CA Paris, 4e ch. B, 28 octobre 2005, n° 04-08194
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Zannier (SAS)
Défendeur :
Du Pareil Au Même (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
Mme Regniez, M. Marcus
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Guizard
Avocats :
Mes Bizollon, Bendrihem
LA COUR est saisie de l'appel interjeté par la société par actions simplifiée Zannier du jugement contradictoire rendu par la 1re chambre civile du Tribunal de grande instance de Créteil en date du 10 février 2004, qui a :
- dit que la société Zannier a commis des actes de contrefaçon de la marque "86" dont la société anonyme Du Pareil Au Même est titulaire,
- condamné la société Zannier à verser à la société Du Pareil Au Même la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait de ces actes de contrefaçon et de l'atteinte portée à sa marque "86",
- interdit à la société Zannier la poursuite de ces actes illicites, et ce sous astreinte de 150 euro par infraction constatée et de 1 000 euro par jour de retard,
- ordonné la confiscation des articles contrefaisants et leur remise à la société Du Pareil Au Même, aux fins de destruction,
- ordonné la publication du jugement, par extraits, dans trois journaux ou périodiques, au choix de la société Du Pareil Au Même, aux frais avancés de la société Zannier, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder 1 500 euro,
- débouté la société Du Pareil Au Même de sa demande au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société Zannier à verser à la société Du Pareil Au Même la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- débouté la société Zannier de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamné la société Zannier aux dépens de l'instance;
La société Du Pareil Au Même est titulaire de la marque "86", déposée en date du 26 juin 2000, enregistrée à l'Institut national de la propriété industrielle sous le n° 00 3 036 578 et publiée en date du 1er décembre 2000, pour des vêtements, chaussures, chapellerie, produits de la classe 25;
Ayant appris que les boutiques à enseigne "Z" distribuaient des sacs à dos de différents coloris revêtus de l'inscription "86", la société Du Pareil Au Même a fait procéder, en date du 4 septembre 2002, à un procès-verbal de constat dressé par Maître Gros, huissier à Thiais, au sein de la boutique "Z" sise au centre commercial de Belle-Épine à Thiais, qui a permis d'établir la réalité de ces faits;
La société Du Pareil Au Même a par la suite assigné la société Zannier, qui exploite le fonds de commerce sis au centre commercial de Belle-Épine, en contrefaçon et concurrence déloyale et parasitaire;
La société par actions simplifiée Zannier, appelante, demande à la cour, dans ses dernières conclusions signifiées en date du 12 septembre 2005, de :
- dire recevable et bien fondé son appel à l'encontre du jugement entrepris,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* écarté le grief de contrefaçon par reproduction à l'identique de la marque "86" de la société Du Pareil Au Même, au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle,
* débouté la société Du Pareil Au Même de l'ensemble de ses demandes au titre d'une prétendue concurrence déloyale et parasitaire,
- réformer le jugement entrepris pour le surplus,
Et, statuant à nouveau,
- débouter la société Du Pareil Au Même de l'ensemble de ses demandes, ou, à tout le moins, les réduire dans de très notables proportions,
- condamner la société Du Pareil Au Même à lui payer la somme de 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance;
Dans ses dernières conclusions signifiées en date du 20 juillet 2005, la société anonyme Du Pareil Au Même, intimée, prie la cour de :
- déclarer la société Zannier mal fondée en son appel,
En conséquence,
- débouter la société Zannier de toutes ses demandes,
Vu son appel incident,
- confirmer partiellement le jugement entrepris, et l'infirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau,
- dire qu'en distribuant des sacs revêtus de la marque "86", ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat, en date du 4 septembre 2002, la société Zannier a commis des actes de contrefaçon dans les termes des articles L. 713-1, L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle,
- interdire à la société Zannier la poursuite de ces actes illicites, et ce sous astreinte de 150 euro par infraction constatée et de 1 500 euro par jour de retard,
- ordonner la confiscation des articles contrefaisants et leur remise à la société Du Pareil Au Même aux fins de destruction,
- condamner la société Zannier à lui verser une somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait de ces actes de contrefaçon, et de l'atteinte portée à sa marque "86",
- condamner la société Zannier à lui verser une somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour les faits de parasitisme et de concurrence déloyale commis à son préjudice,
- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans quinze journaux ou périodiques, à son choix, et aux frais avancés de la société Zannier dans la limite de 3 000 euro par insertion,
Y ajoutant,
- condamner la société Zannier à lui verser la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, outre celle de 1 500 euro allouée de ce chef par le jugement entrepris,
- condamner la société Zannier aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Cela étant exposé
Sur la contrefaçon de marque
Considérant que la société Zannier, appelante, sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'elle avait commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Du Pareil Au Même ; qu'elle fait valoir à l'appui de son appel, en premier lieu, que la marque qu'elle utilise ne saurait constituer une contrefaçon de la marque "86" de la société Du Pareil Au Même au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle dans la mesure où elle n'en constituerait pas la reproduction identique, en deuxième lieu, que la marque qu'elle utilise ne saurait se réduire à une simple adjonction ou juxtaposition du dessin de la petite fille par rapport à la marque "86" alors que ses éléments se fondraient dans un ensemble ayant un pouvoir distinctif propre, en troisième lieu, que la marque qu'elle utilise ne constituerait pas une imitation illicite de la marque "86" susceptible de créer un risque de confusion dans l'esprit du public au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle dans la mesure, d'une part, où il n'y aurait aucune similarité ni même complémentarité entre les produits en cause, les vêtements, les chaussures et les chapeaux étant bien distincts de la catégorie des bagages comme c'est le cas pour le sac à dos litigieux, et d'autre part, où les deux signes ne seraient pas globalement similaires, outre la reprise du nombre faiblement distinctif 86 qui serait perçu par le consommateur comme une simple décoration et qui ne jouirait pas d'une renommée particulière, et en quatrième lieu, que la présence de la marque "Z", sur les sacs à dos litigieux suffirait à exclure tout risque de confusion;
Considérant que la société Du Pareil Au Même, intimée, sollicite quant à elle la confirmation du jugement déféré sur ce point ; qu'elle invoque que la marque litigieuse serait une reproduction à l'identique de sa marque "86" au sens de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, la seule juxtaposition du dessin de petite fille, élément distinct, étant indifférente; qu'elle se prévaut également de l'article L. 713-3 du même Code et affirme que le signe litigieux serait une imitation de sa marque aux motifs que le nombre 86 serait repris dans un graphisme très proche de celui qu'elle utilise et serait à l'évidence prépondérant par rapport au dessin de la fillette, que les produits en cause seraient similaires, le sac à dos litigieux étant assimilable à un accessoire vestimentaire, que l'utilisation d'un nombre pour désigner des vêtements ne serait ni banale ni usuelle, que la marque "86", particulièrement distinctive car totalement arbitraire s'agissant des produits considérés, occuperait au surplus une place prépondérante dans la gamme des produits juniors qu'elle commercialise, circonstance accentuant le risque de confusion dans l'esprit du public;
Considérant que l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle prohibe, "sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, même avec l'adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode ", ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement";
Que la société Du Pareil Au Même est titulaire de la marque "86";
Qu'il ressort sans équivoque, tant du procès-verbal de constat dressé par Maître Gros en date du 4 septembre 2004 que des pièces communiquées dans le cadre des débats, que le signe utilisé par la société Zannier pour distinguer les sacs à dos litigieux est constitué du nombre 86 en noir sur lequel est surimprimé le dessin d'une petite fille habillée de vêtements de couleur rose clair;
Qu'un tel signe ne saurait en conséquence constituer la reproduction à l'identique de la marque de la société Du Pareil Au Même ; que dès lors son utilisation par la société Zannier ne relève pas des dispositions de l'article précité;
Considérant en revanche qu'en vertu de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, "sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l'enregistrement";
Que le signe litigieux utilisé par la société Zannier est composé du nombre 86, imprimé en noir sur une hauteur de 11,5 cm et une largeur de 13,7 cm, et sur lequel figure en son centre le dessin d'une fillette sur une hauteur de 14,5 cm et une largeur de 1 à 5 cm ; que le nombre 86 constitue à l'évidence l'élément prépondérant du signe en cause dans la mesure où il demeure très nettement perceptible derrière ledit dessin ; que de surcroît, contrairement à l'argumentation de l'appelante, la marque "86" possède incontestablement un pouvoir distinctif propre, ce nombre n'étant ni usuel ni banal pour désigner des vêtements, des chaussures ou de la chapellerie, que l'adjonction du dessin de la fillette ne saurait lui ôter;
Que la société Du Pareil Au Même a déposé sa marque pour désigner des vêtements, des chaussures et de la chapellerie ; que la société Zannier exerce son activité dans le domaine de l'habillement de la famille ; qu'elle a apposé le signe litigieux sur des sacs à dos en toile; que les produits des deux sociétés sont destinés aux enfants;
Que le consommateur d'attention moyenne peut dès lors être amené à croire que les produits des deux sociétés ont la même origine dans la mesure où lesdits produits apparaissent similaires et à tout le moins complémentaires, et qu'ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges, dans le secteur concerné de l'habillement pour enfants, les marques sont souvent déclinées pour désigner les accessoires vestimentaires ou de mode;
Que cette similarité entre les signes et entre les produits est de nature à créer dans l'esprit du public un risque important de confusion quant à l'origine des produits en cause;
Qu'en dépit de l'argumentation de l'appelante, l'apposition de la marque "Z" au bas des sacs à dos litigieux ne suffit pas à écarter tout risque de confusion dans l'esprit du public; que cette apposition, en-dessous du signe qui constitue l'imitation de la marque de la société Du Pareil Au Même, contribue au contraire à renforcer une telle confusion; que le tribunal sera approuvé en ce qu'il a dit que cette circonstance privait le consommateur de toute garantie quant à l'identité d'origine du produit;
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu la contrefaçon de la marque "86" par la société Zannier en application de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle;
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Considérant que la société Du Pareil Au Même sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes du chef de la concurrence déloyale et parasitaire ; qu'elle avance que la société Zannier aurait volontairement parasité le concept de sa gamme juniors, que la marque "86" occuperait une place prépondérante dans ladite gamme, qu'en tant que concurrent direct, la société Zannier ne pouvait ignorer ces faits, que le graphisme utilisé sur le signe contrefaisant serait la reprise de celui qu'elle utilise dans bon nombre de ses créations, que la société Zannier aurait conféré aux sacs contrefaisants une très large publicité;
Considérant que la société Zannier demande quant à elle la confirmation du jugement sur ce point ; qu'elle soutient que la société Du Pareil Au Même viserait les mêmes faits que ceux qu'elle invoque pour asseoir le grief de contrefaçon, que la renommée de la marque "86" ne serait pas démontrée, que l'apposition du logo "Z" démontrerait quant à lui l'absence de volonté de sa part de se placer dans le sillage de la société Du Pareil Au Même;
Considérant que les arguments de la société Du Pareil Au Même au soutien de sa demande du chef de la concurrence déloyale et parasitaire ne constituent pas des faits distincts susceptibles de démontrer le préjudice qu'elle estime avoir subi ; qu'elle sera déboutée de ce chef; que le jugement sera confirmé sur ce point;
Sur les mesures de réparation
Considérant que la société Du Pareil Au Même demande à la cour de condamner la société Zannier à lui payer la somme de 150 000 euro de dommages-intérêts au titre des actes de contrefaçon, de confirmer le jugement déféré quant à la mesure d'interdiction qu'il a prononcée, et de prononcer une mesure de publication;
Considérant que la société Zannier demande à la cour de réduire dans de très notables proportions la somme allouée à la société Du Pareil Au Même au titre des dommages-intérêts du fait de la contrefaçon, de constater qu'elle ne diffuse plus les sacs à dos litigieux, et en conséquence de déclarer sans objet toute mesure d'interdiction, et enfin de débouter l'intimée de sa demande de publication judiciaire;
Considérant que la société Zannier a offert les sacs à dos contrefaisants dans le cadre d'une opération promotionnelle ayant eu lieu du 19 août au 17 septembre 2002, pour tous achats dépassant la somme de 45 euro ; qu'il n'est pas contesté par les parties que cette opération s'est déroulée dans l'ensemble des boutiques exerçant sous l'enseigne "Z";
Qu'une telle opération promotionnelle, réalisée par un concurrent direct de la société intimée, dans la période particulièrement favorable de rentrée scolaire, et qui visait à augmenter le chiffre d'affaires de la société Zannier, a nécessairement causé un préjudice à la société Du Pareil Au Même ; que cette dernière est fondée à en demander la réparation, tant au plan de l'image de sa marque qu'au plan commercial ; qu'il lui sera en conséquence alloué la somme de 15 000 euro au titre de dommages et intérêts du fait de la contrefaçon de sa marque "86" ; que le jugement sera confirmé sur ce point;
Qu'il convient à titre complémentaire d'interdire à la société Zannier de poursuivre la distribution des sacs à dos contrefaisants la marque "86", et ce sous astreinte de 150 euro par infraction constatée, et de 1 000 euro par jour de retard à compter de la signification du présent arrêt;
Qu'en revanche, eu égard à la nature de l'affaire, il n'y a pas lieu d'ordonner de mesure de publication ; que le jugement sera infirmé sur ce point;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la société Du Pareil Au Même la charge de ses frais irrépétibles ; que la société Zannier sera dès lors condamnée à lui verser la somme complémentaire de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel;
Par ces motifs, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a prononcé une mesure de publication; L'infirme sur ce point; Condamne la société par actions simplifiée Zannier à payer à la société anonyme Du Pareil Au Même la somme complémentaire de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires; Condamne la société par actions simplifiée Zannier aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise la SCP Guizard à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.