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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 25 janvier 2006, n° 04-22817

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Friginox (SAS)

Défendeur :

Atelier de Construction Frigorifique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Carre-Pierrat

Conseillers :

Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland

Avoués :

SCP Moreau, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Regnier, Legros Wolfenden

T. com. Evry, du 16 sept. 2004

16 septembre 2004

Vu l'appel interjeté le 5 octobre 2004, par la société Friginox d'un jugement rendu le 16 septembre 2004 par le Tribunal de commerce d'Evry qui l'a déboutée de ses demandes, a rejeté la demande reconventionnelle de la société Atelier de Construction Frigorifique, dite ACFRI, condamné la société Friginox à payer à la société ACFRI la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières écritures en date du 26 juillet 2005, par lesquelles la société Friginox, poursuivant l'infirmation de la décision entreprise, demande à la cour de :

* constater que la technologie de chauffage utilisée par la société ACFRI sur ses cellules de refroidissement ne correspond pas au brevet n° 7917080 tombé dans le domaine public depuis 1999 et que cette technologie, qui n'a fait l'objet d'aucun dépôt de brevet par la société ACFRI, est identique à celle qu'elle a mise en œuvre,

* dire que la référence faite par la société ACFRI, dans ses catalogues et tarifs, et plus généralement dans sa documentation commerciale ou publicitaire jusqu'en 1994, à une technologie ou à un système breveté, est fautive et constitutive de concurrence déloyale,

* condamner la société ACFRI au paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts,

* l'autoriser à faire publier l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues, par extraits, aux frais avancés de la société ACFRI sur présentation de simples devis,

* débouter la société ACFRI de ses demandes,

* condamner la société ACFRI au paiement de la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les dernières écritures en date du 25 avril 2005, aux termes desquelles la société ACFRI, sollicitant la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société Friginox, prie la cour de :

* dire que le schéma de flux d'air ne constitue pas un acte de concurrence déloyale et que la demande de la société Friginox se heurte à l'autorité de la chose jugée,

* dire que la société Friginox copie ses innovations et qu'elle se trouve ainsi privée d'une partie des ventes liées à ses innovations,

* à titre subsidiaire, si le tribunal accueillait la position du demandeur, dire n'y avoir lieu qu'au paiement d'un euro symbolique et dire n'y avoir pas lieu à publication,

* sur sa demande reconventionnelle, condamner la société Friginox au paiement de la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts et l'autoriser à faire publier la décision à intervenir dans cinq revues aux frais de la société Friginox,

* condamner la société Friginox au versement de la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles ;

Sur ce, LA COUR,

Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que:

* les sociétés Friginox et ACFRI ont pour activité la fabrication et la commercialisation d'équipements frigorifiques professionnels,

* Jean-Claude Comby a déposé le 29 juin 1979 un brevet français n° 7917080, délivré le 23 janvier 1981, ayant pour titre "Cellule de refroidissement rapide",

* il a consenti le 10 août 1987, à la société ACFRI, dont il est le dirigeant, une licence d'exploitation exclusive,

* le 27 janvier 1997, la société ACFRI et Jean-Claude Comby ont fait procéder à une saisie contrefaçon sur le stand de la société Friginox au cours d'un salon professionnel, puis l'ont assignée devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de brevet et en concurrence déloyale,

* par jugement du 4 avril 2001, ces demandes ont été rejetées,

* le brevet n° 7917089 est venu à expiration le 29 juin 1989,

* au cours de l'année 2002, la société Friginox a constaté que la société ACFRI persistait dans sa documentation commerciale et ses tarifs à faire état d'un système breveté,

* dans ces circonstances, la société Friginox a assigné la société ACFRI devant le Tribunal de commerce d'Evry en concurrence déloyale ;

Sur la demande de la société Friginox :

Considérant que devant la cour, la société Friginox ne reprend que pour partie ses griefs formulés devant les premiers juges, à savoir le fait que la société ACFRI a prétendu disposer d'une technologie brevetée exclusive sur un système de soufflage, et ce pendant plusieurs années, alors que le brevet dont elle était licenciée n'était plus en vigueur et qu'il n'était même pas exploité ;

Considérant que la société ACFRI prétend qu'à raison de l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du Tribunal de grande instance de Paris en date du 4 avril 2001, les demandes formées à ce titre par la société Friginox seraient irrecevables ;

Mais considérant que l'objet du présent litige n'a nullement été tranché par ce jugement qui a statué sur les demandes en contrefaçon de brevet et en concurrence déloyale formées par la société ACFRI et les demandes reconventionnelles de la société Friginox portant sur le caractère abusif de la procédure et l'emprunt par la société ACFRI de sa technologie afférente à une sonde à piquer multi-points ;

Que de sorte, les présentes demandes ne se heurtent pas à l'autorité de la chose jugée ;

Considérant qu'en 2002 et jusqu'en 2004, la société ACFRI s'est prévalue dans sa documentation commerciale et sur ses tarifs de la titularité d'une technologie brevetée en revendiquant :

- un savoir-faire breveté,

- un système breveté,

- un système exclusif de soufflage indirect,

- une technologie exclusive, mannequin frigorifique breveté ;

Que par un courrier adressé à la société Technifroid le 27 juillet 2002, la société ACFRI a affirmé qu'elle était titulaire d'un système d'évaporation-ventilation breveté, non disponible chez son concurrent ;

Considérant qu'il est constant que, si la société ACFRI a bénéficié d'une licence d'exploitation exclusive sur le brevet n° 7917080, portant sur une cellule de refroidissement, déposé le 29 juin 1979 par son dirigeant, Jean-Claude Comby, ce brevet est venu à expiration le 29 juin 1999, de sorte qu'à compter de cette date la société ACFRI ne pouvait plus se prévaloir de ce titre ;

Considérant que la société ACFRI pouvait d'autant moins arguer d'un système breveté ou d'un savoir faire que la cellule de refroidissement décrite et représentée dans ses documents commerciaux ne correspond même pas à l'invention, objet du brevet ;

Qu'en effet, la revendication essentielle du brevet déposé par Jean-Claude Comby, portant sur une cellule de refroidissement rapide, est caractérisée par le sens de la circulation de l'air à l'intérieur de la cellule de refroidissement, l'air froid se projetant directement, horizontalement sur les produits à réfrigérer et étant pulsé vers l'intérieur de la cellule ;

Qu'au contraire, dans le système, prétendument breveté, décrit et schématisé dans les catalogues de la société ACFRI, le flux d'air, à l'inverse de celui du brevet, n'est pas projeté directement sur les produits à réfrigérer, mais est, au contraire, un flux d'air indirect, divisé en deux colonnes projetées sur les côtés des produits à refroidir, système de soufflage déjà utilisé par la société Friginox ;

Qu'il en résulte que la société ACFRI a, par des mentions inexactes et trompeuses, laissées accroire à la clientèle qu'elle disposait d'un monopole sur une technologie brevetée, alors que tel n'était pas le cas ;

Que ces agissements caractérisent une pratique anti-concurrentielle, constitutive de concurrence déloyale à l'encontre de la société Friginox ;

Considérant qu'il s'infère des actes déloyaux constatés l'existence d'un trouble commercial ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts ;

Qu'il sera fait droit à la mesure de publication sollicitée selon les modalités précisées au dispositif du présent arrêt;

Sur les demandes reconventionnelles formées par la société ACFRI :

Considérant que la société ACFRI prétend que la société Friginox aurait copié ses innovations et notamment une carte HACCP créée en 1997, anticipant la réglementation, et des évaporateurs anti-corrosion développés à la fin de l'année 1999 ;

Mais considérant sur le premier point, que le système HACCP, introduit par l'article 5 de l'arrêté du 29 septembre 1997, qui est une procédure destinée à évaluer les dangers et établir des méthodes axées sur la prévention, n'est pas protégeable puisque imposée par la réglementation et adoptée par les autres acteurs du marché des cellules de refroidissement ;

Que la société ACFRI ne saurait prétendre exercer un droit privatif sur le seul fait de raccorder la carte à un ordinateur, un réseau informatique ou une imprimante, alors que la société Friginox justifie par sa documentation commerciale utiliser des dispositifs de contrôle similaires depuis 1997 ;

Que sur le second point, il résulte d'une plaquette publicitaire datée de 1995, que la société Friginox emploie depuis cette époque, un revêtement type "cataphorèse" propre à protéger des évaporateurs de la corrosion, de sorte que la société ACFRI ne démontre aucune innovation ;

Sur les autres demandes :

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doivent bénéficier à la société Friginox ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 10 000 euro ; que la société ACFRI qui succombe en ses prétentions doit être déboutée de sa demande formée sur ce même fondement ;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société ACFRI de ses demandes reconventionnelles, Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau : Dit qu'en faisant référence dans sa documentation commerciale et ses tarifs, à une technologie ou à un système breveté et exclusif, la société ACFRI a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Friginox, Condamne la société ACFRI à payer à la société Friginox la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts, Autorise la société Friginox à faire publier la présente décision dans trois journaux ou revues de son choix, aux frais de la société ACFRI, dans la limite de la somme de 3 500 euro HT par insertion, Condamne la société ACFRI à payer à la société Friginox la somme de 10 000 euro au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société ACFRI aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.