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Décisions

CA Paris, 3e ch. A, 21 mars 2006, n° 03-21006

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrosserie Bouffet (SARL)

Défendeur :

Bureau Commun Automobile (GIE)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chagny

Conseillers :

MM. Le Dauphin, Laurent-Atthalin, Mmes Moracchini, Delmas-Goyon

Avoués :

SCP Monin-d'Auriac de Brons, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Sermet, Chaulet

Versailles, 1re ch., 1re sect., du 8 mar…

8 mars 2001

Le groupement d'intérêt économique "Bureau Commun Automobile" (le GIE BCA), dont les membres sont des compagnies d'assurance, a pour objet de fournir à prix coûtant à ses membres:

"1. Un service d'expertise ou d'inspections de tous véhicules terrestres et matériels divers.

"2. Toutes études et documentations d'ordre technique ou statistique se rapportant à ces expertises ou inspections ou aux véhicules terrestres et matériels divers.

"3. Plus généralement, tout service concourant directement à l'activité d'assureur automobile de ses membres."

La société Carrosserie Bouffet ayant demandé en justice, le 10 mars 1997, l'annulation du GIE BCA pour violation des dispositions de l'article L. 251-1 du Code de commerce et L. 326-6 du Code de la route, le Tribunal de grande instance de Nanterre a, par jugement du 15 décembre 1997, rejeté cette demande et alloué au GIE BCA la somme de 20 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par arrêt du 8 mars 2001, la Cour d'appel de Versailles a confirmé cette décision et condamné la société Carrosserie Bouffet à payer la somme de 10 000 F en application du texte susvisé.

Sur pourvoi de la société Carrosserie Bouffet, la Cour de cassation (Chambre commerciale) a, par arrêt du 13 novembre 2003, cassé en toutes ses dispositions l'arrêt du 8 mars 2001 et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Paris;

LA COUR,

Vu la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi en date du 9 décembre 2003;

Vu les conclusions de la société Carrosserie Bouffet en date du 31 janvier 2006 par lesquelles l'appelante demande à la cour :

- de prononcer la nullité du GIE BCA et d'ordonner la publication de l'arrêt au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales,

- de condamner le GIE BCA à lui rembourser la somme de 3 178,92 euro au titre des dépens de première instance et de la somme versée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que la somme de 1 879,86 euro "correspondant aux dépens de la SCP Debray Chemin",

- de condamner le GIE BCA à lui payer la somme de 1 895,30 euro "correspondant à ses frais d'avoué",

- de condamner le GIE BCA à lui payer la somme de 30 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les conclusions en date du 6 février 2006 par lesquelles le GIE BCA, intimé, demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelante à lui payer la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Sur ce :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 251-1, alinéa 3, du Code de commerce, l'activité d'un groupement d'intérêt économique doit se rattacher à l'activité économique de ses membres et ne peut avoir qu'un caractère auxiliaire par rapport à celle-ci ; que selon l'article 5 de la loi n° 72-1097 du 11 décembre 1972, devenu l'article L. 326-6 du Code de la route, l'exercice de la profession d'assureur est incompatible avec celui de la profession d'expert en automobile;

Qu'il résulte de ces dispositions que cette dernière activité, exercée par le GIE BCA, conformément à son objet, ci-dessus rappelé, ne peut valablement se rattacher à l'activité économique de ses membres, qui exercent la profession d'assureur, et constituer l'auxiliaire de celle-ci;

Considérant que l'intimé fait vainement valoir que, s'agissant d'une activité d'estimation des sinistres qui contribue à la gestion et à l'exécution des contrats d'assurance, la profession d'expert en automobile entre désormais dans la définition de l'activité d'intermédiation en assurance énoncée à l'article 3 de la directive 2002-92-CE du Parlement européen et du Conseil du 9 décembre 2002 sur l'intermédiation en assurance, de sorte qu'il y a lieu d'écarter l'application de l'article L. 326-6 du Code de la route qui, dans sa rédaction actuelle, est incompatible avec les dispositions claires et précises de ladite directive ;

Considérant, en effet, qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l'encontre d'une telle personne;

Considérant, certes, qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultant visé par celle-ci;

Mais considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 § I du Code des assurances, dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance, laquelle a transposé la directive susvisée, n'est pas considérée comme de l'intermédiation en assurance ou en réassurance l'activité consistant exclusivement en la gestion, l'estimation ou la liquidation des sinistres;

Considérant que ces dispositions n'appellent aucune interprétation ; qu'elles sont, au demeurant, conformes au texte et à la finalité de la directive en cause;

Et considérant que selon l'article L. 251-5 du Code de commerce, la nullité du groupement d'intérêt économique ne peut résulter que de la violation des dispositions impératives du chapitre premier du titre cinquième du livre deuxième du Code de commerce, au nombre desquelles figurent celles de l'article L. 251-1 susvisées, auxquelles contrevient le GIE BCA dès lors qu'il a pour objet une activité dont l'exercice est interdit à ses membres;

Qu'il y a lieu, en conséquence, d'accueillir la demande de l'appelante tendant au prononcé de la nullité du GIE BCA;

Considérant que cette nullité produisant les effets d'une dissolution prononcée par justice, il appartiendra aux représentants légaux du GIE BCA de procéder aux formalités de publicité légalement requises en pareil cas ; qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt au BODACC ;

Considérant, sur la demande de l'appelante tendant à la condamnation de l'intimé au remboursement des sommes payées au GIE BCA au titre des dépens de première instance et d'appel ou de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, que l'arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2003, annulant l'arrêt du 8 mars 2001, rouvrant l'instance d'appel du jugement déféré et privant celui-ci de son caractère exécutoire, constitue pour cette partie un titre ouvrant droit à répétition de ces sommes ; qu'il n'y a donc pas lieu de prononcer une condamnation à paiement de ces chefs;

Considérant que le GIE BCA étant condamné par le présent arrêt au paiement des dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé, la demande de la société Carrosserie Bouffet tendant au paiement de la somme correspondant à ses frais d'avoué est sans objet;

Considérant qu'il convient d'accueillir partiellement la demande formée par la société Carrosserie Bouffet au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs : Infirme le jugement déféré; Prononce la nullité du groupement d'intérêt économique "Bureau Commun Automobile", immatriculé au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le numéro C 775 723 596 (89C00009); Rappelle que l'arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2003 emporte obligation pour le GIE BCA de rembourser à la société Carrosserie Bouffet les sommes perçues en exécution dudit jugement et de l'arrêt cassé; Condamne le GIE BCA à payer à la société Carrosserie Bouffet la somme de 15 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code susvisé; Le condamne au paiement des dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé, et dit qu'ils pourront être recouvres dans les conditions prévues à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toute autre demande.