Conseil Conc., 12 mai 2006, n° 06-D-10
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par la société Bouygues Télécom contre le grossiste Stock-Com
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Ferrero, par M. Nasse, vice-président présidant la séance, Mme Mader-Saussaye, MM. Combe, Bidaud, Charrière-Bournazel membres.
Le Conseil de la concurrence (section I),
Vu la lettre enregistrée le 12 janvier 2004, sous le numéro 04/0001 F, par laquelle la société Stock-Com a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société Bouygues Télécom ; Vu le livre IV du Code de commerce, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié, fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par la société Stock-Com et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ;
Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Stock-Com entendus lors de la séance du mardi 7 mars 2006 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
1. La plaignante, la société Stock-Com exerce une activité de grossiste en téléphonie mobile et réalise la quasi-totalité de son activité avec les produits de l'opérateur Bouygues Télécom. Elle soutient qu'elle se trouve en situation de dépendance économique vis-à-vis de Bouygues Télécom et que l'opérateur abuse de cette situation en lui imposant des conditions tarifaires et commerciales discriminatoires depuis 1999, date de la signature de son premier contrat, dans le but de la désavantager dans la concurrence qui l'oppose à Téléciel, son principal compétiteur dans la distribution de gros de produits de la téléphonie mobile, et filiale à 100 % de Bouygues Télécom.
A. LE SECTEUR ET LES SOCIÉTÉS CONCERNÉES
1. LA COMMERCIALISATION DES SERVICES DE TÉLÉPHONIE MOBILE
2. La téléphonie mobile utilisant la norme GSM est commercialisée en France depuis mars 1992 mais elle ne connaît un développement important auprès du grand public qu'à partir de la fin des années 90, avec le lancement de forfaits de communications et la commercialisation sous forme de " packs " comprenant un terminal subventionné par l'opérateur, une carte " SIM ", un numéro de téléphone et un formulaire d'abonnement.
3. De 1997 à 1999, le nombre d'abonnés à un service de téléphonie mobile a ainsi quasiment doublé chaque année. Sur l'ensemble de la période 2000-2004, le rythme de croissance se ralentit mais on relève encore une multiplication par plus de deux du parc des abonnés, passant de 20,3 millions au 31 décembre 1999 à 43,1 millions au 31 décembre 2004.
4. L'évolution du parc installé dépend du nombre de nouvelles connexions ou acquisitions (ou ventes brutes) diminué du nombre de résiliations. Les ventes brutes constituent la base de l'activité de la distribution en gros et en détail. Elles se sont élevées à 13 millions en 1999, 14 millions en 2000, 14,6 millions en 2001, 12 millions en 2002 et 11 millions en 2003.
5. La distribution au détail des services de téléphonie mobile se fait à travers plusieurs canaux :
- les réseaux propres des opérateurs (agences France Télécom et Mobistore pour Orange, Espace SFR, Club Bouygues Télécom) ;
- les grandes surfaces généralistes (Carrefour, Auchan, Casino, Darty, Boulanger, Leclerc, Conforama, But, Fnac...) ;
- les réseaux spécialisés intégrés (The Phone House, Videlec, Telephone Store, Internity...) ;
- les réseaux généralistes intégrés (Connexion, Gitem, Pro et Co...) ;
- les réseaux spécialisés indépendants ;
- les réseaux de vente directe ou par correspondance.
6. Les trois grands réseaux spécialisés en téléphonie mobile, Débitel, Coriolis Télécom et Avenir Télécom sont présents sur les marchés de distribution de gros et de la distribution au détail à travers, respectivement, les enseignes Videlec, Téléphone Store et Internity.
7. Le marché qui est accessible aux grossistes, avec des modalités variables selon les opérateurs, comprend surtout les deux derniers circuits de distribution, à savoir les réseaux spécialisés indépendants et ceux de vente directe ou par correspondance. Une étude, publiée en 2004 par l'ARCEP, évalue à 2 500 le nombre de distributeurs indépendants en activité en 2001, en baisse de moitié par rapport à un effectif de 5 000 en 1998.
2. LA SOCIÉTÉ BOUYGUES TÉLÉCOM
8. La société Bouygues Télécom, filiale du groupe Bouygues, est entrée sur le marché de la téléphonie mobile à partir de mai 1996. Sa part de marché en nouvelles connexions se maintient autour de 20 % depuis 2000. Bouygues Télécom comptait, fin 2004, 17 % du nombre total d'abonnés à la téléphonie mobile (ou base installée).
9. Selon la société Stock-Com, environ 20 % des connexions brutes de Bouygues Télécom sont commercialisées par l'intermédiaire de grossistes.
10. Outre la société Stock-Com, deux autres grossistes distribuaient, à la date de la saisine, les services de Bouygues Télécom : la société Innova, basée à Marseille, et la société Téléciel, créée en mars 1998, basée à Dardilly (69) et contrôlée à 100 % par Bouygues Télécom depuis 2000.
3. LA SOCIÉTÉ STOCK-COM
11. Nouvelle dénomination de la société Bihl SA créée en 1998, le grossiste Stock-Com, sis à Paris, commercialise les services Bouygues Télécom depuis le 2 juin 1999. Avant cette date, Bouygues Télécom ne passait pas par l'intermédiaire de grossistes. Le réseau de distributeurs détaillants liés à Stock-Com a d'abord crû de 299 à 700 points de vente entre 1999 et 2001 pour redescendre à 533 en 2003 et 453 en 2004.
12. Sur la période 2000-2004, le nombre de connexions ou ventes brutes du réseau Stock-Com a évolué comme suit :
<emplacement tableau>
13. L'évolution du chiffre d'affaires et du résultat de la société Stock-Com depuis 2000 est la suivante :
<emplacement tableau>
14. La société Stock-Com a développé à partir de 2000, parallèlement à son activité de grossiste, un réseau de distribution de détail de services de téléphonie mobile, par l'intermédiaire d'une filiale à 100 %, la société Mediagora, dont les quinze points de vente distribuent les services des trois opérateurs mobiles. Cette société a réalisé un chiffre d'affaires de 6 millions d'euro sur 20 mois en 2000-2001, 3 millions d'euro en 2002, 2 millions d'euro en 2003 et 580 000 euro en 2004.
15. La société Stock-Com a, par ailleurs, créé une société de vente d'accessoires de téléphonie mobile (Stock-Com accessoires) qui a réalisé un chiffre d'affaires de 1 million d'euro sur 20 mois en 2000-2001, 810 000 euro en 2002 et 1,66 million d'euro en 2004.
16. Enfin, la société Stock-Com a lancé en 2001 une activité de grossiste en téléphonie fixe, avec un contrat conclu avec Cegetel, dans un premier temps par l'intermédiaire d'une filiale, la société Téléo, qu'elle a ensuite absorbée.
17. L'activité de diversification a dégagé environ 8 millions d'euro de chiffre d'affaires en 2001, soit l'équivalent de 24 % du chiffre d'affaires de 33,3 millions d'euro dégagé la même année par Stock-Com. En 2004, le chiffre d'affaires lié aux activités de diversification de Stock-Com est tombé à 2,2 millions d'euro soit moins de 3 % du chiffre d'affaires de 83,8 millions d'euro réalisé par Stock-Com.
B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES
1. LES CONTRATS DE GROSSISTE SPÉCIALISÉ EN RADIO TÉLÉCOMMUNICATIONS CONCLUS ENTRE BOUYGUES TÉLÉCOM ET STOCK-COM
18. La plaignante précise comme suit le contexte dans laquelle elle a noué des relations avec Bouygues Télécom :
" ... SFR et Itinéris (devenue depuis Orange) disposaient déjà d'un réseau structuré, à la différence de Bouygues Télécom qui a créé son réseau de distributeurs indépendants à partir du milieu de l'année 1999.
C'est ainsi que Stock-Com a eu l'opportunité de signer un premier contrat de grossiste avec Bouygues Télécom un an après sa création, le 2 juin 1999.
A la même époque et dans les mois qui ont suivi, Bouygues Télécom a signé d'autres contrats avec des grossistes qui distribuaient déjà les produits et services d'un autre opérateur de téléphonie mobile.
Toutefois, le volume d'activité que ces grossistes pouvaient réaliser pour Bouygues Télécom était plafonné par les dispositions des contrats précédemment signés avec les autres opérateurs, leur imposant de consacrer à ces derniers un pourcentage élevé de leur chiffre d'affaires.
Bouygues Télécom a donc dû asseoir le développement de son propre réseau sur la croissance de grossistes encore libres de tout engagement à l'égard de ses concurrents... ".
20. L'article 2, resté sans changement dans les contrats successifs, décrit l'objet du contrat qui est de définir les conditions dans lesquelles Bouygues Télécom agrée le grossiste et lui confère le droit de recruter des distributeurs détaillants et de commercialiser auprès d'eux les produits et services de Bouygues Télécom.
a) Les critères qualitatifs et les objectifs à respecter par le grossiste
21. Les contrats successifs décrivent, à l'article 3, les critères qualitatifs et objectifs dont le grossiste doit justifier afin de pouvoir être agréé par Bouygues Télécom, soit, pour le contrat du 2 juin 1999 :
" être en relation commerciale établie avec plus de 100 points de vente détaillants Grand Public ;
être spécialiste de la distribution de produits et services de télécommunications ;
s'engager à apporter à Bouygtel un minimum de 3 600 souscriptions annuelles au Service Bouygtel et une part de marché supérieure ou égale à 20 % du total des lignes activées par l'intermédiaire du Grossiste pour les opérateurs de téléphonie mobile ;
s'interdire de distribuer les produits et services Bouygtel dans tout réseau de distribution qui serait directement ou indirectement contrôlé par le Grossiste ;
avoir réalisé durant les deux exercices précédents la date de conclusion du contrat un résultat net positif ;
disposer d'une capacité logistique suffisante pour distribuer dans de bonnes conditions les produits, services et accessoires de Bouygtel ;
disposer d'une force de vente spécialisée dans la vente de produits et services de télécommunications auprès de Distributeurs Détaillants ".
22. Les obligations du grossiste sont précisées à l'article 6 du contrat. Parmi elles, figurait notamment en 1999 l'obligation de disposer d'un stock minimum de produits et services, composé d'au moins trois références de la gamme des coffrets " Bouygues Télécom ", d'au moins deux références de la gamme des coffrets Nomad, d'au moins une carte SIM de chacune de ces deux marques et cinq types différents de coffrets de service " Bouygues Télécom ". Le stock minimum devait par ailleurs comprendre au moins 300 unités.
23. Le nombre minimum de points de vente au détail à servir par Stock-Com a été porté de 100 à 200 points de vente après le 25 avril 2002.
24. Le minimum de souscriptions annuelles à écouler a été porté de 3 600 à 6 400 par le contrat du 20 juillet 2000, puis à 42 000 par le contrat du 4 avril 2001.
25. Le contrat, signé le 25 avril 2002, a modifié la rédaction de cette condition qui est devenue " avoir réalisé l'année précédant la signature du contrat un minimum de 45 000 activations ", l'article 6.1 de ce contrat prévoyant parallèlement : " Le Grossiste s'engage à transmettre à Bouygues Télécom un minimum de 80 000 souscriptions au Service par an ".
26. Le stock minimum a évolué en fonction de l'apparition de nouveaux produits et services Bouygues, et est passé à 500 unités dans le contrat du 28 avril 2002.
27. Le deuxième contrat, en date du 20 juillet 2000, comportait une condition supplémentaire : " réaliser au moins 60 % de son chiffre d'affaires hors taxe au moyen de l'activité grossiste telle que décrite au contrat ", seuil porté à au moins 70 % à partir du troisième contrat, en date du 4 avril 2001. L'article 12 du contrat relatif aux modalités de résiliation anticipée citait expressément, dans ces deux contrats, le non-respect de cette clause comme motif de résiliation immédiate et de plein droit.
28. Dans le quatrième contrat, en date du 25 avril 2002, cette condition était rédigée comme suit : " réaliser au moins 70 % de son chiffre d'affaires hors taxe au moyen de l'activité Grossiste spécialisé en radio télécommunication tous opérateurs confondus, et hors exploitation des points de vente détaillants Grand Public qu'il possède en propre ".
29. Cette modification est intervenue à la suite d'un échange de courriers entre Stock-Com et Bouygues. Le 11 décembre 2001, la société Stock-Com écrivait à la société Bouygues Télécom : " Nous réalisons la totalité de notre chiffre d'affaires avec la distribution des produits Bouygues Télécom dont nous sommes, de fait, distributeur exclusif. Vous savez, en effet, que les opérateurs concurrents n'agréent comme grossistes que des entreprises qui réalisent l'essentiel de leur chiffre d'affaires avec la vente de leurs produits, ce qui nous interdit toute diversification. Nous dépendons donc totalement de Bouygues Télécom et la pérennité de notre activité est subordonnée à la poursuite de notre partenariat. "
30. Le 17 décembre suivant, Bouygues Télécom répondait : " contrairement à ce que vous indiquez, nous ne vous avons jamais obligé à être mono-opérateur, bien au contraire puisque nous vous avons toujours vivement encouragé à commercialiser les produits et services d'autres opérateurs, lesquels contrairement là encore à ce que vous affirmez, acceptent tout comme nous de travailler avec des grossistes multi-opérateurs (cf. vos collègues Bardou, Unic-Center, Suberdine etc.) (...) Enfin, lors de notre rendez-vous à Arcs-de-Seine le 27 novembre 2001, je vous rappelle que vous nous avez présenté votre organisation qui comprend des activités ne dépendant pas de Bouygues Télécom... ".
31. Dans un courrier du 4 février 2002, Stock-Com reprenait ses arguments du 11 décembre 2001 et précisait : " Bouygues Télécom, elle-même, exige qu'un grossiste réalise un minimum de 70 % de son chiffre d'affaires avec elle pour l'agréer. Pouvez-vous sérieusement soutenir qu'Orange ou SFR accepteraient d'agréer un grossiste qui ne pourrait réaliser, dans le meilleur cas, que 30 % de son chiffre d'affaires avec eux ? D'ailleurs, les trois exemples de grossistes multi-opérateurs que vous citez ne sont pas pertinents. Ils ont été évincés, soit du réseau Bouygues Télécom, soit du réseau concurrent dont ils dépendaient ou ont purement et simplement cessé leur activité ".
32. Par courrier en réponse du 10 février 2002, Bouygues Télécom s'élevait contre cette interprétation de la règle contractuelle de la spécialisation à 70 % :
" ... concernant le fait que vous ne seriez pas libre de vous diversifier et que nous vous enfermerions volontairement dans une situation de dépendance économique, nous ne pouvons que réitérer les termes de notre courrier du 17 décembre dernier, qui faisait lui-même suite à divers autres courriers sur le sujet, indiquant avec la plus grande clarté que le fait que vous soyez mono-opérateur était votre choix et non le nôtre puisque tout au contraire, nous vous avons toujours encouragé à vous diversifier.
De fait, vous observerez que nous n'avons émis aucune réserve à ce que vous concluiez dernièrement un contrat de grossiste avec Cégétel.
En outre, cela démontre contrairement à ce que vous affirmez, que des opérateurs concurrents acceptent d'agréer un grossiste qui réalise la grande majorité de son CA avec Bouygues Télécom...
De même, est inexacte et relève d'une mauvaise interprétation du contrat grossiste, votre affirmation selon laquelle ledit contrat vous obligerait à réaliser au moins 70 % de votre CA avec Bouygues Télécom.
En effet, le contrat vous engage simplement à consacrer 70 % de votre activité à celle de grossiste en téléphonie et non à réaliser 70 % de votre CA avec Bouygues Télécom. De fait, vous observerez que la majeure partie de vos concurrents n'ont jamais réalisé 70 % de leur CA avec notre société (cf. Coriolis ou Suberdine par exemple), ce qui démontre quoique vous en disiez péremptoirement, la pertinence de ces exemples, y compris pour Unic Center, lequel s'il ne réalise pas un engagement de lignes annuel avec nous, n'en est pas moins un grossiste.
Encore une fois, il vous est donc parfaitement possible de vous diversifier et nos liens ne semblent pas aussi étroits que ce que vous voulez affirmer. Ce propos est conforté par la présentation de votre organisation que vous nous avez faite à Arcs-de-Seine le 27 novembre 2001 et qui, nous vous le rappelons, comprenait des activités ne dépendant pas de Bouygues Télécom et dont nous ignorons ce qu'elles représenteront à terme (10, 30, 50 %...) dans votre CA, ce qui ne nous empêche nullement de vous proposer un nouveau contrat ".
33. Par le courrier suivant du 29 mars 2002, Stock-Com limitait ses remarques au fait de ne pas avoir " d'autres choix, la pérennité de (son) exploitation en dépendant " que de " poursuivre (son) partenariat avec Bouygues Télécom ".
34. Bouygues Télécom répliquait dès le 10 avril 2002 :
" ...Sur votre obligation de contracter avec Bouygues Télécom
Vous nous indiquez que vous seriez contraints de signer le contrat grossiste avec Bouygues Télécom car de cette relation dépendrait la pérennité de votre entreprise. Une fois de plus, nous réitérons le fait que vous n'avez aucune obligation de contracter avec nous ou de nous accorder une quelconque exclusivité. Et si aujourd'hui Bouygues Télécom représente la majeure partie de votre activité, c'est uniquement dû à votre choix de chef d'entreprise que vous ne pouvez nous imputer.
Il est un peu facile de nous reprocher aujourd'hui les conséquences de vos choix d'hier, ce d'autant plus que nous vous avons toujours incité à vous diversifier, ce que vous n'avez commencé à faire que récemment... ".
35. S'estimant en situation de faiblesse par rapport aux conditions contractuelles qui lui sont faites, Stock-Com indiquait dans un courrier du 25 avril 2002 qu' " à défaut de pouvoir discuter sérieusement... de l'avenir de notre relation commerciale, nous n'avons d'autres choix que de porter ce débat devant le Conseil de la concurrence afin qu'il ordonne les mesures appropriées... ".
b) Les conditions de rémunération
36. La rémunération du grossiste prévue par les contrats est fonction des souscriptions écoulées et des services effectivement souscrits par le client final à l'issue du 4e mois suivant l'activation. Les sommes dues in fine par Bouygues Télécom au grossiste au titre de cette rémunération ne pouvant être connues avant la fin du 4e mois suivant la souscription, les contrats prévoient le versement d'une avance, dans les quinze jours de la réception de la facture correspondante du grossiste. A la fin du 4e mois suivant l'activation, la rémunération due est déterminée et régularisée en fonction des avances déjà faites.
37. Par exemple, la rémunération de base prévue à l'annexe 4 du contrat du 2 juin 1999 pour les ventes de forfaits était de 210 F pour les activations sur le point de vente et de 140 F pour le " prêt à emporter ", à laquelle différents suppléments pouvaient s'ajouter en fonction du type de services souscrits (jusqu'à 750 F pour la souscription d'un forfait Liberté 10 heures). En outre, le contrat prévoyait au titre de la rémunération de l'ensemble des services logistiques, une rémunération complémentaire forfaitaire et globale de 40 F par ligne activée. Enfin, Stock-Com percevait une prime de fin d'année calculée en fonction du nombre de souscriptions au Service (de 40 F entre 3 600 et 59 000 souscriptions à 215 F pour 140 000 souscriptions et plus).
38. Ces modalités de rémunération ont évolué au fil des contrats en fonction de l'évolution de l'offre et de la maturation du marché. Le contrat du 20 mars 2003 prévoyait :
37 euro hors taxes par ligne renouvelée en rémunération de base ;
5 euro hors taxes par ligne renouvelée en prime de renouvellement grossiste ;
13 euro hors taxes supplémentaires par ligne renouvelée si ce renouvellement a donné lieu à la souscription simultanée au service i-mode ;
10 euro hors taxes supplémentaires par ligne renouvelée si ce renouvellement a donné lieu à la souscription simultanée au forfait Multi-média.
39. Enfin, les conditions générales de vente " grossiste " annexées aux contrats prévoient le niveau de remise accordé au grossiste s'appliquant sur les tarifs de base des différents produits.
<emplacement tableau>
40. Dans le contrat du 25 avril 2002, seules les cartes de recharge et les codes de recharge bénéficiaient d'une remise (de 3 à 6 % pour les cartes et de 1,5 % à 6 % pour les codes). Une ristourne sur le chiffre d'affaires était, de plus, prévue (de 0,5 % pour un chiffre d'affaires d'au moins 4 200 euro mensuel à 4 % pour un chiffre d'affaires supérieur à 16 667 000 euro).
2. LES CONTRATS DE COOPÉRATION COMMERCIALE
41. Parallèlement aux contrats de " grossiste spécialisé en radio télécommunication ", Stock-Com a signé avec Bouygues Télécom huit " contrats de coopération commerciale " en date des 2 juin 1999, 22 novembre 1999, 6 décembre 1999, 29 juin 2000, 18 juillet 2000, 22 février 2001, 25 mars 2002 et 29 avril 2002.
42. La plaignante en souligne l'importance dans le chiffre d'affaires de Stock-Com : " ... la rémunération perçue au titre de ces accords de coopération commerciale représente une proportion qui oscille entre 30 % et 80 % de (sa) rémunération totale " et qu'" en moyenne, depuis 1999, cette proportion est d'environ 50 %. La rémunération de ces accords de coopération commerciale, qui sont aléatoires et imprévisibles, est donc considérable puisqu'elle excède sur la période les sommes perçues au titre de la rémunération fixée dans les seuls contrats de grossiste... ".
43. Le premier contrat prévoyait un objectif de réalisation d'une part de marché par rapport à ses deux concurrents France Télécom et SFR, en l'occurrence au moins 50 % pour une période comprise entre le 2 juin 1999 et le 28 février 2000, portée, par le troisième contrat, à 60 % pour les fêtes de fin d'année entre le 2 novembre et le 31 décembre 1999.
44. Ladite coopération commerciale était conditionnée par la réalisation par le réseau d'indépendants agissant sous le code Stock-Com de parts de marché d'au moins 50 % puis 60 %, soit bien plus que la part de marché naturelle précitée de 20 % du troisième opérateur. Elle était rémunérée 65 F par ligne activée en sus de la rétribution contractuelle de 15 F puis globalement à 100 F, soit respectivement 4,3 et 5,6 fois plus que la rétribution contractuelle de 15 F. Il était prévu que Bouygues Télécom se réservait le droit de vérifier, par tout moyen à sa convenance, la réalité des justifications apportées par le grossiste de la réalisation de ses obligations.
45. Les autres contrats de coopération commerciale ne rétribueront par la suite que de simples obligations de qualité de service ou ne feront référence qu'à la promotion des lignes forfaits, soit de manière indifférenciée soit de façon spécifique au sein de la gamme Bouygues Télécom.
3. LES COURRIERS ADRESSÉS PAR STOCK-COM EN 2002 À SFR ET ORANGE
46. La plaignante soutient que " les contacts pris avec les deux autres opérateurs de téléphonie mobile, dès la fin de l'année 1999, n'ont pas abouti ".
47. Elle fournit ainsi, au soutien de sa saisine, deux courriers de février 2002 adressés à SFR et à France Télécom Mobiles dans lesquels elle se présente et précise " En outre, notre partenaire actuel, le groupe Bouygues Télécom, est favorable à une diversification de notre activité et ne s'oppose pas à ce que nous assurions la distribution d'un autre opérateur " et propose " Nous souhaitons donc nous rapprocher de votre entreprise et envisager avec vous les modalités d'un partenariat ". La société SFR n'a pas répondu et
FTM lui a adressé, le 11 mars 2002, le courrier suivant : " Suite à votre courrier daté du 15 février, nous avons le regret de vous préciser que malgré l'intérêt que nous portons à votre demande de partenariat, nous ne somme pas intéressés à cette date ".
C. PROPOSITION DE NON-LIEU
48. Sur la base de ces constatations, une proposition de non-lieu à poursuivre la procédure a été notifiée, le 29 juin 2005, à la société Stock-Com.
II. Discussion
49. L'article L. 464-6 du Code de commerce énonce que " lorsque aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n'est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l'auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure ".
1. LES ARGUMENTS DE LA SAISISSANTE
50. La société Stock-Com fait valoir qu'elle se trouve en état de dépendance économique à l'égard de Bouygues Télécom compte tenu de l'importance de la part de ce fournisseur dans son chiffre d'affaires, soit 99,54 % en 2004, part qui résulterait non de son propre choix mais de circonstances objectives. En premier lieu, l'opérateur lui aurait imposé, à partir du deuxième contrat signé le 20 juillet 2000, l'obligation de réaliser la quasi-totalité de son chiffre d'affaires via la commercialisation des services de téléphonie mobile Bouygues Télécom, obligation dont elle fait observer qu'elle était sanctionnée par une clause résolutoire de plein droit au bénéfice de Bouygues Télécom. Cette obligation découle, selon la société Stock-Com, de la combinaison des articles 2 et 3 du deuxième puis du troisième contrat, l'obligeant à réaliser d'abord au moins 60 % puis au moins 70 % de son chiffre d'affaires au moyen de " l'activité de grossiste décrite au contrat " c'est-à-dire, selon elle, la commercialisation des produits et services de Bouygues Télécom.
51. En deuxième lieu, la société Stock-Com affirme que les conditions commerciales et tarifaires d'achat et de revente des packs et cartes SIM, telles que fixées par Bouygues Télécom, l'empêchent de préserver ses marges et obèrent sa trésorerie de façon injustifiée, la plaçant ainsi de facto en état de dépendance. Elle rappelle qu'elle achète les produits et qu'il est donc illicite que Bouygues Télécom fixe les conditions commerciales et tarifaires auxquelles elle les revend aux détaillants et que l'absence de marge assimile la transaction à une opération de portage dont la jurisprudence considère qu'elle place le distributeur en situation de dépendance économique. Du fait de l'absence de marge, la revente aux détaillants des produits ne constituerait pour un grossiste qu'une charge sur sa trésorerie, ses revenus ne provenant que de la souscription de lignes. Elle précise encore que la marge qui apparaît dans ses comptes sur la période 2000-2004 a été réalisée entièrement sur la vente de terminaux, sans souscription d'abonnement, et non sur les produits Bouygues Télécom.
52. En troisième lieu, la société Stock-Com expose que l'exemple des grossistes Suberdine, Coriolis ou Bardou montre que Bouygues impose l'exclusivité puisqu'il aurait mis fin aux contrats des sociétés Bardou et Suberdine au cours de l'année 2003 au motif que le nombre d'activations effectuées par elles pour Bouygues était insuffisant au regard des stipulations contractuelles et que la société Coriolis serait une SCS qui prend en charge la gestion et la facturation des abonnés et non un grossiste. La saisissante déclare de plus que le réseau de grossistes Bouygues Télécom qui comptait 17 grossistes en 2000 ne compte plus, depuis 2003, outre la filiale de l'opérateur Téléciel, que deux indépendants, Innova et elle-même. Elle a ajouté, en séance, qu'elle avait appris que Bouygues Télécom n'avait pas renouvelé le contrat d'Innova en 2006.
53. En quatrième lieu, la société Stock-Com fait valoir qu'il lui est impossible, en pratique, de s'approvisionner auprès des deux autres opérateurs mobiles, SFR et Orange, et de passer du réseau Bouygues à un autre et soutient que son état de dépendance économique doit s'apprécier sur le marché de distribution des services de téléphonie mobile et non sur un marché plus large. Elle affirme que l'offre amont est limitée à SFR puisqu'il est douteux qu'Orange fasse appel à des grossistes et qu'en tout état de cause, ces deux opérateurs exigent, comme Bouygues Télécom, de leurs grossistes qu'ils soient mono-marques. S'agissant de SFR, elle s'appuie sur la décision du Conseil n° 04-D-67 dans laquelle il serait établi que SFR impose à ses grossistes de réaliser 90 % de leurs ventes avec des produits SFR et soutient que même s'il ne peut être exclu que le grossiste Avenir Télécom ait bénéficié de conditions différentes, Audim aurait été contraint d'arrêter la distribution de produits Orange en raison de cette clause d'exclusivité.
54. En dernier lieu, la société Stock-Com expose qu'elle ne pouvait diversifier ses sources d'approvisionnement en passant du réseau Bouygues Télécom à celui d'un autre opérateur en raison des risques financiers qu'elle encourait dans cette hypothèse, risques qu'elle évalue à 5 millions d'euro au minimum, tenant à l'impossibilité d'écouler ses stocks dans le cadre du préavis, au risque de non-recouvrement de la créance détenue sur les détaillants, ainsi que de celle de commissionnement détenue sur Bouygues Télécom et à la perte du réseau de détaillants.
55. La société Stock-Com soutient que Bouygues Télécom abuse de cet état de dépendance en la traitant de façon discriminatoire depuis 1999, date de la signature du premier contrat, par rapport à sa filiale Teleciel. Teleciel bénéficierait, selon la société Stock-Com, du caractère non linéaire des barèmes de primes volumiques et se verrait réserver des circuits de distribution, tandis qu'elle-même serait désavantagée par les conditions d'achat et revente des packs qui lui sont imposées et les conditions de reprise de la commission versée lorsque l'abonné a résilié son contrat avant la fin du 4e mois suivant l'activation de la ligne. La saisissante soutient que ces différences de traitement sont injustifiées et lui causent un désavantage dans la concurrence.
56. La société Stock-Com conclut que ces pratiques sont susceptibles d'affecter la structure et le fonctionnement de la concurrence puisqu'elles visent à l'élimination du dernier grossiste indépendant qui subsiste et permettent à Bouygues Télécom d'effectuer un contrôle total sur les prix pratiqués aux consommateurs.
2. L'APPRÉCIATION DU CONSEIL
57. L'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce prohibe " dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6 ".
58. Une jurisprudence constante, développée notamment dans deux décisions du Conseil de la concurrence n° 01-D-49 du 31 août 2001 et n° 04-D-26 du 30 juin 2004, précise que "la dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du Code de commerce, résulte de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché du fournisseur, de l'importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, à condition toutefois que cette part ne résulte pas d'un choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise cliente, enfin, de la difficulté pour le distributeur d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents". Cette jurisprudence précise que ces conditions doivent être simultanément réunies pour entraîner cette qualification.
59. Sur l'absence de solution alternative pour le distributeur, la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 3 mars 2004 (société Concurrence), que : "(...) L'état de dépendance économique, pour un distributeur, se définit comme la situation d'une entreprise qui ne dispose pas de la possibilité de substituer à son ou ses fournisseurs un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables ; qu'il s'en déduit que la seule circonstance qu'un distributeur réalise une part très importante voire exclusive de son approvisionnement auprès d'un seul fournisseur ne suffit pas à caractériser son état de dépendance économique au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce".
60. En l'espèce, la société Stock-Com réalisait en 2004 près de 100 % de son chiffre d'affaires avec la revente des produits et services Bouygues Télécom, alors que la part de cette dernière sur le marché de la téléphonie mobile s'est maintenue, en ce qui concerne les nouvelles connexions, autour de 20 % de 2000 à 2004 et, en ce qui concerne le parc installé, autour de 17 %.
61. Cette situation n'est toutefois pas imputable aux obligations contractuelles qui auraient été imposées par Bouygues Télécom à la société Stock-Com. Les stipulations précitées contenues aux articles 2, 3 et 12 des deux contrats conclus en 2000 et 2001 entre Bouygues Télécom et Stock-Com, visant la réalisation de 60 % puis 70 % de son chiffre d'affaires dans l'activité " décrite au contrat " sont en effet moins explicites que ne le soutient la saisissante, et la lecture qu'elle en donne entre en contradiction avec l'obligation qui lui était faite par l'article 3 des même contrats de s'engager à apporter à Bouygtel un minimum de souscriptions annuelles au Service Bouygtel et " une part de marché supérieure ou égale à 20 % du total des lignes activées par l'intermédiaire du Grossiste pour les opérateurs de téléphonie mobile ". Or, la saisissante ne soutient pas qu'elle aurait cherché, avant la réponse qui lui a été faite par Bouygues Télécom le 28 février 2002 (voir ci-dessus au paragraphe 32), à obtenir des éclaircissements sur la réalité de ses obligations.
62. En tout état de cause, en juillet 2000, lors de la signature du contrat instaurant la clause incriminée, le chiffre d'affaires de Stock-Com était déjà réalisé à presque 100 % avec Bouygues Télécom depuis la conclusion du premier contrat, en date du 2 juin 1999, et le taux de spécialisation très élevé réalisé par la société Stock-Com avec les produits et services Bouygtel s'est maintenu après le 25 avril 2002, date de signature du contrat qui a mis fin à l'ambiguïté qu'elle dénonce.
63. Par ailleurs, il ne peut être soutenu que tant France Télécom Mobiles, devenue Orange, que SFR n'ont jamais, depuis 1999, accepté de distribuer leurs services par l'intermédiaire de grossistes multi-opérateurs ou ont imposé une exclusivité aux grossistes avec lesquels ils avaient contracté.
64. En premier lieu, si les fonctions assurées par les sociétés de commercialisation de services (SCS) présentent des spécificités par rapport à celles de grossistes tels que Stock-Com, puisque les SCS assurent la gestion et la facturation des abonnés et assument le risque financier, ces sociétés constituent également un intermédiaire entre les opérateurs mobiles et les distributeurs détaillants et les plus importants d'entre eux, tels que Débitel et Coriolis, proposaient en 1999 les services de SFR et France Télécom Mobiles. Débitel a également distribué les services de Bouygues Télécom. En tout état de cause, comme l'expose l'ARCEP dans l'analyse du marché de gros de l'accès et du départ d'appel sur les réseaux mobiles qu'elle a effectuée en février 2005, le mode de commercialisation par l'intermédiaire de SCS a été privilégié par SFR et France Télécom Mobiles dans les premières années de leur développement mais a progressivement reculé : alors que la part des SCS dans les prises d'abonnement représentait 40 % des ventes brutes en 1999, elle était passée à moins de 5 % en 2002. Débitel a, par exemple, cessé ses activités en mars 2004 et est revenu sur le marché en tant qu'opérateur virtuel. Les seules SCS qui subsistent sont Coriolis, filiale de Vodaphone, et The Phone House. Les deux offrent aujourd'hui aux détaillants de distribuer les services des trois opérateurs mobiles, Coriolis s'étant par ailleurs lancé dans une activité d'opérateur virtuel.
65. En deuxième lieu, France Télécom Mobiles, devenue Orange, a eu recours au canal des grossistes pour approvisionner les détaillants indépendants, contrairement aux doutes exprimés par la société Stock-Com dans sa saisine. Au cours de la période 1999-2003, elle a notamment distribué ses produits par l'intermédiaire d'Avenir Télécom, Brightpoint, et Suberdine.
66. En troisième lieu, il ne ressort pas de la décision du Conseil n° 04-D-67 du 1er décembre 2004, relative à des pratiques constatées dans le secteur de la distribution de la téléphonie mobile, que SFR ne travaillait qu'avec des grossistes acceptant de réaliser au moins 90 % de leur chiffre d'affaires avec la vente de ses produits. La clause du contrat de distribution proposé en 1999 par SFR à ses partenaires grossistes, dont le Conseil a examiné la licéité dans cette décision, prévoyait qu'en échange d'une rémunération supplémentaire, le grossiste s'engageait à réaliser 90 % d'abonnements SFR par l'intermédiaire des points de vente appartenant à son sous-réseau et rattachés à la convention " Grossiste Partenaire ". Or, le Conseil a noté que les grossistes ne demandaient pas le rattachement à la convention de l'ensemble de leurs points de vente et qu'Avenir Télécom, principal grossiste concerné, n'avait ainsi demandé que le rattachement de la moitié de ses 1 680 points de vente, c'est-à-dire ceux qui lui permettaient de bénéficier de la rémunération complémentaire, puisqu'au moins 90 % des produits vendus étaient des produits SFR, alors que, pour l'autre moitié de ces magasins, la part de produits Orange dans ses ventes était trop importante pour bénéficier de cette rémunération. Le Conseil a conclu que la clause examinée n'était pas susceptible de restreindre significativement l'accès à la distribution des opérateurs concurrents de SFR. Il est fait mention, dans cette décision, de cinq autres grossistes partenaires SFR en sus d'Avenir Télécom : JCA, Bardou, Audim, Dirland et Mega-Hertz (ce dernier ayant été racheté par Brightpoint en 2001).
67. En quatrième lieu, la plupart des grossistes ont proposé à leur réseau de détaillants les produits et services de plusieurs opérateurs :
Le plus important d'entre eux, Avenir Télécom, après avoir dès sa création (1989) conclu un accord de distribution avec SFR, a conclu un accord avec France Télécom Mobiles dès le lancement du réseau GSM de celui-ci, en 1994. Il a plus récemment conclu un accord de distribution avec un opérateur virtuel, NRJ Mobiles ;
Suberdine, dont le partenaire principal était Orange depuis 1995, et Bardou, grossiste partenaire SFR, ont également distribué les services de Bouygues Télécom à partir de 1999. La dénonciation de ces deux contrats par Bouygues Télécom en 2003 ne remet pas en cause le fait qu'ils ont été multi-opérateurs de 1999 à cette date. Aucun élément au dossier ne révèle que Bouygues Télécom aurait dénoncé ces contrats parce que ces sociétés travaillaient, de façon privilégiée, avec un autre opérateur. Le Conseil note d'ailleurs qu'Orange, principal partenaire de Suberdine, a, en 2003, dénoncé le contrat qui le liait à cette société depuis 1995, ce qui a provoqué la mise en liquidation de cette dernière ;
Brightpoint, filiale d'une groupe américain, qui a développé un réseau de détaillants en franchise (Télécom 1), distribue les produits Orange et SFR.
68. Il résulte de ce qui précède que si la société Stock-Com n'a pas, depuis 1999, conclu de contrat de distribution avec Orange ou avec SFR, ce n'est pas parce que le marché de la distribution de gros de la téléphonie mobile serait structuré essentiellement autour d'accords d'exclusivité entre les grossistes et les opérateurs mobiles. Les courriers que la saisissante a adressés, en février 2002, à Orange et à SFR ne démontrent pas qu'elle ait réellement mis en œuvre les moyens appropriés pour rechercher un partenariat avec un autre opérateur. L'importance de la part de Bouygues Télécom dans le chiffre d'affaires de la société Stock-Com, revendeur des produits de cette dernière, ne résulte donc pas de l'impossibilité de substituer à ce fournisseur un ou plusieurs autres fournisseurs répondant à sa demande d'approvisionnement dans des conditions techniques et économiques comparables.
69. Par ailleurs, en ce qui concerne les conditions commerciales et tarifaires de l'achat et revente des " packs " qui, selon la plaignante, sont, à elles seules, de nature à démontrer sa dépendance, il convient de rappeler qu'elles sont usuelles dans le secteur de la téléphonie mobile : la revente des terminaux en " packs " de téléphonie mobile se fait sans marge commerciale car ces produits sont commercialisés comme vecteurs du service de téléphonie mobile, l'opérateur, comme le distributeur grossiste et comme le détaillant étant rétribués par des commissions sur la souscription du service lié à l'achat du terminal. C'est la rentabilité de l'ensemble qui doit être appréciée : l'absence de marge sur les terminaux vendus dans les " packs " étant compensée par les recettes de souscription d'abonnement, il ne peut être considéré qu'il s'agit d'une revente à perte. D'ailleurs, l'absence de marge sur les terminaux vendus dans les " packs " n'implique pas que les distributeurs soient tenus de les revendre à un prix unique décidé par Bouygues Télécom, les recettes de souscription d'abonnement, composante du " pack ", pouvant être répercutées au moins pour partie auprès des consommateurs.
70. A cet égard, dans la décision précitée n° 04-D-67 le Conseil retient qu' " il ne relève pas de sa compétence d'apprécier la licéité de la vente par " pack " au regard de l'article L. 442-2 du Code de commerce. Il note, cependant, que la DGCCRF, dans sa note 6285 du 1er août 1996 a estimé que la vente d'un terminal modifié pour inclure un abonnement à un prix subventionné par l'opérateur ne relève pas de la vente à perte". (§ 40 décision n° 04-D-67).
71. Au total, sans préjudice d'une éventuelle qualification au regard des dispositions du titre IV du Code de commerce pour l'application desquelles le Conseil n'est pas compétent, ni les conditions contractuelles faites par Bouygues Télécom à la société Stock-Com, ni le traitement discriminatoire dont celle-ci s'estime victime ne sont susceptibles d'être qualifiés au regard du deuxième alinéa de l'article L. 420-2 du Code de commerce, les critères définis par la jurisprudence pour caractériser un état de dépendance économique n'étant pas réunis.
72. Par ailleurs, les relations commerciales entre une société-mère et sa filiale ne sont pas à priori constitutives d'une entente anticoncurrentielle visée par l'article L. 420-1 du Code de commerce lorsque cette filiale est dépourvue d'autonomie. Or, la plaignante fait elle-même état de l'absence d'autonomie commerciale de Téléciel vis-à-vis de Bouygues Télécom en mettant en avant les responsabilités conjointes du PDG de Téléciel qui se trouve également dirigeant de Bouygues Télécom et signataire à ce titre des contrats de grossistes avec Stock-Com.
73. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.
Décision
Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.