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Décisions

Cass. crim., 3 mai 2006, n° 05-85.051

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Delaporte, Briard, Trichet

TGI Saint-Brieuc, ch. corr., du 20 févr.…

20 février 2003

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X René, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Angers, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 2005, qui, sur renvoi après cassation, l'a condamné, pour tromperie et publicité de nature à induire en erreur, à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, 10 000 euro d'amende, et a ordonné une mesure de publication; - Vu le mémoire produit; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 212-1, L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, des règlements n° 1907-90-CEE du Conseil du 26 juin 1990 et n° 1274-91-CEE de la Commission du [15] mai 1991, des articles 121-1 et 121-3 du Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré René X coupable de tromperie;

"aux motifs que " pour la première période en cause (novembre 1993 à mars 1994, ou plus précisément jusqu'au 31 janvier 1994), René X était le président directeur général de la société Y et, en outre, président du directoire de la SA Z, dont Y était une filiale; que Francis W était, pour sa part, directeur d'exploitation de la société Y, et ce jusqu'en juin 1994; que son contrat précisait qu'il devait agir conformément aux directives générales pouvant lui être données, spécialement par son président ; que, parmi ses attributions, figuraient notamment la surveillance du suivi de la production et de la qualité des produits, ainsi que des relations entre les éleveurs et la société; que, selon le dossier, Francis W avait autorité et compétence et participait efficacement aux activités de la société; que c'était d'ailleurs lui-même qui s'était mis en relation avec le courtier BAPST; que les faits étaient donc parfaitement connus tant de René X que de Francis W et que l'imputabilité des faits en cause à ces deux prévenus, pour la période considérée, n'est pas sérieusement contestable; que la matérialité des faits est établie; qu'en effet, les prévenus en cause ont mis sur le marché des oeufs de poules élevées en plein air " comme étant de production fermière et, qui plus est, censés avoir été pondus en Bretagne, alors qu'il s'agissait d'un mélange avec des oeufs de batterie en provenance de Belgique; que, de toute évidence, ils n'ont pas vérifié, ou plus précisément ont sciemment ignoré les conditions de production exigées par l'article 18 du règlement CEE du 15 mai 1991 concernant notamment les conditions minimales de densité applicables aux élevages; que ces faits ne doivent rien au hasard ni aux aléas de la conjoncture commerciale, mais relèvent d'un choix délibéré des intéressés pour faire face à une demande, qu'autrement, ils n'auraient pu satisfaire; que contrairement à ce qu'a estimé le Tribunal de Saint-Brieuc, l'élément intentionnel est patent, et il appartenait à ces professionnels de s'assurer par tout moyen de la sincérité du produit vendu, sans qu'ils puissent se retrancher derrière la pseudo-ignorance de la qualité des oeufs achetés ; qu'ils ont donc délibérément trompé leur co-contractant, que le délit est constant et que le jugement sera réformé en ce sens ; que, pour cette période, antérieure à l'embauche de Gilbert A, soit jusqu'au 31 janvier 1994, pour ce qui le concerne, la relaxe s'impose; que, pour la période postérieure, les mêmes éléments peuvent être repris, à ceci près que la responsabilité de Gilbert A, directeur général adjoint, est parfaitement engagée, dans la mesure où de par ses fonctions, il participait directement et nécessairement aux pratiques litigieuses; que René X qui a participé directement aux faits litigieux, ne saurait se réfugier derrière une délégation de pouvoir au profit de Gilbert A, alors qu'il résulte clairement du dossier qu'il avait conservé un pouvoir d'intervention dans les approvisionnements et la politique commerciale, en même temps qu'un rôle essentiel dans la politique générale du groupe en raison de ses prérogatives statutaires (arrêt, pages 7 et 8);

"1°) alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent ajouter aux faits de la prévention, lesquels doivent rester tels qu'ils ont été retenus dans l'acte de saisine, à moins que le prévenu ait accepté d'être jugé sur des faits nouveaux; qu'en l'espèce, il résulte des mentions de l'ordonnance de renvoi du 5 juin 2002, qui fixe les limites de la prévention, qu'il est reproché au demandeur d'avoir commis le délit de tromperie en vendant des oeufs sous le label " oeufs de poules élevées en plein air " et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère; qu'ainsi, il n'est nullement reproché au prévenu d'avoir faussement prétendu que les oeufs mis en vente avaient été pondus en Bretagne; que, dès lors, en se déterminant par la circonstance que le demandeur a mis sur le marché des " oeufs de poules élevées en plein air " comme étant censés avoir été pondus en Bretagne, la cour d'appel, qui relève à la charge du demandeur des faits non compris dans la prévention, sans que l'intéressé ait accepté d'être jugé sur de tels faits, a violé l'article 388 du Code de procédure pénale;

"2°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait; qu'en l'espèce, il est reproché à René X d'avoir commis le délit de tromperie, en vendant des oeufs sous le label " oeufs de poules élevées en plein air " et comme étant de production fermière, sachant que les oeufs étaient de production industrielle et étrangère; que, pour déclarer inopérante la délégation de pouvoir dont se prévalait le demandeur, la cour d'appel s'est bornée à énoncer, d'une part, que les faits étaient parfaitement connus de René X, pour en déduire que l'imputabilité des faits en cause à ce prévenu n'est pas sérieusement discutable, d'autre part, que l'intéressé a participé directement aux faits litigieux et avait conservé un pouvoir d'intervention dans les approvisionnements et la politique commerciale en même temps qu'un rôle essentiel dans la politique générale du groupe en raison de ses prérogatives statutaires; qu'en statuant ainsi en l'état de ces énonciations qui se résument, d'une part, à des considérations d'ordre général, tirées notamment de la position hiérarchique du prévenu, d'autre part, à une simple affirmation, sans indiquer concrètement en quoi aurait consisté la participation personnelle de René X aux faits visés à la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 121-1 du Code pénal;

"3°) alors que les dispositions de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, imposant au responsable de la première mise sur le marché national d'un produit de vérifier la conformité dudit produit aux prescriptions en vigueur n'est compatible avec les articles 28 et 30 du traité CEE qu'à la condition que son application aux produits en cause ne soit pas assortie d'exigences dépassant ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif visé, compte tenu, notamment des moyens de preuve normalement disponibles pour un importateur, conformément au principe de proportionnalité; qu'en l'espèce, pour déclarer le demandeur coupable de tromperie, la cour d'appel s'est déterminée par la circonstance qu'il appartenait à ce professionnel de s'assurer par tout moyen de la sincérité du produit vendu, sans qu'il puisse se retrancher derrière la pseudo-ignorance de la qualité des oeufs achetés; qu'en statuant ainsi, sans indiquer en quoi l'importateur disposait de moyens d'investigation suffisants lui permettant d'opérer un contrôle efficace de la qualité des marchandises importées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision;

"4°) alors que l'absence de vérification de la conformité du produit importé ne peut caractériser les éléments matériel et moral du délit de tromperie lorsque le prévenu se trouve dans l'impossibilité de se livrer à un tel contrôle; que, dès lors, en se bornant à énoncer qu'il appartenait à René X de s'assurer par tout moyen de la sincérité du produit vendu, et non de se retrancher derrière la pseudo-ignorance de la qualité des oeufs achetés, sans répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel du demandeur, qui faisait valoir qu'il résulte des dispositions des règlements n° 1907-90-CEE du Conseil du 26 juin 1990 et n° 1274-91-CEE de la Commission du 15 mai 1991 que les contrôles de qualité des oeufs de poule commercialisés sur le territoire de la Communauté incombe exclusivement aux " centres d'emballages ", organismes désignés par chaque Etat membre et non aux partenaires de la filière qui, en l'état, ne sont pas en mesure d'effectuer eux-mêmes de tels contrôles, lesquels requièrent une présence sur le lieu même de la production, la cour d'appel a violé l'article 593 du Code de procédure pénale";

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 212-1, L. 213-1, L. 216-1, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, des règlements n° 1907-90-CEE du Conseil du 26 juin 1990 et n° 1274-91-CEE de la Commission du [15] mai 1991, des articles 121-1 et 121-3 du Code pénal, 427, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré René X coupable de publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur;

"aux motifs propres que les prévenus, ainsi que l'indique le tribunal, ont commercialisé des milliers de boîtes d'oeufs, sous la dénomination "Y - oeufs de poules élevées en plein air" agrémentées d'un volatile blanc à crête rouge, dans une herbe d'un vert tendre, induisant manifestement le consommateur en erreur, dans la mesure où il imaginait acquérir des oeufs bretons, pondus par une poule au bonheur sans mélange, picorant dans un pré verdoyant, alors que la réalité était beaucoup moins poétique, s'agissant d'un mélange, dans le meilleur des cas, avec des oeufs de batterie, pondus par des poules n'ayant jamais vu, ni soleil, ni ciel, ni herbe ; que le délit de publicité mensongère est donc parfaitement constitué; que les trois prévenus n'ignoraient rien des faits et en étaient à l'origine, chacun à son niveau, ainsi que cela a été exposé pour la tromperie, les préoccupations commerciales et de rentabilité ayant pris le pas sur la sincérité des transactions " (arrêt, pages 8 et 9);

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, que " les prévenus ont commercialisé des milliers de boites d'oeufs sous la dénomination "Y, oeufs de poules élevées en plein air", matérialisant ainsi un support publicitaire, induisant en erreur le consommateur quant à l'origine et aux qualités substantielles du produit vendu; que le consommateur moyen pouvait légitimement croire avoir acheté un produit d'origine bretonne, dans la mesure où au moins en Bretagne le mot Argoat par opposition au vocable Armor désigne la Bretagne intérieure par rapport à celle bordant la Manche ou l'Atlantique; que plus de deux millions d'oeufs en provenance de Belgique ont été commercialisés dans ces boîtes entre le 25 novembre 1993 et le 1er mars 1994; que la dénomination Fermiers, outre sa liaison avec l'origine géographique ci-dessus rappelée tend également à induire en erreur le consommateur sur une origine laissant croire à des poules dans des poulaillers vastes et aérés où les poules sont en contact avec la végétation, facteur qui peut pour certains consommateurs constituer un critère déterminant de choix eu égard aux qualités substantielles que représente pour eux un tel produit; que la commercialisation d'oeufs belges dont les prévenus ne s'assuraient pas des conditions réelles de production, sous un tel emballage, caractérise la publicité trompeuse sur l'origine et les qualités substantielles du produit; que le délit de publicité trompeuse est constitué en l'absence d'intention de tromper le consommateur; qu'en l'espèce, les trois prévenus, quel que soit leur niveau hiérarchique, ont pour le moins fait preuve d'une négligence fautive en ordonnant, ou approuvant, ou tolérant, le conditionnement d'oeufs d'origine étrangère dans des emballages induisant en erreur le consommateur; que, si René X a agi en qualité d'annonceur, Francis W initiateur de l'importation qu'il a ultérieurement critiquée, responsable du site, s'est rendu complice du délit de novembre 1993 à mars 1994; que Gilbert A, recruté le 1er février 1994 en qualité de directeur général, s'il ne peut être retenu dans les liens de la prévention de novembre 1993 à mars 1994, disposait en cette qualité de décembre 1994 à avril 1995 d'un pouvoir d'administration générale lui faisant obligation de veiller au respect de toutes les obligations légales et réglementaires et ce alors même que M. B, qui avait remplacé Francis W en juin 1994, n'avait que le titre d'adjoint de direction" (jugement, pages 8 et 9);

"alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait; que, pour déclarer René X coupable de publicité trompeuse, les juges du fond se sont bornés à énoncer que les trois prévenus n'ignoraient rien des faits, et qu'ils ont fait preuve d'une négligence fautive en ordonnant, ou approuvant, ou tolérant, le conditionnement d'oeufs d'origine étrangère dans des emballages induisant en erreur le consommateur; qu'en statuant ainsi en l'état de ces considérations d'ordre général, sans indiquer concrètement en quoi aurait consisté la participation personnelle de René X aux faits visés à la prévention, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 121-1 du Code pénal";

Les moyens étant réunis; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'entre novembre 1993 et mars 1994 puis entre décembre 1994 et avril 1995, la société Y, dont René X était le président, a acheté en Belgique des milliers de boîtes d'oeufs, de production industrielle, qu'elle a commercialisés sur le marché français, sous la dénomination "Y-oeufs de poules élevées en plein air", avec le dessin d'un volatile picorant dans l'herbe ; que René X a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de tromperie et de publicité de nature à induire en erreur;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de tromperie, l'arrêt énonce qu'il connaissait les faits et ne pouvait se réfugier derrière une délégation de pouvoir donnée à des directeurs successifs, dès lors qu'il avait conservé un pouvoir d'intervention dans les approvisionnements comme dans la politique commerciale et générale du groupe; que les juges ajoutent que la matérialité des faits résulte de la mise sur le marché des "oeufs de poule élevées en plein air" comme étant de production fermière, censés avoir été pondus en Bretagne, alors qu'il s'agissait d'un mélange avec des oeufs de batterie, en provenance de Belgique, et que le prévenu a sciemment ignoré les conditions minimales de densité applicables aux élevages exigées par l'article 18 du règlement CEE du 15 mai 1991, alors qu'il appartenait à ce professionnel de s'assurer, par tout moyen, de la sincérité du produit vendu, sans qu'il puisse se retrancher derrière la prétendue ignorance de la qualité des oeufs achetés;

Attendu que, pour déclarer René X coupable de publicité de nature à induire en erreur, l'arrêt énonce que le consommateur a été manifestement induit en erreur, dans la mesure où il imaginait acquérir des oeufs bretons, pondus par une poule élevée en plein air, alors qu'en réalité il s'agissait d'un mélange, avec des oeufs de batterie "pondus par des poules n'ayant jamais vu, ni soleil, ni ciel, ni herbe" ; que les juges ajoutent que le prévenu n'ignorait rien des faits, les préoccupations commerciales ayant pris le pas sur la sincérité des transactions;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, fondées sur l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits qui leur étaient soumis, et dès lors que les exigences de la réglementation communautaire sur les conditions d'emballage ne dispensaient pas René X, responsable de la première mise du produit sur le marché, de veiller à la conformité de ce produit aux qualités annoncées, la cour d'appel qui a statué dans les limites de sa saisine et répondu aux conclusions dont elle était saisie, a caractérisé, en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a reconnu le prévenu coupable; d'où il suit que les moyens doivent être écartés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.