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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 7 janvier 2004, n° 00-02181

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Biotonic (SA)

Défendeur :

Patricio Farias

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Muller

Conseillers :

Mmes Albert, Contal

Avoués :

SCP Paille-Thibault, SCP Musereau-Mazaudon

Avocat :

Me Andouard

TGI Niort, du 5 juin 2000

5 juin 2000

Exposé du litige

A l'occasion d'opérations promotionnelles de vente par correspondance de produits diététiques et cosmétiques, la société Biotonic a organisé courant 1999, deux jeux publicitaires intitulés "le millionnaire de l'année" et "jeu spécial des 59 000 F". Estimant qu'elle était attributaire des prix et que la société Biotonic lui avait causé un préjudice en refusant d'assumer ses obligations contractuelles à son égard, Madame Patricio Farias a assigné la société Biotonic en paiement, sur le fondement des articles 1101 et suivants, 1147 du Code civil et 46 du nouveau Code de procédure civile, des sommes de 159 000 F avec intérêts à compter de l'assignation et 5 000 F à titre de dommages-intérêts.

Par jugement du 5 juin 2000, le Tribunal de grande instance de Niort a condamné la société Biotonic à payer à Madame Patricio Farias une somme de 30 000 F, soit 4 573,47 euro avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision. Il a débouté Madame Patricio Farias du surplus de ses demandes d'indemnité, a ordonné l'exécution provisoire et condamné la société Biotonic aux dépens.

La société Biotonic a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe du 11 juillet 2000. Par conclusions récapitulatives du 15 octobre 2003, elle demande à la cour :

• d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu sa responsabilité délictuelle s'agissant du jeu "le millionnaire de l'année", après avoir constaté:

- que les jeux publicitaires diffusés par la société Biotonic sont parfaitement licites,

- qu'aucune faute ne peut être mise à la charge de Biotonic, qui a par ailleurs souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée,

- qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement de prix à la charge de Biotonic,

• de confirmer le jugement pour le surplus et notamment en ce qu'il a établi l'absence de responsabilité délictuelle s'agissant de l'opération "jeu spécial des 59 000 F",

• de condamner Madame Patricio Farias au paiement d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'instance et d'appel.

Madame Patricio Farias, selon conclusions du 15 septembre 2003, a demandé à la cour de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de condamner la société Biotonic à lui payer la somme de 15 244,90 euro (100 000 F) avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement en application de l'article 1371 du Code civil, pour le surplus de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions non contraires à ses écritures, de débouter la société Biotonic de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner aux dépens d'instance et d'appel.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 20 octobre 2003.

Motifs de l'arrêt

A) Sur le "jeu spécial des 59 000 F"

Sur ce point non expressément contesté en cause d'appel, le jugement entrepris sera confirmé pour les motifs pertinents des premiers juges, que la cour adopte, se résumant en ce que, d'une part, l'engagement de la société Biotonic de verser une quelconque somme n'était pas ferme, précis et inconditionnel, d'autre part, Madame Patricio Farias n'a pas justifié avoir retourné son bon de participation à l'opération comme demandé, de sorte qu'elle ne pouvait espérer avoir gagné la somme promise.

B) Sur l'opération "le millionnaire de l'année"

La société Biotonic fait valoir que, comme dans le jeu spécial des 59 000 F, il n'y a pas eu de sa part d'engagement ferme de paiement du prix des 100 000 F, et que par ailleurs elle n'a commis aucune faute, puisque selon elle, il aurait suffi au destinataire de procéder à une lecture normalement attentive pour se rendre compte qu'en renvoyant le ticket spécial portant son numéro de bénéficiaire il participait simplement à un jeu.

Madame Patricio Farias estime au contraire que la responsabilité de la société Biotonic peut être retenue sans contestation possible sur le fondement de l'article 1371 du Code civil (définissant le quasi-contrat, c'est-à-dire le fait purement volontaire de l'homme dont il résulte un engagement envers un tiers, produisant les mêmes effets qu'un contrat).

Il est en effet aujourd'hui admis que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

Il convient donc de s'interroger sur ce qu'il en est en l'espèce : au vu des documents versés aux débats, fidèlement rapportés dans les motifs du jugement auxquels la cour renvoie, il apparaît bien qu'il s'agissait d'un "pré-tirage au sort du numéro gagnant à l'opération", puisque cela est expressément indiqué au troisième paragraphe de la "lettre personnelle" adressée à Mademoiselle Farias, juste avant la mention indiquant en énormes lettres la somme à gagner. S'agissant d'un pré-tirage, il ne peut y avoir d'engagement volontaire dépourvu d'aléa de délivrer cette somme, comme le confirme le compte rendu d'attribution indiquant "qu'a été attribué, à Mademoiselle Farias un numéro de participation (ci-dessous) pouvant lui faire gagner les 100 000 F bloqués sur compte d'huissier".

Toutefois la présentation des documents est telle que cet événement hypothétique, à savoir le fait pour Mademoiselle Farias d'avoir tiré le numéro gagnant, devient en apparence affirmatif, puisque les rapprochements successifs (visuels et explicatifs) entre la somme à gagner, 100 000 F, et le " numéro gagnant à l'opération ", 300699 sont tels que le lecteur non averti ne peut que croire que ce numéro 300699 est le numéro gagnant tiré par Mademoiselle Farias, alors qu'en réalité il s'agit... de la date limite de participation!

Comme l'a dit le premier juge dans des développements auxquels la cour renvoie, ce n'est que par une prise de connaissance complète, méticuleuse et détaillée, rendue très difficile du fait du jeu des écritures et des différents documents en présence, qu'il était possible de découvrir l'artifice.

C'est donc à bon droit que le jugement a retenu qu'en créant une confusion dans l'esprit de sa cliente et en lui faisant croire qu'elle avait gagné la somme de 100 000 F sans aucun doute possible, la société Biotonic a commis une faute qui engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil : en effet l'appelante a donné naissance à une fausse espérance de gain délibérément et déloyalement créée dans l'esprit de Mademoiselle Farias, et lui a ainsi créé un préjudice, celui lié à la déception, à la frustration, mais aussi au sentiment d'avoir été abusée. Ce préjudice a été correctement évalué à la somme de 30 000 F.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

La société Biotonic sera condamnée aux dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Reçoit l'appel régulier en la forme, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Condamne la société Biotonic aux dépens d'appel et autorise l'application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.