CJCE, 21 novembre 1991, n° C-269/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Technische Universität München
Défendeur :
Hauptzollamt München-Mitte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
Sir Gordon Slynn, MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Iglesias, de Velasco, Zuleeg
Avocat général :
Me Jacobs
Motifs de l'arrêt
1. Par ordonnance du 17 juillet 1990, parvenue à la Cour le 6 septembre suivant, le Bundesfinanzhof a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, une question préjudicielle relative à la validité de la décision 83-348 de la Commission, du 5 juillet 1983, constatant que l'importation de l'appareil dénommé "Jeol-Scanning Electron Microscope, model JSM-35 C" ne peut être faite en franchise des droits du tarif douanier commun (JO L 188, p. 22).
2. Cette question est posée dans le cadre d'un litige opposant la Technische Universitaet Muenchen au Hauptzollamt Muenchen-Mitte.
3. Le litige porte sur l'octroi d'une franchise douanière pour un appareil scientifique importé dans la Communauté, conformément à l'article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement (CEE) n° 1798-75 du Conseil, du 10 juillet 1975, relatif à l'importation en franchise des droits du tarif douanier commun des objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel (JO L 184, p. 1), dans la version résultant du règlement (CEE) n° 1027-79 du Conseil, du 8 mai 1979 (JO L 134, p. 1), en vigueur depuis le 1er janvier 1980.
4. La Technische Universitaet a fait mettre en libre pratique, entre le 1er juin 1979 et le 23 mars 1981, un microscope électronique à balayage, modèle JSM-35 C, fabriqué par la société Japan Elektron Optics Laboratory Ltd de Tokyo. L'appareil était destiné à des travaux de recherche dans ses départements de chimie, de biologie et de sciences géographiques. Il devait être utilisé dans le cadre de l'étude de processus électrochimiques, de problèmes de géologie, de minéralogie et de chimie des aliments, ainsi que dans des recherches portant sur les matières synthétiques, les émulsions photochimiques et les systèmes biologiques.
5. Le Hauptzollamt a, tout d'abord, admis l'appareil en franchise douanière. Toutefois, par décisions des 14 et 15 avril et du 22 juin 1982, il a ensuite demandé des droits de douane d'un montant de 31 110 DM, majoré de la taxe sur le chiffre d'affaires à l'importation, d'un montant de 3 746 DM.
6. A la suite de la réclamation administrative introduite par la Technische Universitaet, le Hauptzollamt a demandé une intervention de la Commission au titre de l'article 7, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 2784-79 de la Commission, du 12 décembre 1979, fixant les dispositions d'application du règlement (CEE) n° 1798-75 (JO L 318, p. 32).
7. Le 5 juillet 1983, la Commission a pris la décision 83-348, précitée, aux termes de laquelle le microscope électronique en question ne pouvait être importé en franchise des droits du tarif douanier commun, car des appareils de valeur scientifique équivalente, susceptibles d'être utilisés aux mêmes fins, étaient fabriqués dans la Communauté, en particulier l'appareil PSEM 500 X produit par la société Philips Nederland BV.
8. Par suite de cette décision de la Commission, le Hauptzollamt a rejeté la demande de franchise douanière. La Technische Universitaet a alors formé un recours judiciaire.
9. Le Bundesfinanzhof, saisi en dernière instance du litige, estime que la présente affaire soulève la question de la validité de la décision 83-348 de la Commission, précitée. Selon lui, jusqu'à présent, la Cour a toujours jugé qu'elle ne disposait que d'un pouvoir de contrôle limité dans le cadre des litiges relatifs aux questions concernant l'importation d'appareils scientifiques en franchise douanière. D'après cette jurisprudence, la Cour ne pourrait ainsi, eu égard au caractère technique des questions qui se posent en cette matière, déclarer invalide une décision de la Commission que dans le cas d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'un détournement de pouvoir. La juridiction de renvoi éprouve des doutes quant au point de savoir si ce point de vue peut être maintenu.
10. Le Bundesfinanzhof estime que la constatation des circonstances de fait ainsi que l'application des critères juridiques qui régissent l'octroi de la franchise douanière ne sauraient échapper à un contrôle juridictionnel. Le fait que l'examen comparatif concernant l'équivalence d'appareils scientifiques effectué par les autorités douanières compétentes revêt un caractère largement technique ne change rien à cette exigence de la protection juridique.
11. Le Bundesfinanzhof demande donc à la Cour de juger si la décision 83-348 de la Commission, du 5 juillet 1983, précitée, est valide.
12. Pour un plus ample exposé des faits et du cadre juridique de l'affaire au principal, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites et orales présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
13. Il convient de relever que, s'agissant d'une procédure administrative qui porte sur des évaluations techniques complexes, la Commission doit disposer d'un pouvoir d'appréciation afin d'être en mesure de remplir ses fonctions.
14. Mais, dans les cas où les institutions de la Communauté disposent d'un tel pouvoir d'appréciation, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figurent, notamment, l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce, le droit de l'intéressé de faire connaître son point de vue ainsi que celui de voir motiver la décision de façon suffisante. C'est seulement ainsi que la Cour peut vérifier si les éléments de fait et de droit dont dépend l'exercice du pouvoir d'appréciation ont été réunis.
15. Il convient donc d'examiner si la décision litigieuse a été prise dans le respect des principes énoncés ci-avant.
16. Sur le premier point, il y a lieu de rappeler que le règlement n° 1798-75, précité, a mis en œuvre, dans la Communauté, l'accord de Florence du 22 novembre 1950 (voir JO 1979, L 134, p. 14) selon lequel les États contractants s'engagent à ne pas appliquer de droits de douane et d'autres impositions à l'importation d'appareils scientifiques destinés à l'enseignement ou à la recherche, sous réserve que des appareils de valeur scientifique équivalente ne soient pas fabriqués dans le pays d'importation.
17. Selon le premier considérant du règlement susvisé, il convient d'admettre, dans toute la mesure du possible, en franchise des droits du tarif douanier commun, les objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel afin de faciliter tant la libre circulation des idées que l'exercice d'activités culturelles et la recherche scientifique au sein de la Communauté.
18. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, du règlement susvisé, les instruments et les appareils scientifiques qui sont importés exclusivement à des fins non commerciales sont admis au bénéfice de la franchise des droits du tarif douanier commun lorsque des instruments ou des appareils de valeur scientifique équivalente ne sont pas présentement fabriqués dans la Communauté.
19. Il en résulte que l'octroi de la franchise douanière à un appareil scientifique importé dans la Communauté ne saurait être refusé, au motif qu'il existe un appareil communautaire de valeur scientifique équivalente, que si l'instruction menée par les autorités chargées de l'application du règlement (CEE) n° 1798-75 a permis d'établir ce dernier fait de manière certaine.
20. Dans le cadre de la procédure prévue par le règlement n° 2784-79, précité, la Commission consulte les États membres et, le cas échéant, un groupe d'experts. S'il ressort de l'examen de ce groupe qu'un appareil équivalent est fabriqué dans la Communauté, la Commission prend une décision établissant que les conditions pour une importation en franchise douanière de l'appareil considéré ne sont pas réunies.
21. La Commission a admis qu'elle a toujours suivi les avis du groupe d'experts, faute pour elle de disposer d'autres sources d'information sur les appareils considérés.
22. Dans ces conditions, le groupe d'experts ne saurait remplir sa mission que s'il est composé de personnes possédant les connaissances techniques requises dans les différents domaines d'utilisation des appareils scientifiques en cause ou si les membres de ce groupe bénéficient du Conseil d'experts possédant ces connaissances. Or, ni le procès-verbal de la réunion du groupe d'experts ni les débats devant la Cour n'ont établi que les membres de ce groupe possédaient eux-mêmes des connaissances nécessaires dans les domaines de la chimie, de la biologie et des sciences géographiques ou qu'ils ont cherché Conseil auprès d'experts en ces matières afin de pouvoir se prononcer sur les problèmes techniques qui se posent dans l'examen de l'équivalence des appareils scientifiques en cause. Par conséquent, la Commission a violé son obligation d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce.
23. En second lieu, il convient de constater que le règlement n° 2784-79, précité, ne prévoit pas la possibilité pour la partie intéressée, importatrice d'un appareil scientifique, de s'expliquer devant le groupe des experts ni de se prononcer sur les informations qui se trouvent à la disposition du groupe ou de prendre position sur l'avis rendu par ce dernier.
24. Toutefois, c'est l'institution importatrice qui connaît le mieux les caractéristiques techniques que doit remplir l'appareil scientifique, eu égard aux travaux envisagés. La comparaison entre l'appareil importé et les instruments d'origine communautaire doit, par conséquent, être faite en fonction des indications données par l'intéressée quant aux projets de recherche envisagés et à l'usage auquel est destiné l'appareil.
25. Or, le droit d'être entendu dans une telle procédure administrative exige que la partie intéressée soit mise en mesure, au cours même de la procédure qui se déroule devant la Commission, de prendre position et de faire connaître utilement son point de vue sur la pertinence des faits ainsi que, le cas échéant, sur les documents retenus par l'institution communautaire. Cette exigence n'a pas été respectée lors de l'adoption de la décision litigieuse.
26. En troisième et dernier lieu, en ce qui concerne la motivation exigée en vertu de l'article 190 du traité, il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour (voir notamment arrêt du 26 juin 1986, Nicolet Instrument, 205-85, Rec. p. 2049) que cette motivation doit faire apparaître, d'une manière claire et non équivoque, le raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à permettre à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits, et à la Cour d'exercer son contrôle.
27. S'agissant du cas d'espèce, il convient de constater que la décision de la Commission ne contient pas un exposé suffisant des raisons scientifiques susceptibles de justifier la conclusion selon laquelle l'appareil fabriqué dans la Communauté est équivalent à l'appareil importé. En effet, la décision litigieuse se limite à reproduire les termes d'une des décisions antérieures de la Commission, en l'occurrence la décision 82-86-CEE, du 23 décembre 1981 (JO 1982, L 41, p. 33). La partie intéressée se trouve donc dans l'impossibilité de vérifier si la décision est entachée d'une erreur d'appréciation. Celle-ci ne satisfait dès lors pas aux exigences posées par l'article 190 du traité.
28. Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que la décision litigieuse a été adoptée selon une procédure administrative dans laquelle ont été violés l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce, le droit d'être entendu ainsi que l'obligation d'une motivation suffisante de la décision prise.
29. Il y a donc lieu de répondre à la juridiction nationale que la décision 83-348 de la Commission, du 5 juillet 1983, constatant que l'importation de l'appareil dénommé "Jeol-Scanning Electron Microscope, model JSM-35 C" ne peut être faite en franchise des droits du tarif douanier commun n'est pas valide.
Sur les dépens
30. Les frais exposés par la Commission, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur la question à elle soumise par le Bundesfinanzhof, par ordonnance du 17 juillet 1990, dit pour droit :
La décision 83-348-CEE de la Commission, du 5 juillet 1983, constatant que l'importation de l'appareil dénommé "Jeol-Scanning Electron Microscope, model JSM-35 C" ne peut être faite en franchise des droits du tarif douanier commun n'est pas valide.