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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 14 mai 2004, n° 2004-02201

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Brasserie Fischer (SA)

Défendeur :

Interbrew France (SAS), Interbrew (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

M. Marcus, Mme Magueur

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bernabe-Chardin-Cheviller

Avocats :

Mes Fourgoux, Triet

TGI Paris, 3e ch., du 16 déc. 2003

16 décembre 2003

LA COUR est saisie d'un appel formé par la société Brasserie Fischer SA à l'encontre d'un jugement réputé contradictoire rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 16 décembre 2003 qui a:

- donné acte à la société Interbrew SA de son intervention volontaire,

- prononcé la nullité de la marque n° 02 3171590 déposée par la société Brasserie Fischer le 28 juin 2002 pour défaut de distinctivité,

- débouté la société Brasserie Fischer de ses demandes au titre de la contrefaçon de marque et de la concurrence déloyale,

- débouté les sociétés Interbrew de leur demande au titre de la procédure abusive,

- dit que le jugement devenu définitif sera transmis à l'INPI pour inscription sur le registre des marques,

- condamné la société Brasserie Fischer à payer à la société Interbrew France la somme de 60 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Il convient de rappeler que la société Brasserie Fischer a pour activité la fabrication et la commercialisation de bières. Elle est titulaire d'une marque française tridimensionnelle en couleurs représentant une bouteille se caractérisant "par la combinaison de la forme et du revêtement donnant une impression de givre", marque déposée le 28 juin 2002 et enregistrée sous le n° 02 3171590 pour désigner les "bières". La société Brasserie Fischer exploite cette marque comme bouteille de sa bière Kriska. Ayant constaté que la société Interbrew France, filiale française de la société de droit beige Interbrew SA commercialisait en France depuis mars 2003 un produit dénommé Boomerang "boisson alcoolisée à base de malt et d'arômes naturels de citron" et avait déposé une marque tridimensionnelle auprès de l'INPI le 25 mars 2003, la société Brasserie Fischer assignait cette société en contrefaçon et concurrence déloyale.

Dans ses dernières écritures signifiées le 2 février 2004, la société Brasserie Fischer, appelante, demande à la cour de :

- dire et juger que les sociétés Interbrew France et Interbrew Belgique se sont rendues coupables de contrefaçon de marque au détriment de la société Brasserie Fischer,

en conséquence,

- ordonner la cessation par la société Interbrew France de la commercialisation de sa boisson Boomerang fabriquée par Interbrew Belgique, sous une forme identique à la bouteille en verre dépoli de la Brasserie Fischer, dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 1 000 euro par jour et par infraction constatée,

- condamner solidairement les sociétés Interbrew France et Interbrew Belgique au paiement de la somme de 150 000 euro en réparation du préjudice subi pour contrefaçon,

- dire et juger que la société Interbrew France s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Brasserie Fischer,

- condamner la société Interbrew France au paiement de la somme de 150 000 euro en réparation du préjudice subi pour concurrence déloyale et parasitaire,

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans 5 revues au choix de la requérante et aux frais des sociétés Interbrew France et Interbrew Belgique, dans la limite de 6 000 euro par insertion,

- condamner solidairement les sociétés Interbrew France et Interbrew Belgique au paiement de la somme de 40 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures signifiées le 16 mars 2004, la société Interbrew France et la société Interbrew SA, intimées, demandent à la cour de:

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la marque n° 3 171 590 déposée au nom de la société Brasserie Fischer le 28 juin 2002, ordonné l'inscription de la décision à intervenir au Registre National des Marques, débouté la société Brasserie Fischer de son action en contrefaçon de la marque n° 3 171 590 et débouté la société Brasserie Fischer de son action en concurrence déloyale,

- débouter la société Brasserie Fischer de son appel et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner l'appelante à payer à la société Interbrew France la somme de 150 000 euro pour procédure abusive,

- condamner l'appelante à payer à la société Interbrew France la somme de 150 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Ceci étant exposé

Sur la validité de la marque n° 02 3171590 de la Brasserie Fischer

Considérant que l'appelante soutient que l'appréciation de la validité d'une marque doit se faire de façon globale et non en séparant les éléments du dépôt afin de contester l'appréciation de la distinctivité de sa marque opérée par les premiers juges;

Considérant toutefois que le tribunal se devait pour statuer sur la validité de la marque tridimensionnelle d'analyser chacun de ses aspects et qu'il a également apprécié la marque telle que déposée dans son ensemble ; qu'il n'a donc fait qu'appliquer la jurisprudence selon laquelle l'appréciation de la validité d'une marque doit se faire de façon globale;

Considérant que la marque n° 02 3171590 litigieuse est une marque tridimensionnelle déposée en couleurs et constituée d'une bouteille caractérisée par la combinaison de sa forme et de son revêtement donnant une impression de givre ; que cette marque désigne des bières;

Considérant que c'est avec motifs justes et pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont estimé que compte-tenu de leur nature, les bières ne peuvent être offertes à la vente telles quelles mais dans des emballages solides lesquels sont le plus souvent des bouteilles ; qu'en conséquence, ce sont les caractéristiques de la bouteille déposée qui doivent conférer à la marque sa distinctivité;

Que la cour observe, comme les premiers juges, que la caractéristique de forme "long neck" est une forme couramment utilisée par les brasseurs depuis de nombreuses années notamment par la société Interbrew France qui commercialise ses propres bières Stella Artois & Loburg dans des bouteilles "long neck" depuis une dizaine d'années en utilisant son propre modèle de bouteille long neck "Eureka" déposé en 1990 ; que l'aspect givré est une caractéristique très utilisée pour le revêtement de bouteilles;

Considérant que l'appelante soutient que l'aspect givré ne fait référence qu'aux boissons qui se boivent glacées alors que les bières désignées dans son dépôt se boivent simplement fraîches;

Considérant toutefois que l'aspect givré évoque bien la fraîcheur ; que cet élément pour le revêtement d'une bouteille ne peut à lui seul faire l'objet d'une protection sauf à priver la concurrence d'un élément permettant de désigner une caractéristique de la boisson contenue (la fraîcheur) ;

Considérant que l'appelante soutient en outre que la fraîcheur serait communément illustrée dans les campagnes publicitaires par la présence de gouttelettes sur la bouteille et non pas du givre;

Mais considérant que le fait que la fraîcheur puisse être également représentée sous forme de gouttelettes ne saurait suffire à démontrer que l'aspect givré d'une bouteille ne serait pas également de nature à désigner la fraîcheur des bières;

Que si une combinaison d'éléments dépourvus chacun de caractère distinctif peut posséder ce caractère c'est à la condition que l'agencement de la combinaison représente davantage que la somme pure et simple des éléments qui la composent ; qu'en l'espèce, la simple combinaison pour une bouteille de bière d'une forme "long neck" familière depuis les années 1990 dans ce domaine de boissons et d'un aspect givré caractérisant la température idéale pour la consommation de la bière contenue et cela sans aucun autre élément décoratif est insuffisante pour permettre au consommateur de bières d'identifier l'origine commerciale de la bière contenue ; que la marque n° 02 317 1590 doit par conséquent être déclarée nulle en vertu des articles L. 711-2 et L. 714-3 du Code de la propriété industrielle pour défaut de caractère distinctif; que le jugement sera confirmé de ce chef;

Sur la contrefaçon

Considérant que la marque opposée par la société Brasserie Fischer ayant été annulée, le grief de contrefaçon n'est pas fondé ; que le jugement sera confirmé de ce chef;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société Brasserie Fischer reproche à la société Interbrew d'avoir à travers les conditions de la commercialisation de sa boisson Boomerang cherché à se placer dans son sillage afin de tirer profit de sa renommée dans le domaine des bières "tendance" (Kriska et Desperados);

Considérant que le conditionnement de la boisson Boomerang reprend les caractéristiques de la bouteille de la bière Kriska, à savoir une forme "long neck" et un aspect givré;

Considérant en effet que si la société Interbrew était dans l'obligation de changer la contenance de sa bouteille, la modification de conditionnement lui ayant été imposée par l'Administration, rien ne lui imposait de choisir le conditionnement en question; que ce choix a en réalité pour but de profiter de la notoriété et de la mode actuelle des bières de spécialité et notamment les bières de la Brasserie Fischer Adelscott, Desperados et Kriska qui ont connu un succès considérable;

Considérant en outre que la société Interbrew a préconisé aux distributeurs de positionner sa boisson Boomerang à côté des bières "tendance" (Kriska et Desperados) et a fait figurer sur sa publicité destinée à ces professionnels une photographie montrant des bouteilles de son produit entre les bières Kriska et Desperados;

Que de par ce positionnement et de par la modification de conditionnement, la société Interbrew France profite de la notoriété des bières de spécialité de la société Brasserie Fischer; que la concurrence déloyale par parasitisme de la société Interbrew est ainsi établie; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Brasserie Fischer au titre de la concurrence déloyale et parasitaire;

Sur le préjudice subi

Considérant que les actes de concurrence déloyale et parasitaire commis par la société Interbrew ont causé un préjudice commercial à la société Brasserie Fischer qui a procédé à des investissements publicitaires importants concernant ses bières de spécialité;

Considérant que ce préjudice peut être évalué à la somme de 60 000 euro;

Sur la procédure abusive

Considérant que la cour fait droit aux demandes de la société Brasserie Fischer au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; que son action n'apparaît donc pas abusive ; que la demande reconventionnelle des intimées sera par conséquent rejetée;

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Brasserie Fischer la somme de 10 000 euro au titre des frais exposés dans la présente procédure;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque 02 3171590 déposée par la société Brasserie Fischer le 28 juin 2002 pour défaut de distinctivité et débouté les société Interbrew de leur demande au titre de la procédure abusive Infirme en toutes ses autres dispositions le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 16 décembre 2003 ; Statuant à nouveau et y ajoutant - Dit que la société Interbrew France s'est rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Brasserie Fischer; - Condamne en conséquence la société Interbrew France à payer à la société Brasserie Fischer 60 000 euro en réparation du préjudice subi pour concurrence déloyale et parasitaire; - Dit que le présent arrêt devenu définitif sera transmis à l'Institut national de la propriété industrielle pour inscription sur le registre des marques, par le présent greffier préalablement requis par la partie la plus diligente; - Condamne in solidum les sociétés Interbrew France et Interbrew SA au paiement de la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile - Rejette toutes autres demandes; - Condamne in solidum les sociétés Interbrew France et Interbrew SA aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Fisselier-Chiloux Boulay conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.