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Décisions

Cass. crim., 3 mai 2006, n° 05-85.089

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Guihal

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Masse-Dessen, Thouvenin, SCP Bachellier, Potier de la Varde

Rennes, 3e ch., du 23 juin 2005

23 juin 2005

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par : - X Onno, Y Daniel, Z Jacob, prévenus la société A, la société B, la société C, civilement responsables, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 23 juin 2005, qui, pour publicité illicite en faveur du tabac, a condamné les trois premiers à 30 000 euro d'amende chacun, et a prononcé sur les intérêts civils ; Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ; Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 111-4 et 121-3 du Code pénal, 6 et 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 5 de la Déclaration de l'homme et du citoyen, L. 3511-3 et suivants du Code de la santé publique, de l'arrêté du 26 avril 1991 et de la Directive 2001-37-CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2001, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Daniel Y, Onno X et Jacob Z coupables de propagande ou de publicité en faveur du tabac et a désigné les sociétés C, A, B solidairement responsables du paiement des amendes mises à leur charge ainsi que des dommages-intérêts au profit du Comité national contre le tabagisme ;

"aux motifs qu'aux termes des dispositions de l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, toute propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac ainsi que toute distribution gratuite sont interdites ; que cette interdiction est générale et ne distingue aucun support ; que les infractions à la réglementation de la publicité des produits du tabac sont des délits intentionnels, l'intention étant la transgression en connaissance de cause de la législation ; que les images en couleur qui figurent sur les paquets joints aux procès-verbaux de constat représentent de jeunes adultes en situation de loisirs dans un bar ou dans un bus et dans un pays étranger avec, à proximité, un paquet de cigarettes portant le nom de la marque ou un cendrier au nom de la marque, ou encore un kangourou emblème de l'Australie, pays d'origine de la marque de cigarettes "Winfield" ; que les premiers juges ont considéré que " la décoration des paquets de cigarettes "Winfield" n'était qu'une manière attrayante conçue par le fabricant de les présenter et que cette présentation ne pouvait suffire à établir la volonté de celui-ci de violer les dispositions de la loi interdisant la propagande ou la publicité en faveur du tabac " ; que cependant, la décoration figurant sur les paquets en cause est un procédé qui ne consiste pas seulement en une opération artistique visant à faire connaître certains graphistes, en l'espèce Mart A... ; qu'il s'agit, comme le reconnaissent d'ailleurs dans leurs écritures les défendeurs, d'adresser un clin d'oeil aux jeunes consommateurs dans le but évident de leur faire entreprendre des collections et de les inciter à la consommation de tabac ; qu'il ne peut en effet être soutenu que cette offre limitée était dépourvue de toute volonté d'accroître la consommation de la marque, alors même qu'il suffisait d'acheter deux paquets décorés de ces cigarettes pour s'apercevoir qu'il existait différentes interprétations du même sujet (The Australian Pub et The Australian Bus), lesquelles mises bout à bout constituaient une fresque ; que la mise en vente de tels paquets est parfaitement étudiées par les fabricants pour lesquels le paquet de cigarettes est effectivement le dernier moyen de communication avec le consommateur ; qu'il s'agit de campagnes entreprises à grands frais dans le but évident de transgresser la loi ; qu'il s'ensuit que les poursuites de publicité ou propagande en faveur du tabac sont ainsi caractérisées en tous leurs éléments ; qu'il convient, en conséquence, de réformer la décision sur ce point, de déclarer Daniel Y, Onno X et Jacob Z coupables de cette infraction et de les condamner chacun à une amende délictuelle de 30 000 euro ; qu'en application des dispositions de l'alinéa 4 de l'article L. 3512-2 du Code de la santé publique, il y a lieu de désigner les sociétés C, A, B solidairement responsables des amendes mises à la charge de leurs dirigeants ;

"alors, d'une part, que le principe de légalité des peines et délits impose une interprétation stricte de la loi pénale ; qu'aucun texte légal ne prohibe la présence de décorations sur les paquets de cigarettes, sous réserve que les mentions légales imposées soient respectées et restent visibles ; qu'en déclarant l'infraction de publicité illicite en faveur du tabac constituée du seul fait de la mise en vente de paquets de cigarettes décorés par l'artiste Mart A..., la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;

"alors, d'autre part, que la décoration de paquets de cigarettes constitue une expression de la liberté de création artistique et graphique et est un élément constitutif du droit de propriété commerciale et intellectuelle des fabricants de produits du tabac ; que les seules prescriptions légales relatives aux paquets de cigarettes portent sur la composition du produit, les mentions que l'unité de conditionnement doit reproduire en ce qui concerne la composition et les avertissements sanitaires, et le nombre de cigarettes pouvant être contenues dans un paquet ; qu'en affirmant que des paquets de cigarettes d'une même marque ne pouvaient être décorés de manière différente, cette différence constituant une publicité en faveur du tabac, la cour d'appel a porté une atteinte excessive et injustifiée aux droits de propriété commerciale et intellectuelle, en violation des textes précités ;

"et alors, enfin, que la publicité interdite en faveur du tabac ou des produits du tabac s'entend de tout acte, quelle que soit sa finalité, ayant pour effet de rappeler les produits ou les marques du tabac ; que le décor figurant sur le conditionnement d'un paquet de cigarettes ne peut constituer un rappel du produit, c'est-à-dire un élément extrinsèque au produit, mais est un élément intrinsèque de la présentation du produit ; qu'en affirmation que la décoration figurant sur les paquets de cigarettes était constitutive de publicité illicite en faveur du tabac, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'en mars et septembre 2002, le groupe W, a mis en vente, en série "limitée et aléatoire", des paquets de cigarettes de la marque Winfield, décorés par un artiste sur le thème de l'Australie ; qu'une série de quatre paquets, constituant une fresque, illustrait le thème du " bar australien" et une autre série, celle du "bus de Sydney" ; que ces images représentaient des paquets de cigarettes ou des cendriers portant la marque Winfield à proximité de jeunes clients du bar ou d'usagers du bus ; que le Comité national contre le tabagisme (CNCT) a fait citer, du chef de publicité illicite en faveur du tabac, les dirigeants des sociétés du groupe W, ainsi que, en qualité de civilement responsables, les personnes morales dont les prévenus étaient les préposés ; que la partie civile et le ministère public ont interjeté appel du jugement de relaxe ;

Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables des faits reprochés, l'arrêt retient que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, qui interdit toute publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, sans distinguer selon les supports, s'applique à la représentation, sur des paquets de cigarettes, de jeunes adultes, en situation de loisirs dans un bar ou dans un bus, dans un pays étranger, avec, à proximité un paquet de cigarettes ou un cendrier portant la marque Winfield, ces images incitant les jeunes consommateurs à entreprendre des collections et à consommer du tabac ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision ; qu'en effet, l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique interdit toute publicité en faveur du tabac, à l'exception des enseignes des débits de tabac ainsi que des affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté ministériel ; que se trouvent clairement prohibées par ces dispositions toutes formes de communication commerciale, quel qu'en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir, directement ou indirectement le tabac ou un produit du tabac ; qu'il en va ainsi des décorations de paquets de cigarettes qui associent le tabac à la jeunesse, aux voyages et aux loisirs, et qui suscitent le désir d'acquérir des cigarettes d'une marque déterminée afin de compléter des séries d'images différentes ;

Attendu que, par ailleurs, la prohibition édictée par l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique n'est contraire ni aux dispositions de la directive 2001-37-CE relative au rapprochement des législations en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac, ni à la Convention européenne des Droits de l'Homme, qui permet que l'expression commerciale soit limitée pour des motifs tenant à la protection de la santé publique ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Daniel Y, Onno X et Jacob Z, solidairement avec les sociétés C, A, B, civilement responsables de leurs dirigeants, à payer au Comité national contre le tabagisme la somme de 40 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs que s'agissant du préjudice, le CNCT rappelle que chaque irrégularité constitue une infraction, qui est nécessairement la source d'un préjudice moral associatif pour le CNCT, fut-il symbolique, que la mise sur le marché de ces paquets a duré 33 jours, que le nombre de paquets de Winfield 30 vendus mensuellement en moyenne s'est élevé en 2002 à 250 millions, que chaque infraction doit recevoir une réparation symbolique égale au minimum de l'unité monétaire ; qu'en raison de la spécificité de son but et de l'objet de sa mission, le CNCT subit nécessairement un préjudice direct et personnel du fait de la publicité illicite en faveur du tabac ; qu'il convient de le recevoir en sa constitution de partie civile ; que, retenant la base de calcul proposée par la partie civile mais dans une moindre proportion, il convient de fixer à 40 000 euro le préjudice du CNCT ;

"alors, d'une part, que l'auteur d'une infraction n'est tenu d'indemniser la victime qu'à hauteur du préjudice effectivement subi ; qu'il appartient à celui qui se prétend victime d'un dommage de rapporter la preuve de son étendue ; que les mesures de réparation intégrale d'un dommage peuvent consister en une mesure tendant soit à supprimer la cause du dommage, soit à indemniser la victime du préjudice effectivement subi ; que ces deux types de réparation, alternatifs, peuvent par essence même engendrer des coûts différents à la charge des auteurs du dommage ; que le CNCT sollicitait son indemnisation en fonction du nombre d'infractions commises sur chacun des paquets de cigarettes concernés commercialisés en France pendant la période de la prévention, mode de calcul abstrait et indépendant du coût de la réparation ; qu'en retenant, pour fixer le montant des dommages-intérêts alloués au CNCT, le mode de calcul proposé par ce dernier, sans préciser ni la nature de la mesure de réparation retenue ni en quoi son coût était fonction du nombre de paquets de cigarettes vendus, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;

"et alors, d'autre part, qu'il appartient à celui qui se prétend victime d'un dommage de rapporter la preuve de son étendue ; qu'en sa qualité d'association, le CNCT ne peut être indemnisé que d'un préjudice personnel direct et distinct de celui donnant lieu à la réparation du trouble social et faisant l'objet de sanctions pénales ; qu'en retenant pour indemniser le CNCT la base de calcul qu'il avait proposée, sans caractériser le préjudice personnel et direct subi par celui-ci, distinct de celui donnant lieu à la réparation du trouble social et faisant l'objet de sanctions pénales, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen" ;

Attendu qu'en évaluant, comme elle l'a fait, la réparation du préjudice résultant pour la partie civile de l'atteinte portée aux intérêts qu'elle a pour mission de défendre, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir d'apprécier souverainement, dans la limite des conclusions des parties, l'indemnité propre à réparer le dommage né de l'infraction ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.