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Décisions

CA Paris, 14e ch. A, 22 février 2006, n° 05-14564

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Astrazeneca (SAS)

Défendeur :

Laboratoire Glaxosmithkline (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

Mme Percheron, M. Blanquart

Avoués :

Me Pamart, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Samyn, Robert

T. com. Paris, prés., du 22 juin 2005

22 juin 2005

Au cours de l'année 2005, la société Le Laboratoire Glaxosmithkline, (plus loin " Glaxosmithkline ") a diffusé auprès de professionnels de santé un porte tiré à part contenant une étude Concept qu'elle a financée, comparant l'efficacité sur l'asthme d'un traitement à dose stable par sa spécialité Sérétide à un traitement à dose ajustable par la spécialité Symbocort, désignée sous sa dénomination commune internationale (plus loin DCI), de la société Les Laboratoires Astrazeneca (plus loin " Astrazeneca ")

Astrazeneca, estimant qu'elle était, de ce fait, victime d'une concurrence déloyale, a assigné Glaxosmithkline.

Par ordonnance du 22 juin 2005, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- dit qu'il n'y avait lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC,

- condamné Astrazeneca aux dépens de l'instance,

Le 1er juillet 2005, Astrazeneca a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions en date du 20 janvier 2006 auxquelles il convient de se référer, Astrazeneca expose :

- que le juge des référés doit se prononcer, non sur la validité scientifique de l'étude Concept, mais sur la possibilité ou non d'une utilisation de cette étude à des fins publicitaires au regard de la réglementation applicable, alors que la communication considérée contrevient à des dispositions du Code de la santé publique, du Code de la consommation et aux recommandations de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) encadrant la publicité pour les spécialités pharmaceutiques.

Elle fait valoir :

- que la communication critiquée ne respecte pas l'autorisation de mise sur le marché (AMM) de la spécialité Sérétide de Glaxosmithkline,

- qu'elle compare deux spécialités administrées à des posologies différentes,

- que le porte tiré à part élude des données issues de l'étude Concept pour délivrer un message de supériorité de la spécialité de Glaxosmithkline,

- que la jonction de la dite étude à ce porte tiré à part n'est pas de nature à légitimer la rédaction irrégulière de ce dernier, qui comporte une omission irrégulière d'informations,

- que la communication que fait Glaxosmithkline constitue, donc, une publicité comparative irrégulière de deux produits.

Elle demande à la cour :

- de faire interdiction à Glaxosmithkline de poursuivre la diffusion de l'étude Concept et/ou du document de présentation de cette étude et de faire interdiction à Glaxosmithkline de reprendre l'un quelconque des éléments sanctionnés sous quelque forme et dans quelque document publicitaire que ce soit, sous astreinte définitive de 5 000 euro par document diffusé,

- d'ordonner la reprise par Glaxosmithkline, sous la responsabilité de son pharmacien responsable et sous le contrôle d'un huissier, de tous les exemplaires de la publicité litigieuse en possession des visiteurs médicaux, de prestataires extérieurs ou en stock, aux fins d'être recensés et séquestrés dans les locaux et sous la responsabilité de Glaxosmithkline, dans les 8 jours de l' " ordonnance " à venir, sous astreinte de 10 000 euro par jour de retard, constat étant dressé du nombre d'exemplaires diffusés auprès des professionnels de santé,

- de dire que ces mesures s'appliqueront jusqu'à ce que le différend opposant les parties soit tranché par voie d'arbitrage,

- de condamner Glaxosmithkline au paiement d'une somme de 10 000 euro en vertu des dispositions de l'article 700 du NCPC,

- de la condamner aux dépens dont distraction au profit de Maître Rémi Pamart, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Dans ses dernières conclusions en date du 18 janvier 2006 auxquelles il convient de se référer, Glaxosmithkline estime qu'Astrazeneca tente d'obtenir du juge des référés une appréciation des valeurs respectives de deux stratégies thérapeutiques, ce qui échappe à sa compétence.

Elle fait valoir :

- que les prétentions d'Astrazeneca sont sérieusement contestables,

- que l'étude Concept a été menée en conformité avec les AMM respectifs des deux spécialités considérées,

- que la dite étude a comparé deux stratégies thérapeutiques "à doses équivalentes",

- que l'une des informations qu'elle contient, non reprise dans le tiré à part, avait trait à un résultat "non significatif',

- que la présentation faite par l'appelante, de la posologie utilisée pour sa spécialité Symbocort au cours de l'étude Concept est inexacte et tendancieuse.

- que le porte tiré à part et l'étude qu'il contient ne constituent qu'un seul et même document dont les professionnels de santé peuvent se faire une idée personnelle,

- qu'aucune instance n'a estimé qu'un laboratoire ne pouvait présenter des extraits d'une étude dès lors que cette dernière accompagnait le document de présentation,

* qu'aucun défaut d'information ou manque d'objectivité ne peut, donc, lui être reproché.

Elle conclut qu'Astrazeneca ne justifie ni d'un dommage imminent, ni d'un trouble manifestement illicite.

Elle demande à la cour :

- de confirmer l'ordonnance entreprise,

- de dire n'y avoir lieu à référé,

- de débouter Astrazeneca de ses demandes,

- de condamner cette dernière à lui verser la somme de 25 000 euro en application de l'article 700 du NCPC

- de condamner Astrazeneca aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bourdais Virenque Oudinot, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que la communication litigieuse, dont il n'est pas contesté qu'elle a été diffusée à des professionnels de santé à l'initiative de Glaxosmithkline, est constituée d'un "porte tiré à part" et d'une étude concept qui y est insérée;

Que ces deux supports d'information présentent deux médicaments associés, chacun, à une stratégie thérapeutique différente, pour les comparer et valoriser l'un d'eux, administré dans le cadre de l'une de ces stratégies ; que la désignation de ces deux médicaments, sous leur DCI ou leur appellation de marque permet, en tout état de cause, aux professionnels de santé destinataires de cette information, de les identifier;

Que les documents litigieux consistent, donc, en une publicité comparative de deux médicaments, administrés selon deux stratégies thérapeutiques différentes;

Que s'il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur les valeurs respectives de ces médicaments ou de ces stratégies, l'examen de la régularité de leur comparaison par voie de publicité relève de la compétence du juge judiciaire, le juge des référés étant fondé à apprécier si le mode de publicité utilisé constitue, au sens de l'article 809 du NCPC, un trouble manifestement illicite ;

Que la publication par une revue d'un des documents critiqués, l'examen de situations distinctes par d'autres juridictions, l'interprétation de la position de l'AFSSAPS, saisie postérieurement à la diffusion litigieuse ou le fait que l'étude Concept ait pu être utilisée à l'étranger sont des circonstances étrangères au débat soumis à la cour;

Considérant que l'annexion de l'étude Concept au porte tiré à part ne dispense pas d'une analyse séparée de ces deux documents, qui sont distincts;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 5122-2 du Code de la santé publique, toute publicité pour un médicament "ne doit pas être trompeuse ni porter atteinte à la protection de la santé publique. Elle doit présenter le médicament ou produit de façon objective et favoriser son bon usage. Elle doit respecter les dispositions de l'autorisation de mise sur le marché";

Que l'AMM du médicament Sératide de Glaxosmithkline mentionne "Le dosage ne sera modifié que sur avis médical. Il convient de toujours rechercher la posologie minimale efficace", précisant que la plus faible posologie recommandée est de 2 prises par jour, mais qu'il peut être envisagé de réduire la posologie à 1 prise par jour, ..." Si le médecin estime nécessaire de maintenir un traitement par bèta-2 mimétique longue durée d'action pour le contrôle des symptômes";

Qu'à l'examen des deux documents litigieux, il apparaît que les patients ayant été traités avec la spécialité Sératide ont reçu de façon constante, pendant les 52 jours de l'étude préalable à la rédaction de ces documents, deux inhalations de cette spécialité par jour;

Que Glaxosmithkline, pour affirmer que l'AMM de sa spécialité a été respectée, ne conteste pas la réalité de la posologie étudiée, mais estime qu'elle était justifiée par le sujet même de l'étude considérée; que cette explication ne dément pas le non-respect de l'AMM de la spécialité Sératide invoqué, à juste titre, par l'appelante;

Considérant que selon, les dispositions de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que "si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur" et "si elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services...";

Qu'il n'est pas contestable que la comparaison faite dans les documents litigieux est celle de deux médicaments distincts, administrés respectivement selon deux posologies différentes;

Que Glaxosmithkline ne peut valablement opposer à cette constatation le fait que la communication, litigieuse ne visait qu'à la comparaison de deux stratégies thérapeutiques, ce qui n'aurait été le cas que si elle avait comparé l'application successive de ces deux stratégies à une seule ou aux deux, spécialités considérées ; que l' " équivalence ", affirmée par Glaxosmithkline, des doses moyennes des deux spécialités administrées pendant le cours de l'étude considérée, ne démontre pas l'objectivité de la comparaison critiquée;

Que la publicité considérée, sous forme de deux documents distincts est, donc, au sens des textes précités et de façon incontestable, de nature à induire en erreur et ne présente pas de caractère d'objectivité;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 5122-9 du Code de la santé publique, les informations contenues dans une publicité de médicament doivent être suffisamment complètes pour permettre au destinataire de se faire une idée personnelle de la valeur thérapeutique du médicament;

Que les pourcentages comparés de réveil nocturne dû à l'asthme des patients ayant bénéficié des deux médicaments ne sont pas mentionnés dans le porte tiré à part litigieux, alors qu'ils sont analysés dans l'étude Concept qui y est jointe;

Que cette omission, que la dite comparaison soit favorable ou non à l'un de ces médicaments ou son résultat " non significatif ", selon les termes de l'étude jointe, contrevient au texte précité;

Que, de même, l'omission, dans le porte tiré à part litigieux, des indications, figurant dans l'étude Concept, ayant trait à la posologie effectivement appliquée aux patients soignés par la spécialité Symbocort dans le cadre d'un traitement ajustable, contrevient au même texte, en ce qu'elle ne permet pas aux professionnels de santé de savoir à quel dosage effectif la spécialité considérée a eu les conséquences présentées par le porte tiré à part considéré;

Que le fait que cette posologie ait varié de telle ou telle façon, ait été ou non, en moyenne, "très proche" de la "posologie usuelle" ou ait été occasionnellement réduite sous contrôle médical, est étranger à la réalité de l'omission d'information dénoncée, à bon droit, par l'appelante;

Que la seule annexion de l'étude Concept au porte tiré à part ne remédie pas à cette omission, ces deux documents étant distincts et leurs présentations respectives incitant à se référer prioritairement au second, plus court, plus simple, plus attractif;

Qu'en vertu des dispositions de l'article 809 du NCPC, le juge de référé peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite;

Que le trouble manifestement illicite dont se plaint l'appelante est constitué par la diffusion d'une publicité comparative irrégulière, sous forme de deux documents joints, rompant l'égalité entre deux entreprises concurrentes, en incitant à la prescription de l'une des spécialités comparées sous prétexte d'une seule comparaison de deux stratégies thérapeutiques;

Qu'il y a lieu, en conséquence, d'infirmer l'ordonnance entreprise, en ordonnant les mesures strictement nécessaires à faire cesser ce trouble sollicité par l'appelante, dans les termes du dispositif ci-après ;

Qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais irrépétibles exposés pour la présente instance;

Que Glaxosmithkline, qui succombe, supportera la charge des dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Remi Pamart, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.

Par ces motifs, Infirme l'ordonnance entreprise, Fait interdiction à Glaxosmithkline de poursuivre la diffusion de l' " étude Concept " et du "porte tiré à part" qui la contient, à compter de la date de signification du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 euro par document diffusé; Ordonne la reprise par Glaxosmithkline, sous la responsabilité de son pharmacien responsable et sous le contrôle d'un huissier, de tous les exemplaires de la communication litigieuse, étude Concept et porte tiré à part, en possession des visiteurs médicaux, de prestataires extérieurs ou en stock, aux fins d'être recensés et séquestrés dans les locaux et sous la responsabilité de Glaxosmithkline, dans les 15 jours de la signification du présent arrêt, sous astreinte de 5 000 euro par jour de retard, constat étant dressé du nombre d'exemplaires diffusés auprès des professionnels de santé, Dit que ces mesures s'appliqueront jusqu'à ce que le différend opposant les parties soit tranché par voie d'arbitrage, Condamne Glaxosmithkline au paiement d'une somme de 3 000 euro en vertu des dispositions de l'article 700 du NCPC, La condamne aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Rémi Pamart, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.