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Décisions

CA Douai, 1re ch. sect. 2, 31 janvier 2006, n° 04-00566

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Europe (SA)

Défendeur :

Foir'Fouille (SA), Evoluzione Srl (Sté), Wargon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Gosselin

Conseillers :

Mmes Laplane, Marchand

Avoués :

SCP Masurel-Thery-Laurent, SCP Levasseur-Castille, SCP COCHEME-Kraut, SCP Cartier-Regnier

TGI Béthune, du 16 déc. 2003

16 décembre 2003

La SA Compagnie Europe est spécialisée dans la création et la distribution d'articles de rangement qui sont commercialisés, soit directement sous sa marque "la Boutique du rangement", soit par la grande distribution.

Elle a effectué le 2 novembre 1995 le dépôt à l'INPI de 10 modèles, enregistrés sous le numéro 95 6077, concernant notamment des boîtes de rangement en carton rayée, ce dépôt ayant fait l'objet d'une publication le 8 mars 1996.

Ces boîtes sont commercialisées sous la dénomination "Classique"

La SA Compagnie Europe a ensuite effectué le 29 février 2000 le dépôt de six modèles, enregistrés sous le numéro 001396, concernant notamment des boîtes en carton avec de grosses rayures jaunes, mauves, vertes, bleues et oranges, ce dépôt ayant fait l'objet d'une publication le 23 juin 2000. Ces boîtes sont commercialisées sous la dénomination Tendance.

Alléguant que divers magasins à l'enseigne "Foir'Fouille" proposaient à la vente des boîtes semblables à son modèle "Tendance", à un prix largement inférieur au sien, la SA Compagnie Europe a saisi le président du Tribunal de grande instance de Béthune qui, par ordonnance du 15 septembre 2000, a autorisé la requérante à faire procéder à une saisie-contrefaçon.

Un procès-verbal de saisie-contrefaçon a été dressé le 29 septembre 2000 par Maître Bavière, huissier de justice.

En vertu d'ordonnances rendues respectivement par le président du Tribunal de grande instance de Villefranche-sur-Saône le 25 septembre 2000 et par le président du Tribunal de grande instance de Lyon le 21 septembre 2000, la SA Compagnie Europe a fait procéder à des saisies-contrefaçon dans les locaux de la société Financière Michel Markarian à Saint-Jean d'Ardières et du magasin Limonest Bazar à Limonest.

Deux procès-verbaux de saisie-contrefaçon ont été dressés les 3 octobre 2000.

Par exploit d'huissier des 11, 12 et 13 octobre 2000, la SA Compagnie Europe a fait assigner la SA Foir'Fouille ainsi que la Srl Evoluzione, société de droit italien, fabricant des boîtes litigieuses et l'agent commercial de cette dernière pour la France, Monsieur Daniel Wargon devant le Tribunal de grande instance de Béthune qui, par jugement du 16 décembre 2003, a :

- débouté la SA Compagnie Europe de ses demandes;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;

- condamné la SA Compagnie Europe à verser, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 2 500 euro à la Srl Evoluzione et à Monsieur Daniel Wargon et la somme de 2 500 euro à la SA Foir'Fouille;

- condamné la SA Compagnie Europe aux dépens.

Par déclaration du 26 janvier 2004, la SA Compagnie Europe a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 17 janvier 2005, elle demande à la cour :

Vu les livres I et V du Code de la propriété intellectuelle,

Vu l'article 1382 du Code civil,

- de réformer le jugement déféré;

- de dire que le modèle 001396 est valable;

- de dire que la SA Foir'Fouille, la Srl Evoluzione et Monsieur Daniel Wargon se sont rendus coupables d'actes de contrefaçon des modèles 001396 et 956077;

- de faire interdiction à la SA Foir'Fouille de référencer, importer, commercialiser, directement ou indirectement ou par l'intermédiaire des adhérents de sa centrale d'achats et/ou de ses franchisés les produits contrefaits, et ce à peine d'une astreinte provisoire de 76,22 euro par infraction constatée, étant précisé que chaque lot de boîtes sera considéré comme une infraction distincte

- de faire interdiction à la société de droit italien Evoluzione et à son agent, Monsieur Daniel Wargon, d'introduire sur le territoire français tout article contrefaisant les modèles de boîtes de rangement rectangulaires décorées de larges bandes de couleur, dont le dépôt est enregistré à l'INPI sous le numéro 001396;

- de se réserver la liquidation de l'astreinte;

- d'ordonner la confiscation et la destruction, sous contrôle de la concluante, et aux frais des contrefacteurs de l'ensemble des stocks détenus par ces derniers;

- de condamner la SA Foir'Fouille, Monsieur Daniel Wargon et la Srl Evoluzione à lui payer :

* la somme de 304 900 euro en réparation du préjudice consécutif aux ventes perdues du fait de la contrefaçon et des actes de concurrence déloyale,

* la somme de 76 224 euro au titre du préjudice commercial causé par les pratiques de dumping,

* la somme de 38 112 euro en réparation de la perte des efforts de création et d'investissement et de la désorganisation de l'entreprise et de son réseau de fournisseurs sous-traitants;

- d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq revues professionnelles ou grand public, au choix de la concluante, aux frais des défendeurs, tenus in solidum à concurrence de 6 097 euro par insertion;

- de débouter les intimés de leur demande reconventionnelle;

- de condamner in solidum la SA Foir'Fouille, Monsieur Daniel Wargon et la Srl Evoluzione à lui verser une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- de les condamner in solidum aux dépens, tant de première instance, comprenant le coût des saisies-contrefaçon que d'appel.

Elle fait valoir que le modèle "Classique", commercialisé depuis le 27 janvier 1994, bénéficie d'une double protection, d'une part, en application du livre I du Code de la propriété intellectuelle à compter de sa création et d'autre part, en application du livre V du même Code à compter de son dépôt. Elle conteste l'existence d'antériorités.

Elle expose que le modèle "Tendance" s'il reprend la caractéristique principale du modèle "Classique", à savoir l'alternance des rayures, présente toutefois une évolution en raison de rayures plus larges et d'un choix de couleurs plus étendu.

Elle soutient que la distribution du modèle "Eco", présentée comme une antériorité du modèle "Tendance", n'est pas datée de façon certaine ; qu'en tout état de cause, cette diffusion est postérieure à la création du modèle "Classique" et constitue une contrefaçon de ce dernier; que le modèle "Tendance" bénéficie lui aussi d'une double protection ; que la divulgation faite par son auteur n'empêche nullement le dépôt et que c'est donc à tort que la Srl Evoluzione entend faire une application rétroactive de l'ordonnance du 25 juillet 2001.

La SA Compagnie Europe allègue qu'il résulte des opérations de saisie-contrefaçon que la SA Foir'Fouille a acquis de la Srl Evoluzione des boîtes constituant la copie conforme des modèles distribués par elle ; que sont en effet reprises toutes les caractéristiques des modèles déposés.

Elle reproche en outre aux intimés d'avoir commis des actes de parasitisme et de concurrence déloyale. Elle fait valoir que la SA Foir'Fouille et la Srl Evoluzione ont cherché à provoquer une confusion dans l'esprit du public en proposant leurs articles sous un conditionnement identique au sien ; que les intimés, en pratiquant le dumping, ont cherché à désorganiser la distribution des produits de leur concurrent en leur substituant leurs produits, grâce à des prix inférieurs.

Elle soutient que les actes commis par les intimés ont entraîné pour elle un manque à gagner, un anéantissement de ses efforts de création par la banalisation de ses modèles du fait d'une importation massive à un prix de dumping et qu'il existe un risque d'altération de ses relations commerciales avec les grandes centrales d'achats, amenées à considérer qu'elle pratique des prix excessifs.

Par conclusions déposées le 30 mai 2005, la SA Foir'Fouille demande à la cour :

Vu l'article L. 511-1 du Code de la propriété "industrielle "(sic),

Vu les articles 3, 4, 5 et 6 de la directive européenne du 13 octobre 1998,

- de confirmer la décision entreprise;

- en conséquence, de rejeter les demandes formées par la SA Compagnie Europe;

- de condamner cette dernière au paiement de la somme de 15 245 euro à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi par la concluante;

- de la condamner au paiement de la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

La SA Foir'Fouille soutient que la SA Compagnie Europe ne peut, au vu de la procédure de saisie, qu'invoquer une contrefaçon du modèle "Tendance", les pièces saisies étant effectivement identiques à ce modèle.

Cependant, elle se fonde à la fois sur l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 25 juillet 2001 et sur la directive européenne du 13 octobre 1998, pour considérer que le dépôt du modèle "Tendance" est dépourvu de validité, faute de nouveauté. Elle fait valoir que ce modèle ne porte pas l'empreinte de la personnalité de son auteur et ne reflète aucun effort de création; qu'il existe au surplus des antériorités.

Elle souligne en outre que la SA Compagnie Europe ne peut soutenir qu'un produit constitue la contrefaçon de deux modèles distincts dont elle est propriétaire, sauf à dire que ces modèles ne présentent aucun caractère de nouveauté.

Elle allègue par ailleurs qu'une personne morale ne peut avoir la qualité d'auteur car seule une personne physique peut faire œuvre de création.

La SA Foir'Fouille prétend enfin que la SA Compagnie Europe a agi de façon abusive, à seule fin d'interrompre une concurrence existante mais nullement illicite et demande en conséquence la réparation d'un préjudice matériel et moral.

Par conclusions déposées le 22 février 2005, la Srl Evoluzione demande à la cour :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que la SA Compagnie Europe ne pouvait bénéficier de la protection du modèle déposé sous le numéro 001396, faute de nouveauté et qu'elle ne pouvait se prévaloir de deux modèles déposés distinctement;

Y ajoutant,

- de dire que l'assignation qui a été délivrée à la concluante est nulle pour défaut de précision des droits invoqués;

- de déclarer nuls les procès-verbaux de saisies-contrefaçon en date des 27 septembre 2000 et 3 octobre 2000 pour ne pas avoir été suivis d'une assignation dans le délai de quinze jours ;

- de dire nuls les procès-verbaux de saisies-contrefaçon en date des 27 septembre 2000 et 3 octobre 2000 en ce qu'ils seraient supposés démontrer des faits de contrefaçon du modèle numéro 956077;

- de débouter la SA Compagnie Europe de l'intégralité de ses demandes ;

- de dire que les modèles numéros 001396 et 956077 ne sont pas susceptibles de protection en ce qu'ils sont dépourvus d'originalité, ne présentent aucun caractère de nouveauté ou caractère propre et ne constituent qu'un genre;

- de prononcer la nullité du modèle déposé sous le numéro 001396 en date du 29 février 2000 et publié sous les numéros 584 718 à 584 721 ;

- de prononcer la nullité du modèle déposé sous le numéro 956077, en date du 2 novembre 1995;

- d'ordonner l'inscription de la nullité des modèles numéros 001396 et 956077 au registre national des dessins et modèles, sur simple présentation de la décision à intervenir, lorsque celle-ci sera devenue définitive;

- de condamner la SA Compagnie Europe à payer à la concluante une somme de 35 000 euro, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi pour procédure abusive et vexatoire;

- de condamner la SA Compagnie Europe à lui payer la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- de la condamner aux entiers dépens.

Elle expose que l'assignation qui lui a été délivrée en première instance est nulle, par application de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile en ce qu'elle ne précise pas quel est le modèle argué de contrefaçon et ce, alors que le dépôt numéro 00.1396 est un dépôt multiple relatif à six modèles différents.

Elle soutient ensuite que les procès-verbaux de saisie dressés les 27 septembre 2000 et 3 octobre 2000 sont nuls en raison de l'absence d'assignation valide dans les délais légaux ; qu'ils doivent en outre être déclarés nuls en ce qu'ils seraient supposés rapporter la preuve d'actes de contrefaçon du modèle "Classique", non visé dans la requête présentée au président du Tribunal de grande instance de Béthune.

La Srl Evoluzione allègue que la SA Compagnie Europe ne peut à juste titre faire un amalgame entre les modèles "Tendance" et "Classique" ; qu'en demandant l'enregistrement de son modèle "Tendance", l'appelante a nécessairement estimé qu'il présentait, conformément aux exigences de l'article L. 513-3 du Code de la propriété intellectuelle une configuration distincte et reconnaissable ou une physionomie propre et nouvelle, par rapport au modèle "Classique".

Elle souligne que la SA Compagnie Europe cherche à protéger un genre, à savoir des boîtes de rangement en carton à rayures ; que ce genre est au surplus dépourvu de nouveauté et d'originalité ; que seuls les objets déterminés et individualisés bénéficient d'une protection au titre des livres I et V du Code de la propriété intellectuelle.

Elle fait valoir que l'alternance de rayures sur une boîte rectangulaire ne peut constituer une œuvre de l'esprit ou une création au sens du livre I du Code de la propriété intellectuelle, de sorte que le modèle "Classique" ne peut être protégé.

Elle soutient qu'elle commercialise depuis 1997 un modèle de boîte de rangement comprenant l'ensemble des caractéristiques protégées par le dépôt du 29 février 2000 effectué par la SA Compagnie Europe ; que le modèle de boîte de rangement à grosses rayures ne constitue pas une création, qu'il n'est ni nouveau, ni original et qu'il ne peut donc être protégé, ni au titre du livre I, ni au titre du livre V du Code de la propriété intellectuelle.

Elle souligne que ce modèle n'a pas le caractère propre exigé par la directive communautaire sur les modèles, transposée en France par l'ordonnance du 25 juillet 2001.

Elle prétend, à titre subsidiaire qu'en vertu de l'article 6 de la directive 98-71 du 13 août 1998, transposé à l'article L. 511-6 du Code de la propriété intellectuelle, la divulgation par l'auteur de son œuvre, plus de douze mois avant son dépôt a pour effet de détruire la nouveauté du modèle.

Par ailleurs, la Srl Evoluzione allègue que le seul fait de pratiquer des prix inférieurs pour vendre des marchandises concurrentes ne suffit pas à caractériser des actes de concurrence déloyale ; que la liberté du commerce permet en effet à tout commerçant de fixer librement le prix des produits qu'il vend et de les vendre moins cher qu'un concurrent; qu'au surplus la SA Compagnie Europe ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice résultant notamment d'une baisse de son chiffre d'affaires.

Elle considère enfin que l'action engagée par la SA Compagnie Europe a pour but de l'intimider et de l'évincer du marché en tentant de la discréditer auprès de ses clients ; que l'appelante cherche ainsi à freiner l'expansion en France d'une entreprise concurrente ; que ces faits lui ont occasionné un préjudice certain.

Par conclusions déposées le 18 octobre 2004, Monsieur Daniel Wargon demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

Y ajoutant,

- de déclarer nul comme dépourvu de nouveauté et d'originalité le modèle "Classique" déposé le 2 novembre 1995 sous le numéro 956077;

- en tout état de cause, de mettre hors de cause le concluant;

- de débouter la SA Compagnie Europe de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- de la condamner à lui verser la somme de 35 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée et celle de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- de la condamner aux dépens, de première instance et d'appel;

- subsidiairement, de condamner la Srl Evoluzione à le relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée contre lui.

Monsieur Daniel Wargon développe pour l'essentiel une argumentation identique à celle de la Srl Evoluzione.

Il rappelle en outre que les actes de parasitisme et de concurrence déloyale doivent être distincts des actes de contrefaçon ; que la Srl Evoluzione a commercialisé ses produits avant que la SA Compagnie Europe diffuse son modèle "tendance" ; qu'elle a fait le choix de ses propres dimensions et couleurs et a adopté des conditionnements multiples.

Il soutient que la SA Compagnie Europe ne rapporte pas la preuve de la réalité de la pratique de dumping dont elle prétend avoir été victime, cette pratique consistant à offrir des produits ou des services à un prix inférieur à leur prix de revient, dans le but de s'accaparer un marché en faisant disparaître les concurrents.

Il fait valoir enfin qu'en sa qualité d'agent commercial de la Srl Evoluzione, son rôle était limité à celui d'un intermédiaire, prenant les commandes des clients de son mandant.

Motifs

1) Sur l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la Srl Evoluzione

Le dépôt effectué par la SA Compagnie Europe à l'INPI le 29 février 2000, enregistré sous le numéro 001396 concerne six modèles, décrits de la façon suivante "boîte en carton Halloween, boîte en carton grosses rayures jaunes, boîte en carton grosses rayures mauves, boîte en carton grosses rayures vertes, boîte en carton grosses rayures bleues, boîte en carton grosses rayures oranges".

Dans son exploit introductif d'instance devant les premiers juges, la SA Compagnie Europe faisait grief à la SA Foir'Fouille, à la Srl Evoluzione et à Monsieur Daniel Wargon d'avoir commis des actes de contrefaçon de son modèle "Tendance", déposé le 29 février 2000, sous le numéro 001396.

Ce modèle y était décrit de la façon suivante : "le bureau de style de la SA Compagnie Europe a créé une gamme de boîtes de rangement, caractérisées par :

- leurs dimensions rectangulaires,

- le fait qu'elles sont décorées de rayures larges, disposées de façon caractéristique, dans le sens de la longueur sur le couvercle, dans le sens de la hauteur sur les côtés et transversalement sur les faces avant et arrière,

- la gamme de couleurs elle aussi caractéristique : grosses rayures jaunes, mauves vertes, bleues, oranges,

- le fait qu'elles sont vendues par lots de trois ou six boîtes."

Il ressort de façon très explicite de l'ensemble de ces précisions que les articles argués de contrefaçon sont les cinq modèles déposés de boîtes ornées de rayures.

Il apparaît donc que l'assignation délivrée à la Srl Evoluzione comporte un exposé des moyens en fait et en droit de sorte qu'aucune violation des dispositions de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile n'est caractérisée en l'espèce.

Il convient par conséquent de rejeter l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la Srl Evoluzione.

2) Sur l'exception de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 27 septembre 2000 et 3 octobre 2000.

Par application de l'article L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle, la partie lésée peut faire procéder par tous huissiers à la description détaillée, avec ou sans saisie, des objets ou instruments incriminés, en vertu d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les opérations devront être effectuées, sur simple requête et production du certificat de dépôt.

A défaut pour le requérant de s'être pourvu, soit par la voie civile, soit par la voie correctionnelle dans le délai de quinzaine, la description est nulle de plein droit, sans préjudice des dommages et intérêts.

En l'espèce, l'assignation à comparaître devant le Tribunal de grande instance de Béthune destinée à la Srl Evoluzione, société de droit italien, dont le siège social est à Milan, a été délivrée au parquet le 12 octobre 2000, conformément aux dispositions de l'article 684 du nouveau Code de procédure civile.

Moins de quinze jours se sont écoulés entre la date des procès-verbaux de saisie-contrefaçon, dressés respectivement les 27 septembre 2000 et 3 octobre 2000, et la saisine du Tribunal de grande instance de Béthune.

Il ne peut dès lors être fait droit à l'exception de nullité tirée du non-respect des délais légaux, soulevée par la Srl Evoluzione.

Par ailleurs, le fait que dans le cours de l'instance devant les premiers juges, la SA Compagnie Europe ait prétendu que les modèles fabriqués par la Srl Evoluzione et commercialisés par la SA Foir'Fouille constituaient également une contrefaçon de son modèle "Classique", ayant fait l'objet d'un dépôt à l'INPI le 2 novembre 1995 ne peut avoir pour effet d'affecter rétroactivement la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon.

3) Sur la contre-façon

Par application de l'article L. 513-4 du Code de la propriété intellectuelle, sont interdits, à défaut du consentement du propriétaire du dessin ou modèle déposé, la fabrication, l'offre, la mise sur le marché, l'importation, l'exportation, l'utilisation, ou la détention à ces fins, d'un produit incorporant le dessin ou modèle.

L'ordonnance du 25 juillet 2001, transposant en droit interne la directive numéro 98-71-CE du parlement européen et du conseil du 13 octobre 1998, est venue modifier les dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à l'acquisition des droits du propriétaire d'un modèle déposé et notamment celles relatives à la validité du modèle.

En l'espèce, les deux modèles dont la SA Compagnie Europe revendique la protection, ont été déposés respectivement les 2 novembre 1995 et 29 février 2000, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de ladite ordonnance.

Conformément au principe selon lequel la régularité d'une situation juridique s'apprécie au regard de la loi sous l'empire de laquelle elle s'est constituée, il convient d'apprécier la validité des dépôts effectués, au regard des dispositions des articles L. 511-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance précitée.

En vertu de l'ancien article L. 111-3 du Code de la propriété intellectuelle, les dispositions du livre V de ce Code sont applicables à tout dessin nouveau, à toute forme plastique nouvelle, à tout objet industriel qui se différencie de ses similaires, soit par une configuration distincte et reconnaissable lui conférant un caractère de nouveauté, soit par un ou plusieurs effets extérieurs lui donnant une physionomie propre et nouvelle.

L'article L. 335-3 du même Code définit notamment la contrefaçon d'un droit d'auteur comme toute reproduction par quelque moyen que ce soit d'une œuvre de l'esprit en violation des droits d'auteur.

Conformément aux dispositions de l'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, les droits des auteurs sur les œuvres de l'esprit sont susceptibles de protection quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.

En vertu de l'article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle, l'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits d'auteur.

En l'espèce, il n'est contesté par aucune des parties que les modèles divulgués par la SA Compagnie Europe ont été élaborés par son bureau d'étude.

L'argumentation de la SA Foir'Fouille selon laquelle l'appelante, qui est une personne morale, ne pourrait se prévaloir de la qualité d'auteur apparaît dès lors dépourvue de fondement.

Il appartient toutefois à la SA Compagnie Europe de démontrer que les modèles dont elle revendique la protection constituent une œuvre de l'esprit c'est-à-dire qu'ils sont originaux et exprime la personnalité de leur auteur.

Par ailleurs, dès lors que la SA Compagnie Europe a effectué deux dépôts à l'INPI pour les modèles qu'elle commercialise, il en résulte qu'elle a nécessairement admis soit que le modèle "Tendance" avait une configuration distincte du modèle "Classique", soit qu'il présentait une physionomie propre et nouvelle le différenciant du précédent modèle déposé.

Il en résulte qu'un même article ne peut donc contrefaire en même temps les deux modèles déposés par l'appelante.

Il convient donc d'examiner successivement le bien fondé de ses griefs pour chacun des modèles concernés.

a) Sur la contrefaçon du modèle "Tendance"

Il est acquis aux débats que le modèle "Tendance" déposé par la SA Compagnie Europe et les modèles de boîtes en carton, saisis au sein de la SA Foir'Fouille et fabriqués et importés en France par la Srl Evoluzione sont parfaitement identiques.

La SA Compagnie Europe établit par la production d'une facture du 5 novembre 1998, qu'elle commercialise le modèle "Tendance" depuis cette date.

Au soutien de ses prétentions selon lesquelles elle commercialise depuis 1997 une boîte de rangement sous la dénomination "Eco" ou "Superéco", référencé 512 188, la Srl Evoluzione verse aux débats:

- un ensemble de factures datées des 27 janvier, 11 juillet, 31 juillet, 28 août, 23 septembre, 10 octobre, 26 novembre, 10 décembre et 17 décembre 1997, portant mention de la vente d'importantes quantités de " Baule Eco 40 x 50 x 25 ", article référencé sous le numéro 512 188,

- les attestations de Mesdames Angela Bassi, Rosa Maria Gendarini et Paola Verderio, respectivement dirigeante et employées de la Srl Evoluzione qui déclarent que depuis plusieurs années et certainement depuis 1997, l'entreprise commercialise des boîtes de rangement en carton décorées de rayures en couleur, sous le nom d'"Eco" ou parfois de "Superéco" sous des emballages multiples, étant précisé que pour les boîtes vendues individuellement, le code a toujours été 512 188,

- une attestation de Monsieur René Preborski, agent commercial de la Srl Evoluzione entre 1990 et 1998, qui déclare avoir vendu pour le compte de cette société une grande quantité de boîtes de rangement en carton, parmi lesquelles des boîtes rayées en couleur comme sur le prospectus joint en annexe. L'intéressé indique qu'il ne se souvient plus des dates précises mais que ces ventes ont eu lieu début 1997, les boîtes en question ayant pour nom "Eco" et pour numéro de code 512 188.

Il ressort de l'examen du prospectus annexé à l'attestation de Monsieur René Preborski, que le modèle "Eco" présente l'ensemble des caractéristiques du modèle "Tendance" déposé par la SA Compagnie Europe, à savoir sa dimension rectangulaire et le fait qu'il est décoré de rayures larges, disposées dans le sens de la longueur sur le couvercle, dans le sens de la hauteur sur les côtés et transversalement sur les faces avant et arrière.

Il est donc démontré par les pièces produites par la Srl Evoluzione que son modèle "Eco", commercialisé depuis 1997, constitue une antériorité du modèle "tendance" de la SA Compagnie Europe, divulgué par cette dernière le 5 novembre 1998 et déposé le 29 février 2000.

Dès lors qu'il se révèle dépourvu d'originalité le modèle "Tendance" ne peut être considéré comme une œuvre de l'esprit susceptible de protection au titre du droit d'auteur.

Il y a lieu en outre de constater qu'il ne présente pas le caractère de nouveauté qui lui permettrait de bénéficier des dispositions du livre V du Code de la propriété intellectuelle.

La contrefaçon de ce modèle par les intimés n'est par conséquent nullement caractérisée.

b) Sur la contrefaçon du modèle "Classique"

Le modèle "Classique" a fait l'objet d'un dépôt à l'INPI par la SA Compagnie Europe le 2 novembre 1995.

Au soutien de ses allégations selon lesquelles ce modèle serait commercialisé par elle depuis 1994 auprès de la grande distribution, l'appelante produit deux factures datées des 27 et 31 janvier 1994. Ces factures, qui font référence, sans autre précision à des boîtes de rangement rayées, ne constituent toutefois pas la preuve de la vente à cette date de l'article enregistré à l'INPI en 1995 sous le numéro 956077.

La Srl Evoluzione verse aux débats un catalogue ayant pour nom "fantasia per la casa" sur lequel figure un modèle de boîte en carton rectangulaire orné de rayures, ainsi qu'une attestation de Monsieur Giuliano Frigerio qui déclare qu'en sa qualité d'ancien administrateur de Arti Grafiche Frima, il se souvient d'avoir fourni ce catalogue à la Srl Evoluzione aux alentours de 1988.

Cette dernière produit également des extraits des magazines "Anna" du 14 septembre 1994 et "Dove" de novembre 1994 comportant une annonce publicitaire promouvant ses produits parmi lesquels une boîte de rangement rectangulaire en carton ornée de rayures.

Il est donc établi que ce type d'article est exploité commercialement depuis au moins 1988.

Le seul élément susceptible de distinguer le modèle "Classique" déposé par la SA Compagnie Europe de ses prédécesseurs consiste en une disposition horizontale des rayures sur les faces avant et arrière de la boîte.

Ce choix, qui constitue la mise en application d'une simple idée, ne témoigne d'aucune originalité et n'est pas le résultat d'un effort créateur. Les modifications apportées aux modèles antérieurement créés sont au surplus minimes.

Le modèle "Classique" déposé par la SA Compagnie Europe ne peut donc être considéré comme une œuvre de l'esprit susceptible de protection au titre du droit d'auteur,

Compte tenu de son absence de nouveauté, il ne peut davantage bénéficier des dispositions du livre V du Code de la propriété intellectuelle.

La contrefaçon de ce modèle par les intimés n'est dès lors pas caractérisée.

4) Sur la concurrence déloyale et le parasitisme

Dans le catalogue de la boutique du rangement, produit par la SA Compagnie Europe, il est indiqué que les dimensions des boîtes de la gamme "Tendance" sont les suivantes : 53 x 31 x 21 cm.

Dans le tract intitulé "les journées magiques de la SA Foir'Fouille", les boîtes de rangement qui y figurent et dont il y a lieu de considérer qu'il s'agit des modèles fournis par la Srl Evoluzione mesurent quant à elles 49 x 29 x 20 cm.

Les dimensions respectives des produits des deux concurrents ne sont donc pas identiques.

Par ailleurs, la SA Compagnie Europe ne verse aux débats aucune pièce justificative de ses allégations quant à une identité des cotes de montage par pliage.

Elle ne produit aucune pièce relative au mode de conditionnement de ses produits, ce qui interdit toute comparaison avec celui des articles saisis. En tout état de cause, la présentation des boîtes par lots de trois sous film plastique, assortis d'une reproduction de l'article sur une feuille de dimension A4, constitue un emballage d'une totale banalité. Il n'est donc nullement démontré que les intimées ont cherché à provoquer une confusion dans l'esprit du public entre les produits qu'elles offrent à la vente et ceux de l'appelante.

Par ailleurs, ainsi que le souligne à juste titre la Srl Evoluzione, le fait pour un commerçant de vendre ses produits moins chers que ceux d'un concurrent relève de la liberté du commerce et n'est pas en soi constitutif d'une faute.

S'il est acquis aux débats que les boîtes commercialisées par la SA Foir'Fouille sont vendues à un prix inférieur à celui des articles de la gamme tendance, aucune pièce du dossier ne permet de démontrer que la Srl Evoluzione vendrait ses produits à un prix inférieur à leur prix de revient et pratiquerait ainsi le "dumping".

La SA Compagnie Europe ne rapporte donc pas la preuve de la commission par la Srl Evoluzione, la SA Foir'Fouille et Monsieur Daniel Wargon d'actes de parasitisme et de concurrence déloyale.

Il convient dans ces conditions de confirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes.

5) Sur la demande reconventionnelle de la Srl Evoluzione, tendant à voir prononcer l'annulation des modèles enregistrés à l'INPI sous les numéros 956077 et 001396

Ainsi qu'il l'a été précédemment exposé, les modèles de boîtes en carton à rayures déposés par la SA Compagnie Europe et enregistrés à l'INPI sous les numéros 956077 et 001396 étant dépourvus de tout caractère de nouveauté au sens de l'article L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 25 juillet 2001, ils ne peuvent bénéficier des dispositions protectrices du livre V du même Code.

Il y a lieu par conséquent de faire droit à la demande reconventionnelle de la Srl Evoluzione tendant à voir déclarer nul l'enregistrement de ces modèles.

6) Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la Srl Evoluzione, la SA Foir'Fouille et Monsieur Daniel Wargon

Les intimés ne démontrent pas qu'en introduisant l'instance devant les premiers juges, puis en interjetant appel du jugement, la SA Compagnie Europe a agi avec malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.

Par ailleurs, la Srl Evoluzione ne produit aucune pièce lui permettant d'établir que l'action engagée par la SA Compagnie Europe a eu pour effet de la discréditer auprès de ses clients et de freiner son expansion en France.

Quant à la SA Foir'Fouille, elle ne justifie pas avoir subi un quelconque préjudice matériel ou moral.

Quant à Monsieur Daniel Wargon, aujourd'hui retraité, il ne rapporte pas la preuve d'une quelconque incidence de la procédure engagée par la SA Compagnie Europe sur ses anciennes activités professionnelles.

Il ne peut dès lors être fait droit aux demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive, formées par les intimés.

7) Sur les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et sur les dépens

Les dispositions du jugement déféré relatives à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile seront confirmées.

La SA Compagnie Europe sera par ailleurs condamnée à verser à chacun des intimés la somme de 2 500 euro, à titre d'indemnisation des frais, non compris dans les dépens que ceux-ci ont exposés au cours de l'instance d'appel.

L'appelante sera en revanche déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Enfin, la SA Compagnie Europe sera condamnée aux dépens, de première instance et d'appel.

Par ces motifs, Rejette l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la SRL Evoluzione, Rejette l'exception de nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon des 27 septembre et 3 octobre 2000, soulevée par la Srl Evoluzione; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré; Y ajoutant, Déclare nul l'enregistrement à l'INPI, sous le numéro 956077, des modèles de boîtes de carton rayées blanc/bleu, blanc/bordeaux, blanc/vert et blanc jaune, déposé par la SA Compagnie Europe le 2 novembre 1995 (numéros de publication 421 481 à 421 484); Déclare nul l'enregistrement à l'INPI, sous le numéro 001396, des modèles de boîtes de carton avec de grosses rayures jaunes, mauves, vertes, bleues et oranges, déposé par la SA Compagnie Europe le 29 février 2000 (numéros de publication 584 717 à 584 721); Ordonne l'inscription du présent arrêt au registre national des dessins et modèles ; Déboute la Srl Evoluzione, la SA Foir'Fouille et Monsieur Daniel Wargon de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne la SA Compagnie Europe à payer à chacun des intimés la somme de 2 500 euro à titre d'indemnisation des frais, non compris dans les dépens que ceux-ci ont exposes au cours de l'instance d'appel ; Condamne la SA Compagnie Europe aux dépens d'appel ; Autorise les avoués en la cause à les recouvrer directement en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.