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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 17 février 2006, n° 05-03523

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

D. Duchesne - TV Direct Distribution (SA)

Défendeur :

Leray

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Piperaud

Conseillers :

Mme Sillard, M. Bohuon

Avoués :

SCP Guillou & Renaudin, SCP Gautier-Lhermitte

Avocats :

Me Chas, Selarl Armen

CA Rennes n° 05-03523

17 février 2006

Faits et procédure :

Le 12 novembre 2002, Monsieur Leray était destinataire d'un courrier de la société TV Direct Distribution (en fait la SA D. Duchesne) l'informant qu'il était gagnant d'un chèque bancaire de 10 000 euro. Il lui était indiqué qu'il devait répondre à ce courrier, ce qu'il fit.

Le 18 février 2003, Monsieur Leray a mis en demeure la société de respecter son engagement puis par acte du 26 septembre 2003 l'a assignée devant le Tribunal de grande instance de Nantes.

Par jugement du 16 février 2005, le tribunal a condamné la SA D. Duchesne à verser à Monsieur Leray la somme de 10 000 euro, outre celle de 1 600 euro au titre des frais irrépétibles, en sus des dépens.

La SA D. Duchesne a relevé appel et aux termes de ses dernières conclusions du 25 novembre 2005, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens et arguments développés à l'appui de ses prétentions, demande à la cour :

* de constater que les jeux publicitaires diffusés par elle sont licites et mettent en évidence l'existence d'un aléa,

* de constater qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge alors qu'elle a souscrit aux seules obligations auxquelles elle s'était engagée.

* de constater qu'il n'existe aucun engagement ferme de versement d'un prix à sa charge,

* de débouter Monsieur Leray de toutes ses demandes,

* de le condamner au paiement de la somme de 1 500 euro au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés selon l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Leray, aux termes de ses dernières conclusions du 19 octobre 2005, auxquelles il est renvoyé s'agissant des moyens et arguments développés à l'appui de ses prétentions, demande à la cour :

* de confirmer le jugement et y additant, de dire que la somme de 10 000 euro portera intérêts de droit à compter de la mise en demeure du 18 février 2003 et de condamner l'appelante à lui payer une somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

* subsidiairement, de dire que la SA D. Duchesne a commis une faute délictuelle lui ayant causé un préjudice, préjudice découlant de la déception engendrée par l'absence de perception du gain promis en dépit de commande et de demande imposées,

* de condamner en conséquence la SA D. Duchesne à lui verser la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts de droit à compter du 18 février 2003,

* de condamner la SA Duchesne à lui payer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la somme de 1 600 euro pour les frais irrépétibles de première instance et celle de 2 000 euro en cause d'appel, outre aux entiers dépens recouvrés selon l'article 699 du même Code.

Sur ce :

Considérant que Monsieur Leray recherche la responsabilité contractuelle ou quasi contractuelle de la société et à titre subsidiaire sa responsabilité délictuelle ;

Considérant que l'intéressé a été destinataire d'un envoi publicitaire dont l'enveloppe comportait :

au recto, la mention (en caractères gras ou de couleur rouge) :

"gagnant formellement identifié,

nature du prix à remettre : chèque

montant du chèque bancaire : 10 000 euro

réponse du gagnant impérative

au verso, à la première ligne "vous êtes réellement gagnant c'est certain !"

Qu'y figuraient, outre le catalogue des produits vendus par la société émettrice :

- une lettre manuscrite "je tenais à vous féliciter personnellement et à vous assurer que je détiens bien votre chèque en lieu sûr. Pour que vous n'ayez aucun doute, je peux d'ores et déjà vous communiquer son numéro : c'est le numéro 213891405"

- un document intitulé "constat de gain garanti sur lesquelles sont apposées en caractère gras les mentions "gagnant formellement identifié grand gagnant d'un chèque, les 10 000 euro sont à vous", au verso duquel figurent la demande de chèque garanti et le bon de commande,

- un document clauses obligatoires (au dos duquel figure le règlement du jeu) contenant trois rubriques :

clause n° 1 délai de réponse : pour recevoir votre chèque, une réponse est obligatoire, délai conseillé dix jours,

clause n° 2 service prioritaire : choisir ce service garantit le traitement de votre demande de chèque garanti en priorité absolue : si vous voulez en bénéficier joignez SVP votre commande,

clause n° 3 remise de chèque : dès réception de votre commande, l'envoi de votre chèque est garanti, délai de remise 15 jours maximum,

Que Monsieur Leray prétend que la société D. Duchesne n'aurait pas respecté les dispositions l'article L. 121-36 du Code de la consommation, qui veulent que les opérations publicitaires qui font naître l'espérance d'un gain attribué ne peuvent imposer au participant aucune contrepartie financière, ni dépense sous quelque forme que ce soit ;

Considérant cependant que "la demande de chèque garanti" est distincte du bon de commande même si elle figure sur un document unique, comportant cependant une partie détachable ; considérant également même si la présentation en est quelque peu habile, elle indique, certes par une mention verticale et en petits caractères, "pré-tirage gratuit sans obligation d'achat effectué sous le contrôle de Maître Guibert huissier de justice à Nice. Tous les prix sont soumis à un aléa. Règlement ci-joint" ;

Qu'il résulte des clauses obligatoires et non pas seulement de la clause n° 1 que la participation au jeu n'est pas subordonnée à une commande, ce que rappelle au demeurant le règlement du jeu, la commande permettant seulement de bénéficier d'un traitement prioritaire ;

Qu'aucun reproche utile ne peut être non plus formé quant à la typographie du règlement laquelle n'est pas soumise à l'article R. 311-6 du Code précité applicable en matière de crédit ;

Que le moyen tiré d'un défaut de respect des prescriptions du Code de la consommation ne peut donc prospérer ;

Considérant que Monsieur Leray rappelle à juste titre que l'organisateur d'une loterie publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée, sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait purement volontaire ;

Qu'il revenait donc à la société D. Duchesne d'indiquer clairement que l'attribution du lot était subordonnée à un tirage au sort ;

Que le règlement intégral du jeu a été adressé par cette société en même temps que les documents publicitaires ;

Que cette dernière rappelle ses articles 3 et 5 selon lesquels :

article 3 : les prix mis en jeu notamment dans la version "constat de gain garanti" sont : prix principal : un chèque bancaire de 10 000 euro et autant de prix annexes ... que de participants ..." ;

article 4 :

"un pré-tirage a été effectué sous le contrôle de Maître Guilbert huissier de justice à Nice, ... sur une liste de coordonnées des destinataires, ceci avant l'envoi des documents. Le gagnant principal du chèque bancaire de 10 000 euro est la personne tirée au sort dont le numéro de participation est déclaré gagnant. Tous les autres participants gagnent un chèque achat tel que précisé au point 3 du présent règlement" ;

Que l'intimé soutient que les termes même de ce règlement ne pouvaient que le conduire, compte tenu de la teneur des autres documents le désignant comme le gagnant formellement identifié, lui indiquant qu'il n'y avait aucun doute et que la société D. Duchesne détenait d'ores et déjà un chèque dont elle donnait le numéro, à lui laisser croire qu'il était le gagnant dès les premiers envois ;

Considérant cependant qu'en admettant que les articles susvisés, et même encore l'article 5 qui précise qu' "un nombre important de participants a reçu les documents jeux sur lesquels est imprimé le règlement complet du jeu et le prix principal prévu au point 3 n'est qu'une éventualité pour l'ensemble des destinataires, à l'exception du gagnant principal tiré au sort par l'huissier de justice" n'aient pu dans le contexte décrit être de nature à dissiper la croyance que pouvait avoir l'intimé, au vu des mentions particulièrement attractives destinées à le séduire et à l'inciter à commander, de la certitude de son gain, il se devait néanmoins, comme tout consommateur moyen, de lire attentivement l'ensemble des documents réceptionnés, y compris ceux figurant en caractères serrés et ou en petits caractères :

Que la demande de chèque garanti, ainsi qu'il a été dit, fait état de l'existence d'un pré-tirage, rappelant que les prix sont soumis à un aléa et que le document, qui comporte à la fois la demande de chèque garanti et le bon de commande, mentionne au pied "le fait que vous possédiez ce document-jeu promotionnel, logiquement attractif, prouve que vous avez participé à un pré-tirage contrôlé par huissier de justice, ce qui signifie que le ou les gagnants potentiels ont d'ores et déjà été définis et que vous avez une réelle possibilité d'être parmi eux. Il s'agit donc bien pour vous d'une éventualité et non d'une certitude. Le règlement du jeu est joint à cet envoi. Dans votre intérêt, étant donné l'importance des sommes mises en jeu, nous vous conseillons de lire attentivement l'ensemble des documents. Règlement inclus" ;

Qu'enfin le dos de l'enveloppe dont Monsieur Leray a su rappeler les premiers mots indique également et notamment que "le tirage au sort vient d'avoir lieu et votre gain est aussi soumis à cet aléa" ;

Que la société D. Duchesne qui a certes personnalisé de manière outrancière son envoi publicitaire, a néanmoins mis en évidence à plusieurs reprises l'existence d'un aléa, ce qui exclut que puisse être retenu par une lecture sélective alors que c'est l'entier message qui doit être considéré, un engagement contractuel ou quasi contractuel de sa part d'en payer le prix ;

Que sur le fondement délictuel ou quasi délictuel, force est de relever que si Monsieur Leray, dont il n'est pas soutenu qu'il serait démuni de toute capacité de compréhension, avait suivi la recommandation de la société de vente par correspondance d'une lecture complète de l'envoi publicitaire au lieu de s'arrêter à ses formules alléchantes, il aurait été à même de comprendre qu'il lui était seulement proposé de participer à un tirage au sort sans engagement immédiat d'honorer le chèque mis en jeu et, même si c'était l'objectif poursuivi, sans obligation de passer commande ; que dès lors, il doit être conclu que la société D. Duchesne, n'a pas fait naître de manière fautive de fausses espérances de gain" ;

Que le jugement sera donc intégralement réformé ;

Par ces motifs, LA COUR, Réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau : Déboute Monsieur Leray de toutes ses demandes ; Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure ; Condamne Monsieur Leray aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés selon l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.