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Décisions

CA Grenoble, 1re ch. civ., 30 janvier 2006, n° 04-01141

GRENOBLE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

D. Duchesne (SA)

Défendeur :

Leriche

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Falletti-Haenel

Conseillers :

Mme Kueny, M. Vignal

Avoués :

SCP Hervé-Jean Pougnand, Selarl Dauphin & Mihajlovoc

Avocats :

Mes Chas, Brasseur, SCP Brasseur-M'Bare

TGI Grenoble, du 6 févr. 2004

6 février 2004

Fait, procédure et moyens des parties :

Par jugement en date du 15 janvier 2004, le Tribunal de grande instance de Grenoble :

- a condamné la société SA Duchesne à payer à Madame Leriche Renée la somme de 10 000 euro, outre intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,

- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- a ordonné l'exécution provisoire,

- et a condamné la société SA Duchesne aux dépens.

La SA Duchesne, sous l'enseigne TV Direct Distribution a relevé appel de ce jugement le 6 février 2004.

Elle demande à la cour :

* d'infirmer le jugement qu'elle lui défère,

* de constater qu'elle a mis en évidence l'aléa existant dans l'opération promotionnelle,

* de constater qu'aucune faute ne peut être mise à sa charge,

* de débouter Madame Leriche de l'ensemble de ses demandes,

* et de la condamner à lui payer un euro à titre de dommages et intérêts et 1 525 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle propose à ses clients des jeux sans obligations d'achat, fonctionnant selon la règle du pré-tirage au sort du nom des gagnants, intitulés" 10 000 euro à vous remettre", que le règlement du jeu est imprimé in extenso sur un feuillet à l'intérieur de l'enveloppe, qu'il précise le montant et la nature des lots mis en jeu, qu'il est indiqué qu'il s'agit d'un pré-tirage, que tous ses documents publicitaires rappellent les conditions d'obtention des lots mis enjeu, que Madame Leriche était nécessairement au courant de la règle essentielle du pré-tirage au sort du nom du gagnant principal, que les mentions ayant un caractère attractif n'ont pu la tromper compte tenu de l'information dispensée, que les trois conditions pour gagner sont clairement formulées :

¤ avoir été pré-tiré au sort par l'huissier de justice,

¤ renvoyer son bon de participation dans les délais,

¤ patienter, jusqu'à la date de clôture de l'opération promotionnelle,

Que Madame Leriche a également été destinataire d'un simple envoi publicitaire lui permettant de recevoir le règlement d'un prochain jeu intitulé: "l'envoi du chèque de 10 000 euro en recommandé", que cet envoi ne comportait aucun engagement, que ces documents ne sont pas soumis au formalisme des articles L. 121-36 et suivants du Code de la consommation, que si la jurisprudence exige que les sociétés de vente par correspondance mettent en évidence l'aléa lorsqu'elles diffusent des jeux promotionnels, elle rappelle aussi que le consommateur doit être diligent et se prêter à une lecture attentive de l'intégralité des documents publicitaires qu'il reçoit sans se contenter des mentions les plus attractives.

L'appelante ajoute, que le litige doit être apprécié par référence au consommateur moyen, normalement intelligent et attentif, doté d'un esprit normalement critique, qu'il ne peut y avoir aucune confusion dans la mesure où il n'existe aucune promesse ferme et aucune allégation mensongère, que ce type d'opérations est utilisé par la plupart des sociétés de vente par correspondance dont le but est d'inciter le destinataire à passer commande des produits figurant dans le catalogue qui est en principe joint, qu'il est suffisamment connu par les consommateurs qui ne peuvent se méprendre sur la réalité et la certitude du gain, que le consommateur ne doit pas être rendu irresponsable et que lorsqu'il feint d'ignorer qu'il s'agit d'un jeu promotionnel il est soit de mauvaise foi, soit d'une naïveté hors du commun qui ne peut qu'exonérer le professionnel.

Madame Leriche, assistée de son curateur, sollicite la confirmation du jugement déféré et réclame en outre 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et 2 000 euro en réparation du préjudice moral subi.

Elle expose, que courant juin 2002, elle a reçu de TV Direct Distribution un courrier officiel d'annonce de numéro gagnant, qu'elle était clairement désignée comme ayant gagné sans qu'aucun aléa n'apparaisse, que l'envoi du chèque n'était subordonné qu'à la réception de sa commande et à un délai de 15 jours, que le gain était confirmé par un courrier du 23 juillet 2002, que sa demande est fondée sur le quasi contrat, que dans deux arrêts du 6 septembre 2002 la chambre mixte de la Cour de cassation a décidé que "l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa, s'oblige par ce fait, purement volontaire à le délivrer", que cette jurisprudence doit s'appliquer en l'espèce puisqu'il y a annonce d'un gain et absence de mise en évidence de l'aléa, que même dans le règlement du jeu rien n'est dit sur l'aléa, que tout laisse à penser que le pré-tirage a eu lieu et qu'elle est l'unique gagnante, que les documents incitaient fermement le lecteur à passer commande puisque cela permettait le traitement en priorité absolue de l'envoi du chèque, ce qui constitue une contravention à l'article L. 121-36 du Code de la consommation et que le jugement parfaitement motivé doit être confirmé.

Motifs et décision :

Le tribunal a procédé à une étude détaillée des termes employés par TV Direct Distribution, enseigne de la société Duchesne et a relevé les multiples expressions qui mentionnent la réalisation par Madame Leriche d'un gain de 10 000 euro et l'engagement de l'organisateur du concours de remette le chèque de 10 000 euro, cette somme ayant été consignée chez Maître Guibert, huissier de justice.

S'il est fait mention de l'existence du pré-tirage, il est clairement indiqué que cette formalité a eu lieu et que Madame Leriche est la, gagnante. La pièce portant le visa de confirmation "Nathalie" mentionne :

" le tirage au sort de ce jeu gratuit a déjà eu lieu et votre gain quel qu'il soit est soumis à cet aléa. Vous êtres réellement gagnant, c'est certain, car le jeu est sous contrôle d'un huissier de justice et les gains sont toujours attribués dès qu'ils sont réclames... "

La société Duchesne emploi le terme d'aléa par référence à l'exigence de la Cour de cassation mais cette mention est trompeuse dès lors qu'il est indiqué que le tirage au sort a déjà eu lieu, ce qui révèle l'absence d'aléa. Aucune mention ne révèle, même de façon sous entendue, qu'un tirage au sort doit avoir lieu et que le prix ne sera attribué qu'après cette opération.

La lecture extrêmement difficile du règlement qui est imprimé en caractères très petits n'est pas de nature à éveiller les soupçons du consommateur qui est dissuadé d'entreprendre une opération aussi délicate, le texte totalement compact, sans aucun blanc ni retour à la ligne étant construit pour le rebuter, Par ailleurs, les éléments mentionnés ne sont pas contraires aux documents envoyés qui mentionnent un gain après tirage au sort de sorte que le tribunal ayant décidé, à bon droit, que la société Duchesne devait exécuter en application de l'article 1371 du Code civil l'engagement qu'elle avait souscrit, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Duchesne à payer à Madame Leriche la somme de 10 000 euro.

Aucun abus de procédure ne peut être caractérisé et Madame Leriche n'établit pas l'existence d'un préjudice moral, de sorte que sa demande en dommages et intérêts sera rejetée.

Il convient de lui allouer une indemnité de 1 500 euro pour compenser ses frais irrépétibles en cause d'appel.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Déboute Madame Leriche de sa demande de dommages et intérêts, Condamne la société Duchesne à payer à Madame Leriche une indemnité de 1 500 euro (mille cinq cent euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel, avec application au profit de la Selarl Dauphin & Mihajlovic, avoués, des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.