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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 11 avril 1995, n° 640-94

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laureau, CDAFAL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Castagnède

Conseillers :

Mme Robert, M. Esperben

Avocats :

Mes Grimaud, Perret

TGI Bergerac, du 1er févr. 1994

1 février 1994

Faits : Par actes en date du 7 février 1994 reçus au secrétariat-greffe du Tribunal de grande instance de Bergerac, le prévenu et le Ministère public ont relevé appel d'un jugement contradictoirement rendu par ledit tribunal le 1er février 1994 à l'encontre de X poursuivi comme prévenu :

1°) d'avoir à Bergerac (24), Condat S/Vezere, Prigonrieux, Trelissac, les 15.9.92, 13.9.92, 14.9.92, 16.9.92, vendu des marchandises neuves sous forme de vente forcée au déballage sans autorisation spéciale du maire ;

2°) d'avoir à Bergerac (24), les 15.09.92, 13.09.1992, 14.09.1992, 16.09.1992, abusé de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui faire souscrire, par le moyen de visite à domicile des engagements au comptant ou au crédit, sous quelque forme que ce soit, à la suite d'une sollicitation personnalisée, sans que cette sollicitation soit nécessaire nominative à se rendre sur un lieu de vente, soit à l'occasion de réunions ou d'excursions organisées par l'auteur de l'infraction ou à son profit et ce, alors que les circonstances montrent que ces personnes n'étaient pas en mesure d'apprécier la portée des engagements qu'elles prenaient ou de déceler les ruses ou artifices déployés pour les convaincre d'y souscrire.

3°) d'avoir à Bergerac (24), Condat Sur Vezere, Prigonrieux, Trelissac (24), les 15.09.1992, 13.09.1992, 14.09.1992, 16.09.1992, effectué une publicité comportant des allégations indications ou présentations fausses de nature à induire en erreur par l'annonce d'une exposition alors qu'il s'agissait d'une vente.

4°) d'avoir à Bergerac, Condat Sur Vezere, Prigonrieux, Trelissac les 13.09.1992, 14.09.1992, 15.09.1992, 16.09.1992, contrevenu aux dispositions de la loi 72.1137 du 22.12.1972 sur le démarchage à domicile, à l'organisation des réunions par les commerçants en exigeant ou obtenant des clients avant l'expiration du délai de rétractation, directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, une contrepartie quelconque ou un engagement.

5°) d'avoir à Bergerac (24), le 15.09.1992, trompé Monsieur Bournizel, contractant, sur la nature de l'opération de vente envisagée dans ses locaux.

Faits prévus et réprimés par les articles 1 et suivants de la loi du 30.12.1906, décret d'application 62.1463 du 26.11.1962 art.7 de la loi 72-1137 du 22.12.1972, loi 92-60 du 18.01.1992, art.44-1 de la loi 73-1193 du 27.12.1973, art.1 d de la loi du 1er août 1905, loi 78-22 du 10.01.1978, L.121-1 ,L.121-6, L.121-23, L.121-24, L.l21-25, L.12l-26, L.121-33, L.213-1, L.122-8 du Code de la consommation.

Le tribunal l'a déclaré coupable des faits qui lui sont reprochés et en répression l'a condamné à la peine d'amende de 50 000 F (cinquante mille francs) ;

A ordonné aux frais du condamné la publication par extrait de la présente décision dans les journaux suivants : Sud Ouest Dordogne, L'Echo de la Dordogne, Le Populaire du Centre ; A dit que le coût de ces publications ne devra pas dépasser la somme de 2 000 F (deux mille francs) par insertion ;

Sur l'action civile

A reçu le CDAFAL en sa constitution de partie civile ;

A déclaré M. X responsable du préjudice subi par le CDAFAL ;

A condamné M. X à payer au CDAFAL la somme de 3 000 F (trois mille francs) à titre de dommages-intérêts et au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale la somme de 1 000 F (mille francs) ;

A reçu Mme Danielle Laureau en sa constitution de partie civile ;

A déclaré Monsieur X responsable de son préjudice ;

A condamné Monsieur X à lui verser la somme de mille francs (1 000 F) à titre de dommages et intérêts ;

A condamné Monsieur X aux dépens de l'action civile.

Sur ces appels et selon citations de Monsieur le Procureur Général, l'affaire a été appelée à l'audience du 7 Mars 1995 la Cour étant composée de Monsieur Castagnède, Président, Monsieur Esperben et Madame Robert, Conseillers ;

Le prévenu a comparu et son identité a été constatée ;

Monsieur Esperben, Conseiller, a fait le rapport oral de l'affaire ;

Le prévenu a été interrogé ;

Laureau Danielle n'a pas comparu ;

Maître Perret, avocat, a présenté les observations du CDAFAL partie civile ; Monsieur le Substitut de Monsieur le Procureur Général a été entendu en ses réquisitions ;

Maître Grimaud, avocat, a présenté les moyens d'appel et de défense du prévenu;

Le prévenu a de nouveau été entendu et a eu la parole le dernier.

Sur quoi,LA COUR a mis l'affaire en délibéré pour rendre son arrêt à l'audience du 11 avril 1995 ;

Et, à l'audience de ce jour, Monsieur le Président a donné lecture de la décision suivante

Attendu que les appels interjetés le 07 février 1994 par le prévenu, Mario X, tant sur les dispositions pénales que civiles du jugement précité, et par le Ministère public, sont recevables pour l'avoir été dans les formes et délai de la loi.

Attendu que Mario X a comparu, assisté de son conseil a déposé des conclusions qui ont été développées à la Cour pour solliciter sa relaxe et le débouté des constitutions de partie civile de Danièle Laureau et du CDAFAL.

Attendu que le CDAFAL, partie civile intimée qui était représenté par son conseil a sollicité la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait déclaré Mario X coupable des infractions qui lui sont reprochées et sa réformation sur l'évaluation de son préjudice afin qu'il soit fixé à 5 000 F ; qu'il a également demandé à la Cour de condamner le prévenu à lui verser, outre la somme de 1 000 F qui lui avait été allouée en première instance, celle de 3 000 F, en application des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénal.

Attendu que Danièle Laureau, partie civile intimée, bien que régulièrement citée le 27 janvier 1995 à sa personne, n'a pas comparu, ni personne pour elle.

Attendu que le Ministère Public a requis la confirmation du jugement déféré.

Sur l'action publique

Attendu qu'il résulte des pièces de la procédure et des débats que le 15 septembre 1992, plusieurs personnes habitant Bergerac qui avaient été démarchées par téléphone puis invitées, par lettre nominative à assister a une " présentation de produits artisanaux du Limousin comme la porcelaine de Limoges" qui leur était "exclusivement réservée" et "sans obligation d'achat", se rendaient à cette réunion, fixée à 17h30, dans une salle de l'hôtel "La Flambée", à Bergerac ; que le responsable de cet établissement, Jean-Louis Bournizel, devait d'ailleurs reconnaître plus tard que les organisateurs de la réunion, à savoir des vendeurs de la SARL "De Saint Eloi" dont Mario X est le gérant, avaient effectué cette location en lui indiquant qu'elle servirait à une "exposition avec animation de porcelaine de Limoges", sans évoquer avec lui d'éventuelles ventes ; qu'après qu'aient été distribués à l'assistance des objets de peu de valeur, l'animateur a invité les personnes présentes intéressées par l'achat des pièces de porcelaine exposées à se faire connaître et à lui remettre un chèque de 4 800 F qu'il promettait de leur restituer, pour simple preuve de leur confiance ; que l'une d'entre elles s'était exécutée, il lui a aussitôt donne "en cadeau" une ménagère composée de 72 pièces ; que s'adressant ensuite aux autres personnes intéressées par l'achat, il a distribué à quatre d'entre elles une enveloppe numérotée en les invitant à y déposer une somme d'argent à titre d'acompte, puis ayant pris l'une de ces enveloppes au hasard et ayant vérifié qu'elle renfermait de l'argent, il a remis à chacune de ces quatre personnes, "en cadeau", une valise renfermant une ménagère de 72 pièces, en insistant sur la gratuité de cette remise ; qu'ayant fait sortir sans ménagement les autres personnes, ne permettant de rester qu'aux quatre "gagnants", c' est avec beaucoup d'insistance, aidé en cela par d'autres vendeurs, qu'il leur a demandé un versement d'argent, à valoir sur l'achat du service exposé qui à l'en croire, était d'une valeur de 12.800 Francs ; que n'ayant essuyé que des refus de leur part, il leur a alors arraché des mains la "valise-cadeau", tout en les insultant. Attendu qu'il s'est avéré que la Société "De Saint Eloi" avait eu recours a ce procédé de vente lors de trois autres réunions, organisées les 13 septembre 1992 à Condat Sur Vezere (24), le 14 septembre 1992 à Prigonrieux (24) et le 16 septembre 1992 à Trelissac (24), sans que les maires de ces trois communes, comme d'ailleurs celui de Bergerac, les aient autorisées ; que l'enquête a par ailleurs permis d'établir qu'en cas de vente sur les lieux de la soi-disant exposition, l'acheteur qui dans la majorité des cas versait un acompte de 4 800 F, se voyait remettre un "bon de commande" dépourvu de toute mention sur la faculté de renonciation.

Attendu que c'est par une exacte appréciation des éléments qui viennent ainsi d'être rappelés que le tribunal, en des motifs que la Cour adopte, a retenu Mario X dans les liens de la prévention et l'a déclaré coupable des cinq délits qui lui sont reprochés ; qu'il suffit seulement de souligner, les premiers juges ayant déjà répondu aux arguments développés par le prévenu dans les conclusions qu'il a déposées devant la Cour, que :

1°) Sur le délit de "ventes au déballage sans autorisation du Maire"

- ces ventes devaient être autorisées par les maires des communes de Bergerac, Condat Sur Vezere, Trelissac et Prigonrieux, car elles portent sur des marchandises neuves, se sont tenues dans des hôtels, c'est à dire des locaux non habituellement destinés à ce type de commerce, présentent un caractère exceptionnel (pour preuve les termes utilisés dans les lettres d'invitation qui mettent l'accent sur le caractère unique de la manifestation et la sélection des personnes devant y assister), et ont été précédées et accompagnées de publicités, en l'occurrence les opérations de démarchage téléphonique et les envois de lettres nominatives.

2°) Sur le délit d'"abus de faiblesse ou d'ignorance"

La méthode de vente employée à l'occasion des ces quatre réunions tombe effectivement sous le coup de la loi (article 7 de la loi n° 72-1137 du 22 décembre 1972 car elle vise en effet, dans un premier temps, après avoir démarché le consommateur à domicile en lui téléphonant puis en lui envoyant une lettre nominative, à le persuader qu'il est invité à une exposition de produits artisanaux où lui seront remis de menus "cadeaux", puis à l'entretenir dans cette croyance pendant la plus grande partie de la réunion en accentuant chez lui le sentiment d'avoir été sélectionné parmi de nombreuses personnes et de bénéficier d'une sorte de privilège exceptionnel, se manifestant en l'espèce par la remise d' un "cadeau" de grande valeur (valise renfermant une ménagère composée de 72 pièces de porcelaine), et dans un deuxième temps à rompre brutalement cette illusion pour le mettre en demeure d'effectuer un achat d' un prix élevé auquel il n'était pas préparé et auquel, sans cette mise en scène, il n'aurait pas consenti, prisonnier qu'il est à ce moment là de la relation de "confiance" que le vendeur s'est évertué à créer artificiellement et du sentiment de honte qu'il y a à décliner cette proposition.

Attendu qu'en considération du caractère particulièrement malicieux de ces pratiques, érigées par lui en véritable méthode de vente, et des importants profits qu'il en a retiré, les peines qui ont été infligées à Mario X par le Tribunal n'apparaissent pas excessives mais constituent au contraire une sanction adaptée aux circonstances de la cause et méritent, à ce titre, d'être confirmées.

Sur l'action civile

Attendu que le jugement déféré sera confirmé en toutes ses dispositions civiles, le Tribunal ayant à bon droit accueilli en leurs constitutions de partie civile, Danièle Laureau et le Conseil Départementale des Associations Familiales Laïques (CDAFAL), tous deux pouvant se prévaloir d'un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'une ou plusieurs des infractions dont Mario X a été déclaré coupable, et fait, compte tenu des justifications et éléments d'appréciation produits aux débats, une exacte évaluation de leur préjudice, ainsi que des frais de procédure du CDAFAL ; qu'il sera alloué en outre au CDAFAL qui, n'ayant pas interjeté appel du jugement déféré, ne saurait valablement critiquer les dispositions civiles du jugement déféré, une somme de 3 000 F pour compenser les frais irrépétibles qu'il a exposés en cause d'appel et qu'il serait inéquitable de lui laisser supporter.

Par ces motifs, LA COUR après en avoir délibéré hors la présence du Ministère public et du Greffier, statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu et du CDAFAL et par arrêt de défaut à l'égard de Laureau Danielle - Reçoit les appels, réguliers en la forme. - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, tant pénales que civiles. - Y ajoutant, condamne Mario X à verser au CDAFAL une somme de(3 000 F) trois mille francs en vertu des dispositions de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. Dit que la contrainte par corps s'appliquera dans les conditions prévues aux articles 749 et 750 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 800 F dont est redevable chaque condamné en application de l'article 1018 A du CGI ; Condamne le prévenu aux dépens purement civils.