CA Paris, 5e ch. A, 1 décembre 2004, n° 03-12880
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pom's (SARL)
Défendeur :
Courman (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
MM. Picque, Roche
Avoués :
Me Kieffer-Joly, SCP Fissellier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Gleize, Forte
Estimant que les affiches commandées à la SARL Pom's n'avaient aucune utilité commerciale, dans la mesure où son nom, imprimé en lettres blanches sur fond clair, n'était pas entièrement lisible, la SA Courman a attrait le 17 décembre 2001, devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de, dans le dernier état des prétentions formulées devant les premiers juges, l'entendre prononcer la résolution judiciaire du contrat aux torts exclusifs de sa cocontractante et de lui payer :
- 20 431,36 euro de dommages et intérêts au titre des frais inutilement engagés pour la réalisation de la campagne publicitaire,
- 50 000 euro de dommages et intérêts en réparation du dommage financier résultant de pertes d'exploitation,
- 203,67 euro de frais d'huissier et 2 000 euro de frais irrépétibles.
La société Pom's, dans le dernier état de ses demandes en première instance, a reconventionnellement sollicité le paiement de sa facture arriérée à hauteur de 4 620,15 euro, majorés des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 novembre 2001, outre 15 000 euro de dommages et intérêts et 10 000 euro de frais non compris dans les dépens.
Par jugement du 10 juin 2003, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal, retenant que la société Pom's avait commis une faute en faisant signer par sa cliente une maquette ne reflétant pas l'affiche finale, l'a condamnée à payer à la société Courman globalement 20 635,03 euro, au titre des dommages et intérêts comprenant les frais d'huissier, et 1 000 euro de frais irrépétibles.
Appelante le 2 juillet 2003, la société Pom's soutient, aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 8 novembre 2004, n'être intervenue qu'en qualité de "simple technicien pour la mise en forme de l'affiche" conçue et élaborée par la société Courman elle-même, laquelle s'était abstenue d'engager les services d'une agence-conseil en publicité.
Elle poursuit l'infirmation du jugement entrepris et renouvelle ses demandes reconventionnelles tant au titre du paiement de la facture en souffrance, en y ajoutant la capitalisation annuelle des intérêts, que des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait "de la mauvaise foi" de son adversaire.
Elle requiert aussi 12 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et la restitution de la somme de 20 635,03 euro versée en exécution provisoire de la décision du tribunal, majorée des intérêts au taux légal à compter de son versement le 19 novembre 2003, et anatocisme.
Subsidiairement, elle estime qu'en tout état de cause, la société Courman ne peut prétendre qu'à la seule "annulation" de 457 euro, correspondant à la partie de la facture portant sur la conception technique de l'affiche sur laquelle portent les critiques émises par l'intimée.
Elle fait valoir que les photographies de médiocre qualité, annexées au constat d'huissier non contradictoire, sont insuffisantes à suppléer la production aux débats d'un tirage de l'affiche litigieuse, dont l'intimée prétend, par ailleurs, n'avoir jamais été en possession.
Elle en déduit que:
- débitrice de la charge de la preuve, laquelle a, selon l'appelante, dépéri du fait de la société Courman, celle-ci "est irrecevable à agir",
- et qu'en fondant sur un même et unique fait (apposition des lettres Co de Courman sur la partie claire de l'affiche) tant sa demande au titre d'une prétendue non-conformité du produit, que celle fondée sur une prétendue violation du devoir de conseil, la société Courman démontre elle-même le mal-fondé de ses prétentions.
La société Pom's estime avoir correctement rempli son obligation de conseil en ayant proposé un deuxième "chromalin" avec des lettres plus foncées en vue de tenter de faire renoncer à la société Courman, le choix de lettres blanches qu'elle s'est entêtée à conserver au motif qu'elle faisait une publicité pour la vente de robes de mariée.
Elle considère, par ailleurs, que son obligation d'information ne s'étend pas aux faits connus de tous comme l'absence de visibilité de lettres de teinte blanche sur fond clair et qu'en tout état de cause, l'apposition du "bon à tirer" sur le verso du projet d'affiche, prive l'intimée de la possibilité de rechercher sa responsabilité.
Intimée, la société Courman prétend au contraire, aux termes de ses ultimes écritures signifiées le 9 novembre 2004, que la société Pom's a accepté la mission de la conception et de la réalisation des affiches publicitaires, ainsi qu'il résulte du libellé de la facture, lequel mentionne les travaux de conception, création, exécution et impression d'un visuel destiné à l'affichage.
Elle poursuit la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société Pom's à lui payer 20 635,03 euro et, formant appel incident, elle sollicite 25 000 euro de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant d'un manque à gagner ou, à tout le moins, d'une perte de chance.
Elle requiert en outre, 6 000 euro de frais non compris dans les dépens.
Elle estime qu'il résulte des photographies annexées au procès-verbal de constat par huissier, dressé le 26 octobre 2001 et versé au dossier, que l'affiche y figurant, installée sur le boulevard périphérique de Paris, ne reflète pas la maquette ayant reçu le bon à tirer et qu'il appartenait au professionnel de l'avertir de ce qu'une fois agrandie, l'affiche risquait de ne pas laisser suffisamment apparaître les deux premières lettres de son nom sur fond clair.
Elle soutient par ailleurs, qu'il résulte de la comparaison des chiffres d'affaires, des marges brutes et des dépenses publicitaires des exercices sociaux 1999 à 2002, qu'elle a subi d'importantes pertes financières.
Sur ce,
Considérant qu'en se bornant à prétendre que l'intimée aurait laissé dépérir les preuves, la société Pom's oppose non une fin de non-recevoir, mais une défense de fond;
Que par ailleurs, en produisant aux débats un procès-verbal de constat de différents exemplaires de l'affiche litigieuse, installés sur des panneaux publicitaires, la société Courman entend démontrer le bien-fondé de ses demandes, son action étant dès lors, recevable en la forme;
Sur les dommages et intérêts sollicités
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, qu'initialement la société Pom's a proposé un projet d'affiche sur lequel le nom "Courman" était intégralement positionné sur la partie la plus foncée de l'affiche;
Qu'il n'est contesté:
- ni que c'est à la demande pressante de la société Courman qu'il a été opéré un glissement de deux premières lettres de son nom sur la partie claire de l'affiche,
- ni que l'intimée a refusé un ton plus foncé des deux lettres "Co" apparaissant sur la partie claire du projet d'affiche, au motif qu'elle estimait que la couleur blanche était mieux en rapport avec le message publicitaire concernant des robes de mariée;
Considérant que la société Courman ne pouvait ignorer qu'il en résulterait une vision moins précise des deux lettres ton clair sur ton clair, de sorte que, de par ses propres exigences, elle a concouru pour une large part à la réalisation des préjudices qu'elle invoque;
Mais considérant qu'il apparaît, à l'examen des tirages papier des chromalins, que sur celui dont les deux lettres "Co" sont blanches sur ton clair, la lecture apparaît suffisamment lisible même si cette dernière est d'une qualité inférieure à celle résultant du chromalin sur lequel les deux lettres "Co" sont d'un ton plus foncé;
Qu'il résulte des explications des parties que l'impression en grand format a considérablement aggravé le défaut de visibilité au point de rendre quasiment illisible les deux lettres "Co" de couleur blanche sur fond clair, alors que sur le chromalin correspondant, la lisibilité apparaissait encore acceptable;
Qu'en sa qualité de professionnelle, la société Pom's est débitrice d'une obligation de conseil et, l'intimée contestant avoir été suffisamment éclairée, il appartient à l'appelante de rapporter la preuve de l'accomplissement de ladite obligation;
Considérant que la société Pom's ne rapporte pas la démonstration qu'au moment où elle a présenté les deux chromalins au choix de la société Courman, elle ait effectivement alerté celle-ci sur les conséquences de l'agrandissement du tirage du chromalin pour les besoins de l'impression de l'affiche en grand format et du risque que la visibilité des deux lettres blanches sur fond clair pouvait quasiment disparaître, alors qu'elles apparaissaient encore lisibles sur le chromalin correspondant revêtu du bon à tirer de la société Courman;
Considérant par ailleurs, que le jugement attaqué n'a pas prononcé la résolution judiciaire initialement sollicitée par la société Courman et que celle-ci, en sollicitant la confirmation de la décision sans renouveler ladite prétention, est réputée l'avoir abandonnée;
Que dès lors sa demande de dommages et intérêts concerne implicitement la réparation du dommage résultant d'un défaut de conseil suffisant par la société prestataire;
Qu'en sa qualité de professionnelle, la société Pom's connaissait l'importance et le coût des autres frais à engager pour la réalisation de la campagne publicitaire, de sorte qu'au moment où elle s'est engagée, elle était à même d'apprécier l'importance des éventuels dommages et intérêts qui pourraient être exigibles en cas de mauvaise exécution de ses propres obligations;
Que l'évaluation des frais annexes n'a pas été contestée et qu'en raison du concours de la société Courman à la réalisation de son propre préjudice, la part de la société Pom's sera évaluée forfaitairement à la moitié du dommage global;
Considérant par ailleurs, que l'intimée prétend que la mauvaise prestation de sa cocontractante l'a privée d'une chance de bénéficier des retombées financières qui auraient pu être générées par une campagne réussie de publicité ;
Mais considérant qu'il ne résulte pas des faits de la cause, l'existence d'une chance suffisante de retombées significatives de la campagne litigieuse de publicité, compte tenu des propres exigences de la société Courman dans l'élaboration du projet d'affiche, ayant conduit aux inconvénients ci-dessus analysés;
Considérant aussi, que, succombant principalement, la société Pom's n'est pas fondée à solliciter des dommages et intérêts du fait de l'introduction de la présente instance;
Sur le règlement de la facture impayée et les frais irrépétibles
Considérant qu'il est constant que les prestations ont été réalisées par la société Pom's, le montant du prix n'étant, par ailleurs, pas contesté et les conséquences de la mauvaise exécution de l'obligation de conseil étant indemnisées ci-après;
Qu'en conséquence, il appartient à la société Courman de s'acquitter de son obligation de paiement, le montant du prix étant majoré des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure 20 novembre 2001, leur capitalisation annuelle, dans les conditions de l'article 1154 du Code civil, étant applicable à partir du 23 juillet 2003, date à laquelle elle a été judiciairement demandée pour la première fois;
Que par ailleurs, l'équité ne commande pas l'octroi de frais irrépétibles en cause d'appel;
Par ces motifs, Confirme partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a retenu le principe de la condamnation de la SARL Pom's à des dommages et intérêts et l'a condamnée, en outre, aux dépens de première instance et à verser 1 000 euro de frais irrépétibles à la SA Courman, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la SARL Pom's à payer à la SA Courman 10 317,52 euro, Condamne la SA Courman à payer à la SARL Pom's 4 620,15 euro, majorés des intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2001, leur capitalisation annuelle étant calculée à partir du 23 juillet 2003, Ordonne d'office la compensation entre les condamnations réciproques après prise en compte des intérêts moratoires capitalisés, outre les dépens et les frais irrépétibles de première instance, Suite à l'exécution provisoire de la décision des premiers juges, condamne la SA Courman à rembourser à la SARL Pom's, la différence ainsi dégagée, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Fait masse des dépens d'appel et les met à la charge des parties, chacune pour moitié, Admet Maître Kieffer-Joly et la SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, chacun pour ce qui le concerne, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.