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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 14 juin 2006, n° 04-20370

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Centre d'activités automobiles (SA)

Défendeur :

General Motors France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Roche, Byk

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Monin d'Auriac de Brons

Avocats :

Mes Bourgeon, Henry (SCP Vogel)

CA Paris n° 04-20370

14 juin 2006

La société General Motors France (ci-après désignée GMF) est l'importateur exclusif en France des véhicules neufs et des pièces de rechange neuves des marques Opel, Cadillac et Chevrolet qu'elle distribuait par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires exclusifs jusqu'au 1er octobre 2003.

En vertu d'un contrat de concession en date du 5 septembre 1997, la société Centre d'activités automobiles (ci-après désignée C2A) était le concessionnaire exclusif de l'intéressée sur les secteurs de Martigues, Port de Bouc et Marignane, pour les véhicules et pièces de marque Opel, dispositif complété par un nouveau contrat du 2 juin 1999 pour les véhicules utilitaires de cette même marque.

La société C2A était ainsi la seule, sur ces territoires, à pouvoir vendre activement les véhicules neufs et pièces de rechange neuves de la marque Opel et à disposer de l'agrément de ce constructeur pour le service après-vente. Néanmoins, la société C2A pouvait vendre en dehors de son territoire des véhicules neufs de manière passive. C'est ainsi que si elle ne pouvait directement démarcher des clients en dehors de son territoire, elle était en droit d'accepter la commande d'un véhicule neuf de la part d'un client situé en dehors de la zone concernée.

Cependant, à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2003, du nouveau règlement d'exemption automobile n° 1400-2002 du 31 juillet 2002, la société GMF a opté pour la mise en place d'un système de distribution sélective quantitative, lequel permet de préserver l'étanchéité du réseau en interdisant aux distributeurs agréés la revente hors de celui-ci mais conduit également à la suppression de la notion de territoire exclusif, tout revendeur pouvant vendre activement autant que passivement hors de son territoire.

Dans ce contexte, la société GMF a résilié par courriers du 19 septembre 2002 les contrats de l'ensemble des concessionnaires de son réseau, dont la société C2A, en leur indiquant, néanmoins, son souhait de poursuivre les relations les unissant sur la base du nouveau système et selon de nouveaux contrats conformes aux normes communautaires en cours d'élaboration.

Estimant, par ailleurs, qu'il s'agissait d'une réorganisation substantielle de son réseau, la société GMF a, alors, mis en œuvre la clause des contrats de concession prévoyant, en ce cas, un délai de préavis dérogatoire d'un an au lieu de celui de deux ans normalement applicable.

La société C2A, après avoir refusé de signer les nouveaux contrats de distributeur et de réparateur agréés qui lui étaient proposés, a, par acte du 3 février 2003, assigné la société GMF devant le Tribunal de commerce de Paris afin, notamment, de:

- dire irrégulière et sans justification la résiliation avec un préavis réduit à un an des contrats initialement conclus,

- dire, en tout état de cause, que la société GMF a abusé de sa situation de dépendance à son endroit pour tenter de lui imposer des conditions commerciales injustifiées au sens de l'article L. 442-6-I du Code de commerce.

- dire que la société GMF supporte l'entière responsabilité de l'interruption à compter du 9 décembre 2003 des relations contractuelles qu'elle s'était engagée à poursuivre avec elle, au-delà du 1er octobre 2003, dans le cadre de nouveaux contrats de distributeur agréé et de réparateur agréé conformes au règlement n° 1400-2002 du 31 juillet 2002.

- condamner la société GMF à lui payer à titre de dommages et intérêts et pour les causes susénoncées, la somme de 1 000 000 euro.

Par jugement du 4 août 2004, le tribunal saisi a:

- dit valide et non fautive la résiliation des contrats par la société GMF avec un préavis réduit à un an,

- débouté la société C2A de ses demandes de dommages et intérêts à cette fin,

- renvoyé la cause à son audience du 15 octobre 2004 quant aux opérations purement comptables liées à la cessation de leurs rapports commerciaux et constituant le compte définitif entre les parties.

La société C2A a fait appel de ce jugement, étant précisé que la procédure au titre de l'apurement des comptes a trouvé une solution. Par conclusions enregistrées le 2 mai 2006, ladite société C2A a ainsi demandé à la cour de :

- infirmer le jugement déféré,

- dire que la société GMF a résilié sans justification les contrats de concession les liant avec un préavis réduit à un an,

- dire que l'intimée a ainsi abusé de la situation de dépendance dans laquelle elle se trouvait à son égard,

- dire que la société GMF supporte l'entière responsabilité de l'interruption à compter du 9 décembre 2003 des relations contractuelles qu'elle s'était engagée à poursuivre au delà du 1er octobre 2003,

- condamner l'intéressée à lui payer la somme de 1 215 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis par cette dernière,

subsidiairement

- saisir la Cour de justice des Communautés européennes des questions préjudicielles suivantes:

1) le droit de résilier, prévu à l'article 5 paragraphe 3 du règlement CE 1475-95 relatif à l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de distribution et de services de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, doit-il être interprété comme impliquant une nécessité de restructurer l'ensemble ou une partie substantielle du réseau de distribution au sens de l'article 10. 9) du règlement CE 1475-95,

2) ce droit de résilier les accords de distribution et de services conclus avec les entreprises du réseau de distribution peut-il, au contraire, être déduit du seul fait que, par l'entrée en vigueur du règlement CE 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002 relatif à l'application de l'article 81 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, il est devenu nécessaire de procéder à des modifications des accords de distribution, au sens de l'article 10.1) du règlement CE 1475-95, pratiqués jusqu'alors par le fournisseur et par ses distributeurs, même en l'absence de modification substantielle du nombre des entreprises et de la composition du réseau de distribution,

- condamner la société GMF aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions enregistrées le 5 mai 2006, la société GMF a sollicité, pour sa part, de la cour de:

- confirmer le jugement,

- débouter la société C2A de l'ensemble de ses demandes,

- dire qu'elle-même n'a commis aucune faute à l'encontre de l'appelante,

à titre subsidiaire,

- dire que cette dernière ne démontre pas le préjudice qu'elle allègue ni le lien de causalité entre les prétendues fautes et le préjudice allégué,

- condamner enfin l'intéressée aux dépens et au versement de la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce

Considérant que la société C2A fonde, en premier lieu, sa demande indemnitaire sur la réduction du délai de préavis qui lui a été consenti à un an au lieu de deux, ce délai raccourci étant, selon ses dires, injustifié faute de réalisation de la condition contractuelle d'une réorganisation substantielle de son réseau et faute également de nécessité démontrée d'une durée aussi brève;

Considérant, toutefois, qu'il sera, tout d'abord, indiqué qu'aux termes de l'article 6-1-5 des contrats litigieux, " Opel peut résilier ce contrat par notification au concessionnaire s'il est nécessaire de réorganiser la totalité ou une partie substantielle du réseau des concessionnaires Opel. La résiliation prendra effet à la date spécifiée dans la notification écrite; le préavis sera d'un an minimum à compter de la réception de la notification ; " que, par ailleurs, s'il n'appartient pas au juge judiciaire d'apprécier l'opportunité d'une décision de gestion ou de stratégie économique et commerciale prise par la société GMF comme par toute société privée, il se doit, en revanche, de rechercher la réalité objective de la réorganisation invoquée en l'espèce ainsi que de l'éventuel caractère substantiel de celle-ci; qu'il ressort à cet effet des pièces du dossier qu'à compter du 1er octobre 2003, la société GMF a pris la décision de cesser de distribuer les produits portant sa marque par l'intermédiaire de deux réseaux de concession exclusive afférents aux véhicules professionnels et utilitaires pour y substituer la mise en place de quatre réseaux de distribution sélective relatifs à la même double catégorie de véhicules ; que cette réorganisation d'ensemble fut induite par l'obligation faite aux constructeurs automobiles de se mettre en conformité, au plus tard au 1er octobre 2003, avec le nouveau règlement communautaire susmentionné n° 1400-2002, celui-ci instaurant une séparation entre les activités de vente et d'après-vente des véhicules neufs et celles de réparation et supprimant le modèle de contrat unique antérieur comportant à la fois une exclusivité de revente et une sélectivité des distributeurs et obligeant, de ce fait même, à une nécessaire modification du système de distribution précédent où les concessionnaires exerçaient leurs activités sur un territoire déterminé préalablement ; que la circonstance que la réorganisation litigieuse porte directement sur les accords mêmes de distribution qui régissent le réseau est sans influence sur l'appréciation du caractère substantiel de celle-ci, les motifs juridiques de mise en conformité avec le règlement communautaire étant, tout comme les motifs économiques, de nature à justifier la restructuration prononcée ; que, de la même façon, est inopérant le fait que le nombre des nouveaux distributeurs, soit identique à celui des anciens concessionnaires exclusifs dès lors qu'ainsi qu'il a été ci-dessus énoncé, la modification du mode de distribution et la suppression de la concession de territoires exclusifs sont, en elles-mêmes et indépendamment du nombre d'agents concernés, révélatrices du caractère substantiel de la novation intervenue ; que si la société C2A excipe, néanmoins, de la brochure explicative émise par la Direction Générale de la Concurrence de la Commission européenne quant aux nouvelles règles applicables à la distribution automobile et au service après-vente et indiquant que l'entrée en vigueur du règlement n° 1400-2002 ne justifiait pas l'usage d'un préavis d'une année en matière de résiliation des contrats alors en vigueur, il échet de souligner que ce document, qui n'a pas d'effet juridique contraignant, ne saurait ajouter à la réglementation existante ou en modifier le sens ou la portée;

Considérant que si l'appelante invoque aussi les articles 7.2 et 8.9 des contrats de concession qui permettraient, selon elle, de procéder à une adaptation de ceux-ci sans devoir procéder à leur résiliation, il sera observé que l'article 7.2 ne prévoyait une telle adaptation qu'en cas de nullité d'une clause desdits contrats et non pas lorsque l'objet même de ceux-ci avait été modifié du fait de l'existence de nouvelles règles régissant la distribution automobile; que s'agissant de l'article 8.9, lequel fait effectivement référence à la modification, au remplacement ainsi qu'à l'expiration du règlement communautaire n° 1475-1995, l'adaptation des engagements alors en vigueur n'est nullement une obligation liant la société GMP mais une simple faculté contractuelle laissée à la libre appréciation de cette dernière;

Considérant, enfin, que la société C2A ne démontre pas non plus que la société GMF aurait abusé de son droit de résiliation et commis un détournement de la procédure de réorganisation de son réseau alors mise en œuvre en étant mue par une prétendue volonté d'exclusion à son encontre dès lors qu'il est constant que de nouveaux contrats de distributeur et de réparateur agréé lui ont été proposés comme à tous les autres anciens concessionnaires et dans des termes identiques ; que, bien plus, loin de procéder à un quelconque blocage des approvisionnements de l'intéressée, ainsi que celle-ci le soutient également, la société GMF a poursuivi avec cette dernière ses relations commerciales postérieurement à l'expiration des contrats de concession au travers de la fourniture de véhicules neufs ou de pièces détachées ; qu'aucune discrimination ne saurait non plus être retenue à son encontre tirée du retrait de la zone future de responsabilité qui lui était proposée de trois cantons qui faisaient auparavant partie du territoire concédé; qu'en effet, outre l'absence de tout droit acquis au maintien de la même zone que celle antérieurement concédée, l'intervention du règlement communautaire 1400-2002 prohibe l'existence de territoire exclusif et la zone de responsabilité désormais accordée, laquelle n'est destinée qu'à évaluer le potentiel et les objectifs de vente fixés à l'agent, n'empêche nullement celui-ci de prospecter activement au-delà des limites territoriales de celle-ci et ce, même si l'étanchéité du réseau lui-même est préservée;

Considérant qu'au regard de l'ensemble des éléments de fait et de droit sus-énumérés, la société GMF doit être regardée comme justifiant tant de la régularité et du bien-fondé des conditions de mise en œuvre de l'article 6-15 précité que de l'absence de tout abus de droit dans la notification des résiliations litigieuses avec un préavis de seulement un an;

Considérant que la société C2A fait valoir, en second lieu, que l'intimée aurait tenté d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle elle se trouverait à son endroit pour tenter de lui imposer la signature de nouveaux contrats; que si elle se fonde expressément pour ce faire sur l'article L. 442-6-1 du Code de commerce qui prévoit qu' "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) b) d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées", il sera rappelé que l'état de dépendance économique invoqué caractérise une situation dans laquelle une entreprise est obligée de poursuivre des relations commerciales avec une autre lorsqu'il lui est impossible de s'approvisionner en produits substituables dans des conditions équivalentes; que si l'existence d'un tel état s'apprécie en tenant compte de la notoriété de la marque du fournisseur considéré, il convient également de tenir compte de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffe d'affaires du revendeur ; qu'en l'occurrence, la société C2A se borne pour démontrer sa situation de dépendance à l'égard de la société GMF à indiquer qu'elle distribuait uniquement la marque Opel et que les investissements effectués au cours des années 1997 et 1998 auraient rendu impossible une résiliation à court terme des contrats en cause eu égard au non-amortissement de ceux-ci; que, toutefois, il échet de souligner à ce propos que tout concessionnaire peut quitter le réseau d'un constructeur pour rejoindre celui d'un autre et qu'ainsi, sauf à méconnaître directement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, des solutions de reconversion existent nécessairement pour le concessionnaire évincé compte tenu de la pluralité-même des constructeurs ; qu'également si le taux de notoriété de la marque Opel est élevé, il en est de même pour celui des marques concurrentes et il n'est par ailleurs pas contesté que la part de la société GMF dans le marché français de l'automobile est faible et oscille selon les années entre 5,5 % et 7,5 %; qu'enfin, outre le fait que l'appelante ne justifie pas que les investissements, réalisés par ses soins en 1998 et dont elle excipe dans ses écritures, seraient spécifiques à la marque Opel et ne seraient pas amortis à ce jour, l'importance de ceux-ci n'est en aucune façon démonstrative d'un éventuel état de dépendance économique; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de rechercher les éventuels abus invoqués, l'article L. 442-6-I précité ne saurait être utilement invoqué par la société C2A, laquelle ne rapporte pas la preuve préalable de la condition de dépendance économique exigée par les dispositions invoquées;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'aucune faute de nature à engager sa responsabilité ne pouvant être retenue à l'encontre de la société GMF dans le prononcé des résiliations litigieuses, la société C2A ne peut, par confirmation du jugement déféré, qu'être déboutée de sa demande indemnitaire de ce chef sans qu'il y ait lieu ni de rechercher la réalité du préjudice invoqué ni de saisir, ainsi qu'il est subsidiairement sollicité par l'intimée, la Cour de justice des Communautés européennes des questions préjudicielles susvisées afférentes à l'interprétation et à l'application des règlements susmentionnés 1475-95 et 1400-2002;

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société C2A A payer à la société GMF la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'appel jugé régulier en la forme, Au fond, le rejetant. Confirme le jugement, Déboute la société C2A de l'ensemble de ses prétentions, La condamne aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Monin-d'Auriac de Brons, avoué, La condamne aussi à verser à la société GMF la somme de 2 000 euro au titre des frais hors dépens, Vu le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec accusé de réception - à la Commission européenne DG Concurrence 13-1049 Bruxelles Belgique, - au Conseil de la concurrence 11 rue de l'Echelle 75001 Paris, - et à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) - Bureau B1, Teledoc 031 59 boulevard Vincent-Auriol 75703 Paris Cedex 13.