CA Paris, 4e ch. A, 18 janvier 2006, n° 04-17026
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commune de Dax
Défendeur :
Alternative (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mme Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, Me Teytaud
Avocats :
Mes Rodhain, Haas, Bensoussan Selas
Vu l'appel interjeté le 17 août 2004, par la commune de Dax d'un jugement rendu le 9 juillet 2004 par le Tribunal de grande instance de Paris qui l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Alternative la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières écritures en date du 24 novembre 2005, par lesquelles la commune de Dax, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :
* rejeter le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Alternative,
à titre principal:
* dire que la société Alternative ne pouvait ignorer l'usage qu'elle faisait de la dénomination Toros Y Salsa pour désigner son festival depuis 1995,
* dire que le dépôt par la société Alternative de la marque Toros Y Salsa effectué le 18 avril 2002, enregistré sous le n° 023160954, est frauduleux, d'autant qu'il vise la classe 16, étrangère à son objet social, mais constituant le support à la promotion du festival Toros Y Salsa,
* dire que ce dépôt a été effectué dans le seul but de lui nuire ou, à tout le moins, de lui rétrocéder sous la menace et à titre onéreux,
* prononcer la nullité de la marque semi-figurative n° 023160954 et en ordonner la radiation avec inscription au Registre national des marques dans le mois suivant le prononcé de l'arrêt,
* ordonner la restitution de la marque verbale Toros Y Salsa n° 023180135 déposée par la société Alternative le 16 août 2002, ainsi que les fruits qui y sont liés, en application de l'article 549 du Code civil,
* dire que la société Alternative, en la harcelant, sous menace de procédure judiciaire et en la sommant d'avoir à cesser, à défaut de son accord préalable, l'usage de la dénomination Toros Y Salsa pour son festival, a commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,
* dire que la société Alternative a cherché à s'accaparer, sans bourse délier, les efforts promotionnels et publicitaires développés,
à titre subsidiaire :
* dire que la dénomination Toros Y Salsa est originale et constitue une œuvre de l'esprit,
* faire interdiction à la société Alternative de poursuivre l'utilisation de la dénomination Toros Y Salsa sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, à compter du mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir,
* condamner la société Alternative au paiement de :
- la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi consécutivement au dépôt de la marque n° 023160954,
- la somme de 30 000 euro pour contrefaçon de droit d'auteur,
- la somme de 30 000 euro en réparation des agissements parasitaires,
- la somme de 50 000 euro en restitution des fruits liés à la chose revendiquée,
* nommer un expert afin de déterminer la masse contrefaisante et les bénéfices illicites réalisés par la société Alternative sur l'exploitation des marques Toros Y Salsa,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux aux frais de la société Alternative, le coût global de ces insertions ne devant pas dépasser la somme de 30 000 euro,
* condamner la société Alternative au paiement d'une somme de 25 000 euro au titre des frais irrépétibles;
Vu les dernières écritures en date du 28 novembre 2005, aux termes desquelles la société Alternative prie la cour de :
* déclarer irrecevables comme nouvelles au sens de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile les demandes de la commune de Dax portant sur :
- la restitution avec inscription au Registre national des marques de la marque verbale n° 023180135,
- la restitution des fruits résultant de l'exploitation illicite de la marque verbale n° 023180135,
* confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté les demandes de la commune de Dax et condamné celle-ci au paiement de la somme de 5 000 euro au titre des frais irrépétibles,
* réformer cette décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande en paiement au titre de la procédure abusive et condamner la commune de Dax au versement de la somme de 8 500 euro avec intérêt au taux légal à compter du 29 septembre 2003, date de la signification des premières conclusions devant le tribunal, et capitalisation des intérêts,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux ou revues aux frais de la commune de Dax, la valeur globale de ces publications n'étant pas supérieure à une somme de 150 000 euro HT, augmentée de la TVA,
* ordonner à la commune de Dax de consigner entre les mains de Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris, en qualité de séquestre, sous astreinte de 100 euro par jour de retard dans les quinze jours de la signification de l'arrêt à intervenir, la somme de 15 000 euro HT, augmentée de la TVA, correspondant à la valeur des publications,
* dire que Monsieur le Bâtonnier lui attribuera cette somme sur production de la commande des publications,
* subsidiairement, si la cour infirmait le jugement déféré, dire que l'action en revendication ne peut être prise en compte qu'à compter du 7 mars 2003,
* en tout état de cause:
- dire qu'il n'y a pas lieu à désignation d'expert,
- rejeter les demandes d'astreinte et de publication,
- dire que toutes sommes dont la commune de Dax demandera le versement en exécution de la décision à intervenir donneront lieu, au préalable, à la constitution d'une garantie bancaire d'un même montant et ne seront versées que sur justification de cette garantie et que l'astreinte provisoire sera comptée à l'expiration d'un délai de six mois, qu'enfin la publication, si elle était ordonnée, est limitée au dispositif,
- condamner la commune de Dax au paiement de la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il suffit de rappeler que :
* la commune de Dax organise chaque année au mois de septembre, depuis 1995, un festival intitulé Toros Y Salsa, soutenu par un visuel décliné sur des affiches, des supports publicitaires implantés dans plusieurs villes du Sud-Ouest, notamment Pau, Montauban et Dax,
* lors de cette manifestation sont organisés des concerts du genre salsa sur des scènes fixes installées au Parc Théodore Denis,
* pour cette occasion, des corridas ont lieu dans les arènes jouxtant le parc,
* le 18 avril 2002, la société Alternative, dont le siège est à Orthez et qui exerce une activité de fabrication et de diffusion de vêtements et accessoires, a déposé la marque semi-figurative Toros Y Salsa, enregistrée sous le n° 023160954, pour désigner les produits et services des classes 16, 24 et 25, notamment les vêtements et la papeterie,
* le 20 juin 2002, la société Alternative a adressé à la commune de Dax un courrier la mettant en demeure de ne plus utiliser, sans son accord, la dénomination Toros Y Salsa pour désigner son festival, à défaut "d'envisager une solution plus contraignante",
* le 16 août 2002, cette société a déposé la marque verbale Toros Y Salsa, enregistrée sous le n° 023180135, pour désigner les produits et services des classes 16, 24 et 25,
* par courrier du 2 septembre 2002, la société Alternative a indiqué à la commune de Dax que seule l'acquisition de la marque Toros Y Salsa par cette dernière résoudrait les problèmes avant l'ouverture du festival et qu'elle attendait ainsi une proposition financière de cette commune,
* le 5 septembre 2002, la société Alternative a fait délivrer à la commune de Dax une sommation interpellative par voie d'huissier de justice la sommant de ne pas utiliser pendant les fêtes du 6 au 8 septembre 2002, le signe Toros Y Salsa,
* dans ces circonstances, la commune de Dax, estimant frauduleux les dépôts de marque au regard de l'usage qu'elle a fait du signe Toros Y Salsa depuis 1995, a assigné la société Alternative devant le tribunal de grande instance;
Sur la recevabilité des demandes formées par la commune de Dax devant la cour :
Considérant que la société Alternative soulève l'irrecevabilité des demandes de la commune de Dax tendant à la restitution de la marque verbale Toros Y Salsa n° 023180135 et des fruits résultant de l'exploitation de cette marque, au motif qu'il s'agirait de demandes nouvelles formées pour la première fois devant la cour;
Mais considérant que les prétentions de la commune de Dax ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent;
Que de sorte, cette exception doit être rejetée;
Sur le dépôt frauduleux des marques Toros Y Salsa par la société Alternative :
Considérant en droit, que l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle dispose que si un enregistrement a été demandé en fraude des droits d'un tiers, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice;
Considérant en l'espèce, qu'il est établi et non démenti que la commune de Dax a fait usage, sans discontinuité, depuis 1995 de la dénomination Toros Y Salsa pour désigner le festival qu'elle organise chaque année au mois de septembre;
Que cette commune justifie avoir, lors des programmes d'animation des années 1996 à 2002, apposé la dénomination Toros Y Salsa sur tous ses dépliants, affichettes diffusés à des milliers d'exemplaires dans le Sud-Ouest de la France;
Que cet événement culturel, associant des concerts de salsa et des corridas, est connu et renommé ainsi que le démontrent les multiples articles de presse parus dans les journaux régionaux ou nationaux tels que Sud-Ouest, Le Courrier Français, Le Havre Presse, Est Eclair, La Montagne, L'Eclair Pyrénées, Le Figaro;
Considérant de sorte, que la société Alternative ne saurait sans mauvaise foi prétendre, alors que son siège social est à Orthez, à 40 km de la ville de Dax, avoir ignoré l'existence et la notoriété de ce festival, datant de plusieurs années et annoncé chaque année par affichages notamment dans les villes voisines de Dax, Pau et Montauban;
Considérant, sans qu'il soit besoin de rechercher si des droits d'auteur peuvent être revendiqués sur l'œuvre de l'esprit que constituerait le nom du festival, le litige étant limité à la détermination du titulaire des droits d'usage sur la dénomination litigieuse déposée à titre de marque, que la société Alternative ne peut prétendre avoir méconnu l'usage continu et notoire du signe litigieux qu'en a fait la commune de Dax lorsqu'elle a déposé les marques Toros Y Salsa;
Qu'elle a ainsi, manifestement cherché à s'approprier cette dénomination et à se conférer un droit privatif lui permettant d'en interdire l'utilisation par la commune de Dax;
Qu'il en est pour preuve le courrier précité du 2 septembre 2002 et la sommation d'huissier du 5 septembre 2002, adressés par la société Alternative à la commune de Dax la mettant en demeure d'acquérir les marques déposées sous la menace d'interdire l'usage de la dénomination Toros Y Salsa à l'occasion du festival devant se dérouler le 6 septembre 2002;
Considérant qu'il s'ensuit que les deux dépôts à titre de marque du signe Toros Y Salsa, semi-figuratif ou verbal, par la société Alternative alors qu'il était indisponible en raison de l'usage antérieur qu'en faisant la commune de Dax constituent une fraude aux droits de celle-ci;
Considérant par voie de conséquence, qu'en application de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle précité, la commune de Dax est fondée à revendiquer le transfert des deux marques nos 023169154 et 023180135 déposées par la société Alternative, peu important que la marque première comporte un élément figuratif indissociable de l'élément verbal, dès lors que la fraude étant caractérisée, la recherche d'un risque de confusion est inopérante;
Que si la commune de Dax a omis aux termes du dispositif de ses écritures en date du 24 novembre 2005, page 31, de préciser qu'elle entend revendiquer la propriété de la marque n° 023160954, il n'en demeure pas moins, qu'au visa de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, cette restitution est de droit et que cette demande a été expressément formée par la commune de Dax en page 23 des dites écritures;
Que par voie de conséquence, il sera fait droit à l'action en revendication, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner la demande subsidiaire en contrefaçon et en nullité des marques litigieuses en raison de l'atteinte portée aux droits d'auteur dont se prévaut la commune de Dax en application des dispositions des articles L. 711-4 et L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire :
Considérant que la commune de Dax soutient que la société Alternative aurait commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à son encontre en cherchant, par les dépôts de marques frauduleux, à s'accaparer, sans bourse délier, les efforts de promotion et de publicité qu'elle a consacrés au développement du festival dénommé Toros Y Salsa et de ses produits dérivés;
Mais considérant que ce grief, s'il est susceptible d'aggraver le préjudice subi par la commune de Dax du fait des dépôts frauduleusement opérés, ne constitue pas un fait distinct de concurrence déloyale ou parasitaire;
Que le grief de concurrence déloyale ou parasitaire doit être rejeté;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que les dépôts frauduleux des deux marques litigieuses ont causé un trouble à la commune de Dax en portant atteinte à l'organisation du festival Toros Y Salsa devant avoir lieu en septembre 2002;
Que son préjudice sera entièrement réparé, sans qu'il soit besoin d'ordonner une mesure d'expertise, par l'allocation d'une somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts;
Que la restitution des fruits n'étant pas prévue par les dispositions spécifiques de l'article L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle, cette demande sera rejetée;
Qu'il sera en revanche, fait droit aux demandes d'interdiction sous astreinte et de publication selon les modalités précisées au dispositif;
Sur les autres demandes :
Considérant que la solution du litige commande de rejeter les demandes reconventionnelles formées par la société Alternative et notamment celle au titre d'une procédure abusive;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la commune de Dax; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 euro ; que la société Alternative qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement;
Par ces motifs, Rejette les moyens d'irrecevabilité soulevés par la société Alternative, Réforme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la commune de Dax de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale et la société Alternative de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour procédure abusive, Statuant à nouveau : Dit que les dépôts des marques Toros Y Salsa n° 023160954 et n° 023180135 par la société Alternative ont été effectués en fraude des droits de la commune de Dax et en conséquence en ordonne leur transfert au profit de cette dernière, Dit que le présent arrêt sera transmis par les soins du secrétaire greffier à l'Institut national de la propriété industrielle aux fins d'inscription au Registre national des marques, Condamne la société Alternative à payer à la commune de Dax la somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice, Interdit à la société Alternative d'utiliser de quelque manière que ce soit la dénomination Toros Y Salsa, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée à compter du mois suivant la signification du présent arrêt, Autorise la commune de Dax à publier le présent arrêt en entier ou par extraits, dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société Alternative, sans que le coût global de ces insertions n'excède la somme de 3 000 euro HT, Condamne la société Alternative à payer à la commune de Dax la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Alternative aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.