Cass. crim., 3 mai 2006, n° 05-85.715
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Delbano
Avocat général :
M. Davenas
Avocats :
SCP Piwnica, Molinie
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : X Philippe, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Grenoble, chambre correctionnelle, en date du 30 juin 2005, qui, pour tromperie, l'a condamné à 3 000 euro d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ; - Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 121-1, 121-3 du Code pénal, 1109 du Code civil, L. 213-1 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Philippe X coupable de tromperie, l'a condamné à une peine d'amende de 3 000 euro et a prononcé sur les intérêts civils ;
"aux motifs qu'il ressort que Marie-Laure Y comme douze autres clients du Garage Majectic Opel ont reçu une copie du bon de commande ne portant pas la mention " ex-location " entre février 2002 et avril 2003, ce qui démontre que le cas de Marie-Laure Y n'était pas isolé et que la pratique dénoncée par la DDCRF remontait selon l'enquête qu'elle a effectué en février 2002 ; que le délit de tromperie est constitué dès lors qu'à la formation du contrat il est omis de faire état d'une qualité importante ou substantielle de la marchandise qui fait l'objet du contrat, c'est-à-dire sur un attribut qui détermine le consentement du cocontractant ; que le fait de cacher l'origine du véhicule vendu, en l'occurrence les véhicules provenant de location de courte durée, peut avoir un impact commercial non négligeable dans la mesure où si les clients étaient avertis de l'origine du véhicule dès la rédaction du bon de commande, les véhicules seraient plus difficiles à vendre ou à un prix inférieur dans la mesure où un client peut être dissuadé d'acheter un véhicule conduit par une pluralité de conducteurs souvent moins attentionnés que lors de l'utilisation de leur véhicule personnel ou encouragé à le négocier à un prix inférieur ; que le fait d'indiquer l'origine du véhicule sur la facture d'achat ne suffit pas puisque celle-ci n'est délivrée que le jour de la commande soit en moyenne 8 à 15 jours après la commande, le bon de commande étant le document déterminant dans la vente ; que, dès lors qu'il est avéré et de surcroît non sérieusement contesté par le prévenu que le défaut d'information sur l'origine (ex-location) de véhicules lors de la commande en ce qui concerne douze acquéreurs de véhicules de location courte durée auprès du Garage Opel Majestic de Saint-Martin-d'Hères est consécutif de l'élément matériel de délit de tromperie ; que l'élément moral de la tromperie est réalisé si le prévenu n'a pas suffisamment vérifié la conformité aux règles de l'art de sa prestation de services ; que le fait pour un chef d'entreprise (industriel ou commerçant) de ne pas opérer des vérifications soigneuses, le fait d'affronter consciemment le risque de tromper ses clients, faute de pouvoir les informer sur les qualités substantielles de sa marchandise et qu'il est donc animé par le dol éventuel qui en la matière est suffisant pour entrer en voie de condamnation ; qu'il n'est pas contesté par le prévenu qu'il n'a pas remis de délégation de pouvoir ni envers son directeur ni envers ses vendeurs et qu'il est donc seul responsable pénal de l'infraction qui lui est reprochée ; que compte tenu de ce qui précède, le fait d'avoir rédigé à l'adresse de ses vendeurs une note de service qui aurait été émargée par ces derniers, attirant leur attention sur les obligations en matière de commercialisation de véhicules d'occasion ne saurait exonérer le prévenu de ses obligations en la matière c'est-à-dire vérifier personnellement que les informations relatives aux véhicules d'occasion mis à la vente dans son garage étaient conformes au règlement et usages commerciaux tels que rappelés dans sa note de service ; que de même, le fait d'avoir sanctionné par un avertissement qui ne mentionne nullement l'omission sur les bons de commande de l'origine des véhicules, son vendeur Lionel Z, dès le 30 avril 2003, soit avant le dépôt de plainte de Marie-Laure Y, ne saurait davantage l'exonérer d'autant plus que les premiers faits pour lesquels la culpabilité du prévenu est recherchée remontent à courant 2002 ;
"1°) alors que l'absence de mention sur un bon de commande d'un véhicule d'occasion, de son affectation antérieure à la location ne constitue pas une tromperie ;
"2°) alors que la cour d'appel a énoncé, dans un motif qui sert de soutien nécessaire à sa décision " que le fait d'indiquer l'origine du véhicule sur la facture d'achat ne suffit pas puisque celle-ci n'est délivrée que le jour de la commande soit en moyenne huit à quinze jours après la commande, le bon de commande étant le document déterminant dans la vente " ; que ces énonciations contradictoires ne permettent pas de constater que dans les quinze cas de vente de véhicules d'occasion soumis à l'appréciation des juges du fond, il y ait eu dissociation entre le moment de l'échange des consentements et le moment de remise des factures aux clients c'est-à-dire d'exécution des contrats et que la cour d'appel ayant par ailleurs constaté, cette fois par une énonciation dépourvue d'ambiguïté que la mention "ex-location" figurait sur toutes les factures remises aux clients, la Cour de cassation n'est pas en mesure, relativement à l'existence de l'élément matériel du délit de tromperie, de s'assurer de la légalité de sa décision ;
"3°) alors que la cour d'appel qui, sans s'expliquer spécialement sur le prix auquel les véhicules concernés avaient été vendus, a cru pouvoir justifier sa décision par la considération que les clients avertis de l'origine du véhicule dès la rédaction du bon de commande, peuvent être encouragés à négocier ce véhicule à un prix inférieur, en se fondant ainsi sur un motif général, a privé sa décision de base légale ;
"4°) alors que le consentement de l'acquéreur d'un véhicule d'occasion ne saurait être considéré comme ayant été surpris par des manœuvres frauduleuses dès lors qu'il y a adéquation entre le prix qu'il a accepté et les qualités de ce véhicule et notamment son usage antérieur ; qu'en constatant que les factures remises aux clients - et acquittées par eux sans protestation - comportaient expressément la mention " ex-location ", la cour d'appel a par là même implicitement mais nécessairement constaté que le prix auquel les ventes litigieuses avaient été conclues tenait compte de l'usage antérieur du véhicule, ce qui exclut toute erreur de consentement générée par un dol en sorte qu'en entrant en voie de condamnation du chef de tromperie à l'encontre de Philippe X , la cour d'appel a violé les dispositions combinées des articles 1109 du Code civil et L. 213-1 du Code de la consommation ;
"5°) alors que l'article L. 213-1 du Code de la consommation n'établit aucune présomption de tromperie et que la cour d'appel, qui constatait, d'une part, que par une note de service détaillée rédigée à l'adresse des vendeurs, Philippe X avait attiré leur attention sur les obligations en matière de commercialisation de véhicules d'occasion et, d'autre part, que toutes les factures de véhicules vendus ayant été antérieurement loués comportaient expressément la mention " ex-location " impliquant un contrôle a posteriori suffisant de sa part, ne pouvait, sans méconnaître la portée du texte susvisé, lui reprocher un défaut de vérification caractérisant l'élément intentionnel du délit de tromperie" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 421-1 du Code de la consommation, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Philippe X à payer à l'ORGECO les sommes de 3 000 euro en réparation de son préjudice collectif, 1 000 euro en réparation de son préjudice associatif, 800 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"aux motifs qu'en l'état des justifications produites aux débats, la cour dispose d'éléments d'appréciation suffisants pour déclarer le prévenu responsable du préjudice subi par la victime et lui allouer : 3 000 euro au titre du préjudice collectif, 1 000 euro au titre du préjudice associatif ;
"alors que le droit reconnu à certaines association de se constituer partie civile du chef de tromperie ne leur permet pas de réclamer d'autre indemnisation que celle destinée à réparer un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs ; qu'en allouant à l'Orgeco deux indemnités distinctes, en réparation, l'une d'un préjudice collectif, l'autre d'un préjudice associatif, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Vu les articles 2 du Code de procédure pénale et L. 421-1 du Code de la consommation ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que les associations régulièrement déclarées ayant pour objet statutaire explicite la défense des intérêts des consommateurs ne peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile que relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs, sauf à justifier avoir souffert elles-mêmes du dommage directement causé par l'infraction ;
Attendu qu'après avoir déclaré Philippe X coupable de tromperie et reçu la constitution de partie civile de l'association Organisation générale des consommateurs (OR.GE.CO.), l'arrêt alloue à cette association 3 000 euro en réparation du préjudice collectif et 1 000 euro en réparation du préjudice associatif, ainsi que 800 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'en accordant réparation d'un préjudice qualifié d'associatif, qui ne trouve son origine ni dans une atteinte directe ou indirecte à l'intérêt collectif des consommateurs ni dans un dommage personnellement et directement causé à l'association demanderesse, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs, Casse et annule, par voie de retranchement, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Grenoble, en date du 30 juin 2005, en ses seules dispositions ayant alloué à l'association OR.GE.CO. 1 000 euro en réparation d'un préjudice associatif, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Grenoble et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.