CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 17 décembre 2004, n° 02-10350
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Biotonic (SA)
Défendeur :
Rolland
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cadiot
Conseillers :
MM. Astier, Stern
Avoués :
SCP Latil-Penarroya-Latil-Alligier, Me Jauffres
Avocats :
Mes Chas, Massei, Pouderoux
Faits et procédure
Début 1999 la société Biotonic a adressé à Mme Rolland des documents publicitaires lui laissant entrevoir un gain, accompagnés d'un catalogue de produits ; estimant être la gagnante d'un lot de 100 000 F, celle-ci l'a assignée en paiement ;
Par jugement du 28 mars 2002 le Tribunal de commerce de Cannes a condamné la société Biotonic à lui payer la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts, et celle de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
La société Biotonic a relevé appel de cette décision le 29 avril 2002 ;
Au terme de dernières conclusions du 24 septembre 2004 qui sont tenues pour intégralement reprises ici, elle fait valoir pour l'essentiel :
- qu'elle propose à ses clients des jeux sans obligation d'achat fonctionnant selon la règle du pré-tirage au sort du nom des gagnants, et non pas des loteries ;
- que ces jeux publicitaires sont conformes à l'article L. 121-36 du Code de la consommation ;
- que dans tous ses documents elle rappelle les conditions d'obtention des lots, et donc l'existence d'un aléa ;
- que s'ils présentent un certain caractère attractif, ils ne comportent aucune allégation mensongère ;
- qu'ils sont compréhensibles pour un consommateur de bonne foi, et normalement attentif ;
- que Mme Rolland a bien renvoyé son bulletin de participation dans les temps, mais n'était pas en possession du document désigné gagnant ;
- qu'il n'existe aucun engagement ferme de sa part de lui verser un prix ;
- qu'elle n'a commis aucune faute ;
Elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris ;
- de débouter Mme Rolland de ses prétentions ;
- de la condamner au paiement de la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Au terme de dernières conclusions du 4 mars 2003 qui sont tenues pour intégralement reprises ici, celle-ci réplique pour l'essentiel :
- que la société Biotonic n'a pas mis en évidence l'existence d'un aléa dans ses documents publicitaires, dont la présentation a pu légitimement lui laisser croire qu'elle avait gagné le lot de 100 000 F ;
- qu'elle est fondée à en réclamer la délivrance sur un fondement quasi-contractuel ;
- que la société Biotonic a commis une faute délictuelle en présentant le déroulement du jeu d'une manière ambigüe, ayant engendré la confusion dans son esprit ;
- qu'elle lui a causé un préjudice moral considérable ;
Elle demande à la cour :
- de réformer la décision déférée ;
- de condamner la société Biotonic à lui payer la somme de 15 244,90 euro en délivrance du gain promis ou à titre de dommages et intérêts, et celle de 2 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en sus de l'indemnité déjà allouée par le tribunal ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 septembre 2004 ;
Motifs de la décision ;
L'appel est régulier en la forme et a été interjeté dans les délais ; il est recevable ;
L'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer ;
S'agissant d'une loterie avec pré-tirage, au moment de l'envoi des documents publicitaires par la société Biotonic chaque destinataire était d'ores et déjà soit gagnant, soit perdant, mais son sort était scellé, ainsi qu'il résulte du " règlement complet du jeu " qui énonce que " les coordonnées du gagnant potentiel ont été relevées par tirage au sort avant le dépôt postal des documents ", et s'il est encore question ici de gagnant " potentiel " c'est uniquement parce que la perception de son lot demeurait subordonnée à l'accomplissement de formalités déterminées dans un délai imparti ;
Dans ce contexte particulier, la société Biotonic devait mettre en évidence le fait que le destinataire des documents publicitaires pouvait avoir soit gagné, soit perdu, ce qu'il ne saurait qu'en retournant son bon de participation ; or tel n'est pas le cas en ce qui concerne Mme Rolland ;
En effet sous prétexte d'adresser à "chaque participant un jeu de documents comportant un spécimen reproduisant ce que recevra le gagnant définitif du jeu", la société Biotonic a fait parvenir à cette dernière toute une série d'imprimés nominatifs destinés à lui faire croire qu'elle avait gagné, alors qu'elle avait perdu :
- " Invitation privée : Mme Rolland vous êtes invitée à la cérémonie de remise du chèque de 100 000 F que vous avez gagné ! ... Le chèque de 100 000 F ne pourra être établi qu'au nom de Geneviève Rolland et personne d'autre ! " ;
- "Invitation officielle et personnelle : Je soussigné ... directeur financier de la société Biotonic invite Mme Rolland à prendre part officiellement à l'opération Invitation privée à titre personnel en vue de la remise d'un chèque d'un montant de 100 000 F. Ce chèque sera établi à son nom dès qu'elle nous aura confirmé conformément au règlement, au moyen des documents ci-joints, qu'elle pourra effectivement assister à cette cérémonie en tant que gagnante officielle" ;
- " Confirmation personnelle de paiement garanti : ce document officiel établi sur la base d'une opération effectuée sous le contrôle d'un huissier de justice, constitue une preuve matérielle irréfutable ! Dès que nous aurons reçu de la part de Mme Rolland les documents permettant conformément au règlement joint de valider sa réclamation nous donnerons le feu vert aux procédures bancaires permettant de lui faire parvenir la somme de 100 000 F " :
- "Journal officiel des gagnants : Mme Rolland est la seule et unique gagnante des 100 000 F... Mme Rolland notre nouvelle gagnante record ! ... La nouvelle liste de nos plus grands gagnants : 1re Mme Rolland 100 000 F ;
La société Biotonic ne saurait se retrancher derrière le caractère nécessairement astucieux de ce genre de publicités, ni derrière les rares avertissements instillés au détour de tel ou tel des documents litigieux, dès lors que même son "règlement complet du jeu" est artificieux, puisqu'il affirme "vous avez une vraie chance de gagner le premier prix", alors que c'est faux dans la mesure où au moment de l'envoi des documents publicitaires tous les destinataires avaient d'ores et déjà perdu, à l'exception d'un seul qui n'était pas Mme Rolland ;
Par cette présentation fallacieuse destinée à tromper le consommateur même le plus sceptique (" Trop beau pour être vrai ? Et pourtant ...."), la société Biotonic a annoncé un gain à Mme Rolland sans mettre en évidence le fait qu'elle pouvait avoir déjà perdu ; elle sera donc condamnée à lui payer la somme de 100 000 F ;
L'équité ne commande pas d'allouer à Mme Rolland, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, d'autre somme que la juste indemnité déjà accordée par les premiers juges ;
La société Biotonic qui succombe doit supporter les dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, en dernier ressort, reçoit l'appel de la société Biotonic ; Confirme le jugement entrepris, excepté sur le montant de la condamnation principale ; Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société Biotonic à payer à Mme Rolland la somme de 15 244,90 euro ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Biotonic aux dépens, et dit que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par Maitre Jauffres conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.