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Décisions

CAA Paris, 3e ch. A, 14 décembre 2005, n° 02PA02046

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Person, Régie Autonome des Transports Parisiens (Sté)

Défendeur :

Assistance Publique Hôpitaux de Paris, Établissement français du sang

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cartal

Rapporteur :

M. Jarrige

Avocats :

Mes Bidal, Boyer, Audoux

CAA Paris n° 02PA02046

14 décembre 2005

Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2002, présentée pour M. Jean-Yves Person demeurant <adresse> et la Régie Autonome des Transports Parisiens, dont le siège est sis 54 quai de la Râpée à Paris (75012), par Me Bidal ; M. Person et la Régie Autonome des Transports Parisiens demandent à la cour : 1°) d'annuler le jugement n° 9920908 du 9 avril 2002 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris et de l'Établissement français du sang à leur verser les sommes respectives de 1 075 000 F et 161 985,56 F en réparation des conséquences dommageables de la contamination de M. Person par le virus de l'hépatite C; 2°) de condamner l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris et l'Établissement français du sang à leur verser à ce titre les sommes respectives de 163 882, 70 euro et 24 694,54 euro ; 3°) de condamner l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris et l'Établissement français du sang aux entiers dépens, dont les frais d'expertise ; 4°) de condamner l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris et l'Établissement français du sang à verser à chacun d'entre eux la somme de 2 000 euro au titre du remboursement de ses frais irrépétibles ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le Code de la santé publique ; Vu le Code civil ; Vu la loi n° 98-535 du 18 juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de ta sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et, notamment, son article 18 ; Vu la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 et, notamment, son article 60 ; Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et, notamment, son article 102 ; Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 relative aux établissements nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion et, notamment, son article 15 ; Vu le Code de justice administrative ; Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ; Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 novembre 2005 : - le rapport de M. Jarrige, rapporteur, - les observations de Me Boyer pour M. Person et la Régie Autonome des Transports Parisiens, et celles de Me Audoux pour l'Etablissement français du sang, - et les conclusions de Mme Folscheid, Commissaire du Gouvernement ; Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Etablissement français du sang aux demandes indemnitaires de la Régie Autonome des Transports Parisiens ;

Considérant qu'en vertu de la loi du 21 janvier 1952, modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que le préjudice résultant pour un malade de sa contamination par des produits sanguins transfusés est imputable à la personne morale publique ou privée dont relève le centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits utilisés ;

Considérant que le droit à réparation des dommages causés par une transfusion sanguine s'ouvre à la date à laquelle cette transfusion est réalisée et que c'est à cette même date que s'apprécie la compétence juridictionnelle pour trancher un litige ayant trait à la réparation des dommages causés à la victime par une telle transfusion ; que la compétence juridictionnelle ainsi fixée ne peut être modifiée par la circonstance que, postérieurement à la date du fait générateur des dommages, la responsabilité de la réparation de ceux-ci est transférée à une autre personne ;

Considérant qu'aux termes de l'article 15 de l'ordonnance du 1er septembre 2005 susvisée : " Les demandes tendant à l'indemnisation des dommages résultant (de la fourniture de produits sanguins labiles ou de médicaments dérivés du sang élaborés par les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 14 de la présente ordonnance ou par des organismes dont les droits et obligations ont été transférés à l'Etablissement français du sang en vertu d'une convention conclue en application de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 visée ci-dessus ou dans les conditions fixées au I de l'article 60 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000 visée ci-dessus relèvent de la compétence des juridictions administratives quelle que soit la date à laquelle est intervenu le fait générateur des dommages dont il est demandé réparation. Les juridictions judiciaires saisies antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente ordonnance de demandes pour lesquelles elles étaient compétentes le demeurent après cette entrée en vigueur " ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Person a subi au mois de janvier 1981 plusieurs extractions dentaires provoquant des saignements anormaux ; qu'ayant été adressé le même mois au service d'hématologie biologique de l'Hôtel Dieu de Paris, le diagnostic d'hémophilie IX a été porté et l'intéressé a fait alors l'objet, entre les 29 janvier et 2 février 1981, d'injections de produits sanguins dénommés PPSB ; que des produits identiques lui ont été administrés les 3, 4 et 5 février 1982 dans le cadre d'une méniscectomie sous arthroscopie effectuée à la clinique du Marais ; que sa contamination par le virus de l'hépatite C a été mise en évidence le 12 mars 1991 ;

Considérant qu'il ressort du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris et qu'il n'est pas contesté que les produits sanguins qui ont été ainsi administrés à M. Person ont été élaborés par le centre national de transfusion sanguine ; qu'ainsi, le préjudice qui résulterait pour lui de sa contamination par ces produits sanguins n'est en tout état de cause pas imputable à l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris dont le centre de transfusion s'est borné à mettre à disposition lesdits produits ; que les dispositions de l'article 1386-7 du Code civil issues de la n° 98-389 du 19 mai 1998 rendant tout fournisseur professionnel responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur qui n'étaient pas applicables aux transfusions litigieuses faute d'être entrées en vigueur à la date de celles-ci, ont été jugées incompatibles avec les objectifs de la directive n° 85-374-CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, par un arrêt du 25 avril 2002 de la Cour de justice des Communautés européennes; que les dispositions de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée, qui ont trait à la charge de la preuve en matière de contamination par le virus de l'hépatite C, n'ont ni pour objet ni pour effet de permettre que soit recherchée la responsabilité de la personne morale publique ou privée dont relève l'établissement de soins qui s'est borné à administrer la transfusion de produits sanguins contaminés ; que, par suite, l'Assistance publique Hôpitaux de Paris et l'Etablissement français du sang, en tant que les droits et obligations liés aux activités de transfusion sanguine de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris lui ont été transférés en application des dispositions combinées de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998 susvisée et de la convention conclue entre ces deux établissements publics à cette fin le 29 décembre 1999, ne peuvent être tenus pour responsables des conséquences dommageables de la contamination de M. Person parle virus de l'hépatite C;

Considérant que les transfusions litigieuses sont intervenues avant le 1er janvier 2000 ; qu'ainsi, nonobstant le transfert des droits et obligations de la Fondation nationale de la transfusion sanguine, personne de droit privé, à l'Etablissement français du sang, personne de droit public, en application des dispositions de l'article 60 de la loi du 30 décembre 2000 susvisée, seules les juridictions judiciaires étaient compétentes pour connaître d'une action en responsabilité dirigée contre cette personne publique du chef de cette contamination avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er septembre 2005 sus visée; que, saisi par M. Person le 12 août 2003, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris a, par une ordonnance en date du 24 octobre suivant, jugé que la créance de l'intéressé vis-à-vis de l'Etablissement français du sang, venant aux droits de la Fondation nationale de la transfusion sanguine, n'était pas sérieusement contestable et condamné l'Etablissement français du sang à lui verser une indemnité provisionnelle de 30 000 euro; qu'ainsi, les juridictions judiciaires doivent être regardées comme ayant été compétemment saisies d'une demande d'indemnisation antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 1er septembre 2005 au sens des dispositions sus-rappelées de l'article 15 de ladite ordonnance nonobstant les circonstances que cette saisine soit intervenue après la décision prise en premier ressort par une juridiction administrative et que la Régie Autonome des Transports Parisiens, qui n'est que subrogée dans certains droits de M. Person, ne se soit pas associée à cette action ; que, dès lors, la responsabilité de l'Etablissement français du sang ne peut être recherchée du chef des transfusions litigieuses devant la juridiction administrative en tant qu'il vient aux droits et obligations de la Fondation nationale de la transfusion sanguine ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise complémentaire, que M. Person et la Régie Autonome des Transports Parisiens ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Assistance Publique Hôpitaux de Paris et de l'Etablissement français du sang à la réparation des conséquences dommageables de la contamination de M. Person par le virus de l'hépatite C ;

Considérant qu'il y a lieu de laisser les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 8 000 F par une ordonnance en date du 14 mars 2001 du président du Tribunal administratif de Paris à la charge de M. Person ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-I du Code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761 du Code de justice administrative " dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés ct non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".

Considérant qu'en vertu de ces dispositions la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. Person et la Régie Autonome des transports parisiens doivent, dès lors, être rejetées : qu'il n'y a par ailleurs pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de l'Etablissement français du sang tendant à la condamnation de M. Person au remboursement des frais exposés par lui et non compris dans les dépens;

Considérant qu'en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la Régie Autonome des Transports Parisiens à verser à l'Etablissement français du sang la somme de 1 500 euro au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens;

Décide :

Article 1er : La requête de M. Person et de la Régie Autonome des Transports Parisiens est rejetée.

Article 2 : La Régie Autonome des Transports Parisiens versera à l'Etablissement français du sang la somme de 1 500 euro au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.