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Décisions

CJCE, 2e ch., 5 mars 1998, n° C-199/94 P

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compañía Internacional de Pesca y Derivados (SA)

Défendeur :

Commission des Communautés européennes, Pesquería Vasco-Montañesa (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Schintgen

Juges :

MM. Mancini, Hirsch

Avocat général :

M. Alber

Avocat :

Me Iciar Angulo Fuertes

CJCE n° C-199/94 P

5 mars 1998

LA COUR (deuxième chambre),

1 Par demande déposée au greffe de la Cour le 12 février 1996, Compañía Internacional de Pesca y Derivados SA (Inpesca) a introduit, en vertu de l'article 41 du statut CE de la Cour de justice, un recours en révision de l'ordonnance de la Cour du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission (C-199-94 P et C-200-94 P, Rec. p. I-3709, ci-après l'"ordonnance de la Cour").

2 Par cette ordonnance, la Cour a rejeté, en application de l'article 119 de son règlement de procédure, en tant que manifestement non fondés, les pourvois formés par Pevasa et Inpesca contre l'ordonnance du Tribunal du 28 avril 1994, Pevasa et Inpesca/Commission (T-452-93 et T-453-93, Rec. p. II-229, ci-après l'"ordonnance du Tribunal").

3 Lesdits pourvois visaient, en premier lieu, à l'annulation de l'ordonnance du Tribunal, en deuxième lieu, à l'annulation des décisions de la Commission du 18 décembre 1990 et du 8 novembre 1991 (ci-après les "décisions litigieuses"), refusant à Pevasa et à Inpesca le concours financier communautaire qu'elles avaient sollicité pour un projet de construction d'un thonier congélateur au titre du règlement (CEE) n° 4028-86 du Conseil, du 18 décembre 1986, relatif à des actions communautaires pour l'amélioration et l'adaptation des structures du secteur de la pêche et de l'aquaculture (JO L 376, p. 7), en troisième lieu, à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'arrêter les mesures nécessaires pour octroyer ledit concours financier et, en quatrième lieu, à la condamnation de la Commission à la réparation des préjudices causés par son comportement.

4 Il résulte de l'ordonnance de la Cour, en particulier, que c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que les recours en annulation des décisions litigieuses avaient été introduits au-delà du délai prévu à l'article 173 du traité; que les conclusions visant à ce que les décisions litigieuses soient déclarées nulles et non avenues se confondaient avec les conclusions aux fins d'annulation que le Tribunal avait rejetées comme irrecevables; que les conclusions visant à ce qu'il soit ordonné à la Commission d'arrêter certaines mesures se heurtaient à la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle la juridiction communautaire n'est pas compétente pour prononcer des injonctions dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l'article 173 du traité; que la demande de réparation visant à obtenir des montants identiques à ceux du concours communautaire refusé et par les mêmes moyens d'illégalité avancés aux fins d'annulation constituait un détournement de procédure; et, enfin, que les autres conclusions étant subordonnées à l'annulation de l'ordonnance du Tribunal, il n'y avait pas lieu de les examiner.

5 La demanderesse en révision conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- déclarer la demande en révision recevable;

- annuler l'ordonnance de la Cour et, partant, déclarer recevables le recours en annulation introduit devant le Tribunal à l'encontre des décisions litigieuses ;

- annuler les décisions litigieuses;

- faire obligation à la Commission d'adopter les mesures nécessaires pour octroyer l'aide financière communautaire sollicitée, conformément à l'article 176 du traité CE;

- déclarer recevable et fondée la demande en réparation des préjudices subis en conséquence du comportement de la Commission en vertu des articles 176, 178 et 215 du traité CE;

- condamner la Commission aux dépens.

6 Dans ses observations, Pevasa soutient les conclusions d'Inpesca.

7 La Commission conclut à ce qu'il plaise à la Cour:

- déclarer la demande en révision irrecevable;

- condamner la demanderesse en révision aux dépens.

8 La demanderesse énonce trois faits qu'elle qualifie de nouveaux et décisifs et qui, selon elle, justifient la révision de l'ordonnance de la Cour: en premier lieu, une lettre du greffe de la Cour du 27 novembre 1995; en deuxième lieu, le rapport annuel de la Cour des comptes pour l'exercice 1994 (JO 1995, C 303, p. 1); en troisième lieu, la construction et la mise en service du navire thonier congélateur pour lequel la subvention avait été demandée, attestées par un certificat de l'Anabac du 8 février 1996.

9 S'agissant du premier de ces faits, Inpesca aurait demandé au greffier de la Cour, après la notification de l'ordonnance de la Cour, une copie complète du rapport du juge rapporteur et de la prise de position de l'avocat général "pour connaître les motifs de l'ordonnance, eu égard à l'indigence du contenu des points 16 à 29 de celle-ci". Le 27 novembre 1995, le greffier de la Cour aurait répondu que, en vertu des instructions au greffier de la Cour, du 23 février 1989, les parties ne peuvent pas avoir accès au rapport du juge rapporteur et que l'avocat général est entendu, mais ne présente pas d'observations écrites.

10 La demanderesse souligne, à cet égard, que, en vertu de l'article 119 du règlement de procédure, le rapport du juge rapporteur est fondamental pour engager la procédure particulière à laquelle cette disposition soumet la déclaration d'irrecevabilité. En outre, l'article 18, quatrième alinéa, du statut CE de la Cour de justice disposerait que la procédure orale comprend la lecture du rapport présenté par un juge rapporteur. Dissimuler aux parties ce rapport ferait douter de l'existence d'une pièce essentielle pour la décision. Le respect fidèle et scrupuleux de l'article 119 du règlement de procédure exigerait également l'audition de l'avocat général. Celle-ci devrait s'effectuer dans le respect des articles 164, 166 et 168 du traité CE, qui prévoiraient la présentation de conclusions publiques et motivées par l'avocat général sur les affaires soumises à la Cour de justice. Cette intervention serait la garantie indispensable du respect du droit dans l'interprétation et l'application du traité.

11 Quant au deuxième des faits invoqués dans la demande de révision, Inpesca fait valoir qu'il résulte des termes du rapport annuel de la Cour des comptes pour l'exercice 1994 que "les exemples de gaspillage et de mauvaise gestion des fonds communautaires cités dans de nombreux rapports établis par la Cour témoignent amplement de la nécessité de produire un effort concerté, visant la réalisation du programme d'amélioration de la Commission, et de passer d'une conception plutôt laxiste "de priorité à la consommation du budget" à une approche fondée sur le bon emploi des fonds". Ces observations de la Cour des comptes correspondraient à ce que la demanderesse aurait exposé dans son recours initial. La Cour aurait rejeté les pourvois sans la moindre référence à ces déficiences de la gestion de la Commission.

12 En troisième lieu, la demanderesse soutient qu'elle s'est acquittée des engagements prévus par le règlement n° 4028-86, sans avoir, cependant, reçu l'aide financière sollicitée. En effet, un navire thonier congélateur, le "Txori-berri", aurait été construit à Astilleros Balenciaga de Zumaya (Espagne) et pêcherait, depuis le 12 mars 1992, dans les eaux des Seychelles, de Madagascar et des Comores, comme l'attesterait le certificat de l'Anabac du 8 février 1996.

13 La Commission estime qu'aucun des éléments invoqués par la demanderesse ne remplit les conditions nécessaires pour justifier la révision. Elle fait valoir, en particulier, que les circonstances que les parties n'ont pas eu accès au rapport du juge rapporteur et que l'avocat général n'a pas présenté des conclusions écrites étaient connues de la Cour au moment où elle a statué et qu'elles n'auraient pas pu affecter le contenu de l'ordonnance. La publication du rapport de la Cour des comptes, postérieure à l'ordonnance, n'aurait pas pu, elle non plus, exercer une influence décisive sur la solution du litige. De la même manière, la construction et la mise en service du navire seraient un fait bien connu de la demanderesse avant le prononcé de l'ordonnance et ne sauraient exercer une quelconque influence sur le contenu de cette dernière.

14 Aux termes de l'article 100, paragraphe 1, du règlement de procédure, sans préjuger le fond, la Cour statue, l'avocat général entendu, par voie d'arrêt rendu en chambre du conseil sur la recevabilité de la demande.

15 Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, en vertu de l'article 41, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice, la révision d'un arrêt ne peut être demandée à la Cour qu'en raison de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive et qui, avant le prononcé de l'arrêt, était inconnu de la Cour et de la partie qui demande la révision.

16 La lettre du statut ne prévoit pas expressément qu'une ordonnance peut faire l'objet d'une demande en révision. Toutefois, en l'espèce, la demande de révision porte sur une ordonnance qui a rejeté des pourvois en tant que manifestement non fondés, en application de l'article 119 du règlement de procédure, et qui produit donc des effets analogues à ceux d'un arrêt qui aurait rejeté les pourvois comme non fondés. Dès lors, il convient d'admettre que, en cas de découverte d'un fait nouveau et décisif, un recours en révision peut être formé à l'encontre d'une telle ordonnance (voir, à cet égard, arrêts du 7 mars 1995, ISAE/VP et Interdata/Commission, C-130-91 REV, Rec. p. I-407, et du 16 janvier 1996, ISAE/VP et Interdata/Commission, C-130-91 REV II, Rec. p. I-65).

17 Ainsi que la Cour l'a itérativement jugé, la révision ne constitue pas une voie d'appel, mais une voie de recours extraordinaire permettant de mettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à un arrêt définitif en raison des constatations de fait sur lesquelles la juridiction s'est fondée. La révision présuppose la découverte d'éléments de nature factuelle, antérieurs au prononcé de l'arrêt, inconnus jusque-là de la juridiction qui a rendu cet arrêt, ainsi que de la partie demanderesse en révision et qui, si la juridiction avait pu les prendre en considération, auraient été susceptibles de l'amener à consacrer une solution différente de celle apportée au litige (voir, notamment, arrêt du 16 janvier 1996, ISAE/VP et Interdata/Commission, précité, point 6).

18 Or, en l'espèce, les éléments mentionnés dans la lettre du greffe de la Cour du 27 novembre 1995, invoqués par la requérante à l'appui de sa demande, portent sur les règles de procédure applicables lorsque la Cour statue par voie d'ordonnance, et notamment sur les circonstances, parfaitement connues de la Cour, que l'Avocat général ne présente pas publiquement des conclusions écrites et que les parties n'ont pas accès au rapport du juge rapporteur. Ces éléments ne constituent donc pas des faits nouveaux susceptibles de justifier une demande en révision.

19 Quant au rapport de la Cour des comptes, il convient d'observer qu'il porte, tout au plus, sur le fond des affaires introduites par Pevasa et Inpesca devant le Tribunal, alors que l'ordonnance de la Cour n'aborde que des questions ayant trait à la recevabilité des recours intentés en première instance et des pourvois formés contre l'ordonnance d'irrecevabilité du Tribunal. Il est donc manifeste que ce rapport ne saurait exercer une influence décisive sur la solution apportée au litige.

20 De même, l'attestation concernant la construction et la mise en service du navire, pour lequel l'aide communautaire avait été sollicitée, est totalement dépourvue de pertinence au regard de l'ordonnance qui fait l'objet de la demande de révision. De surcroît, ce fait étant connu de la demanderesse bien avant que la Cour statue par voie d'ordonnance, il n'est pas nouveau.

21 En conséquence, il y a lieu, en application de l'article 100, paragraphe 1, du règlement de procédure, de déclarer irrecevable la demande en révision de l'ordonnance de la Cour.

Sur les dépens

22 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La demanderesse ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Quant à Pevasa, il convient, conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, de la condamner à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre)

déclare et arrête:

23 La demande en révision est rejetée comme irrecevable.

24 Inpesca est condamnée aux dépens.

25 Pevasa supportera ses propres dépens.