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Décisions

Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-12.406

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Guyard (Consorts)

Défendeur :

Fox Média (SARL), Abouaf

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Garnier

Avocat général :

M. Lafortune

Avocats :

Me Capron, Bouthors

TGI Paris, 3e ch., du 23 févr. 2001

23 février 2001

LA COUR : - Joint les pourvois n° 04-12.406 et n° 04-12.477 qui attaquent le même arrêt; - Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Paris, 14 novembre 2003), que MM. Jean-Paul et Patrice Guyard réalisent des photographies de coiffure publiées dans la revue Casting éditée par la société Visuel Plus, titulaire de la marque "Casting", déposée le 3 décembre 1991 et enregistrée sous le n° 1 716 738, pour désigner en classes 41 et 42 les éditions de revues, magazines de coiffures et imprimerie; qu'après mise en liquidation judiciaire de cette société, ils ont poursuivi sous leurs noms l'édition de la revue; qu'après acquisition de la marque auprès des liquidateurs et publication au registre national des marques, les consorts Guyard ont fait assigner en contrefaçon de marque et en concurrence déloyale, M. Abouaf, titulaire de la marque "Casting magazine" déposée le 19 juin 1992, enregistrée sous le n° 92 423 910, pour désigner les produits et services en classes 35, 38 et 41 "publicité et affaires, communications, éducation et divertissement", et de la marque "Casting pour réussir une carrière artistique, magazine" déposée le 23 décembre 1992, enregistrée sous le n° 92 447 893, pour désigner les produits et services en classes 16, 38 et 41, parmi lesquels les revues et périodiques, l'édition de livres et revues, ainsi que la société Fox média qui diffuse une revue dénommée Casting magazine ; que ceux-ci ont reconventionnellement conclu à l'annulation de la marque Casting;

Sur le moyen unique du pourvoi formé par M. Abouaf et 12 société Fox média : - Attendu que M. Abouaf et la société Fox média font grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en annulation de la marque Casting n° 1 716 738 dont sont titulaires les consorts Guyard, dit qu'une atteinte avait été portée aux droits de ces derniers par le dépôt ultérieur des marques n° 92 423 910 et 92 447 893 et par l'édition du magazine intitulé Casting magazine, d'avoir annulé la marque n° 92 423 910 en ce qu'elle désignait en classe 38 les communications et la marque n° 92 447 893 en ce qu'elle désignait en classes 16, 38 et 41 les revues, journaux et périodiques, les produits de l'imprimerie, l'édition de terminaux d'ordinateurs, de leur avoir interdit de faire usage de la dénomination "Casting magazine" et "Casting pour réussir une carrière artistique, magazine" pour désigner une revue, et d'avoir alloué des dommages-intérêts aux consorts Guyard, alors, selon le moyen : 1°) que, selon les articles L. 711-1 et L. 713-1 du Code de la propriété intellectuelle, la protection d'une marque est réservée à son titulaire; que la reproduction par les consorts Guyard hors le cadre d'une cession ou d'une licence préalable de la marque d'une société en liquidation procédait d'une situation de pur fait et ne permettait pas aux utilisateurs d'invoquer un droit de propriété intellectuelle dont ils n'étaient pas titulaires durant la période de référence; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles susvisés; 2°) que, selon les articles L. 711-1 et L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement d'une marque produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande; que cette règle est d'ordre public et interdit aux parties de donner un effet rétroactif à l'enregistrement; qu'en l'absence d'enregistrement de la marque utilisée par les consorts Guyard avant celles des requérants, en 1992, la cour d'appel n'a pu légalement déclarer opposable la marque des premiers, qui n'avait été inscrite à l'Institut national de la propriété intellectuelle que le 21 avril 1997; qu'en se déterminant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés; 3°) que, selon la combinaison des articles L. 712-1 du Code de la propriété intellectuelle et 1134 du Code civil, la cession ou la licence de marque ne peut se déduire du silence de son titulaire initial; qu'en l'espèce, le silence du liquidateur entre 1992 et 1997, date à laquelle les consorts Guyard ont fait enregistrer la marque qu'ils utilisaient auparavant dans le cadre d'une pure situation de fait, n'a pu produire aucun effet translatif de droit; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; 4°) qu'aux termes de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, la protection de la marque cesse par le non-usage de celle-ci; que la cour d'appel n'a pu dès lors valider la marque des consorts Guyard sans autrement s'expliquer sur la portée du non-usage de ladite marque pendant plus de six mois, comme l'y invitaient spécialement les conclusions des requérants qui se prévalaient d'une déchéance acquise avant l'enregistrement de leurs propres marques, indûment arguées de contrefaçon; que faute de cette recherche nécessaire, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale; 5°) que l'acquisition d'une marque dans un but manifeste de nuisances à l'égard des tiers est de nul effet aux termes de l'article 1135 du Code civil; qu'en écartant le moyen de défense des requérants par la seule considération que les consorts Guyard avaient seulement " conforté " leurs droits en 1997, la cour d'appel s'est déterminée à la faveur d'un motif erroné puisque les consorts Guyard ne justifiaient pas de droits antérieurs, et n'a pas recherché, comme elle en était requise, si les circonstances et la date de l'acquisition par les consorts Guyard de la marque de la société Visuel Plus,en liquidation depuis cinq ans et à peu de jours de l'acquisition d'un délai de prescription en faveur des requérants, n'était pas marquée par une intention manifeste de nuire; qu'ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des exigences du texte susvisé; 6°) qu'aux termes de l'article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle, le caractère déceptif d'une marque s'apprécie au regard des produits et services désignés; que le terme "Casting" associé à une revue exclusivement distribuée chez les coiffeurs pour proposer des modèles de coiffures à la clientèle n'opère aucune sélection d'artistes, de modèles ou de mannequins en vue de leur promotion propre; qu'en refusant dès lors de reconnaître le caractère déceptif de pareil usage de la dénomination "Casting" invoquée comme marque par les consorts Guyard, en se fondant sur des motifs inopérants sur la forme de magazine de la revue et sans autrement s'expliquer sur la totale inadéquation de la dénomination à son objet, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard du texte susvisé; 7°) que, selon l'article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement d'une marque ne fait pas obstacle à l'utilisation du même signe ou d'un signe similaire comme dénomination sociale, nom commercial ou enseigne lorsque cette utilisation est antérieure à l'enregistrement; qu'en l'état de l'usage antérieurement justifié par la société Fox média et M. Abouaf de la dénomination "Casting", la cour d'appel n'a pu sans erreur affirmer que le mot casting ne désignait pas l'entreprise mais une activité, confondant ainsi dénomination sociale et nom commercial; que, de œ chef aussi, la cour d'appel a méconnu les dispositions du texte précité;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une appréciation souveraine que l'arrêt retient que les liquidateurs de la société Visuel Plus, titulaire de la marque "Casting" déposée le 3 décembre 1991 et enregistrée sous le n° 1 716 738, antérieurement aux marques déposées par M. Abouaf, ont autorisé tacitement les consorts Guyard à utiliser celle-ci pour la diffusion des photographies qu'ils réalisaient;

Attendu, en deuxième lieu, dès lors que la marque "Casting" avait été déposée par la société Visuel Plus, antérieurement à celles dont est titulaire M. Abouaf et que les consorts Guyard avaient régulièrement publié au registre national des marques l'acquisition de cette marque, c'est à bon droit que la cour d'appel a statué comme elle a fait;

Attendu, en troisième lieu, que le moyen manque en fait en sa troisième branche, dès lors que les conditions prévues à l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas réunies;

Attendu, en quatrième lieu, que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a relevé que les consorts Guyard, en acquérant des droits sur la marque litigieuse pour conforter les droits qu'ils tenaient d'une exploitation autorisée de celle-ci, dans la mesure où ils l'exploitaient de manière habituelle et constante pour l'édition de la revue Casting, acquisition dont elle constatait qu'elle avait été autorisée par le juge-commissaire, n'avaient pas agi dans une intention frauduleuse;

Attendu, en cinquième lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le terme Casting n'est ni descriptif, ni usuel, ni nécessaire pour désigner les produits et services visés au dépôt de cette marque, et que l'acquéreur ne pouvait être trompé par ce terme dès lors qu'il savait qu'il achetait un magazine et non un service de casting;

Attendu, enfin, que c'est par une appréciation souveraine que l'arrêt retient que M. Abouaf et la société Fox média ne justifient pas de l'utilisation du nom commercial Casting mannequin antérieurement au dépôt de la marque Casting, dès lors que sous cette dénomination étaient désignés des manifestations de défilés et de concours de mannequins, et non l'entreprise qui les organisait; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Sur le moyen unique du pourvoi formé par les consorts Guyard : - Attendu que les consorts Guyard font grief à l'arrêt d'avoir limité à une certaine somme le montant des indemnités allouées et d'avoir rejeté leur demande de publication, alors, selon le moyen, que la renonciation à un droit ne peut résulter du silence ou de l'inaction, de la partie à laquelle on l'impute; qu'en relevant, pour limiter les réparations qu'elle leur alloue et les débouter de leur demande de publication, qu'ils se sont abstenus pendant près de cinq ans, de contester la diffusion de la revue Casting magazine, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les revues en litige ne s'adressaient pas à la même clientèle et n'avaient pas le même objet, l'une étant destinée à des salons professionnels de coiffeurs, l'autre au grand public intéressé par toutes manifestations et informations relatives aux mannequins; que c'est par une appréciation souveraine de l'existence du préjudice et des mesures propres à le réparer que la cour d'appel a statué comme elle a fait; que le moyen n'est pas fondé;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.