaire.
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés SA Bec Construction, SA Cuynat, et Eiffage Construction Languedoc ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce dans le cadre de l'attribution du marché de construction du collège de Montarnaud dans le département de l'Hérault.
Article 2 : Il n'est pas établi que les sociétés Dumez Sud, Travaux du Midi et Sogea Sud aient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire aux sociétés SA Bec Construction et SA Cuynat.
Article 4 : Une sanction de 600 000 euro est infligée à la société Eiffage Construction Languedoc.