CA Paris, 4e ch. A, 15 décembre 2004, n° 03-12163
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Berlitz (SAS)
Défendeur :
Assimil (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mme Maugueur, Mme Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Bireau Francis Lefebvre, Me Sauvage
Vu l'appel interjeté par la société Berlitz du jugement rendu le 16 mai 2003 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- dit que la société Berlitz par la diffusion du spot en cause s'est rendue coupable de publicité illicite et d'actes de concurrence déloyale par création de confusion et dénigrement au préjudice de la société Assimil,
- interdit à la société Berlitz la diffusion de la publicité litigieuse ou de toute publicité similaire reprenant les éléments litigieux, sous astreinte de 15 000 euro par infraction constatée à partir du lendemain de la signification du jugement,
- condamné la société Berlitz à payer à la société Assimil la somme de 100 000 euro en réparation du préjudice subi,
- ordonné la publication du dispositif du jugement, dans trois journaux ou revues du choix de la société Assimil, aux frais de la société Berlitz, sans que le coût global ne puisse excéder la somme HT de 20 000 euro,
- condamné la société Berlitz à payer à la société Assimil la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières écritures signifiées le 29 octobre 2004 par lesquelles la société Berlitz, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de débouter la société Assimil de l'ensemble de ses prétentions, en tout état de cause, de faire une appréciation concrète et modérée du dommage allégué par celle-ci et de la condamner à lui verser la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 8 novembre 2004 aux termes desquelles la société Assimil sollicite la confirmation du jugement déféré, réclamant en outre l'allocation d'une somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur ce, LA COUR
Considérant que dans le courant du mois de septembre 2002, la société Berlitz, qui dispense des cours de formation en langue étrangère, a diffusé sur la radio NRJ Ile-de-France, Lyon, Strasbourg et Lille une campagne publicitaire vantant les mérites de ses méthodes d'enseignement des langues, comportant le slogan suivant :
"Si votre Anglais se limite à : "My tailor is rich...but my English is poor" c'est que vous n'avez pas choisi la bonne méthode ! Une seule adresse, Berlitz" ;
Que s'estimant visée par ce slogan publicitaire qui reproduit la célèbre phrase indissociable de son image commerciale comme de son histoire, la société Assimil, qui édite depuis 1929 des méthodes d'apprentissage des langues étrangères, a assigné la société Berlitz aux fins de voir constater la commission d'actes de publicité comparative illicite et de concurrence déloyale par dénigrement;
- Sur les faits de publicité comparative illicite et de concurrence déloyale
Considérant que la société Assimil soutient que cette campagne publicitaire est destinée à détourner les consommateurs des méthodes d'auto-apprentissage des langues au profit des méthodes d'enseignement dans lesquelles les cours sont dispensés par un professeur et qu'elle est identifiée auprès du public par l'emploi de la phrase "My tailor is rich" qui n'y perçoit pas de note humoristique ;
Que la société Berlitz réplique que l'expression litigieuse est passée dans le langage courant de sorte que la société Assimil n'est pas identifiée par son emploi, qu'elles ne sont pas en concurrence directe sur le marché de l'apprentissage des langues et que cette publicité présente un caractère humoristique, exclusif de dénigrement ;
Considérant, d'une part, que si la société Assimil n'est pas nommément désignée dans ce slogan, elle est parfaitement identifiable pour le public ; qu'en effet, il ressort des douze extraits de la presse généraliste nationale et régionale comme de la presse économique produits aux débats, que la phrase "My tailor is rich", reprise de la première leçon de la méthode publiée en 1929, sous le titre "L'anglais sans peine", est citée dans les titres ou le contenu des articles consacrés à la société Assimil dont elle évoque la méthode d'auto-apprentissage de l'anglais ; que bien qu'utilisée dans la bande dessinée, la presse, la littérature, la musique ou les jeux vidéo, cette phrase demeure néanmoins indissociable de l'image de la société Assimil et de ses méthodes d'enseignement des langues ;
Considérant, d'autre part, que son emploi dans le slogan litigieux suivi de l'expression "But my English is poor", s'il est susceptible de provoquer une réaction amusée de la part de l'auditeur, a pour effet de porter le discrédit sur la méthode d'enseignement de la société Assimil à laquelle il est invité à substituer la méthode Berlitz ; que la société Assimil relève à juste titre que la société Berlitz ne tente même pas de démontrer la supériorité de sa méthode d'enseignement des langues, basée sur des cours de formation dispensés par des professeurs, par rapport aux méthodes d'auto-apprentissage pour lesquelles la société Assimil est connue sur le marché ;
Considérant, enfin, que les deux sociétés en présence sont en situation de concurrence sur le marché de l'apprentissage des langues, peu important que les ouvrages, les CD Audio et CD Rom proposés par la société Berlitz sur son site Internet soient présentés comme un matériel pédagogique, complémentaire des cours ;
Qu'en tentant de valoriser les services qu'elle propose au détriment de ceux de son concurrent, la société Berlitz a contrevenu aux dispositions de l'article L. 121-9-2° du Code de la consommation sur la publicité comparative ; que cette campagne de dénigrement des produits de son concurrent constitue en outre un acte de concurrence déloyale ;
Qu'il s'ensuit que le jugement entrepris doit donc être confirmé sur ce point ;
- Sur le préjudice de la société Assimil
Considérant que cette campagne publicitaire a indéniablement eu pour effet de dévaloriser le savoir-faire de la société Assimil en prêtant des résultats médiocres à sa méthode d'apprentissage de l'anglais ; qu'en l'absence de preuve d'un détournement de clientèle, le trouble commercial résultant pour la société Assimil de l'atteinte portée à sa réputation sera entièrement réparé par l'allocation d'une indemnité de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts ;
Que la mesure d'interdiction prononcée par les premiers juges, justifiée pour mettre un terme aux agissements illicites, doit être confirmée ; qu'il en sera de même de la publication ordonnée, sauf à préciser qu'elle fera mention du présent arrêt ;
Considérant que l'appel formé par la société Berlitz étant partiellement fondé, la solution du litige et l'équité ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour ;
Par ces motifs, confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts alloués à la société Assimil ; Le réformant sur ce point et statuant à nouveau ; Condamne la société Berlitz à verser à la société Assimil la somme de 50 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de publicité comparative illicite et de concurrence déloyale ; Y ajoutant, dit que la mesure de publication fera mention du présent arrêt ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne la société Berlitz aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.