CJCE, 5e ch., 6 juillet 1993, n° C-121/91
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CT Control BV, JCT Benelux BV
Défendeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume des Pays-Bas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Rodríguez Iglesias
Juges :
MM. Zuleeg, Joliet, Moitinho de Almeida, Grévisse
Avocat général :
M. Gulmann
Avocats :
Mes Cath, Tanja-Van den Broek
LA COUR (cinquième chambre),
1 Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 26 avril 1991, la société anonyme CT Control (Rotterdam), requérante dans l'affaire C-121-91, et la société anonyme JCT Benelux, requérante dans l'affaire C-122-91, (ci-après "requérantes"), ont, en vertu de l'article 173, deuxième alinéa, du traité CEE, demandé, d'une part, l'annulation des décisions C (90) 1333 def.: REM 1-90, du 5 juillet 1990, et C (90) 3021 déf.: REM 8-90, du 18 décembre 1990 (affaire C-121-91) ainsi que de la décision C (90) 3024 déf.: REM 7-90, du 18 décembre 1990 (affaire C-122-91), et, d'autre part, que la Cour constate que les demandes des requérantes doivent être agréées en vertu du droit communautaire ou qu'il y a lieu de leur donner une suite favorable.
2 Eu égard à la connexité des deux affaires, la Cour en a ordonné la jonction aux fins de la procédure orale et de l'arrêt par ordonnance du 15 septembre 1992. Dans les deux affaires, le Royaume des Pays-Bas a été admis, par ordonnance du 17 octobre 1991, à intervenir à l'appui des conclusions de la Commission.
3 Lors de l'importation de divers lots de miel effectuée au cours des années 1982 à 1984, les requérantes ont toutes deux, en leur qualité de commissionnaires en douane aux Pays-Bas, présenté, entre le 17 décembre 1982 et le 5 octobre 1984, des certificats de circulation des marchandises EUR 1, visés à l'article 6 du protocole n° 1 annexé à la deuxième convention ACP-CEE, signée à Lomé le 31 octobre 1979 (JO 1980 L 347, p. 73). Il ressort de ces certificats que le miel était originaire d'un État ACP, en l'occurrence la Jamaïque. En vertu de la deuxième convention de Lomé, les marchandises en cause ont pu être importées sans paiement des droits de douane ordinaires.
4 Lors de l'enquête sur les exportations, vers la Communauté, de miel naturel originaire de Jamaïque, réalisée par la Commission entre le 29 octobre et le 10 novembre 1984 en Jamaïque, il est apparu que de nombreux certificats EUR 1 avaient été délivrés indûment entre 1979 et 1984. Après avoir procédé à leur propre enquête, les autorités jamaïcaines ont informé la Commission, le 5 décembre 1984, que certains certificats EUR 1, dont ceux que les requérantes avaient présenté lors de leurs déclarations, avaient effectivement été délivrés indûment et qu'ils avaient par conséquent été retirés.
5 Sur la base de cette information que la Commission leur a communiquée le 14 mars 1985, les autorités douanières néerlandaises ont décidé de procéder au recouvrement "a posteriori" des montants non perçus et ont, le 25 octobre 1985, envoyé à cet effet les avis de recouvrement des droits de douane à l'importation aux requérantes. CT Control (Rotterdam) BV s'est ainsi vu adresser, pour l'ensemble de ses importations de miel naturel originaire de la Jamaïque, entre décembre 1982 et octobre 1984, six avis supplémentaires (numéros 252-257 AWDA) pour un montant total de 231 698,60 HFL et JCT Benelux BV, pour l'importation de cette marchandise en décembre 1982, un avis supplémentaire (numéro 261 AWDA) pour un montant de 24 498,50 HFL.
6 Les requérantes ont toutes deux, par lettres respectivement du 28 et du 31 octobre 1985, introduit auprès des autorités douanières néerlandaises compétentes une demande tendant à la remise des droits à l'importation au titre de l'article 13 du règlement (CEE) n° 1430-79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l'importation ou à l'exportation (JO L 175, p.1).
7 Ces deux demandes ont été rejetées par décisions du 10 avril 1986 sans avoir été soumises à la Commission comme le prévoit l'article 13 du règlement n° 1430-79, précité. Après avoir introduit en vain une réclamation contre ces décisions, les requérantes ont toutes deux formé un recours devant la Tariefcommissie d'Amsterdam qui, par décisions du 20 novembre 1989, a annulé les décisions de l'administration douanière et ordonné que les demandes soient soumises à la Commission.
8 Les autorités douanières néerlandaises ont alors transmis les demandes à la Commission par lettres du 12 janvier et 13 juillet 1990, parvenues respectivement le 15 janvier et le 17 juillet 1990 et enregistrées sous les numéros REM 1-90 et 8-90 (affaire 121-91) ainsi que par lettre du 13 juillet 1990, parvenue le 17 juillet 1990 et enregistrée sous le numéro REM 7-90 (affaire 122-91).
9 Il résulte de l'article 1er de chacune des décisions litigieuses, adoptées par la Commission respectivement le 5 juillet et le 18 décembre 1990, que la remise des droits à l'importation n'était pas justifiée.
10 Informées, le 20 février 1990, du contenu de ces décisions par les autorités douanières néerlandaises, les requérantes ont introduit les présents recours.
11 Pour un plus ample exposé des faits et du cadre réglementaire du litige, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
Sur les conclusions aux fins d'annulation
12 A l'appui de ces conclusions, les requérantes ont invoqué quatre moyens qui peuvent être résumés comme suit:
- méconnaissance des règles de procédure relatives au délai dans lequel la Commission est appelée à prendre ses décisions;
- insuffisance de la motivation des décisions litigieuses;
- méconnaissance de la procédure de contrôle "a posteriori" de la validité des certificats EUR 1;
- violation des droits de la défense.
Sur le moyen tiré de la méconnaissance des règles de procédure relatives au délai dans lequel la Commission est appelé à prendre ses décisions
13 Avant d'apprécier le bien-fondé de ce moyen, il convient de rappeler le contexte réglementaire dans lequel il s'inscrit.
14 Au moment où les requérantes ont déposé leur demande de remise des droits à l'importation au titre de l'article 13 du règlement n° 1430-79, auprès des autorités néerlandaises, à savoir en 1985, les dispositions d'application de cet article étaient fixées par le règlement (CEE) n° 1575-80 de la Commission, du 20 juin 1980 (JO L 161, p.13), dans la version résultant du règlement (CEE) n° 945-83 de la Commission, du 21 avril 1983, portant deuxième modification du règlement (CEE) n° 1575-80 (JO L 104, p. 14, ci-après "règlement d'application de 1980").
15 En vertu de l'article 5, deuxième alinéa, de ce règlement, la décision de la Commission sur l'octroi du remboursement ou de la remise devait
"intervenir dans un délai de quatre mois à compter de la date de réception par la Commission du dossier visé à l'article 3, paragraphe 1".
C'est-à-dire du dossier transmis par l'État membre concerné et comprenant tous les éléments nécessaires à un examen complet par la Commission de la demande de remboursement ou de remise de droits à l'importation présentée par l'intéressé.
16 L'article 7 dudit règlement disposait que
"si la Commission n'a pas arrêté sa décision dans le délai visé à l'article 5 ou n'a notifié aucune décision à l'État membre concerné dans le délai visé à l'article 6, l'autorité de décision donne une suite favorable à la demande de l'intéressé."
17 Par contre, au moment où les demandes de remise des droits à l'importation ont été soumises à la Commission, à savoir respectivement le 15 janvier et le 17 juillet 1990, ce règlement d'application de 1980 était abrogé, et ce depuis le 1er janvier 1987, et remplacé par le règlement (CEE) n° 3799-86 de la Commission, du 12 décembre 1986, fixant les dispositions d'application des articles 4bis, 6bis, 11bis et 13 du règlement (CEE) n° 1430-79 (JO L 352, p. 19, ci-après "règlement d'application de 1986"). Ce règlement a modifié en ses articles 5 à 10, sur un certain nombre de points, les règles de procédure jusqu'alors applicables.
18 En vertu de l'article 8, deuxième alinéa, de ce règlement, la décision de la Commission sur l'octroi du remboursement ou de la remise des droits à l'importation ou à l'exportation devait
"intervenir dans un délai de six mois à compter de la date de réception par la Commission du dossier visé à l'article 6, paragraphe 1".
C'est-à-dire du dossier auquel il est fait référence au point 15 du présent arrêt.
19 L'article 10 de ce règlement répète l'obligation des autorités nationales de donner une suite favorable à la demande de l'intéressé dans l'hypothèse où la Commission n'a pas arrêté sa décision dans le délai de six mois, visé à l'article 8.
20 Eu égard à ce cadre réglementaire, les requérantes font valoir que la Commission était tenue d'examiner leur demande de remise des droits sur la base des règles relatives au délai, telles qu'elles étaient en vigueur le 25 octobre 1985, date à laquelle les autorités nationales ont procédé au recouvrement "a posteriori", et qu'elle ne disposait pour cet examen que du délai de quatre mois prévu par le règlement d'application de 1980. La Commission n'ayant pas pris de décision dans ce délai, les autorités douanières néerlandaises auraient dû, en application de l'article 7 du règlement d'application de 1980, donner une suite favorable aux demandes en cause. Les décisions litigieuses de la Commission, intervenues par la suite, devraient donc être annulées.
21 La Commission et le gouvernement néerlandais soutiennent, en revanche, qu'il y a lieu d'appliquer en l'espèce les règles procédurales du règlement d'application de 1986, étant donné que les demandes relatives à la remise des droits à l'importation en cause n'ont été déposées auprès de la Commission que, respectivement, les 12 janvier et 13 juillet 1990, c'est-à-dire après le 1er janvier 1987, date d'entrée en vigueur de ce règlement d'application. Les décisions litigieuses sont par ailleurs, intervenues dans le délai de six mois, prévu par ce règlement.
22 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s'appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (voir notamment arrêt du 12 novembre 1981, Salumi II, 212-80 à 217-80, Rec. p. 2735, point 9).
23 Il est constant que les dispositions d'application en cause sont des règles de procédure concernant le traitement des demandes de remboursement ou de remise par la Commission. En application du principe relatif aux effets dans le temps des règles de procédure, c'est donc le règlement d'application de 1986 et non, comme le font valoir les requérantes, le règlement d'application de 1980 qui s'applique en l'espèce, ce qui implique que la Commission avait un délai de six mois pour prendre les décisions litigieuses, délai qu'elle a respecté.
24 Les requérantes, qui invoquent l'arrêt Salumi II, précitée, et l'arrêt du 27 mai 1982, Reichelt (113-81, Rec. p. 1957), soutiennent cependant que ce principe relatif aux effets dans le temps des règles de procédure ne s'applique pas dans les présentes affaires, étant donné que les règles de procédure et de fond pertinentes dans l'espèce forment un tout indissociable et ne peuvent dès lors être considérées isolément quant à leur effet dans le temps.
25 Cette argumentation ne saurait être retenue.
26 D'une part, dans les arrêts Salumi II et Reichelt, précités, la Cour s'est bornée à relever que le régime communautaire de recouvrement "a posteriori" des droits à l'importation ou à l'exportation (arrêt Salumi II) et le régime communautaire de remboursement ou de remise des droits à l'importation (arrêt Reichelt) s'étaient substitués, sans effet rétroactif, aux divers régimes nationaux correspondants tant en ce qui concerne les règles de procédure qu'en ce qui concerne les règles de fond applicables.
27 D'autre part, quelles que soient les règles de fond qui étaient applicables aux demandes de remboursement ou de remise de droits présentées en 1990, la Commission ne pouvait, pour instruire ces demandes, que suivre les règles de procédure qui définissaient ses pouvoirs et ses obligations et qui étaient en vigueur depuis l'intervention du règlement d'application de 1986, c'est-à-dire, avant que ces demandes de remboursement ou de remise lui aient été présentées. Avant cette saisine de la Commission, les intéressées n'avaient, en tout état de cause, acquis aucun droit au bénéfice des dispositions du règlement d'application de 1980 qui était abrogé depuis le 1er janvier 1987, avant même l'introduction de leurs demandes auprès de la Commission.
28 Il découle de l'ensemble de ces considérations que le premier moyen invoqué par les requérantes doit être rejeté.
Sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation
29 Les requérantes font valoir que les décisions litigieuses ne satisfont pas à l'exigence de motivation visée à l'article 190 du traité dans la mesure où l'exposé des motifs se limite à renvoyer à l'arrêt de la Cour du 13 novembre 1984, Van Gend & Loos et Bosman/Commission (98 et 230-83, Rec. p. 3763) sans tenir compte ni des faits ni des circonstances particulières de l'espèce.
30 A cet égard, elles soulèvent trois objections différentes:
- les raisons pour lesquelles l'arrêt "Van Gend & Loos et Bosman" serait pertinent ne sont pas indiquées;
- c'est à tort qu'en l'espèce la motivation a été fondée sur cet arrêt;
- il n'a pas été démontré que le miel importé n'était pas originaire de la Jamaïque ou d'un autre État ACP.
31 Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir notamment arrêt du 11 juillet 1990, Sermes, point 38, C-323-88, Rec. p. I-3027), la motivation exigée par l'article 190 du traité doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le raisonnement de son auteur de façon à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits et à la Cour d'exercer son contrôle. Il ne saurait toutefois être exigé qu'elle spécifie tous les différents éléments de fait et de droit pertinents. En effet, la question de savoir si la motivation d'une décision satisfait à ces exigences doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, à cet égard, arrêt du 25 octobre 1984, Rijksuniversiteit te Groningen, 185-83, point 38, Rec. p. 3623).
32 L'exposé des motifs des décisions litigieuses satisfait à ces exigences. Il fournit tous les éléments de fait et de droit qui sous-tendent les décisions sur les demandes de remise des droits. En effet, il souligne qu'il n'est pas décisif aux fins de la remise des droits que le recouvrement soit opéré par un commissionnaire en douane (quatrième considérant des décisions litigieuses), que ce dernier "a engagé sa responsabilité tant pour le paiement des droits à l'importation que pour la régularité des documents qu'il a présentés aux autorités douanières à l'appui de la déclaration de mise en libre pratique" (cinquième considérant des décisions litigieuses) et que, conformément à l'arrêt Van Gend & Loos et Bosman/Commission, précité, "le fait de recevoir des certificats ou des documents invalidés, par la suite, par les autorités compétentes ne peut être considéré comme circonstances particulières au sens de l'article 13 du règlement (CEE) n° 1430-79 pouvant motiver un remboursement des droits à l'importation légalement dus, la bonne foi concernant la validité de ces certificats et la vérité de leur contenu n'étant généralement pas protégée" (sixième considérant des décisions litigieuses).
33 Cette conclusion ne saurait être infirmée par les trois objections susmentionnées, formulées par les requérantes à l'appui du moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions litigieuses.
34 En ce qui concerne la première objection, il suffit de constater que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l'exposé des motifs des décisions litigieuses précise les raisons pour lesquelles il est renvoyé à l'arrêt Van Gend & Loos et Bosman/Commission. En effet, comme l'indique le sixième considérant des décisions litigieuses, précité, la référence à cet arrêt de la Cour vise à démontrer que la condition posée par l'article 13 du règlement n° 1430-79, à savoir l'existence de circonstances particulières, n'est pas remplie en présence de faits tels que ceux qui sont à la base de l'arrêt précité. Cette objection doit dès lors être rejetée.
35 Dans le cadre de leur deuxième objection, les requérantes font valoir qu'eu égard aux différences considérables entre les faits qui ont donné lieu à l'arrêt Van Gend & Loos et Bosman/Commission et les présentes affaires, cet arrêt ne saurait être invoqué à l'appui de l'inexistence, dans le cadre des présentes affaires, de "circonstances particulières" au sens de l'article 13 du règlement n° 1430-79.
36 Cette argumentation ne saurait être retenue.
37 L'arrêt en cause donne une interprétation de la notion de "circonstances particulières" au sens de l'article 13 du règlement n° 1430-79. Il précise en effet qu'un commissionnaire en douane, par la nature même de ses fonctions, engage sa responsabilité tant pour le paiement des droits à l'importation que pour la régularité des documents qu'il présente aux autorités douanières. Dès lors, le fait qu'il apparaisse qu'"a posteriori" les certificats ont été retirés par l'autorité douanière compétente ne constitue pas une "circonstance particulière", mais un risque professionnel que court tout commissionnaire en douane même de bonne foi. En ce qui concerne ce dernier point, l'arrêt indique clairement que la bonne foi des intéressés en ce qui concerne les mentions portées sur les certificats d'origine ne saurait être considérée comme une "circonstance particulière".
38 En l'espèce, il n'est pas contesté par les requérantes qu'elles ont exercé la fonction de commissionnaire en douane, qu'elles ont engagé leur responsabilité également pour la régularité des documents en douane et que les certificats produits par elles se sont révélés "a posteriori" invalides. Ces faits correspondent exactement aux considérations qui ont amené la Cour, dans l'arrêt précité, à la conclusion qu'il n'existait pas de "circonstances particulières", au sens de l'article 13 du règlement n° 1430-79. C'est donc à juste titre que la Commission a fondé la motivation des décisions litigieuses sur cet arrêt.
39 En ce qui concerne la troisième objection des requérantes, à savoir que, dans les décisions litigieuses, la Commission ne démontre pas que le miel importé n'était pas originaire de la Jamaïque ou d'un autre État ACP, il suffit de rappeler qu'il incombe à l'importateur et non à la Commission d'établir que la marchandise importée est originaire d'un État ACP afin d'obtenir la remise des droits. Au surplus, cette question vise la légalité du retrait des certificats d'origine. Or, comme la Cour l'a dit pour droit dans l'arrêt du 12 mars 1987, Italgrani/Commission (244-85 et 245-85, Rec. p. 1303), celle-ci ne saurait être avancée comme argument à l'appui de l'illégalité des décisions de la Commission concernant les demandes de remise des droits. Cette objection doit dès lors également être rejetée.
40 Il apparaît de ce qui précède que les requérantes étaient en mesure de connaître les raisons pour lesquelles la Commission a considéré que la remise des droits à l'importation, n'était pas justifiée en l'espèce et qu'elles ont eu la possibilité, en toute connaissance de cause, d'assurer la défense de leurs droits.
41 La légalité des décisions litigieuses ne saurait donc être contestée au titre de l'exigence de motivation prévue à l'article 190 du traité. Le moyen invoqué à cet égard doit dès lors être rejeté.
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la procédure de contrôle "a posteriori" de la validité des certificats EUR 1
42 A cet égard les requérantes font valoir que la procédure prévue à l'article 25 du protocole n° 1, annexé à la deuxième convention de Lomé, précitée, pour la constatation de l'invalidité des certificats EUR 1 n'a pas été respectée, et que, dès lors, la décision des autorités néerlandaises de recouvrer "a posteriori" des droits à l'importation est illégale. Elles estiment que dans ces conditions les demandes qui ont conduit aux décisions litigieuses n'auraient pas dû être soumises à la Commission et que ces dernières doivent être annulées.
43 Il y a lieu de rappeler que les dispositions de l'article 13 du règlement n° 1430-79 ont pour seul objet de permettre, lorsque certaines circonstances particulières sont réunies et en l'absence de négligence ou de manœuvre, d'exonérer des opérateurs économiques du paiement de droits dont ils sont redevables, et non de contester le principe même de l'exigibilité de la dette (voir dans ce sens l'arrêt Italgrani/Commission, précité, point 11).
44 Il en résulte que les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir, à l'encontre des décisions litigieuses, que de moyens tendant à démontrer, en l'espèce, l'existence de circonstances particulières ainsi que l'absence de négligence ou de manœuvre de leur part, et non de moyens tendant à démontrer l'illégalité des décisions des autorités nationales compétentes qui les assujettiraient au paiement des droits litigieux.
45 Or, comme les requérantes l'admettent elles-mêmes, le moyen tiré en l'espèce de la méconnaissance de la procédure de contrôle "a posteriori" de la validité des certificats EUR 1 vise la légalité des décisions des autorités néerlandaises de recouvrer "a posteriori" des droits à l'importation. La légalité de ces décisions ne peut cependant être tranchée que dans le cadre d'un recours introduit devant la juridiction nationale compétente.
46 Dans ces conditions, le troisième moyen ne saurait pas davantage être retenu.
Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense
47 Les requérantes soutiennent que la procédure suivie pour l'adoption des décisions litigieuses ne répond pas aux garanties imposées à cet égard par le droit communautaire. Elles font observer qu'elles n'ont pas eu la possibilité de faire valoir leur point de vue directement auprès de la Commission et qu'elles n'ont pas disposé de tous les éléments qui ont conduit à l'adoption des décisions litigieuses.
48 Il convient de rappeler que, dans l'arrêt du 17 mars 1983, Control Data/Commission (294-81, Rec. p. 911, point 17) et l'arrêt Van Gend & Loos et Bosman/Commission (précité, point 9), la Cour a déjà rejeté ce moyen, invoqué dans le même contexte juridique. En effet, la Cour a estimé, dans ces arrêts, que la procédure d'adoption des décisions litigieuses, qui comporte différentes étapes dont certaines se situent au niveau national (dépôt de la demande par l'entreprise concernée, premier examen par l'administration douanière), certaines au niveau communautaire (présentation de la demande à la Commission, examen du dossier par le comité des franchises douanières, consultation d'un groupe d'experts, décision de la Commission, notification à l'État membre concerné), offre aux intéressés toutes les garanties juridiques nécessaires.
49 Étant donné que cette procédure a été suivie en l'espèce, ce que les requérantes ne contestent pas, le moyen tiré de la violation des droits de la défense n'est pas fondé. En effet, cette procédure a permis aux requérantes d'exposer tous leurs arguments auprès des autorités néerlandaises; leur dossier a été à la disposition tant du comité des franchises que de la Commission. Les requérantes ont d'ailleurs reconnu que tous les arguments qu'elles pouvaient faire valoir en vue de la remise des droits avaient été mentionnés dans leurs demandes et qu'il n'existait aucun élément nouveau qu'elles n'aient pu intégrer dans leur argumentation. En tout état de cause, elles avaient connaissance de la transmission de leurs demandes à la Commission et auraient pu compléter l'argumentation qui y est contenue, si elles l'avaient souhaité.
50 Les requérantes estiment cependant qu'eu égard, d'une part, aux développements récents de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne les droits de la défense dans le domaine du droit de la concurrence et des droits antidumping, et, d'autre part, l'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme le respect des droits de la défense devrait être assuré d'une façon plus stricte que cela n'avait été le cas dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Control Data et Van Gend & Loos et Bosman/Commission, précités.
51 Cette argumentation ne saurait être retenue.
52 Il convient, en effet, de constater tout d'abord, comme la Commission l'a relevé à juste titre, que les procédures applicables dans les domaines du droit de la concurrence ou des droits antidumping diffèrent sensiblement de la procédure suivie dans la présente affaire. Dans le cadre de cette dernière, les opérateurs économiques introduisent eux-mêmes des demandes en vue de la remise de droits, alors que dans les affaires de concurrence et de droits antidumping ce sont les institutions de la Communauté qui décident d'engager la procédure aux fins éventuellement de sanctionner l'opérateur économique qui contrevient aux dispositions du traité. Dans ce dernier cas, le principe du contradictoire, qui représente l'essentiel des droits de la défense selon la jurisprudence de la Cour, revêt une importance particulière. En revanche, dans des cas comme celui de l'espèce, il y a lieu de considérer que le principe du contradictoire est respecté au niveau communautaire, si les exigences précisées dans les arrêts Control Data et Van Gend & Loos et Bosman/Commission sont satisfaites.
53 Il convient de relever ensuite que les requérantes n'ont apporté aucun élément tendant à démontrer que le principe du contradictoire, tel qu'il est garanti dans la procédure prévue aux fins d'adoption des décisions litigieuses, ne correspond pas aux exigences énoncées à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
54 Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation de droits de la défense, et, par conséquent, les conclusions aux fins d'annulation des décisions litigieuses doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins de constatation que les demandes introduites auprès des autorités nationales doivent être agréées en vertu du droit communautaire ou qu'il y a lieu de leur donner une suite favorable
55 Cette demande tend en substance à ce que la Cour déclare que les autorités douanières néerlandaises sont tenues de donner une suite favorable aux demandes de remise des droits à l'importation introduites par les requérantes.
56 Il résulte de l'article 173 du traité, qui établit les conditions de recevabilité d'un recours en annulation, que la Cour dispose de la compétence de contrôler la légalité des actes du Conseil et de la Commission. Si le recours est fondé, la Cour déclare, en vertu de l'article 174 du traité, nul et non avenu l'acte contesté.
57 Il en découle que la Cour n'est pas compétente dans le cadre de ce recours pour se prononcer sur les obligations éventuelles des autorités nationales et ce même dans le cas où une décision de la Commission a été déclarée nulle et non avenue.
58 Dès lors, il y a lieu de rejeter ces conclusions du recours comme irrecevables.
59 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les recours doivent être rejetés comme non fondés, pour autant qu'ils visent l'annulation des décisions de la Commission C (90) 1333 déf.: REM 1-90 du 5 juillet 1990, et C (90) 3021 déf.: REM 8-90 du 18 décembre 1990, ainsi que la décision C (90) 3024 déf.: REM 7-90, du 18 décembre 1990, et comme irrecevables, pour autant qu'ils visent la constatation que les demandes de remise des droits à l'importation introduites auprès des autorités nationales doivent être agréées en vertu du droit communautaire ou qu'il y a lieu de leur donner une suite favorable.
Sur les dépens
60 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Les requérantes ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante qui a conclu en ce sens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
déclare et arrête:
1) Les recours sont rejetés.
2) Les parties requérantes sont condamnées aux dépens, y compris ceux de la partie intervenante.