CA Paris, 1re ch. H, 9 mai 2006, n° 2006-04592
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
SAEM Transport Presse (SARL), NMPP (SARL)
Défendeur :
MLP (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pezard
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Mouillard
Avoués :
SCP Naboudet-Hatet, SCP Grappotte-Benetreau, SCP Hardouin
Avocats :
Mes Choisy de Monti, Georges, Till-Tayara
L'activité de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, qui est régie par la loi n° 47-585 du 2 avril 1947, dite "loi Bichet", est soumise au principe de liberté de la distribution pour l'éditeur et de coopération en cas de mise en commun par plusieurs éditeurs.
Elle est organisée en trois niveaux :
- les messageries de presse qui regroupent les titres auprès des éditeurs et les transmettent aux dépositaires. Cette activité est réservée aux sociétés coopératives constituées par les éditeurs ou aux sociétés possédées majoritairement par une telle coopérative.
Sur ce secteur, seules interviennent la SARL Nouvelles Messageries de Presse Parisienne (ci-après la société NMPP) et la SARL Société Auxiliaire pour l'Exploitation de Messagerie Transport Presse (ci-après la SAEM-TP), toutes deux filiales de la société Hachette, ainsi que la SA Messageries Lyonnaises de Presse (ci-après la société MLP) qui, depuis 1994, a cessé de sous-traiter la distribution de ses titres à la société NMPP pour l'assurer par elle-même.
- les dépositaires qui, bénéficiant d'une exclusivité dans une zone géographique donnée, distribuent aux diffuseurs de presse de cette zone les titres qui leur sont confiés par les messageries de presse et par les éditeurs directement.
A Paris prévaut une organisation particulière, la société MLP livrant directement les diffuseurs.
- les diffuseurs (32 000 points de vente), pour la plupart des commerçants indépendants, qui assurent la vente de la presse au public. Parmi ceux-ci figurent des magasins spécialisés exploités sous l'enseigne "Maison de la Presse" (environ 615 points de vente) ou "Mag-Presse" (environ 900 points de vente), au sein d'un réseau géré par la société Seddif, filiale de la société NMPP, et 5 magasins dénommés "Agora Presse et caetera", conçus selon un concept récent et gérés par la SARL Agora Diffusion Presse (ci-après la société Agora), filiale de la société MLP.
En outre, la société NMPP, dont le logo représente une plume, qui figure déjà dans les logos des Maisons de la Presse et des Mag-Press, a développé plusieurs autres enseignes comportant une plume que les diffuseurs peuvent acquérir.
Le système de rémunération des opérateurs repose sur le principe que l'éditeur reste propriétaire des publications jusqu'à leur achat par le lecteur et que chaque niveau de distribution est rémunéré par une commission.
L'article 11 de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 dispose qu'afin d'assurer le respect du principe de neutralité dans les conditions de distribution de la presse, la rémunération des diffuseurs est déterminée en pourcentage du montant des ventes desdites publications réalisées par leur intermédiaire, dans des conditions fixées par décret.
C'est le décret n° 88-136 du 9 février 1988 qui fixe, selon certains critères, les plafonds des taux des commissions perçues par les diffuseurs.
Il a été modifié par le décret n° 2005-1455 du 25 novembre 2005 qui, en son article 1er, a introduit la possibilité de majorer, par convention, ces taux de commission, sous réserve que les majorations soient subordonnées à des critères objectifs, transparents, équitables et non-discriminatoires, de nature à respecter le principe de neutralité prévu à l'article 11 de la loi du 27 janvier 1987.
Les taux retenus s'étant révélés insuffisants pour permettre aux diffuseurs de presse de faire face à leurs charges, un premier plan de revalorisation de leur rémunération a donné lieu à la signature de plusieurs accords interprofessionnels:
* le 30 septembre 1994, la société NMPP a conclu avec l'Union nationale des diffuseurs de presse (ci-après l'UNDP), avec l'intervention du Syndicat des dépositaires de presse (ci-après le SNDP) et sous l'égide du Conseil supérieur des messageries de presse, créé par la loi Bichet, un accord qui prévoyait l'octroi d'une rémunération complémentaire aux "diffuseurs qualifiés".
Le même jour, un accord similaire a été signé entre la société MLP et l'UNDP.
* le 18 septembre 2001, un second accord, dit "1er plan de qualification", a été conclu entre la société NMPP, la SAEM-TP, l'UNDP et le SNDP, qui prévoyait un taux de rémunération revalorisé uniforme de 15 % pour tous les diffuseurs qualifiés.
Le 12 mars 2002, la société MLP a conclu un accord similaire avec l'UNDP et le SNDP. Ces accords, qui bénéficient à 13 700 diffuseurs, sont toujours en vigueur.
Toutefois, ce premier plan étant devenu à son tour insuffisant, un second plan a fait l'objet de discussions dans le cadre d'une table ronde organisée par le Conseil supérieur des messageries de presse, à l'issue desquelles, le 30 juin 2005, la société NMPP et la SAEM-TP ont respectivement signé avec l'UNDP et le SNDP deux protocoles interprofessionnels fixant d'autres critères de qualification permettant aux diffuseurs d'accéder à une rémunération complémentaire, ainsi qu'un avenant au protocole interprofessionnel du 18 septembre 2001 aménageant les critères de qualification du premier plan, condition de l'accès au deuxième plan.
Ces accords, qui devaient prendre effet au 1er juillet 2005 pour trois ans, ont été transmis, conformément aux articles 1er et 2 du décret n° 2005-145 du 25 novembre 2005, au Conseil supérieur des messageries de presse et au ministre de la Culture et ont reçu un avis favorable du Conseil supérieur des messageries de presse le 2 février 2006. A défaut d'opposition du ministre dans le délai d'un mois suivant la réception de l'avis du Conseil supérieur des messageries de presse, ils devaient entrer en vigueur.
Cependant, la société MLP - qui a de son côté conclu avec l'UNDP des accords voisins, contenant des critères de qualifications différents, qui sont entrés en vigueur le 2 mars 2006 - a, conjointement avec la société Agora, saisi le Conseil de la concurrence, par lettre enregistrée le 14 septembre 2005, de pratiques mises en œuvre par la société NMPP et la SAEM-TP, sollicitant simultanément le prononcé de mesures conservatoires.
Ces sociétés faisaient valoir que les accords conclus le 30 juin 2005, en ce qu'ils favorisent les diffuseurs liés à la société NMPP, sont discriminatoires, soutenaient qu'ils sont de nature à inciter les diffuseurs à favoriser les titres distribués par la société NMPP et la SAEM-TP, au détriment de ceux de la société MLP, et se plaignaient d'une campagne de dénigrement de la société MLP orchestrée par les messageries dominantes et relayée par l'UNDP.
Par décision 06-MC-01 du 23 février 2006, le Conseil de la concurrence a rendu la décision suivante :
Article 1er : Il est enjoint aux sociétés NMPP et SAEM-TP de suspendre, à titre conservatoire, l'application des protocoles interprofessionnels qu'elles ont respectivement conclus avec l'UNDP et le SNDP le 30 juin 2005.
Article 2 : Il est enjoint aux sociétés NMPP et SAEM-TP de suspendre, à titre conservatoire, l'application de l'avenant au protocole interprofessionnel du 18 septembre 2001 qu'elles ont conclu avec l'UNDP et le SNDP le 30 juin 2005.
Article 3 : Les mesures de suspension prononcées, à titre conservatoire, aux articles 1 et 2 de la présente décision portent leur effet tant qu'il n'aura pas été mis fin aux stipulations fidélisantes inhérentes à l'économie globale des protocoles et avenant précités, tel qu'il ressort de leur rédaction actuelle, et au plus tard jusqu'à la notification de la décision que rendra sur le fond le Conseil de la concurrence.
LA COUR :
Vu les assignations délivrées le 10 mars 2006 à la société MLP, à la société Agora, à la société NMPP, au Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et au ministre de l'Economie, et les conclusions déposées le 27 mars 2006, par lesquelles la SAEM-TP demande à la cour :
- à titre principal,
* de juger que les conditions prévues à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne sont pas réunies,
* d'annuler la décision et de dire n'y avoir lieu à mesures conservatoires,
- à titre subsidiaire,
* de réformer les mesures conservatoires prononcées en précisant de façon claire les clauses fidélisantes qu'elle doit faire disparaître du protocole du 30 juin 2005 et de l'avenant afin qu'elle puisse établir un texte permettant d'accorder aux diffuseurs de presse une rémunération complémentaire avec pour objectif de rémunérer les services qu'ils rendent à ses éditeurs,
- de condamner la société MLP à lui payer une somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de son avoué conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code;
Vu les assignations délivrées le 10 mars 2006 aux MLP, à la société Agora, à la SAEM-TP, au Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes et au ministre de l'Economie, et les conclusions déposées le 27 mars 2006 par lesquelles par la société NMPP demande à la cour de :
- à titre principal,
* annuler la décision et les mesures conservatoires en cause et dire n'y avoir lieu à mesures conservatoires,
- à titre subsidiaire,
* réformer ces mesures en les limitant strictement à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence conformément aux dispositions de l'article L. 464-1 du nouveau Code de procédure civile,
- condamner la société MLP à lui verser une somme de 100 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;
Vu les observations en réponse déposées le 24 mars 2006 par lesquelles par les sociétés MLP et Agora demandent à la cour de :
- rejeter les recours de la société NMPP et de la SAEM-TP,
- subsidiairement, si la cour acceptait les engagements proposés par ces dernières quant à la reformulation de la clause concernant l'enseigne-plume, de reformuler la clause de la façon suivante:
"Le point de vente doit disposer d'une enseigne de nature à informer clairement le public que le point de vente qui l'arbore est un spécialiste de la Presse, notamment en comprenant le mot "presse" ou tout symbole relatif à la presse écrite.",
- en tout état de cause, de condamner conjointement et solidairement la société NMPP et la SAIEM-TP à payer à la société MLP une somme de 50 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens au profit de leur avoué, en application de l'article 699 du même Code;
Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 21 mars 2006;
Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;
Ouï à l'audience publique du 28 mars 2006, en leurs observations orales, les conseils des parties requérantes ainsi que les représentants du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer;
Sur ce :
Considérant qu'il y a lieu de joindre les procédures ouvertes respectivement, sur le recours de la société NMPP, sous le numéro 06/04592 et, sur le recours de la SAEM-TP, sous le numéro 06/04637;
Considérant que, pour statuer comme il a fait, le Conseil a constaté, tout d'abord, qu'en 2004, la société NMPP avait distribué pour 55,9 % du montant total, en valeur faciale, des journaux et magazines vendus, contre 24,6 % par la SAEM-TP et 14,4 % par la société MLP ;
Qu'il a ajouté que, compte tenu des liens financiers qui unissent la société NMPP et la SAEM-TP, toutes deux filiales du groupe Hachette, du fait que la société NMPP assure la distribution des titres confiés à la SAEM-TP, que les barèmes des deux messageries sont quasiment identiques, qu'elles se présentent aux éditeurs, non comme des concurrentes mais comme des partenaires, et que les accords du 30 juin 2005, certes signés séparément, sont rédiges dans des termes identiques, à l'exception de certains seuils, l'avenant du reste ayant été signé en commun, elles ne peuvent être considérées comme indépendantes du point de vue du droit de la concurrence et que, leur position conjointe leur permettant de se comporter comme si elles ne formaient qu'une seule entreprise, alors qu'elles assurent ensemble plus de 85 % des ventes au prix fort, il doit être considéré qu'elles détiennent une position dominante sur le marché de la distribution de la presse au numéro;
Qu'il a ensuite analysé chacune des clauses discutées dont le caractère anticoncurrentiel, en l'état de l'instruction, lui est apparu constitué mais n'a retenu, pour ordonner les mesures conservatoires, que celles concernant certains critères de la rémunération complémentaire des détaillants, qu'il a jugées fidélisantes ; qu'il a en effet observé que les accords conclus le 30 juin 2005 prévoient un supplément de rémunération fondé, entre autres, sur les performances des diffuseurs, évaluées en part, en montant (50 000 euro par an pour la société NMPP et 30 000 euro par an pour la SAEM-TP), et en taux de croissance relatif sur les ventes des titres gérés par chacune des deux messageries cocontractantes; qu'ayant relevé que tous les détaillants travaillent sous une contrainte d'espace, qui ne leur permet pas l'exposition permanente de tous les titres distribués et leur confère donc une marge d'appréciation dans cette exposition, leur permettant de privilégier certains des titres au détriment des autres, il en a déduit que l'effet de forte incitation, donc de fidélisation, de ces rémunérations complémentaires, qui ne concernent que les titres distribués par la société NMPP et la SAEM-TP, était susceptible, en l'état des éléments connus à ce stade de la procédure, d'avoir pour objet et pour effet d'évincer l'unique messagerie concurrente des marchés de la distribution des produits de presse et des produits hors presse et, partant, de constituer une pratique contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce;
Considérant que la société NMPP soutient que cette décision est entachée d'un défaut manifeste de motivation et d'erreurs manifestes de droit et de fait, qu'aucune présomption ni indice d'effets discriminatoires ou fidélisantes n'est établi qui puisse justifier le prononcé de mesures conservatoires en conformité avec l'article L. 464-1 du Code de commerce, qu'aucune atteinte grave ou immédiate à l'économie générale, au secteur de la distribution de la presse vendue au numéro, à l'intérêt des consommateurs ou aux sociétés MLP et Agora n'est démontrée, qu'aucun lien de causalité directe entre la mise en œuvre des pratiques concernées et l'atteinte alléguée n'est établi, que les mesures conservatoires attaquées ont été prononcées en violation de la condition d'urgence de l'article L. 464-1 du Code de commerce, qu'elles sont disproportionnées au risque identifié à tort par le Conseil et revêtent en outre nécessairement un caractère durable compte tenu de l'imprécision de leur formulation et de l'incohérence de cette dernière avec d'autres dispositions de la décision, qu'elles la placent dans une insécurité juridique dont elle est fondée à demander qu'elles soient levées;
Que, de son côté, la SAEM-TP fait valoir que la décision n'établit pas la preuve des effets fidélisants qu'elle reproche au protocole et à son avenant et ne prend pas en considération le contexte légal de la distribution de la presse, qu'elle n'apporte pas la preuve des effets discriminatoires qu'elle reproche aux accords, qu'elle ne démontre pas l'atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société MLP, du secteur ou de l'économie en général, que l'injonction est disproportionnée par rapport à la situation dramatique des diffuseurs sur le plan financier, qu'elle-même se trouve dans une situation d'insécurité insupportable alors que la société MLP a vu sa convention avalisée par le Conseil supérieur des messageries de presse et par le Ministre et peut d'ores et déjà l'appliquer; qu'elle demande subsidiairement à la cour de réformer la décision en la modulant aux seuls points entraînant un effet discriminatoire, tout en tenant compte de la situation juridique ;
Considérant, tout d'abord, que, contrairement à ce que soutient la SAEM-TP, le Conseil n'a pas pris en compte le chiffre d'affaires global de 80 000 euro pour apprécier les effets des seuils de chiffre d'affaires des titres vendus propres à chaque messagerie puisqu'il a analysé les effets de chacun des seuils pris séparément puis estimé que cette circonstance ne diminuait pas l'effet d'exclusion joué par ces seuils à l'égard des titres ne relevant pas de la diffusion NMPP et SAEM-TP (point 94);
Que c'est à tort que les parties requérantes contestent la motivation selon laquelle l'ensemble des diffuseurs soufflent d'un surencombrement de leurs magasins de sorte qu'une clause financière les incitant fortement à avantager un ou plusieurs titres en particulier les conduirait nécessairement à favoriser l'exposition de ces derniers au détriment des autres ; qu'en effet, c'est par une analyse exacte et cohérente des éléments soumis à son appréciation que le Conseil, sans s'attacher aux tableaux contradictoires, et invérifiables en l'état, que lui proposaient la société NMPP et la SAEM-TP, et sans s'arrêter aux déclarations insuffisamment probantes du représentant de l'UNDP, co-signataire des protocoles en examen, s'est fondé sur cette particularité, reconnue de tous, y compris des parties requérantes, et confirmée par le rapport parlementaire figurant au dossier, de la saturation des espaces d'exposition, qui confère à ces derniers le caractère d'une ressource rare permettant la mise en œuvre, de la part des diffuseurs, de comportements discriminants ; que c'est avec pertinence qu'il a relevé à cet égard qu'il était loisible à un diffuseur de jouer sur la durée d'exposition, sur l'emplacement et sur la surface du titre affiché (en "chevauché" pour 1 cm ou en pleine page) pour moduler la qualité de l'exposition ainsi concédée;
Que le système de rémunération antérieur, résultant du premier plan, ne contenant aucun taux avantageant plus particulièrement les titres de l'une ou l'autre messagerie, c'est en vain que les requérantes critiquent cette appréciation au motif erroné que ce phénomène aurait déjà dû être constaté auparavant;
Que l'affirmation des requérantes, selon laquelle un diffuseur qui procéderait ainsi, sur leur incitation, violerait les principes d'impartialité et de neutralité qui s'imposent à lui en vertu respectivement du contrat-type le liant à son dépositaire et de la loi du 27 janvier 1987, n'est pas de nature à invalider l'analyse du Conseil;
Que, pas davantage, le fait qu'un diffuseur n'ait pas le droit de refuser l'exposition d'un titre n'est incompatible avec cette analyse, puisque les hypothèses envisagées par le Conseil, qui reposent toutes sur une exposition effective, n'entrent pas dans le champ de cette interdiction ; que les développements de la société NMPP (page 16 à 19 de son assignation) qui procèdent d'un amalgame entre modulation de l'exposition et refus d'exposition, sont donc inopérants;
Que c'est également à juste titre que la décision retient que cette pratique pourrait être mise en œuvre de plus fort pour les produits hors presse qui, n'étant pas légalement visés par l'obligation d'exposition, pourraient faire l'objet d'un refus pur et simple de la part des diffuseurs;
Que l'allégation selon laquelle les diffuseurs seraient dans l'impossibilité d'effectuer le tri des titres en fonction de la messagerie dont ils dépendent est contredite par les menaces formulées le 10 décembre 2005 par le "Relais de la presse" à Chennevières-sur-Marne de bloquer tous les titres distribués par la société MLP et par l'initiale figurant en couverture de chaque publication qui signale quelle messagerie la distribue;
Qu'il importe peu que, le protocole et son avenant n'ayant pas été appliqués, les effets anticoncurrentiels d'une telle clause n'aient pas été constatés en fait, dès lors qu'une mesure conservatoire peut être prononcée pour prévenir une atteinte lorsque celle-ci doit être considérée comme certaine, ce qui est le cas en l'espèce;
Qu'enfin, la suspension ordonnée est fondée sur une atteinte grave et immédiate aux intérêts de la société MLP et à la concurrence sur le marché des messageries de presse, le Conseil ayant exclu toute atteinte de ce type aux intérêts de la société Agora et à la situation de la concurrence sur le marché des diffuseurs de presse (point 106); qu'il suit de là que les moyens de la SAEM-TP et de la société NMPP, qui discutent les motifs de la décision relatifs à la clause d'enseigne "presse-plume" et à la clause récompensant la diversité de l'offre en ce qu'elle n'avantagerait pas les "Mag Press" et les "Maisons de la presse", qui ne fondent pas la mesure contestée, sont inopérants;
Considérant que c'est en vain également que, pour s'opposer aux mesures conservatoires, les sociétés requérantes soutiennent l'absence d'atteinte grave et immédiate à la concurrence sur le marché des messageries de presse ;
Qu'en effet, c'est par des motifs pertinents (points 111 à 117) que la cour adopte que le Conseil a rappelé que le secteur de la distribution de la presse se caractérise par une grande concentration de l'offre au niveau des messageries et par une intensité de la concurrence déjà réduite en raison de la réglementation spécifique du secteur et de la position largement dominante occupée par la société NMPP et la SAEM-TP qui assurent ensemble 85 % des ventes et ne se font pas concurrence, de sorte que seule la société MLP, avec les 15 % résiduels, est en mesure de leur faire concurrence, qu'il a ensuite souligné que la gravité de l'atteinte devait être mesurée au regard du cumul, dans les protocoles en cause, des critères susceptibles de conférer au système de rémunération un caractère fidélisant, qui portent à la fois sur un chiffre d'affaires minimum, sur un nombre de titres et sur un effort de progression du chiffre d'affaires et qui, par leur montant relativement élevé, sont de nature à inciter les diffuseurs à faire des efforts significatifs pour promouvoir la vente des titres NMPP et SAEM-TP et à négliger ainsi les titres MLP et qu'il a relevé enfin que la société MLP ne pouvait compenser cet effet en mettant en place à son tour une rémunération supplémentaire dès lors que, compte tenu de ses parts de marché, cette sur-rémunération devrait, pour être efficace, excéder celle concédée par la société NMPP et la SAEM-TP, ensemble, dans la proportion des parts de marché en cause soit 85 sur 15 par euro de chiffre d'affaires;
Qu'il a retenu à juste titre que les effets de ces protocoles se feraient sentir très rapidement, dès lors que les éditeurs mesureraient immédiatement les baisses des ventes qui en résulteraient, qu'ils disposaient d'un préavis de seulement trois mois pour changer de messagerie et que, n'étant pas tenus de faire transiter tous leurs titres par la même messagerie, ils pouvaient même décider de donner sans attendre leurs titres nouveaux aux entreprises dominantes;
Qu'il a ajouté avec raison, pour écarter les objections des sociétés NMPP et SAEM-TP qui faisaient valoir l'urgence à remédier à la situation difficile des diffuseurs, qu'il leur était toujours loisible, dans le cadre des textes en vigueur, notamment du décret du 25 novembre 2005, de leur consentir une autre forme d'augmentation, ainsi du reste que la société MLP l'a fait de son côté;
Qu'ayant enfin souligné la fragilité de la situation financière de la société MLP, dont le résultat d'exploitation en 2003 et 2004 est négatif même s'il est en voie de redressement, et sans être tenu de s'interroger sur l'origine de cette situation qui doit être appréhendée comme un élément objectif, le Conseil, qui a caractérisé l'atteinte grave et immédiate à la concurrence qui résulterait de l'éviction du seul concurrent des messageries en position dominante, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués;
Considérant que le protocole et son avenant combinant des critères multiples et complexes, parmi lesquels ceux critiqués par le Conseil, c'est à juste titre que ce dernier a suspendu la totalité du système de rémunération, qui forme un ensemble indissociable, en précisant que cette suspension demeurerait tant qu'il ne serait pas mis fin aux stipulations fidélisantes participant à l'économie globale des protocoles et avenant en cause et, au plus tard, jusqu'à la notification de sa décision à intervenir sur le fond;
Considérant enfin que c'est sans fondement que les requérantes prétendent être placées dans une insécurité juridique, dès lors, d'une part, que la décision précise clairement quels sont les critères, susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels, qui justifient les mesures prononcées et que, d'autre part, il ne peut être fait grief au Conseil de n'avoir pas répondu à des questions étrangères aux mesures conservatoires sur lesquelles il était appelé à statuer, que la société NMPP persiste à invoquer en page 26 de son assignation;
Considérant qu'il suit de là que les recours sont dépourvus de fondement et doivent être rejetés;
Et considérant que la société MLP a dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge ; qu'il convient de lui allouer une somme de 15 000 euro à ce titre;
Qu'enfin, la représentation des parties n'étant pas obligatoire en cette matière, les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile sont inapplicables à la présente instance;
Par ces motifs, Ordonne la jonction des procédures ouvertes sous les numéros 06-04592 et 06-04637; Rejette les recours de la société NMPP et de la SAEM-TP contre la décision n° 06- MC-01 du 23 février 2006 du Conseil de la concurrence; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société NMPP et la SAEM-TP à payer à la société MLP la somme de 15 000 euro et rejette leur demande; Condamne la société NMPP et la SAEM-TP aux dépens.