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Décisions

CA Douai, 6e ch. corr., 27 octobre 2005, n° 05-00646

DOUAI

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marie

Conseillers :

MM. Lemaire, Deleneuville

Avocat :

Me Lefranc

TGI Arras, ch. corr., du 16 nov. 2004

16 novembre 2004

Rappel de la procédure

Par jugement du 16 novembre 2004, X Jean-Maurice a été relaxé par le Tribunal correctionnel d'Arras devant lequel il était poursuivi pour avoir à Arras, courant 1997 et 1998, pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles caractérisées par le fait d'avoir:

- restreint ou faussé le jeu de la concurrence sur un marché en l'espèce lors de l'attribution d'un contrat d'œuvre le 24 novembre 1997 à l'architecte Y;

- restreint ou faussé le jeu de la concurrence sur un marché en l'espèce en limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence lors de l'attribution d'un marché de construction à la SA Z;

Infraction prévue et réprimée par les articles 7, 8 et 17 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 devenus les articles 432-14 et 432-37 du Code pénal.

Le Procureur général a interjeté appel de cette décision le 29 décembre 2004.

Le Ministère public a formé appel incident le même jour.

A l'audience de la cour, le prévenu assisté de son conseil, a demandé la confirmation du jugement attaqué.

Le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Pas-de-Calais a déposé des conclusions écrites, en vertu de l'article L. 470-5 du Code de commerce, par lesquelles il sollicite la réformation du jugement déféré.

Le Ministère public a déposé des conclusions écrites tendant à faire juger par la cour que les articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-6 du Code de commerce doivent être substitués aux articles 432-14 et 432-37 du Code pénal visés par erreur à la prévention.

Rappel des faits

La SA HLM W, au capital de 250 000 F, créée en 1957 à Arras, est une société anonyme de droit privé soumise au droit des sociétés et aux spécificités d'une société HLM. Elle est une émanation du Crédit Agricole du Pas-de-Calais.

X Jean-Maurice a été directeur puis directeur général au cours de la période visée à la prévention.

Elle a pour vocation de construire des logements sociaux et doit respecter certaines contraintes réglementaires relatives au plafond des loyers et aux revenus des locataires.

Au terme de l'article L. 433-1 du Code de la construction et de l'habitation, ses contrats sont soumis aux principes de publicité, de mise en concurrence et d'exécution, prévus par le Code des marchés publics dans les conditions fixées par le décret n° 93-746 du 27 mars 1993, applicable à compter du 1er septembre 1993, dont l'article 3, inséré sous le numéro R. 433-7 dudit Code de la construction et de l'habitation, dispose:

"Toute personne physique ou morale peut se porter candidate aux contrats entrant dans le champ d'application défini à l'article R. 433-5. Les candidats bénéficient d'une égalité de traitement dans l'examen de leurs candidatures ou de leurs offres. Toutefois les dispositions législatives et réglementaires excluant des marchés publics certaines personnes physiques ou morales sont applicables aux contrats visés par le présent chapitre ".

Il est acquis en jurisprudence qu'un appel d'offres et les réponses des candidats constituent un marché au sens des dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, devenu L. 420-1 du Code de commerce.

Le 17 septembre 1999 le directeur de la région Nord Pas-de-Calais, chef de la brigade interrégionale chargée des enquêtes de concurrence dénonçait au Procureur de la République d'Arras, sur le fondement de l'article 40 du Code de procédure pénale, des irrégularités commises lors de l'attribution d'un marché de construction de logements locatifs à Saint-Laurent-Blangy, en décembre 1997.

Une information pour pratiques anticoncurrentielles était ouverte le 24 septembre 1999 et le juge d'instruction saisi délivrait une commission rogatoire conjointement à la Direction de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes et au SRPJ de Lille, dont il résultait les faits ci-après.

Par acte des 22 et 23 décembre 1992, la Commune de Saint-Laurent-Blangy est devenue propriétaire d'une maison de convalescence, d'un terrain et de dépendances appartenant auparavant à l'Union Régionale des Sociétés de Secours Minières du Nord. Par délibération du 7 juillet 1993, le conseil municipal a décidé de céder à la SA W une superficie de 6 000 m2 de terrain supportant notamment deux anciens logements de fonction pour une somme de 1 700 000 F. Le même jour, le conseil d'administration de la SA W a décidé d'y construire des logements locatifs sur une superficie 2 665 m2, après revente des logements de fonction.

X Jean-Maurice et son adjoint K Henri ont, dès le début de l'année 1994, sans mise en concurrence, confié à l'architecte Y le soin de procéder à une étude de faisabilité pour la construction de 30 logements, selon les prescriptions de programme dit "Rex", susceptibles de procurer des financements avantageux.

Le projet a été rapidement abandonné du fait de la complexité du programme Rex, et plus particulièrement en raison de l'absence d'innovations techniques susceptibles d'être prises en compte.

Il a été retravaillé à partir de 1995 en interne par K Henri dans l'objectif de construire 32 logements à l'aide de prêts locatifs aidés du Crédit Foncier. Il a, en septembre et octobre 1997, fixé à 10 251 000 F l'estimation du coût de la construction pour l'opération et a établi le prix plafond du marché, qu'il a communiqué à l'architecte Y au stade de l'Avant-Projet Détaillé (APD).

Ce dernier a été seul consulté et, après exécution des études techniques et la préparation du dossier de demande de permis de construire, déposée le 18 novembre 1997 à la Mairie de Saint-Laurent-Blangy, un contrat pour la maîtrise d'œuvre a été signé avec l'intéressé le 24 novembre 1997, alors que la SA d'HLM avait l'obligation de procéder à une consultation écrite d'au moins trois architectes dès lors que le marché était supérieur à 700 000 F.

Les formalités de publicité du marché ont été effectuées le 28 novembre 1997 à la Chronique des travaux publics et particuliers, et le 3 décembre 1997 au BOAMP. La date limite de dépôt des offres, fixée initialement au 15 décembre 1997, a été reportée au 18 décembre pour une ouverture des plis prévue le 19 décembre 1997.

Dès le 20 novembre 1997, K Henri avait envoyé une télécopie à la société Z l'informant des ratios par corps de métiers, tels qu'ils ressortaient de l'exécution du marché de construction lancé en lots séparés rue Laurent Gers à Saint-Laurent-Blangy, et dans lequel la société Z était intervenue en tant que titulaire du seul lot gros œuvre, soit avant les publicités d'appel d'offres, intervenues les 28 novembre et 3 décembre 1997.

Seules quatre réponses ont été reçues. Alors que le marché avait été estimé par K Henri à 10 251 000 F, la SA Z a chiffré son offre à 10 250 996 F, augmentée de 72 363,96 F pour intégrer un surcoût né de contraintes techniques connues en dernière minute.

Celles des concurrents étaient supérieures : W1: 10 793 700 F, W2 : 10 797 318 F, W3 : 10 967 766,27 F.

Le supplément de prix de 72 363,96 F a été calculé par l'entreprise Z entre la date limite du dépôt du premier acte d'engagement de l'entreprise Z, soit le 18 décembre 1997, et le 23 décembre 1997, date du rapport d'analyse des offres de l'architecte, élevant le montant de la soumission de prix de la société Z à 10 323 360 F TTC.

Le dossier de financement a été déposé à la direction départementale de l'équipement le 23 décembre 1997 ; il a été refusé en janvier 1998, en raison du dépassement du plafond locatif.

La SA d'HLM a alors décidé de modifier le projet et de passer du locatif à l'accession à la propriété. A la demande de l'architecte Y, la société Z a chiffré les modifications entraînées par le changement du projet à 276 176 F HT.

Le 12 mars 1998, d'autres modifications ont été étudiées avec la société Z.

Au total, la rectification de prix de 72 363,96 F apportée à l'acte d'engagement en décembre 1997, les travaux supplémentaires et les demandes d'aménagements des propriétaires ont élevé le montant global de l'opération de 838 273,83 F HT, soit 855 54227 F TTC, soit un coût supplémentaire de 8,34 % par rapport à l'offre de prix initiale de la SA Z de 10 250 996 F TTC.

Les modifications ont entraîné l'obligation pour la SA d'HLM W, de demander un nouveau permis de construire, lequel, après annulation du précédent le 1er septembre 1998, a été accordé le 6 octobre 1998.

Il n'a été procédé à aucun nouvel appel d'offres, alors que l'annulation du permis de construire initial rendait caduque l'opération commencée par la publicité du 28 novembre 1997.

Un ordre de service était adressé à la société Z dès le 3 août 1998. Le prix définitif des travaux sera de 11 334 317 F. Les travaux seront achevés le 30 novembre 1999. Les lots seront cédés un prix global de vente de 19 000 000 F TTC.

Sur ce

Sur l'action publique

Attendu que le délit d'entente visé à la prévention est prévu et réprimé par les articles L. 420-1 et L. 420-6 du Code de commerce issus des articles 7 et 17 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, et non les articles 432-14 et 432-37, ce dernier d'ailleurs inexistant, du Code pénal, qu'il convient de la rectifier en ce sens. X Jean-Maurice et son conseil ayant eu la possibilité de s'exprimer sur ce point au cours des débats ;

Attendu que le prévenu est irrecevable à soutenir avoir ignoré sur quel fondement il était poursuivi, faute d'avoir soulevé le moyen avant toute défense au fond devant les premiers juges.

Attendu que la violation alléguée des droits de la défense pour mise en examen tardive, doit être écartée pour le même motif,

Attendu que, contrairement à ce qu'il affirme, les faits ne sont pas touchés par la prescription de l'action publique dès lors que le premier acte interruptif est intervenu le 24 septembre 1999 par l'ouverture d'une information visant expressément des pratiques anticoncurrentielles,

Attendu qu'il est constant que le marché a été confié le 24 novembre 1997 à l'architecte Y en méconnaissance de l'obligation de consultation préalable d'au moins trois cabinets concurrents,

Attendu que la liberté laissée en définitive au maître de l'ouvrage de sélectionner le professionnel de son choix est indifférente dès lors que l'obligation de procéder à une consultation a pour but de dégager des éléments de comparaison de nature à éclairer sa décision,

Attendu que l'infraction est caractérisée.

Attendu qu'il est acquis aux débats que la société Z a bénéficié d'informations et d'avantages dans tout le processus de construction des 32 logements en cause,

Attendu que la télécopie qu'elle a reçue le 20 novembre 1997 lui a donné un délai supplémentaire et des informations précieuses pour préparer un devis détaillé par corps de métier, alors qu'elle n'était qu'une entreprise de gros œuvre,

Attendu qu'elle a été admise à présenter un devis complémentaire de 72 363,96 F entre la date d'ouverture des plis, le 19 décembre 1997, et le 23 décembre 1997, date du rapport d'analyse des offres de l'architecte,

Attendu que le changement de stratégie opéré à la suite de l'échec du projet de construction de logements locatifs a été profitable à la société Z, laissée sans concurrence pour chiffrer les suppléments de coûts engendrés par la décision de construire des logements en accession à la propriété,

Attendu que le refus de reprendre l'opération à son début, à la suite de l'annulation du permis de construire le 1er septembre 1998, a tout autant bénéficié à cette entreprise, destinataire d'un ordre de service depuis le 3 août 1998,

Attendu que l'infraction est caractérisée,

Attendu que la culpabilité de X Jean-Maurice, directeur général associé aux prises de décisions incriminées et signataire des documents qui les matérialisaient, doit être reconnue,

Attendu qu'une amende de 5 000 euro viendra justement sanctionner ces faits.

Attendu que le jugement entrepris sera réformé en ce sens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de X Jean-Maurice Infirme le jugement entrepris, Déclare X Jean-Maurice coupable d'avoir à Arras, courant 1997 et 1998, pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles caractérisées par le fait d'avoir : - restreint ou faussé le jeu de la concurrence sur un marché, en l'espèce lors de l'attribution d'un contrat d'œuvre le 24 novembre 1997 à l'architecte Y; - restreint ou faussé le jeu de la concurrence sur un marché, en l'espèce eu limitant l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence lors de l'attribution d'un marché de construction à la SA Z; infraction prévue et réprimée par les articles 7 et 17 de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 devenus les articles L. 420-1 et L. 420-6 du Code de commerce, Le condamne au paiement d une amende de 5 000 euro. Vu les articles 707-2, 707-3, R. 55, R. 55-1, R. 55-2, R. 55-3 du Code de procédure pénale, rappelle au condamné que, s'il s'acquitte du montant de l'amende dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle la décision a été prononcée, ce montant sera diminué de 20 % sans que cette diminution ne puisse excéder 1 500 euro, et que le paiement de l'amende ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours, Dit que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 120 euro dont est redevable le condamné.