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Décisions

CA Versailles, 17e ch. soc., 9 octobre 2003, n° 01-00818

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Hygeco (SA)

Défendeur :

Saidj

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Limoujoux

Conseillers :

Mme Minini, Deroubaix

Avocats :

Mes Anave, Brihi

Cons. prud'h. Montmorency, du 15 févr. 2…

15 février 2001

Relation des faits et de la procédure

Idris Saidj a été engagé par la société Hygeco France Marette à compter du 30 novembre 1976, en qualité de thanatopracteur, moyennant un salaire brut mensuel de 3 500 F sur treize mois, les parties ayant en outre convenu une clause de non-concurrence d'une durée de deux ans après rupture du contrat, et ce dans un rayon de cinquante kilomètres autour des villes d'affectation du salarié. Par la suite la société Bernard J. Lane (BJL) viendra aux droits de la société Hygeco France avec reprise du contrat de Idris Saidj. Le salaire brut moyen de celui-ci était en dernier lieu de 14 750 F soit 2 248,62 euro.

Le 11 avril 1996 Idris Saidj était reconnu travailleur handicapé de catégorie B pour une durée de cinq ans par la Cotorep.

Par lettre en date du 26 novembre 1999 Idris Saidj se voyait convoqué par la société BJL à un entretien préalable en vue de son licenciement pour un motif économique le 3 décembre suivant à 10 h 30.

Son licenciement lui était notifié le 20 décembre 1999. Le motif de la rupture était exposé dans les termes suivants :

"Comme vous le savez le Groupe Pompes Funèbres Générales a décidé au mois de juin 1997 de retirer progressivement l'activité de soins de conservation qu'elle confiait à la société Bernard J. Lane. La mise en œuvre de cette décision s 'est poursuivie sur les années 1998 et 1999. Jusqu'à ce jour, malgré les diminutions importantes d'activité, nous avons pu éviter d'engager des licenciements économiques au moyen de reprises de personnel grâce à des reprises dans d'autres sociétés.

Les Pompes Funèbres Générales nous ont maintenant signifié qu'elles nous retiraient l'activité de la ville de Paris au 1er janvier 2000.

Les Pompes Funèbres Générales vous ont proposé un poste que vous avez refusé. Lors de notre entretien vous nous avez fait savoir que vous refusiez aussi toute mutation interne.

Malheureusement cette situation affecte considérablement l'activité et l'équilibre de notre entreprise et il ne nous est pas possible de différer des licenciements économiques et nous sommes au regret de vous informer que vous êtes concerné par cette mesure.

Comme nous vous l'avons indiqué au cours de ce même entretien, la possibilité vous est offerte d'adhérer à une convention de conversion. Vous disposez pour cela d'un délai de 21 jours courant à compter du 4 décembre 1999 pour exprimer votre choix. En conséquence, si le 24 décembre 1999 au plus tard, vous n'avez pas fait connaître votre réponse sur la proposition de convention de conversion, ou, bien entendu, si vous l'avez refusé, la présente lettre constituera la notification de votre licenciement pour motif économique.

La date à laquelle cette lettre vous aura été présentée marquera le point de départ de votre préavis, d'une durée de 2 mois...

Il était en outre précisé au terme de ce courrier

... "Nous vous indiquons que vous êtes déchargé des obligations de la clause de non-concurrence contenue dans votre contrat de travail du 30 novembre 1976 et vous êtes donc libre de tout engagement se rapportant à cette clause. En effet la convention collective des Pompes Funèbres applicable à notre société depuis le 6 novembre 1998 prévoyant une contrepartie financière aux clauses de non-concurrence et la clause insérée dans votre contrat de travail antérieurement conclu n'en prévoyant pas, cette dernière est de nul effet".

Dès le 12 janvier le salarié contestait la légitimité de son licenciement ainsi que celle de la décision unilatérale de l'employeur de le libérer de la clause de non-concurrence.

C'est dans ces circonstances que Idris Saidj devait attraire son ex-employeur devant le Conseil des Prud'hommes de Montmorency aux fins de contester la légitimité de son licenciement et de se voir allouer les sommes suivantes :

- indemnité de la clause de non-concurrence : 76 844 F

- indemnité de préavis : 14 750 F

- congés payés y afférent : 1 475 F

- complément d'indemnité de licenciement : 14 750 F

- indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 531 000 F

- indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile : 15 000 F

Il sollicitait en outre la remise d'un certificat de travail rectifié.

Le premier juge par la décision dont appel en date du 15 février 2001 a dit que la société BJL devra fournir à Idris Saidj un certificat de travail rectifié à la date du 20 avril 2000, faisant suite à un mois de préavis supplémentaire.

Il a dit par ailleurs que Idris Saidj a perçu le 24 mai 2000 par ordonnance conforme à l'article R. 516-18 du Code du travail, les sommes suivantes :

- 60 000 F à titre de provision sur indemnité de non-concurrence,

- 10 000 F à titre de provision sur indemnité supplémentaire du préavis,

- 10 000 F à titre de provision sur indemnité complémentaire suite à son licenciement.

Il a enfin condamné la société BJL à verser au salarié les sommes suivantes :

- 16 844 F au titre de l'indemnité de clause de non-concurrence,

- 4 750 F au titre de l'indemnité de licenciement 1 mois complémentaire,

- 4 750 F au titre de l'indemnité de préavis,

- 1 475 F au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés pendant la période de préavis (1 mois supplémentaire),

- 1 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Idris Saidj était débouté du surplus de ses demandes.

La société BJL a régulièrement relevé appel de cette décision.

Vu les conclusions déposées et débattues à l'audience, la société SA Hygeco qui vient aux droits de la société SA Bernard J. Lane appelante a fait conclure à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a estimé le licenciement économique de Idris Saidj fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais à son infirmation en ce qu'il lui a déclaré opposable la clause de non-concurrence et en ce qu'il l'a condamné à verser au salarié la somme de 11 714 euro à titre d'indemnité de non-concurrence. Il a en conséquence demandé la restitution de cette somme.

A titre subsidiaire, elle a fait soutenir la violation par Saidj de la clause de non-concurrence et a demandé en conséquence la restitution de ladite somme.

Elle a sollicité en outre l'allocation de la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En réplique Idris Saidj a fait conclure à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la rectification du certificat de travail et condamné la société BJL à lui verser les sommes suivantes :

- 76 844 F (11 715 euro) à titre d'indemnité de clause de non-concurrence,

- 14 750 F à titre d'indemnité complémentaire de préavis (article 220-10 de la CCM des pompes funèbres),

- 1 475 F (225 euro) au titre des congés payés y afférent,

- 14 750 F (2.249 euro) à titre d'indemnité complémentaire de licenciement,

- 1 000 F (153 euro) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

En revanche, il a fait conclure à son infirmation en ce qu'il a été débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Il a sollicité de ce chef l'allocation de la somme de 80 950 euro pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Il a soutenu à titre subsidiaire la violation des règles relatives à l'ordre des licenciements et a demandé de ce chef la condamnation de BJL au paiement de la somme de 40 482 euro à titre de dommages intérêts. Il a sollicité enfin la condamnation de son ex-employeur au paiement de la somme de 2 300 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant qu'il est constant que le contrat de travail de Idris Saidj stipulait une clause de non-concurrence rédigée dans les termes suivants : "M. Saidj Idris s'interdit formellement pendant toute la durée du présent contrat, et pendant une durée de deux ans à partir du jour où il aura cessé de faire partie du personnel Hygeco France Marette SA, quelles que soient les causes de son départ, de s'installer ou d'exercer soit directement, soit indirectement même à titre salarié, par lui-même ou par personne interposée, la profession de Thanatopracteur ou toute autre activité annexe ou connexe de notre société" ;

Considérant que la clause de non-concurrence pour être valide doit répondre à trois conditions cumulatives :

- être justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise,

- être limitée dans le temps et l'espace,

- comporter une contrepartie pécuniaire

Considérant qu'il est établi que la clause de non-concurrence susvisée ne prévoit aucune contrepartie pécuniaire ;

Considérant qu'il résulte par ailleurs des bulletins de salaire de Idris Saidj que la convention collective applicable à la relation de travail est celle des pompes funèbres qui s'est trouvée mise en œuvre dans l'entreprise à compter du 6 novembre 1998 alors que le licenciement litigieux a été notifié le 20 décembre 1999 ; que ce dernier en déduit que cet accord collectif était immédiatement applicable aux clauses du contrat de travail en application des dispositions résultant de l'article L. 135-2 du Code du travail ;

Mais considérant que la clause de non-concurrence était radicalement nulle en l'absence de contrepartie financière, qu'elle n'avait par conséquent aucune existence contractuelle lors de la mise en œuvre de la convention collective dans l'entreprise le 6 novembre 1998, qu'il s'ensuit que c'est à bon droit que l'employeur a constaté que la clause litigieuse était de nul effet puisque l'article L. 223-3 de ladite convention mentionne "cas particulier du personnel ayant une clause de non-concurrence limitant l'exercice de la profession; que tel n'était pas le cas en l'occurrence ;

Considérant qu'il est ainsi établi que lors de la rupture du contrat de travail Idris Saidj n'avait aucune entrave à sa liberté de travail, qu'il avait la possibilité de rechercher immédiatement un autre emploi dans son secteur professionnel, ce qu'il paraît d'ailleurs avoir fait ;

Que par conséquent le jugement déféré doit être infirmé en ce qu'il a déclaré opposable à l'employeur la clause de non-concurrence et en ce qu'il l'a condamné à payer à Idris Saidj la somme de 11 714 euro à titre d'indemnité compensatrice de non-concurrence ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence d'ordonner la restitution de cette somme à la société Hygeco ;

Sur la cause de licenciement

Considérant que constitue un licenciement économique le licenciement prononcé par l'employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, à des mutations technologiques ou à une réorganisation de l'entreprise décidée par l'employeur pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient ;

Considérant qu'il résulte dans le cas présent, des comptes de résultats versés aux débats que la société BJL a du faire face à des difficultés économiques, certaines tenant à une restructuration des activités notamment des soins d'hygiène ;

Qu'en effet pour l'exercice 1996 l'entreprise affichait un résultat avant impôts de 1 280 749 F qui s'est vu réduit en 1997 à la somme de 215 780 F et en 1999 à celle de 21 881 F ;

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contestable qu'à l'époque du licenciement de Idris Saidj, l'entreprise connaissait une chute d'activité sévère, qu'outre les comptes de résultats et bilan produits, celle-ci résulte des diverses pièces versées aux débats, notamment le graphique des nombres d'actes mortuaires effectués par BJL de 1995 à 2000 ; que dès lors la suppression du poste de thanatopracteur occupé par Idris Saidj est bien la conséquence directe de ces difficultés économiques qui ont conduit à fusionner l'intégralité des sociétés du groupe en une seule, la société Hygeco pour réduire les coûts de fonctionnement ;

Considérant qu'il incombe toutefois à l'employeur de satisfaire à son obligation de reclassement, qu'à défaut de rapporter la preuve qu'il a fait tous les efforts de formation et d'adaptation pour reclasser l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie ou d'une catégorie inférieure, le cas échéant, la rupture équivaut à un licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

Considérant en l'occurrence que le seul élément produit par la société pour établir qu'elle a satisfait à son obligation de reclassement est une lettre du 3 décembre 1999 adressée à M. Francis Marette indiquant qu'Idris Saidj avait refusé par un courrier du 26 novembre 1998 une embauche par OGF, autre société du groupe ; qu'hormis cette pièce faisant allusion à un refus du salarié antérieur d'un an à son licenciement, aucun élément probant n'est produit devant la cour de nature à lui permettre d'exercer son contrôle sur l'exécution réelle par l'employeur de l'obligation de reclassement qui lui incombe ; qu'en l'absence d'élément probant le licenciement d'Idris Saidj est sans cause réelle ni sérieuse ;

Considérant qu'Idris Saidj est dès lors en droit de prétendre au bénéfice des dispositions résultant de l'article L. 122-14-4 du Code du travail ;

Que compte tenu du fait que celui-ci paraît avoir trouver un nouvel emploi moins d'un an après son licenciement et des divers éléments à disposition de la cour, il y a lieu de lui allouer à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle ni sérieuse la somme de 18 000 euro ;

Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge du salarié la totalité des frais qu'il a du exposer en cause d'appel, qu'il y a lieu de lui allouer de ce chef la somme complémentaire de 1 500 euro ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement; Déclare recevables la société Hygeco et Idris Saidj en leur appel principal et incident ; Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau : Dit le licenciement d'Idris Saidj survenu le 20 décembre 1999 sans cause réelle ni sérieuse ; Condamne en conséquence la société Hygeco qui vient aux droits de la SA Bernard J. Lane à payer à Idris Saidj la somme de 18 000 euro à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ; Déboute Idris Saidj du surplus de ses demandes ; Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraire ; Y ajoutant : Condamne la société Hygeco à verser à Idris Saidj la somme complémentaire de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Laisse les dépens à la charge de la société Hygeco qui est aux droits de la société BJL.