CA Poitiers, 3e ch. civ., 10 février 2004, n° 00-00012
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Maison Française de Distribution (SA), Bailet, Monnet (ès qual.)
Défendeur :
Nassif
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mechiche
Conseillers :
MM. Salles de Saint-Paul, Boinot
Avoués :
SCP Alirol-Laurent, SCP Musereau-Mazaudon
Avocats :
Mes Perrin, Jouteux
Faits et procédure
Courant février 1996, M. Nassif a été informé par la société Maison Française de Distribution (la société MFD) qu'il avait gagné le plus gros chèque d'une loterie commerciale d'un montant de 35 000 F avec la mention " envoi de chèque approuvé " émanant de Maître Bailet, huissier de justice. N'ayant pu obtenir versement de cette somme, M. Nassif a judiciairement demandé la condamnation solidaire de la société MFD et de Maître Bailet à lui verser la somme de 35 000 F avec intérêts.
Par jugement en date du 7 décembre 1999, le Tribunal de grande instance de Saintes a, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, condamné la société MFD et Maître Bailet solidairement à verser à M. Nassif la somme de 35 000 F.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la société MFD, M. Monnet, liquidateur amiable de cette société, et Maître Bailet de ce jugement.
L'ordonnance de clôture est en date du 25 novembre 2003.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions récapitulatives en date du 21 novembre 2003, les appelants sollicitent le rejet de la demande de M. Nassif, la mise hors de cause de Maître Bailet et la condamnation de M. Nassif à payer une somme à Maître Bailet pour procédure abusive et à payer une autre somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Constatant que M. Nassif se fonde sur la responsabilité quasi-délictuelle, ils exposent qu'il y avait deux jeux, le " Grand Jeu MFD " et le jeu "Tirage de février 1996", indépendants l'un de l'autre ; ils estiment qu'aucune condamnation ne peut leur être infligée tant sur le fondement de la responsabilité contractuelle que sur celui de la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi-délictuelle.
Par ses dernières conclusions en date du 20 novembre 2003, M. Nassif sollicite la confirmation du jugement à titre principal sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, et, y ajoutant, la condamnation de Maître Bailet et de la société MFD à lui payer la somme de 1 525 euro pour procédure abusive et celle de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il précise que la société MFD a engagé sa responsabilité délictuelle pour lui avoir indiqué faussement qu'il était gagnant officiel du plus gros chèque, soit 35 000 F, et que celle de Maître Bailet, en raison de sa négligence ou de son manque de prudence et pour s'être porté garant du jeu, est également engagée. Il ajoute que son préjudice peut être réparé par l'attribution du lot promis.
Motifs
Sur la responsabilité de la société MFD
Sur le document reçu, il est indiqué en caractères gras :
Bravo M. Michel Nassif :
Vous avez gagné
le plus gros chèque
au grand jeu MFD !
La lettre explicative confirme ce fait en précisant : "votre numéro personnel... a bel et bien été tiré au sort ce vendredi 23 février..." et invite l'intéressé à retourner sa demande de prix, tout en l'incitant à passer commande de plusieurs articles. En post-scriptum, il est écrit : "J'insiste : vous n'avez pas gagné le lot de consolidation mais bien le plus gros chèque mis en jeu".
Un second document, intitulé "Tirage de février 96" indique : "1er Prix : un chèque d'un montant de 35 000 F - lots de consolation : un chèque achat de 100 F...
La société MFD expose que ces deux jeux, s'ils correspondent à des loteries avec pré-tirage dans les deux cas, sont indépendants l'un de l'autre et précise, pour le premier jeu, qu'il est indiqué à l'article 6 que le lot est constitué d'une somme de 35 000 F répartie entre tous les participants, sans que ceux-ci puissent recevoir un chèque inférieur à la valeur du lot de consolidation de 4 F. M. Nassif, dans le premier jeu, a gagné un chèque de 5 F, "compte tenu du nombre de participants" et, dans le second jeu, n'est pas gagnant.
Il convient toute fois, à l'examen des documents envoyés, de constater que l'existence de deux jeux est impossible à déceler, les différentes mentions permettant au contraire à M. Nassif de croire qu'il a gagné un prix d'un montant de 35 000 F.
Quant au règlement du "Grand Jeu MFD", il se trouve imprimé sur l'enveloppe elle-même, à l'intérieur. Le destinataire peut ainsi détruire l'enveloppe sans lire le règlement ou ne pas remarquer celui-ci. De plus, le dépliant contenant les documents susvisés contient un autre règlement, qui est celui du "Tirage de février 1996", ce qui contribue à induire en erreur le lecteur, d'autant que ce règlement est particulièrement visible.
Enfin, dans une rubrique spéciale intitulée "garantie de paiement", Maître Bailet garantit le versement du chèque de 35 000 F. Sa signature figure également sous la mention "envoi du chèque approuvé" dans l'en tête annonçant à M. Nassif qu'il a gagné "le plus gros chèque".
Il résulte de l'ensemble de ces mentions que la volonté dolosive est manifeste de la part de la société MFD.
Le préjudice subi a été exactement fixé par le premier juge au montant du gain espéré qui était de 35 000 F, soit la somme de 5 335,72 euro.
Sur ce point, le jugement doit être confirmé.
Sur la responsabilité de Maître Bailet
Le nom de Maître Bailet apparaît sur les documents dans une rubrique spéciale intitulée " garantie de paiement " et sous la mention de l'envoi du chèque.
Il apparaît toutefois que Maître Bailet pouvait effectivement être cité comme étant l'huissier de justice constatant que le prix serait bien remis au gagnant. Pour autant, il n'est pas le rédacteur de l'ensemble des documents à caractère trompeur ainsi que de leur présentation fallacieuse. Il n'y a donc pas lieu de retenir sa responsabilité. Et, sur ce point, le jugement doit être réformé.
Sur les autres chefs de demande
M. Nassif ne caractérise en aucune façon, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, en quoi consiste le préjudice qu'il aurait subi. Sa demande présentée de ce chef doit donc être rejetée.
La société MFD qui succombe pour le tout doit être condamnée aux dépens d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Nassif les frais exposés par lui et non compris dans les dépens. La cour fixe à la somme de 1 000 euro la somme que la société MFD doit être condamnée à lui payer à ce titre.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Saintes en date du 7 décembre 1999 en ce qu'il a condamné la société MFD à verser à M. Nassif la somme de 35 000 F, soit 5 335 72 euro, et celle de 5 000 F, soit 762,25 euro, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et en ce qu'il a dit que cette condamnation serait opposable à M. Monnet, liquidateur amiable de la société MFD, Le reforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Rejette la demande de M. Nassif en condamnation solidaire de Maître Bailet avec la société MFD, Rejette la demande de M. Nassif en dommages-intérêts pour procédure abusive, Condamne la société MFD, représentée par son liquidateur, M. Monnet, à payer à M. Nassif la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société MFD, représentée par son liquidateur, M. Monnet, aux dépens de première instance et d'appel, Autorise la SCP Y. Musereau, F. Musereau, B. Mazaudon à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.