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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 25 avril 2006, n° ECOC0600147X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sade (SA), Colas Est (Sté), Eurovia Lorraine (Sté), Cereda (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Teytaud, SCP Bommart Forster

Avocats :

Mes Durand, Gaffuri, Lazarus

CA Paris n° ECOC0600147X

25 avril 2006

Le Conseil de la concurrence a été saisi par le ministre de l'Economie le 18 mars 2003 de pratiques mises en œuvre lors de la passation de marchés de travaux publics dans le département de la Meuse au cours des années 1996, 1997 et 1998.

Alors que quatre griefs avaient été notifiés, le rapporteur a proposé, au stade du rapport, l'abandon total du troisième grief, relatif à la constitution systématique de groupements d'entreprises pour répondre aux appels d'offres. Deux griefs ont fait l'objet d'une proposition d'abandon limitée à certaines sociétés : société Sade initialement impliquée au titre du premier grief " répartition générale des marchés ", sociétés Axima, Eurovia Lorraine (ci-après Eurovia), Monti, Müller, Sade CGTH (ci-après Sade) et Sotrae impliquées au titre du deuxième grief " participation à une concertation généralisée portant sur huit marchés ".

Le Conseil a approuvé ces propositions à l'exception de celles relatives au grief n° 2, considérant que l'implication des sociétés Axima, Eurovia, Sade et Sotrae était établie pour un ou plusieurs marchés.

Par décision n° 05-D-26 du 9 juin 2005, le Conseil de la concurrence a statué comme suit:

Article 1 : il est établi que les sociétés Cereda Henri, Nicora, SEETP, Sotrae, Berthold et Monti ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en participant à la répartition générale des marchés du grief n° 1;

Article 2 : il est établi, s'agissant du grief n° 2, que :

• pour le marché du Sivom Revigny-sur-Omain, les sociétés SEETP Robinet, Cereda et Nicora;

• pour le marché de Longeville en Barrois (1er appel d'offres), les sociétés Cereda Henri et Müller;

• pour le marché de Longeville en Barrois (2e appel d'offres), les sociétés Cereda Henri, EJL Est et Sade;

• pour le marché du Sivom Centre Ornain, les sociétés SRE, EJL Est, et Cereda;

• pour les marchés de la RD 964 et RD 163, les sociétés Cereda et EJL Est;

• pour le marché de Sivom de Révigny-sur-Ornain, les sociétés Sotrae et SEETP;

• pour le marché de Verdun, les sociétés Eurovia, Axima, Berthold, Cereda Henri, Cereda Frères et EJL Est,

ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs offres, pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce;

Article 3 : il est établi que les sociétés Cereda Henri et Cereda Frères ont enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce en présentant comme concurrentes des offres élaborées en commun (grief n° 4);

Article 4 : les pratiques relatives au grief n° 3 ne sont pas établies;

Article 5 : il n'est pas établi que la société Sade ait participé à la répartition des marchés visée par le grief n° 1, que la société Sotrae ait participé à l'entente relative au marché de Longeville-en-Barrois (1er appel d'offres), que les sociétés Cereda Frères et Eurovia aient participé à l'entente relative au marché de la base de loisirs de Pré-l'Evêque, que la société Monti ait participé à l'entente relative au marché du Conseil général de la Meuse sur la RD 964;

Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes:

• à la société Cereda une sanction de 132 000 euro, à la société EJL Est une sanction de 290 000 euro,

• à la société Colas Est (venant aux droits de la société Axima) une sanction de 189 000 euro,

• à la société Berthold une sanction de 153 000 euro,

• à la société Eurovia (venant aux droits d'Eurovia Champagne Ardennes Lorraine) une sanction de 1 035 000 euro,

• à la société Monti une sanction de 88 000 euro,

• à la société Nicora une sanction de 14 000 euro,

• à la société Sade CGTH une sanction de 5 000 000 euro,

• à la société SEETP Robinet une sanction de 45 000 euro,

• à la société Sotrae une sanction de 42 000 euro,

• à la société Routière de l'Est une sanction de 95 000 euro;

Article 7 : Les sociétés Cereda et EJL Est feront publier les visas, les paragraphes 198 à 200 de la présente décision et le dispositif de celle-ci, à frais communs et au prorata du montant de la sanction infligée, dans une édition du " Moniteur des Travaux Publics " ainsi que du quotidien " Le Républicain Lorrain ". Ces publications seront précédées de la mention : "Décision n° 05-D-26 du 9 juin 2005 du Conseil de la concurrence relative à des marchés de travaux publics réalisés dans le département de la Meuse ";

Article 8 : Les sociétés adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil, copie des publications prévues à l'article 7, dès leur parution et au plus tard le 2 décembre 2005.

LA COUR,

Vu les recours des sociétés Cereda (pour Cereda Menti et Cereda Frères acquise par fusion-absorption du 1er janvier 1999), Colas Est, Eurovia et Sade-Compagnie Générale de Travaux d'Hydraulique déposés les 22, 23, 30 juin et 5 juillet 2005 tendant à l'annulation, et subsidiairement à la réformation de la décision n° 05-D-26 du 9 juin 2005, relative aux marchés de travaux publics réalisés dans le département de la Meuse;

Vu le désistement de la société Cereda par courrier du 1er juillet 2005;

Vu les conclusions de constitution déposées le 27 octobre 2005, par lesquelles la SCP Bommard-Foster, avouée à la cour, a demandé à cette dernière de constater qu'elle s'est constituée pour la société Cereda afin de la représenter dans l'instance susvisée et de condamner les sociétés Eurovia, Sade et Colas Est aux entiers dépens, et les conclusions déposées le 16 décembre 2005 par lesquelles elle indique avoir déclaré son intention de néanmoins suivre la procédure et demande à la cour de lui donner acte :

• de son intervention volontaire dans le cadre de la procédure d'appel diligentée par les sociétés Eurovia, Colas Est et Sade,

• de ce qu'elle s'en remet à la justice s'agissant des arguments avancés par les sociétés appelantes visant la réformation de la décision,

• qu'aucune nouvelle demande n'est formulée par les parties à la procédure,

• et de condamner tout succombant en tous les dépens de première instance et d'appel;

Vu le mémoire déposé le 12 août 2005 par la société Eurovia à l'appui de son recours soutenu par son mémoire en réplique du 20 janvier 2006, par lequel cette dernière demande à la cour de :

• à titre principal, dire qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'article 36, alinéa 2, du décret du 30 avril 2002 et, en conséquence, surseoir à statuer pour que le Conseil d'Etat puisse statuer, à titre préjudiciel, sur l'exception d'illégalité ainsi soulevée,

• à titre subsidiaire, réformer l'article 2, 7e tiret, de la décision attaquée, et dire que la société Eurovia doit être mise hors de cause,

• à titre très subsidiaire, réformer l'article 6 de la décision attaquée et de réduire le montant de la sanction pécuniaire infligée à Eurovia;

Vu le mémoire déposé le 16 août 2005 par la société Sade à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 23 janvier 2006, par lequel cette société demande à la cour de:

A titre principal,

- constater la violation des droits de la défense résultant du prononcé d'une sanction pécuniaire à l'encontre de la société Sade alors que le grief sur lequel porte cette sanction avait fait l'objet d'une proposition d'abandon au stade du rapport,

- constater, en toute hypothèse, qu'aucun élément ne permet d'accréditer la participation de la société Sade à une concertation anticoncurrentielle sur le marché négocié de la commune de Longeville-en-Barrois,

En conséquence :

- réformer la décision en ce qu'elle a dit que la société Sade avait enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce et lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 5 millions d'euro,

- ordonner le remboursement immédiat par le Trésor Public à la société Sade des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par la décision, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,

A titre subsidiaire,

- dans l'hypothèse où, par extraordinaire, la cour considérerait comme avérée la participation de la société Sade à une concertation anticoncurrentielle, constater que la sanction pécuniaire infligée à cette société par le Conseil de la concurrence a un caractère manifestement disproportionné,

En conséquence,

- réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Sade,

- ordonner le remboursement immédiat par le Trésor Public à la société Sade du trop perçu des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre par la décision, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,

En tout hypothèse,

- condamner le ministre chargé de l'économie à payer à la société Sade la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens;

Vu le mémoire déposé le 24 août 2005 par la société Colas Est à l'appui de son recours, soutenu par son mémoire en réplique du 23 janvier 2006, par lequel cette dernière demande à la cour de :

A titre principal,

- prononcer l'annulation de la décision n° 05-D-26 du Conseil de la concurrence en ce que:

• la participation de l'ancienne société Axima à de prétendus échanges d'informations entre soumissionnaires, à l'occasion du marché lancé en décembre 1998 par la ville de Verdun pour l'aménagement d'une aire de stationnement parc de Londres, a été retenue par la décision alors que ce grief avait été abandonné par le rapport, ce qui constitue une violation de l'article 6-3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et du principe du contradictoire rappelé à l'article L. 463-1 du Code de commerce,

• et la participation de l'ancienne société Axima à de prétendus échanges d'informations entre soumissionnaires à l'occasion du marché lancé en décembre 1998 par la ville de Verdun pour l'aménagement d'une aire de stationnement parc de Londres n'est pas établie,

- ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Est du montant des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,

Subsidiairement,

- constater que la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de la société Colas Est, venant aux droits de l'ancienne société Axima, n'est pas proportionnée au regard de l'absence de gravité des faits reprochés et de l'absence de dommage à l'économie, contrairement aux exigences de l'article L. 464-2 du Code de commerce et par voie de conséquence réduire de manière substantielle le montant de la sanction prononcée à l'encontre de la société Colas Est,

- ordonner le remboursement immédiat à la société Colas Est du trop-perçu des sommes versées au titre du paiement de la sanction pécuniaire, assorti des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,

- ordonner la capitalisation desdits intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,

- condamner le ministre chargé de l'Economie au paiement d'une somme de 7 700 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 5 décembre 2005;

Vu les observations écrites du ministre chargé de l'Economie, en date du 28 novembre 2005;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;

Ouï à l'audience publique du 21 février 2006, en leurs observations orales, les conseils des parties ainsi que le représentant du ministre chargé de l'Economie et le Ministère public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer et les conseils des sociétés requérantes ayant eu la parole en dernier;

Sur ce,

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société Cereda

Considérant que la société Cereda, après s'être désistée de son appel par lettre en date du 1er juillet 2005, enregistrée le 5 juillet, a constitué avoué par conclusions déposées le 27 octobre 2005, puis a signifié, le 16 décembre 2005 des conclusions qu'elle a déposées au greffe de la cour le 20 février 2006 aux termes desquelles elle entend lui voir donner acte de ce qu'elle s'en remet à la justice s'agissant des arguments avancés par les sociétés requérantes visant à la réformation de la décision et qu'aucune nouvelle demande n'est formulée à son encontre par les parties à la procédure;

Considérant qu'en ce qui concerne les conditions de l'intervention volontaire, l'article 7 du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987 dispose que "Lorsque le recours risque d'affecter les droits ou les charges d'autres personnes qui étaient parties en cause devant le Conseil de la concurrence, ces personnes peuvent se joindre à l'instance devant la cour d'appel par déclaration écrite et motivée déposée au greffe dans les conditions prévues à l'article 2 dans le délai d'un mois après la réception de la lettre prévue à l'article 4" ; qu'aux termes de l'article 2 dudit décret, les recours sont formés, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, par une déclaration écrite en triple exemplaire déposée contre récépissé au greffe de la Cour d'appel de Paris;

Qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que la société Cereda ait déclaré par écrit en triple exemplaire déposé contre récépissé au greffe de la cour conformément aux dispositions de l'article 2 du décret précité, son intervention volontaire à la présente instance;

Qu'ainsi, il apparaît que les conditions formelles pour une intervention volontaire de la société Cereda ne sont pas remplies;

Que les conclusions signifiées à ce titre, le 16 décembre 2005 et déposées le 20 février 2006 seront, en conséquence, déclarées irrecevables;

Sur les moyens d'annulation

Sur l'abandon d'un grief au stade du rapport

Considérant que les requérantes soutiennent qu'en sanctionnant sur le fondement de l'article 36, alinéa 2, du décret du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce, des griefs qui avaient été abandonnés au stade du rapport, le Conseil a méconnu le principe du contradictoire rappelé à l'article L. 463-1 du Code de commerce et les droits de la défense visés à l'article 6 § 3 de la Convention européenne des Droits de l'Homme disposant que "Tout accusé a droit à : a) être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui";

Que la société Colas Est et la société Eurovia contestent la qualification et la sanction de leurs comportements au regard du deuxième grief notifié visant une participation à un échange d'informations entre soumissionnaires à l'occasion du marché lancé en décembre 1998 par la ville de Verdun pour l'aménagement d'une aire de stationnement au parc de Londres, parce que, dans son rapport, le rapporteur proposait l'abandon du grief;

Que pour le même motif, la société Sade conteste la qualification et la sanction de son comportement au titre du grief visant sa participation à une entente relative au marché négocié de la commune de Longeville en Bai-rois lot 1 (2e appel d'offres);

Que les requérantes font valoir qu'elles ont été privées d'une procédure contradictoire en deux temps, expressément prévue par l'article L. 463-2 du Code de commerce, et que, non clairement informées des accusations portées contre elles, elles n'ont pas été mises en mesure de s'exprimer sur les éléments finalement retenus par le Conseil pour fonder sa décision ; qu'elles prétendent qu'on ne saurait imposer aux entreprises, lorsque des griefs ont été abandonnés par le rapporteur, d'anticiper les éléments, arguments et raisonnements à partir desquels le Conseil, pour contredire l'analyse du rapporteur et retenir ces mêmes griefs, pourrait éventuellement motiver sa décision;

Que la société Eurovia demande à la cour de surseoir à statuer afin d'interroger le Conseil d'Etat, à titre préjudiciel, sur la légalité de l'article 36 alinéa 2 du décret du 30 avril 2002;

Considérant que l'article 36 alinéa 2 du décret prévoit que "le rapport soumet à la décision du Conseil de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs notifiés" ; que de ces dispositions claires et dénuées d'ambiguïté, il découle qu'il appartient au Conseil d'examiner le bien-fondé de tous les griefs notifiés et que ni le rapporteur ni le rapporteur général ne sont compétents pour écarter un grief notifié;

Qu'ainsi que le relève le ministre de l'Economie dans ses observations, ces dispositions ne font pas obstacle au débat contradictoire qui s'ouvre, dès la notification de griefs, sur les faits soumis au Conseil; que les sociétés ont ainsi la faculté de présenter des observations sur les griefs notifiés, puis sur le rapport établi en réponse ; que les observations déposées par les autres sociétés et le commissaire du gouvernement peuvent être consultées quinze jours avant la séance et que les sociétés peuvent s'exprimer devant le Conseil;

Qu'elles ne sont en aucune manière contraires aux exigences de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme dès lors qu'elles garantissent que seuls les griefs ayant été régulièrement notifiés peuvent être soumis par le rapporteur à la décision du Conseil;

Qu'elles visent à garantir l'application effective du principe du contradictoire en permettant aux sociétés mises en cause de répondre aux griefs notifiés, d'abord consécutivement à la notification de ces griefs puis, le cas échéant, lors de la transmission du rapport si les griefs sont maintenus à ce stade;

Que le Conseil de la concurrence, en tant qu'autorité de décision, n'est pas lié par les appréciations développées par le rapporteur sur les griefs notifiés, soit au stade du rapport, soit au stade de la séance ; qu'en aucun cas, les entreprises ne pouvaient tenir pour acquis que le Conseil n'examinerait pas les griefs abandonnés dans le rapport;

Qu'en l'espèce, les griefs ont été régulièrement notifiés le 18 décembre 2003 et les sociétés ont répondu dans le délai de deux mois prévu par l'article L. 463-2 du Code de commerce;

Que pour les griefs abandonnés, il est précisé dans le rapport que la proposition d'abandon intervient sous les conditions de l'article 36 alinéa 2 précité ; qu'un nouveau délai de deux mois était ouvert aux parties pour faire valoir des observations sur le rapport et les sociétés ont pu prendre connaissance, quinze jours avant la séance, des observations du commissaire du Gouvernement qui demandait le maintien du grief n° 2 relatif à leur participation à une concertation généralisée portant sur les huit marchés examinés ; que ce délai leur a permis de préparer les observations orales présentées au cours de la séance et de répondre notamment aux demandes du commissaire du Gouvernement tendant au maintien du grief n° 2 pour les marchés de Longeville-en-Barrois et de la ville de Verdun;

Que la décision du Conseil ne s'appuie pas sur des éléments nouveaux ou extérieurs au dossier, qui n'auraient pas été soumis au débat contradictoire ; que notamment les déclarations des responsables d'entreprises, dont celles de Monsieur Solignac, directeur général adjoint de la société Axima, figurent en annexe 3 de la notification de griefs;

Qu'il s'ensuit que c'est dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense, que le Conseil a vidé sa saisine de tous les griefs notifiés aux requérantes; que dès lors, les sociétés Colas et Sade sont mal fondées à soutenir qu'il aurait dû à tout le moins ordonner une réouverture des débats, et la société Eurovia à demander qu'il soit sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil d'Etat se prononce sur l'exception d'illégalité de l'article 36 alinéa 2 du décret du 30 avril 2002;

Sur la participation de la société Eurovia

Considérant que le Conseil a retenu aux paragraphes 144 et 151 de la décision déférée qu'Eurovia a participé aux échanges d'informations avec les sociétés Axima, Berthold, Cereda Henri, Cereda Frères et EJL Est concernant l'appel d'offre de la ville de Verdun relatif à l'aménagement d'une aire de stationnement paysagée au parc de Londres;

Mais considérant qu'il résulte des éléments versés au dossier que :

• Eurovia est l'expéditrice et non pas la destinataire des grilles de prix faxées auxquelles la décision fait référence aux paragraphes 144 et 57 de sa décision (page 41 de la notification des griefs, annexe), contrairement à ce que relèvent les paragraphes 148 et 149 de la décision où le Conseil évoque que "... elle ait reçu une grille de prix adressée par la société Berthold",

• Eurovia a répondu en groupement avec Berthold pour ce marché (page 39 de la notification des griefs, annexe),

• aucun élément contenu dans la décision ne permet de rapprocher Eurovia des échanges d'information entre la société Berthold et les autres sociétés ; ni les envois de grilles de prix de la société Berthold aux sociétés EJL Est, Cereda Henri, Cereda Frères et Axima mentionnés au paragraphe 145 (voir également pages 42 à 43 de la notification des griefs, annexe), ni l'audition du PDG de la société Berthold (mentionnée aux paragraphes 146 et 59 de la décision), ni celle de Monsieur Cereda (mentionnée aux paragraphes 147 et 60 de la décision), ni celle de Monsieur Solignac (mentionnée aux paragraphes 147 et 61 de la décision - également décrit en pages 43 à 44 de la notification des griefs, annexe) ne mentionnent un échange d'informations impliquant Eurovia ou permettant de rapprocher Eurovia du comportement de la société Berthold,

• le fait que Eurovia ait soumissionné à un prix correspondant à celui qui est indiqué dans les grilles qu'elle a envoyées deux jours avant la date limite du dépôt des offres à la société Berthold qui fait partie du groupement de soumission ne démontre pas un échange illicite d'informations;

Qu'ainsi l'analyse du Conseil dans sa décision attaquée relative à la société Eurovia est entachée d'une erreur dès lors qu'un élément manque dans la chaîne du raisonnement; que si le Conseil démontre qu'Eurovia a envoyé des informations sur le prix à la société Berthold et que cette société a envoyé des informations à quatre autres sociétés, il n'établit pas comment la société Eurovia peut être rapprochée de l'échange des informations entre la société Berthold et les autres sociétés ; qu'au surplus, l'échange d'informations entre les sociétés Eurovia et Berthold est licite puisqu'elles ont soumissionné en groupement;

Qu'en l'état de ces éléments, le comportement de la requérante dans ces circonstances ne caractérise pas de sa part une implication dans le processus d'entente mis en œuvre sur le marché;

Que la cour prononcera sa mise hors de cause;

Sur la participation de la société Colas

Considérant que la société Colas venant aux droits de la société Axima critique la décision du Conseil en ce qu'il a admis sa participation aux échanges d'informations concernant l'appel d'offres lancé par la ville de Verdun relatif à l'aménagement d'une aire de stationnement du parc de Londres, alors que le seul document qui la vise est la grille de prix que lui a envoyée la société Berthold ce qui ne peut suffire à établir qu'elle ait sollicité l'information ni qu'elle l'ait utilisée;

Mais considérant que les grilles de prix saisies dans les locaux de la société Berthold destinées, le 11 janvier 1999 aux sociétés EJL Est (cotes 346 à 350 des annexes du rapport) et Axima (cotes 362 à 366) portent la mention manuscrite "groupement EJL-Axima" ce qui révèle que la société Berthold était informée de l'association des deux entreprises, information qui ne pouvait provenir que des intéressées ; qu'en outre, il sera relevé que le montant de la soumission déposée par le groupement EJL/Axima est très proche des prix communiqués par la société Berthold : lot 2 - 1 047 195 F pour 1 027 220 F (page 120 de la notification de griefs) et nettement supérieur à celui de l'autre groupement impliquant la société Berthold;

Que le responsable de la société Berthold a expliqué le mécanisme de la concertation par procès-verbal du 30 janvier 2000, alors que le responsable de la société Axima, tout en contestant avoir reçu une grille de prix, a reconnu l'existence de contacts avec des concurrents pour certains marchés;

Que contrairement aux moyens soulevés par la société Axima, les échanges d'informations sur les prix avec un concurrent, avant la remise des offres, sont de nature à tromper le maître d'ouvrage sur l'effectivité de la concurrence et sont par leur nature même anticoncurrentiels;

Qu'en conséquence, le Conseil a avec raison qualifié au titre de l'article L. 420-1 du Code de commerce le comportement de la société Axima, eu égard à l'échange d'informations manifeste avec un concurrent avant la remise des offres, de nature à tempérer le maître d'ouvrage sur l'effectivité de la concurrence;

Sur la participation de la société Sade

Considérant que la société Sade, à l'appui de son recours, invoque l'absence de preuve de sa participation à un échange d'informations préalable à la date de remises des offres concernant le marché de Longeville-en-Barrois, deuxième appel d'offres au titre du grief n° 2 et s'oppose ainsi aux éléments opposés par le Conseil aux paragraphes 108 à 120 de la décision attaquée ; qu'elle ajoute que le chiffre 3.6 inscrit dans le carnet personnel de Monsieur Alain Cereda, dirigeant de l'entreprise acronyme, pourrait avoir une autre origine dès lors qu'elle a été en contact avec le maître d'œuvre pour identifier des contraintes techniques et qu'elle aurait mentionné à cette occasion qu'elle aurait des doutes quant à sa capacité à déposer une offre inférieure à l'offre moins-disante du premier tour, c'est-à-dire 3,6 MF TTC ; que la société Sade reproduit une liste interne à l'administration figurant au rapport (page 18 de son mémoire pièce 13) sur laquelle sont énumérées les entreprises destinataires des dossiers de consultation du marché ; que la liste de Monsieur Cereda reproduit, dans l'ordre exact, cette liste ce qui prouverait qu'il a bénéficié des informations privilégiées de la part d'un agent de la Direction Départementale de l'Agriculture et de la Forêt (ci-après DDAF) qui a pu également lui transmettre le chiffre 3.6 ; que les enquêteurs auraient également exprimé des doutes à cet égard (paragraphe 112 de la décision déférée) ; que ni la DGCCRF ni le Conseil n'auraient cherché à vérifier si des contacts illicites entre la société Cereda et le maître d' ouvrage ont eu lieu;

Mais considérant que contrairement à ce que prétend la requérante, et comme cela a été relevé aux paragraphes 111 et 118 de la décision du Conseil, le fait que Monsieur Alain Cereda, rédacteur des mentions manuscrites décrites au paragraphe 25 en explicite lui-même le contenu, révélant notamment l'existence d'une entente impliquant son entreprise (la société Cereda Henri) et la société Sade, constitue une preuve non contestable de l'implication de cette dernière que les seules dénégations de ses dirigeants ne suffisent pas à combattre ; que, pour écarter l'argument tiré de l'antériorité de la remise de la proposition de la société Sade par rapport à la transmission de son offre à la société Cereda Henri, la cour constate comme le Conseil, d'une part, que l'emploi du participe passé "répondu " n'était nullement probant, s'appliquant à la proposition de la société Cereda et pas à celles des autres entreprises et, d'autre part, que si la transmission avait été postérieure aux remises des offres, ce sont des montants exacts des offres qui auraient dû s'y trouver (paragraphe 114);

Qu'en outre, les déclarations très précises de Monsieur Cereda, citées au paragraphe 112, établissent l'antériorité de la transmission de l'offre de la société Sade à la société Cereda Henri par rapport à la remise de son offre : " Ces documents retracent également les contacts téléphoniques que j'ai eus avec mes concurrents préalablement à la remise de mon offre (...). " OK " veut dire soit que l'entreprise ne répondra pas, soit qu'elle répondra mais au-dessous de l'offre de la société Cereda H. Je ne communique pas pour autant mon offre aux concurrents, mais je suis sûr dans la seconde hypothèse que ma société fera une offre inférieure au concurrent contacté " (...). " Pour le marché négocié, Michel Pianezzi et moi-même nous sommes chargés de contacter les concurrents antérieurement à la remise des offres, dans le même but que précédemment expliqué. La société Sade a fourni le montant approximatif de son offre (...) De façon générale, lorsque j'appelle un concurrent concernant un appel d'offres particulier, deux hypothèses sont possibles:

- soit le concurrent est intéressé la discussion s'achève de suite;

- soit le concurrent ne se déclare pas intéressé, dans ce cas je lui demande de revoir à la hausse son offre si celle-ci est inférieure à celle que j'avais l'intention de remettre. Dans le cas où son offre est supérieure à la mienne il n'y a pas de problème. Lorsque nous sommes d'accord, je mets la mention OK. "

Qu'en ce qui concerne la piste alléguée par la société Sade d'une collusion entre Monsieur Cereda et le maître d'ouvrage, ce dernier communiquant à Monsieur Cereda l'offre de la société Sade, les enquêteurs avaient interrogé Monsieur Cereda sur la similitude entre l'ordre d'inscription des entreprises sur le carnet saisi et sur la liste établie par la DDAF de la Meuse ; que sa réponse avait été " Vous me dites que l'ordre d'inscription des entreprises pour les travaux de Longeville (2d tour) correspond à l'ordre de la liste établie par la DDAF de la Meuse pour l'envoi des dossiers. Il est possible que la DDAF m'ait effectivement fourni ces informations mais je n'en ai pas de souvenir précis pour ce marché " (paragraphes 28, 115);

Qu'au surplus, l'offre déposée par la société Sade d'un montant de 3,7 MF est nettement supérieure à celles déposées par le groupement moins-disant, soit 3,04 MF, et par la société Nicora, soit 3,08 MF;

Considérant que le Conseil a constaté à juste titre que les mentions du document saisi au siège de la société Cereda Henri (cote 238 du rapport du Conseil), expliquées par leur auteur dans un procès-verbal de déclaration du 13 juin 2000 (cote 265) et corroborées par les résultats de la consultation établissent la participation de la société Sade à l'entente;

Sur les sanctions

Considérant que les sociétés Colas Est et Sade soutiennent que les sanctions n'ont pas été individualisées en ce qui concerne la gravité des pratiques et le dommage à l'économie ; que la société Sade fait valoir en outre qu'elle a été trop lourdement sanctionnée par rapport à d'autres entreprises dont le rôle a été plus important dans la mise en œuvre des pratiques;

Considérant que si, aux paragraphes 168 à 172 de sa décision, le Conseil a procédé à une appréciation globale de la gravité des pratiques en cause et du dommage a l'économie, il a, pour déterminer le montant des sanctions devant être infligées à ces entreprises, également tenu compte de la participation de chacune dans la commission des faits et de son chiffre d'affaires ; qu'en effet aux paragraphes 177 et 178, il est précisé que "la société Axima a participé à l'échange d'informations sur le marché de l'aire de stationnement du parc de Londres (grief n° 2)" et que "durant l'exercice 2003, dernier exercice clos, la société Colas Est a réalisé un chiffre d'affaires en France de 23 587 653 euro" et aux paragraphes 187 et 188, il est constaté que "la société Sade a participé à l'entente relative au marché de la commune de Longeville lot n° 1 (2e appel d'offres), au titre du grief n° 2" et que "durant l'exercice 2003, dernier exercice clos, la société Sade a réalisé un chiffre d'affaires en France de 486 538 936 euro";

Que s'agissant de la filialisation prétendue par cette seconde société, à supposer même que le chiffre d'affaires de son agence régionale, à laquelle les faits reprochés sont imputables ait été relevé par la requérante dans les délais de la procédure, ce qui n'est pas le cas en l'espèce dès lors que ce chiffre a été pour la première fois mentionné dans les conclusions en réplique déposées le 23 janvier 2006 et constitue de ce fait un moyen nouveau invoqué hors délai et en conséquence irrecevable d'office, la note de service d'octobre 1996 communiquée ne suffit pas à rapporter la preuve de l'autonomie de l'agence régionale eu cause par rapport à la société mère Sade incriminée;

Que la cour écartera également comme non pertinente la branche du moyen soulevé par la société Sade en ce que plus de 70 % de la valeur absolue de l'ensemble des sanctions prononcées par le Conseil sont supportées par cette société dès lors que le chiffre d'affaires de cette société est très largement supérieur à celui de chacune des autres sociétés en cause;

Qu'en ce qui concerne le dommage à l'économie, le Conseil a suffisamment établi qu'il résultait des agissements anticoncurrentiels dénoncés, en constatant ainsi qu'il l'a relevé au paragraphe 172 de sa décision que "...la réduction de la concurrence sur le département de la Meuse a eu pour conséquence d'entraîner une hausse des prix des marchés. Les résultats du marché de la commune de Longeville-en-Barrois (1er et 2e appels d'offres pour le lot n°1) peuvent en fournir l'exemple. En effet, le premier appel d'offres relatif à ce marché a été déclaré infructueux, les offres s'étant révélées supérieures à l'estimation administrative ; le second appel d'offres a conduit à l'attribution du marché au groupement moins-disant lors du premier appel d'offres et à des prix encore plus élevés pour la collectivité";

Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments, les sociétés Colas Est et Sade ne sont pas fondées à soutenir que le Conseil n'aurait respecté ni le principe de proportionnalité de la sanction à la gravité des faits et au dommage à l'économie entraîné par les pratiques en cause, ni l'obligation qui lui incombait d'individualiser la sanction prononcée;

Qu'en effet, c'est à l'issue d'un examen circonstancié de ces différents éléments que celui-ci, auquel aucun défaut de motivation ne peut être reproché, a par une appréciation souveraine que la cour fait sienne infligé les sanctions contestées par les sociétés Colas Est et Sade, du reste à un niveau très inférieur au plafond fixé par l'article L. 464-2 du Code de commerce et dans des conditions conformes au principe de proportionnalité qui leur est applicable;

Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu de réformer la décision de ce chef;

Par ces motifs, Donne acte à la société Cereda de son désistement d'appel; Déclare irrecevable son intervention volontaire; Réforme la décision déférée en ce qui concerne la société Eurovia; Statuant à nouveau, Met hors de cause cette société; Rejette les recours de la société Colas Est venant aux droits de la société Axima et de la société Sade; Laisse à chacune des sociétés Colas Est et Sade la charge de ses dépens et au Trésor Public ceux de la société Eurovia.