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Décisions

Conseil Conc., 6 juin 2006, n° 06-D-13

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre dans le cadre d'un marché public de travaux pour la reconstruction du stade Armand Cesari à Furiani

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré, sur le rapport oral de Mme Combaldieu, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Béhar-Touchais, ainsi que MM. Flichy, Combe, Ripotot, Piot membres.

Conseil Conc. n° 06-D-13

6 juin 2006

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 27 août 2003, sous le numéro 03/0056 F, par laquelle le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, agissant pour le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de l'attribution du marché public de travaux pour la reconstruction de la tribune Ouest du stade Armand Cesari à Furiani ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par les entreprises SNC Vendasi, Trojani BTP, Les Frères Piacentini et Codelfa Preffabricata SPA, ainsi que par le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés SNC Vendasi, Trojani et Codelfa Preffabricata SPA entendus lors de la séance du 26 avril 2006 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. A la suite de l'effondrement d'une partie de la tribune Nord du stade de Furiani (Haute-Corse), le 5 mai 1992, au cours de la demi-finale de la coupe de France opposant les clubs de Bastia et de Marseille, le district de Bastia a lancé, à partir de 1994, une opération de reconstruction complète du stade. Les tribunes Est, Nord et Ouest ont été successivement reconstruites de 1994 à 2001, les travaux faisant l'objet au total d'environ une trentaine de marchés de travaux passés par le district de Bastia, pour un montant total d'environ 100 millions de francs.

2. Le 27 août 2003, le Conseil de la concurrence a été saisi par le ministre de l'Economie et des Finances de pratiques ayant empêché le libre jeu de la concurrence à l'occasion de l'appel d'offres lancé par le district de Bastia en mars 2000, pour la reconstruction de la tribune Ouest du stade.

A. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

La société Vendasi

3. La société Vendasi est une SNC au capital de 152 449 euro dont le siège est situé à Bastia. Gérée par M. François X, elle a réalisé en 2000 un chiffre d'affaires de 103 748 245 F soit 15 816 318 euro. M. François X était maire de Furiani, vice-président du conseil général de la Haute Corse au moment des faits. Il exerce les fonctions de sénateur de la Haute-Corse depuis le 19 juin 2005.

La société Trojani BTP

4. La société Trojani BTP est une SARL au capital de 19 391 euro dont le siège est situé à Sorbo Ocagnano (20). Son responsable est M. Jean Thomas Y et elle a réalisé, en 2000, un chiffre d'affaires de 24 988 740 F, soit 3 809 509 euro.

La société Les Frères Piacentini

5. La société Les Frères Piacentini est une SARL au capital de 151 800 euro ayant son siège à Furiani (20). Le responsable de cette société est M. Xavier Z. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 21 655 029 F, soit 3 301 288 euro en 2001 et de 3 236 378 euro en 2002.

Codelfa Preffabricata SPA - Tortona Italie

6. Il s'agit d'une société anonyme de droit italien ayant son siège à Turin. Elle détient une agence à Nice (455, promenade des Anglais - 06200 Nice).

B. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

1. LE COMPORTEMENT DES SOUMISSIONNAIRES À L'APPEL D'OFFRES DU 20 MARS 2000

7. Le 20 mars 2000, le district de Bastia a lancé un appel d'offres ouvert en corps d'état séparé, composé de cinq lots : fondations spéciales (lot n° 1) ; gros œuvre (lot n° 2) ; plomberie (lot n°3 ) ; électricité (lot n° 4) ; serrurerie (lot n° 5). Le budget prévisionnel de cette dernière phase était évalué à 14,7 MF, dont 4,45 MF devait être financé par l'Etat, 3,53 MF par la collectivité territoriale de Corse et 3,53 MF par le département de Haute-Corse, le solde, soit 3,19 MF, étant à la charge du district de Bastia. La date limite des offres était fixée au 25 avril 2000 et le délai d'exécution des travaux ne devait pas dépasser 6 mois.

8. Les pratiques dénoncées dans la saisine sont relatives aux conditions d'attribution du lot n° 2 (gros œuvre, maçonnerie, divers VRD) de la tribune Ouest, dont le maître d'œuvre avait, dans un premier temps, estimé le montant à 7 829 000 F HT.

9. L'article 3 du règlement de l'appel d'offres prévoyait que l'offre de base devait être obligatoirement chiffrée et constituée d'un projet de marché comprenant :

• un acte d'engagement conforme à un modèle joint dûment complété ;

• le CCAP (cahier des clauses administratives particulières) pour lequel il était précisé qu'aucune modification ne serait acceptée ;

• le CCTP (cahier des clauses techniques particulières) pour lequel il était également précisé qu'aucune modification ne serait acceptée : le CCTP fixe les dispositions techniques nécessaires à l'exécution des prestations de chaque marché et précise notamment les postes qui doivent être développés dans le devis ;

• une notice explicitant clairement les dispositions générales que le concurrent se propose d'adopter pour l'exécution des travaux, en particulier les modalités et la durée d'exécution ;

• un descriptif des variantes, précisant les prix et les délais ;

• un devis quantitatif estimatif (DQE) comprenant les 61 postes développés dans le CCTP : les quantités n'étaient pas précisées par le maître d'œuvre et les entreprises devaient elles-mêmes calculer les quantités et les prix unitaires.

10. Le 25 avril 2000, la commission d'appel d'offres du district a procédé à l'ouverture des offres de trois sociétés : la SNC Vendasi, l'entreprise Trojani et l'entreprise des Frères Piacentini. Les montants des trois offres étaient supérieurs de 30 à 40 % à l'estimation du maître d'œuvre. L'offre de la société Vendasi était d'un montant de 10 631 021 F HT. Elle n'était composée que d'un devis très simplifié regroupant les quantités et les prix en 13 rubriques au lieu des 61 prévues par le DQE et le CCTP. En particulier, les trois principaux postes, " poutres-crémaillères ", " gradins " et " panneaux garde-corps " n'étaient pas détaillés. Les offres des sociétés Trojani, d'un montant de 11 213 755 FHT et des Frères Piacentini, d'un montant de 10 914 060 F HT étaient plus détaillées mais ne respectaient pas non plus le cadre de décomposition prévu par le maître d'ouvrage. Le détail des trois principaux postes, " poutres-crémaillères ", " gradins " et " panneaux garde-corps " manquait également.

11. Le maître d'œuvre a donc estimé qu'il lui était impossible de procéder à l'analyse des offres, comme le montrent les commentaires figurant au procès-verbal auquel a donné lieu l'examen des offres.

<emplacement tableau>

12. Le maître d'œuvre en a conclu que " compte tenu du dépassement constaté et de la présentation sommaire des offres, la maîtrise d'œuvre est dans l'impossibilité de proposer au maître d'ouvrage les mises au point nécessaires permettant la passation des marchés ou la relance de la consultation dans le respect de l'enveloppe financière et du programme quantitatif et qualitatif retenu par le maître d'ouvrage " et l'appel d'offres a été déclaré infructueux.

13. Un article paru dans le quotidien Corse Matin précise les enjeux liés à cet échec : " Aménagement de la tribune Ouest du stade de Furiani, l'appel d'offres déclaré infructueux. Du même coup, la menace d'une rétrogradation administrative en D2 pèse une nouvelle fois sur le SCB. Si, sportivement, le SCB est toujours en D1, son avenir est néanmoins soumis une fois de plus à de sérieuses réserves sur le terrain administratif. En expliquant le pourquoi d'un appel d'offres déclaré infructueux, Laurent A..., le président du district de Bastia a d'ailleurs été le premier à reconnaître que ces retards dans l'attribution du marché de la tribune Ouest pourraient entraîner des problèmes pour le club dans la perspective de la saison prochaine. Prévus pour démarrer au lendemain du terme de l'exercice qui vient de s'achever, ces travaux seront d'ores et déjà envoyés à plus tard. Dans le meilleur des cas, seraient ouverts courant juillet. Ce qui risque fort bien évidemment de ne pas être du goût de la ligue nationale de football qui avait consenti de prolonger la dérogation dont bénéficie le club bastiais pour ce qui concerne ses installations, jusqu'au 1er août. Lors d'une rencontre à Paris en mars dernier, le directeur de la LNF, Jacques B... avait été catégorique : 'la Ligue n'acceptera plus à l'avenir qu'un club puisse évoluer dans un stade qui ne serait plus aux normes' ... "

14. Le président du district de Bastia a confirmé avoir été soumis, en ce qui concerne cette dernière tranche des travaux, aux " sollicitations de la population sportive districale et des obligations réglementaires du pouvoir sportif ".

2. LE COMPORTEMENT DES SOUMISSIONNAIRES AU MARCHÉ NÉGOCIÉ DU 15 MAI 2000

15. A la suite de cet échec, l'estimation du coût des travaux a été portée à 8 142 160 F HT et le district de Bastia a contacté quinze entreprises du secteur, dont cinq entreprises italiennes, dans la perspective d'une procédure de marché négocié.

16. Seules quatre entreprises ont déposé une offre dans le cadre de cette nouvelle procédure :

• Codelfa SPA, pour un montant de 11 120 027 F HT,

• Vendasi SNC, pour un montant de 10 301 021 F HT,

• Piacentini Frères, pour un montant de 10 822 828 F HT,

• Bertele, dont l'offre n'a pas été examinée, cette entreprise ne fabriquant que des sièges.

17. Les trois offres étaient à nouveau d'un montant supérieur à l'estimation du maître d'œuvre et n'étaient pas accompagnées des documents exigés par le district de Bastia. Par courriers du 18 octobre 2000, le district de Bastia a demandé aux trois entreprises soumissionnaires de lui communiquer les DQE manquants. Seule la société Vendasi a accédé à cette demande.

18. Compte tenu de l'écart entre l'estimation du maître d'œuvre et l'offre de la SNC Vendasi, l'arbitrage d'un expert en bâtiment et travaux publics près de la Cour d'appel de Bastia a été sollicité. Cet expert a donné deux nouvelles estimations : l'une, de 8 645 617 francs, correspondant à des conditions normales d'exécution du marché et l'autre, de 9 636 651 francs correspondant à des conditions d'exécution particulièrement difficiles (délais courts, haute saison, réduction de la main d'œuvre ...).

19. A la suite des discussions menées avec la société Vendasi, celle-ci a abaissé son offre à 9 989 021,50 F HT, soit 10 788 143,22 F TTC. La commission d'appel d'offres lui a attribué le marché, pour ce montant, le 26 décembre 2000.

3. LES DOCUMENTS DÉCOUVERTS DANS LE DOSSIER D'APPELS D'OFFRES REMIS AUX ENQUÊTEURS PAR LA SOCIÉTÉ VENDASI

20. Une copie de la page 3 de l'acte d'engagement, rempli par la société Trojani en réponse à l'appel d'offres lancé par le district de Bastia le 20 mars 2000, a été trouvée dans le dossier d'appel d'offres que la société Vendasi a remis aux enquêteurs. Il a été constaté que si l'écriture manuscrite de ce document et le montant de l'offre proposée étaient les mêmes que ceux figurant sur le document original conservé par le district de Bastia, cet original portait sur chaque page le paraphe " JTT ", qui sont les initiales de Jean Thomas Y..., alors que ce paraphe ne figurait pas sur le document remis par la SNC Vendasi.

21. Sur ce document figuraient notamment les mentions suivantes :

" En son article 1 : Contractant

" Je soussigné Y... J T agissant au nom et pour le compte de la société SARL Trojani BTP (...)

En son article 2 : Prix

Prix hors TVA : 11 213 755

TVA au taux de 8 % soit : 897 100,40

Montant TVA incluse : 12 110 855,40

22. M. C... de la société Vendasi a indiqué aux enquêteurs le 22 octobre 2002 : " ... concernant la présence d'une page de l'acte d'engagement de l'entreprise Trojani paragraphe 'contractant' et 'prix', je ne peux expliquer la présence de ce document dans le dossier ".

23. Un devis détaillé correspondant à l'offre déposée par la société Vendasi en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000, conforme aux spécifications du CCTP et du DQE, daté du 21 avril 2000, a également été trouvé dans le dossier d'appel d'offres remis aux enquêteurs par la société Vendasi.

4. LES SIMILITUDES RELEVÉES ENTRE LES DIFFÉRENTES OFFRES DÉPOSÉES

24. Toutes les offres déposées en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000 présentent une différence d'environ 30 % à 40 % avec l'estimation du maître d'œuvre, essentiellement imputable aux propositions de prix faites sur les trois sous-ensembles " poutres-crémaillères ", " gradins ", " panneaux garde-corps ". La différence entre les offres remises dans le cadre de la procédure de marché négocié et l'estimation réévaluée du maître d'œuvre est encore de 20 %.

25. Par ailleurs, plusieurs similitudes ont été relevées entre les réponses de la société Vendasi aux deux appels d'offres et certaines offres des autres sociétés soumissionnaires figurant au dossier du district de Bastia.

a) Les similitudes de présentation entre les offres de la société Vendasi et celle de la société Trojani BTP remise en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000

26. Le devis remis par l'entreprise Trojani reprend en les résumant les postes du devis de l'entreprise Vendasi, établi le 21 mars 2000.

<emplacement tableau>

27. En particulier, le nombre de m2 du décapage est identique (2 920 m2) alors que ce chiffre n'a pas été fourni par le maître d'œuvre.

28. Par ailleurs, à l'instar du devis de la SNC Vendasi, le devis de l'entreprise Trojani indique " fait à Bastia le 25 avril 2000 " alors que l'entreprise Trojani est localisée à Querciolo et que dans tous les autres actes fournis par cette entreprise, il est toujours indiqué " fait à Querciolo ".

29. L'entreprise Trojani indique : " ... Je ne possédais pas également les qualifications nécessaires à ce marché pour les exigences du bureau d'études techniques ". Le maître d'ouvrage a confirmé dans ses déclarations que " concernant les entreprises soumissionnaires, je pense que les entreprises Piacentini et Trojani n'avaient peut-être pas les structures nécessaires pour répondre de façon pertinente à ce marché ".

b) Les similitudes de présentation entre les offres de la société Vendasi et celle remise par l'entreprise Les frères Piacentini dans le cadre de la procédure de marché négocié

30. Le cadre de décomposition de l'offre remise par la société Les Frères Piacentini, dans le cadre de la procédure de marché négocié lancée le 15 mai 2000, est similaire à celui fourni à cette occasion par la société Vendasi, notamment en ce qui concerne la désignation des travaux et les quantités.

<emplacement tableau>

31. Le cadre de décomposition de l'offre des Frères Piacentini présente également de fortes similitudes avec le cadre de l'offre présentée par la société Trojani lors de l'appel d'offres cette société n'ayant pas participé au marché négocié (cf. notification des griefs, tableau cote 649 et 650).

32. M. Z... indique : " J'ai effectivement soumissionné au marché de reconstruction du stade de Furiani, bien que ces travaux soient trop importants pour mon entreprise déjà engagée sur d'autres marchés. (...) J'ai soumissionné au marché du stade plus par curiosité que pour l'obtenir. (...) D'ailleurs, sur ce marché, je ne me souviens plus d'avoir fait une deuxième proposition de prix comme vous venez de me le rappeler ". Pourtant, la société Les Frères Piacentini a bien remis une offre dans le cadre de la procédure de marché négocié du 15 mai 2000 et le cadre de décomposition annexé à cette deuxième offre, pour lequel il est relevé des similitudes avec celui de la société Vendasi et avec celui établi par la société Trojani lors de l'appel d'offres du 20 mars 2000, est très différent de celui qu'avait remis l'entreprise Les Frères Piacentini dans sa première offre en réponse à cet appel d'offres.

c) Les similitudes entre les devis de la société Vendasi et celui de la société Codelfa Preffabricata SPA

33. L'offre remise par la société Codelfa dans le cadre de la procédure de marché négocié lancée le 15 mai 2000 comporte un DQE largement similaire à ceux que l'entreprise Vendasi a remis dans ses réponses à l'appel d'offres du 20 mars 2000 et dans le cadre de la procédure de marché négocié qui a suivi. La présentation du tableau, des colonnes, des intitulés des colonnes, des zones grisées du document est identique. L'ordre de présentation et la désignation des différents travaux sont très proches.

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C. LES GRIEFS NOTIFIÉS

34. Au vu des constatations qui précèdent, les griefs ci-après ont été notifiés

• aux sociétés Vendasi, Codelfa, Trojani et Frères Piacentini d'avoir mis en œuvre, préalablement à la remise de leurs offres, une concertation ayant abouti à un échange d'informations sur les prix. Ces pratiques ont eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu normal de la concurrence et sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

• aux sociétés Vendasi, Codelfa SPA, Frères Piacentini et Trojani de s'être concertées pour que la société Vendasi soit la moins-disante et puisse remporter le marché de reconstruction de la tribune ouest du stade Armand Cesari de Furiani (lot n° 2), les autres déposant des offres de couverture à son profit. Ces pratiques ont eu pour objet et pu avoir pour effet de fausser le jeu normal de la concurrence et sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

II. Discussion

A. SUR LA RÉGULARITÉ DES PROCÈS-VERBAUX

35. Selon les sociétés Trojani, et Frères Piacentini, l'enquête n'a pas été menée conformément au principe de loyauté dans la recherche des preuves, les procès-verbaux n'étant pas conformes à l'article 429 du Code de procédure pénale qui prévoit que tout procès-verbal d'audition doit comporter les questions auxquelles il est répondu.

36. Le procès-verbal dressé en application des articles L. 450-2 et L. 450-3 du Code de commerce n'est pas un procès-verbal d'interrogatoire ou d'audition au sens de l'article 429 du Code de procédure pénale, mais d'enquête établi conformément aux dispositions spécifiques applicables à la procédure devant le Conseil. Selon une jurisprudence constante la transcription des questions posées dans les procès-verbaux est facultative (Cour d'appel de Paris, 16 décembre 1994, Sté Kangourou Déménagements ; 23 mai 2000 EDF/Climespace ; 25 novembre 2003, SAS Prefall ; Conseil de la concurrence, n° 01-D-41 du 21 juillet 2001, n° 05-D-66 du 5 décembre 2005)

B. SUR LE FOND

37. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce :

" Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à :

1. limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2. faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3. limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4. répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement. "

38. Chaque marché public passé selon la procédure d'appel d'offres constitue un marché pertinent, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de l'appel d'offres, d'une demande du maître d'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel d'offres.

39. A de multiples reprises le Conseil de la concurrence a rappelé, en matière de marchés publics sur appels d'offres, qu'il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être (voir notamment les décisions n° 03-D-10 du 20 février 2003 relative à des pratiques constatées lors d'un appel d'offres lancé par le port autonome de Marseille et n° 03-D-19 du 15 avril 2003 relative à des pratiques relevées sur le marché des granulats dans le département de l'Ardèche). Ces pratiques peuvent avoir pour objet de fixer les niveaux de prix auxquels seront faites les soumissions, aboutissant à désigner à l'avance le futur titulaire du marché, en le faisant apparaître comme le moins-disant. Mais de simples échanges d'informations portant sur l'existence de compétiteurs, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent également le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres. Alors que les maîtres d'ouvrage organisent un appel d'offres afin d'obtenir par le jeu de la concurrence la meilleure offre conformément aux prescriptions du Code des marchés publics lorsqu'il s'agit d'acheteurs publics, ces pratiques ont pour effet d'élever artificiellement les prix des prestations concernées.

40. La preuve de l'existence de telles pratiques, qui sont de nature à limiter l'indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence, peut résulter en particulier d'un faisceau d'indices constitués par le rapprochement de diverses pièces recueillies au cours de l'instruction, même si chacune des pièces prise isolément n'a pas un caractère suffisamment probant (voir notamment les décisions n° 01-D-17 du 25 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d'électrification de la région du Havre et n° 01-D-20 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées concernant plusieurs marchés de travaux de peinture et d'étanchéité dans le département de l'Indre-et-Loire).

41. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants (Cour d'appel de Paris, 18 décembre 2001, SA Bajus Transport ; Cour de cassation, 12 janvier 1993, société Sogea). La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut de date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques, et notamment avec le résultat des appels d'offres (Cour d'appel de Paris, 2 avril 1996, société Pro Gec SA).

42. En l'espèce, plusieurs éléments prouvent l'existence d'une concertation entre les entreprises ayant déposé des offres, afin de créer l'illusion d'une concurrence, alors que l'entreprise Vendasi était désignée à l'avance comme la future attributaire du marché :

• En ce qui concerne l'appel d'offres du 20 mars 2000 : la copie de la page 3 de l'acte d'engagement de la société Trojani, sur laquelle figure le prix proposé par cette société lors de la procédure d'appel d'offres du 20 mars 2000, a été retrouvée dans le dossier de la société Vendasi et l'offre déposée, dans cette première procédure, par la société Trojani présente des similitudes avec celle déposée par la société Vendasi. Les différentes offres sont supérieures de 30 à 40 % à l'estimation du maître d'ouvrage. Aucune des offres ne respecte le règlement de l'appel d'offres. Les sociétés Trojani et Les Frères Piacentini n'avaient pas la capacité d'effectuer les travaux demandés.

• En ce qui concerne la procédure de marché négocié : les offres déposées par les sociétés Les Frères Piacentini et Codelfa présentent des similitudes par rapport à celle de la société Vendasi. Les différentes offres sont supérieures de 20 % à l'estimation réévaluée du maître d'ouvrage et aucune d'entre elles ne respecte le règlement de l'appel d'offres. La société Les Frères Piacentini n'avait pas la capacité d'effectuer les travaux demandés.

Sur le document trouvé dans le dossier de la société Vendasi

43. La société Vendasi fait valoir comme preuve de sa bonne foi qu'elle a elle-même remis la pièce litigieuse à l'enquêteur. Elle soutient que ce document ne lui a pas été communiqué par la société Trojani et que sa présence dans son dossier proviendrait d'une transmission par le district, postérieure à l'ouverture des offres, l'absence du paraphe " JTT " sur cet exemplaire étant dû à un cadrage maladroit de la photocopie. En séance, le conseil de la société Vendasi a déclaré que la société Vendasi ne s'expliquait pas la présence de ce document dans son dossier, et suggéré que cette pièce pourrait avoir été glissée dans le dossier par un tiers. D'une manière plus générale, la société Vendasi soutient que l'intention de s'entendre ne peut être déduite uniquement de cette pièce et que l'existence d'un accord de volonté doit être démontrée.

44. Toutefois, si le document remis par la société Vendasi était la photocopie de la page 3 de l'acte d'engagement figurant au dossier du district de Furiani, sur laquelle figure le paraphe " JTT ", ce paraphe devrait apparaître au bas du document photocopié, compte tenu du cadrage de celui-ci tel qu'il est. L'absence du paraphe " JTT " indique donc qu'il ne s'agit pas d'une copie du document figurant au dossier détenu par le district de Bastia, qui l'aurait transmis à la société Vendasi, mais d'une copie réalisée avant l'apposition du paraphe, donc nécessairement avant le dépôt des offres. Au demeurant, les maîtres d'œuvre ne diffusent pas les dossiers des appels d'offres aux soumissionnaires, quel que soit le résultat de l'appel d'offres. L'allégation développée par la société Vendasi sur ce point, de même que sur l'intervention d'un tiers, n'est étayée par aucun élément. Il convient donc de déduire de ce qui précède que la société Trojani a communiqué le prix auquel elle s'apprêtait à soumissionner à la société Vendasi avant la date à laquelle ces deux sociétés ont déposé des offres en apparence concurrentes, en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000.

Sur le niveau élevé des offres

45. La persistance des entreprises soumissionnaires à déposer des offres très supérieures à l'estimation du maître d'œuvre d'un montant de 7 829 000 F HT (1 193 523 euro) a conduit ce dernier à faire procéder à des estimations par un expert en bâtiment suivant les constatations ci-dessus rappelées. Le montant du marché a ainsi été réévalué à 8 645 617 F HT (1 318 015 euro), dans des conditions normales d'exécution du marché, et à 9 636 651 F HT (1 469 097 euro), compte tenu de contraintes particulières notamment liées à l'urgence. L'offre déposée le 20 septembre 2000 par la société Vendasi était supérieure de, respectivement, 19 et 7 % à ces estimations. Celle de la société Les frères Piacentini était supérieure, respectivement, de 25 et 12 %. Le marché a été attribué fin décembre 2000 à la société Vendasi pour un montant de 9 989 021,50 F HT (1 522 816 euro), soit respectivement + 15,5 % et + 3,6 % par rapport aux estimations de l'expert.

46. Dans ses observations, la société Les Frères Piacentini estime que les travaux ayant été sous-évalués par le maître d'ouvrage ainsi que le prouverait la réévaluation à laquelle a procédé l'expert dans le cadre du marché négocié, les montants qu'il a proposés, tant pour le premier appel d'offres que pour le second, ne démontrent pas que ces offres constituaient des offres de couverture.

47. Il convient toutefois de relever que l'estimation la plus élevée du montant des travaux, faite par l'expert, tient compte des conditions d'urgence dans lesquelles devaient être réalisés les travaux, conditions d'urgence qui ont été créées par l'échec du premier appel d'offres lancé le 20 mars. Il ressort, par ailleurs, du dossier que le coût de revient, pour l'entreprise Vendasi, de la fourniture de la totalité des poutres, gradins et panneaux, a été de 3 290 000 F HT, prix qui lui a été facturé par son sous-traitant italien, la société Sicomix, alors que ces mêmes prestations ont été chiffrées dans son offre de décembre 2000, et facturées au district, 5 601 940 F HT, soit une différence de 41,27 %.

48. Il en résulte que les écarts entre les offres déposées, tant pour l'appel d'offres du 20 mars 2000 que pour le marché négocié, et les estimations du maître d'œuvre ne peuvent être imputés à une sous-évaluation par le maître d'œuvre et révèlent l'existence de pratiques ayant empêché le jeu de la concurrence entre les soumissions aux deux mises en concurrence.

Sur les similitudes relevées entre les offres déposées

49. En ce qui concerne le premier appel d'offres ouvert du 20 mars 2000, les DQE fournis par la société Vendasi, d'une part, et par la société Trojani, d'autre part, ont une présentation identique (cadre identique, même intitulé des colonnes), celui de la société Trojani constituant un résumé de celui de la société Vendasi, tant sur l'intitulé des postes que sur les quantités. De plus, le DQE de l'entreprise Trojani indique, comme celui de la société Vendasi, " fait à Bastia ", alors que cette société est située à Querciolo, soit à 30 km de Bastia, et que les autres exemples de devis établis par elle figurant au dossier portent tous la mention " fait à Querciolo ".

50. En ce qui concerne les offres remises dans le cadre du marché négocié, le DQE remis par la société Les Frères Piacentini présente des similitudes avec celui remis par la société Vendasi et avec celui remis par la société Trojani lors de l'appel d'offres ouvert. La société Les Frères Piacentini fait valoir que, sur le poste " gradins ", elle est la moins-disante, ce qui irait à l'encontre d'une offre de couverture. Cependant, au stade du marché négocié le poste est de 4 428 707 F, soit supérieur à l'estimation de Vendasi qui était de 4 420 760 F.

51. L'offre de la société Codelfa présente également des similitudes avec celle déposée par la société Vendasi. Cette société soutient, toutefois, qu'elle n'a jamais soumissionné pour l'obtention de ce marché de travaux. A la suite de sa mise en cause dans la notification de griefs du 25 mai 2004, elle a soumis l'acte d'engagement reçu par le district de Bastia à une expertise graphologique. Le rapport conclut que les signatures ne sont pas autographes : " les ressemblances formelles (d'autre part très approximatives) ne sont pas d'une nature essentielle, mais le résultat de la technique de falsification effectuée à main libre, dans laquelle l'auteur a essayé d'imiter un modèle de signature autographe en essayant de reproduire ses formes littérales, mais en laissant les traces de l'effort accompli ainsi que de l'impossibilité à reproduire l'écriture d'une autre personne ".

52. La société Codelfa a, en conséquence, saisi le parquet de Turin. Elle soutient que le courrier qui lui a été adressé, le 31 juillet 2000, par le district de Bastia, a certes été réceptionné par le responsable du secteur des préfabriqués, le 7 août 2000, mais que celui-ci n'y a pas répondu. En revanche, les recherches auxquelles la société Codelfa a procédées en interne lui auraient révélé qu'une des rares employées présentes dans l'entreprise en cette période de congés, aurait apposé le tampon de la société sur l'acte d'engagement à la demande d'un tiers à l'entreprise, M. Simone D..., connu de cette employée parce qu'il avait par le passé été agent commercial de la société Codelfa pour l'Italie et la France. La société Codelfa fait également valoir dans ses observations devant le Conseil que le document reçu par le district de Bastia a été établi à la main, contrairement aux règles de la société Codelfa, et que la réponse était incomplète ce qui est " inhabituel s'agissant d'une entreprise structurée et compétente, habituée à répondre à des marchés et possédant les services aptes à remplir de tels actes... ".

53. La décision de classement de la procédure prise le 4 février 2006, par le juge des enquêtes préliminaires de Turin, admet que le document en cause est un faux mais conclut qu'il n'a pu être démontré que ce faux avait été établi par M. D... .

54. Au vu de ces éléments, il n'est pas établi que la société Codelfa a remis une offre dans le cadre du marché négocié et, par conséquent, aucun grief ne peut être retenu à son encontre. Cependant, le dépôt d'une offre qui constitue un faux révèle de la part de son auteur et des personnes qui y ont participé un comportement répréhensible. Par ailleurs, les similitudes entre les offres au cours des différentes étapes du marché prouvent l'existence d'un échange d'informations entre les entreprises auteurs des offres.

Sur le caractère incomplet des offres déposées

55. Aucune des trois sociétés ayant déposé une offre en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000 (Vendasi, Trojani, Les Frères Piacentini) n'a respecté le règlement de consultation, qui prévoyait notamment que les entreprises devaient soumettre une offre satisfaisant à un niveau de détail précis (devis quantitatif estimatif de 61 postes détaillés dans le CCTP). A nouveau, les deux sociétés ayant déposé une offre dans le cadre du marché négocié du 15 mai 2000 (Vendasi, Les Frères Piacentini) n'ont fourni qu'un devis condensé, ne reprenant pas le détail prévu par le règlement. Pourtant, il ressort du dossier que la société Vendasi avait établi un devis quantitatif conforme au règlement, dès le 21 avril 2000.

56. La société Vendasi indique que le DQE n'a pas été communiqué par le maître d'œuvre lors du premier appel d'offres et ne l'a été qu'au stade du marché négocié. De plus, elle soutient qu'il est conforme aux usages de ne pas remettre un DQE détaillé lors du dépôt des offres : " ...lors de la remise d'une offre à prix global et forfaitaire comme en l'espèce, il est usuel de remettre un document condensé ... ". Elle précise que cette possibilité est prévue par l'article 300 du Code des marchés publics.

57. Toutefois, le maître d'œuvre, M. Paul E... affirme que ce DQE a bien été communiqué aux entreprises avec le dossier d'appel d'offres. En tout état de cause, la décomposition demandée était reprise dans le CCTP et la société Vendasi affirme d'ailleurs, dans ses écritures, avoir établi le devis détaillé du 21 avril 2000, figurant au dossier, en se fondant sur le CCTP.

58. Quant à l'article 300 du Code des marchés publics, il dispose que : " Dans le cas où plusieurs offres jugées les plus intéressantes sont tenues pour équivalentes, tous éléments considérés, la commission, pour départager les candidats, peut demander à ceux-ci de présenter de nouvelles offres. Hormis ce cas, la commission ne peut discuter avec les candidats que pour leur faire préciser ou compléter la teneur de leurs offres. La commission ne peut rejeter des offres dont le prix lui semble anormalement bas, sans avoir demandé, par écrit, des précisions sur la composition de l'offre et sans avoir vérifié cette composition en tenant compte des justifications fournies. La commission est tenue d'examiner une offre incluant une variante par rapport au mode de règlement qu'elle a défini, dès lors que le candidat a également remis une offre comprenant le mode de règlement prévu dans l'appel d'offres. Une offre comportant une variante par rapport à l'objet du marché tel qu'il a été défini par l'administration peut être prise en considération si une telle possibilité est expressément prévue dans l'appel d'offres. ". Cet article ne dispense donc pas les entreprises soumissionnaires de fournir la composition détaillée des offres exigée par le règlement de consultation mais insiste au contraire sur la possibilité, pour la commission qui examine les offres, d'en faire préciser et compléter la teneur.

59. D'ailleurs, estimant que le caractère trop condensé des devis proposés ne lui permettait pas de procéder à une analyse des offres, la commission de dépouillement des offres réunie le 25 avril 2000 a déclaré le premier appel d'offres infructueux. Dans le cadre du marché négocié, le district de Bastia a demandé aux entreprises soumissionnaires de lui remettre des offres conformes par courrier du 31 juillet 2000, puis a répété cette demande le 18 octobre 2000 à l'égard de l'entreprise Vendasi, qui communiquera seulement au stade de la négociation finale un cadre de décomposition, presque conforme au règlement de l'appel d'offres, pourtant établi dès le 21 avril 2000.

60. Les entreprises mises en cause ont, de façon délibérée, déposé des offres non conformes aux spécifications du marché, spécifications au règlement d'appel d'offres, qu'elles ne pouvaient ignorer, étant donné leur qualification professionnelle et leur participation aux marchés précédemment lancés pour la reconstruction du stade de Furiani, ce qui constitue un indice supplémentaire d'une concertation de nature à faire échec au jeu de la concurrence et à retarder la conclusion du marché afin de contraindre le maître d'ouvrage à retenir l'offre de la société Vendasi.

Sur le caractère artificiel de la concurrence opposée à la société Vendasi

61. Il ressort des déclarations des entreprises, ayant déposé des offres apparemment concurrentes de celles de la société Vendasi, qu'elles n'avaient ni la capacité ni même la volonté de réaliser le marché en cause. L'entreprise Trojani, qui n'a déposé une offre que pour le premier appel d'offres ouvert, indique ainsi : " Je ne possédais pas également les qualifications nécessaires à ce marché pour les exigences du bureau d'études techniques ".

62. Quant à M. Z..., qui a déposé une offre en réponse à l'appel d'offres ouvert et une offre en réponse au marché négocié, il déclare : " J'ai effectivement soumissionné au marché de reconstruction du stade de Furiani, bien que ces travaux soient trop importants pour mon entreprise déjà engagée sur d'autres marchés. (...) J'ai soumissionné au marché du stade plus par curiosité que pour l'obtenir. (...) D'ailleurs, sur ce marché, je ne me souviens plus d'avoir fait une deuxième proposition de prix comme vous venez de me le rappeler ". Il estime qu'au stade du marché négocié, " informée du résultat du marché ouvert par la presse qui annonçait que l'offre la plus basse dépassait les estimations de 37 %, (il) n'avait plus aucun intérêt, pas même commercial, à répondre à la sollicitation du maître d'ouvrage dans le cadre du marché négocié " et qu'il a répondu au marché négocié " pour ne pas décevoir le District et manifester sa présence et non sa volonté d'obtenir le marché ". Comme cela a été noté ci-dessus, la deuxième offre de l'entreprise Piacentini est pourtant très différente de la première, notamment en ce qui concerne son niveau de détail, plus précis.

63. Enfin, la suspicion de faux qui pèse sur l'offre déposée au nom de la société Codelfa constitue également un indice particulièrement grave d'une pratique destinée à fausser le jeu de la concurrence, qui vient s'ajouter à l'absence d'indépendance des offres déposées en vue de couvrir celle de la société Vendasi.

64. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il existe au dossier un faisceau d'indices précis, graves et concordants, attestant que les entreprises Vendasi, Les Frères Piacentini et Trojani ont échangé des informations préalablement au dépôt des offres en réponse à l'appel d'offres du 20 mars 2000, que la société Vendasi et la société Les Frères Piacentini ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs réponses au marché négocié et que ces trois sociétés se sont concertées pour désigner l'attributaire du marché de travaux relatifs à la reconstruction de la tribune Ouest du stade Armand Cesari à Furiani et fausser les mises en concurrence organisées par le district de Bastia.

65. Cette pratique a un objet anticoncurrentiel. Elle a, de plus, eu pour effet de rendre infructueux le premier appel d'offres lancé par le district de Bastia le 20 mars 2000, et de créer une situation d'urgence qui a contraint le district de Bastia à accepter un surcoût de 16 % (différence entre l'estimation de l'expert du montant des travaux exécutés dans des conditions normales, soit 8 645 617 F HT, et le montant auquel a été attribué le marché, soit 9 989 021 F HT). Une telle pratique est prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

C. SUR LES SANCTIONS

1. SUR LA GRAVITÉ DES PRATIQUES ET LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE

66. Les pratiques d'ententes entre les soumissionnaires aux appels d'offres lancés dans le cadre de marchés publics sont particulièrement graves par nature puisque seul le respect des règles de concurrence dans ce domaine garantit à l'acheteur public la sincérité de l'appel d'offres et la bonne utilisation de l'argent public. Dans un arrêt du 24 mars 1998 (Sade), la Cour de cassation l'a rappelé dans les termes suivants : " la tromperie de l'acheteur public érigée en système perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique ".

67. Le dommage causé à l'économie est distinct du dommage souffert par le maître d'ouvrage en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence (notamment arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 janvier 1998, Fougerolle Ballot). Dans un arrêt du 12 décembre 2000 (Sogea Sud Est), la Cour d'appel de Paris a précisé que " ces pratiques anticoncurrentielles qui caractérisent un dommage à l'économie sont répréhensibles du seul fait de leur existence, en ce qu'elles constituent une tromperie sur la réalité de la concurrence dont elles faussent le libre jeu ".

68. Le 4 février 2003, la cour d'appel a ajouté : " s'agissant d'agissement de nature à tromper les organismes publics quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence à l'occasion d'appel d'offres dont sont constamment rappelés la gravité intrinsèque et les dommages qu'ils causent à l'économie, notamment au regard du risque de banalisation et d'entraînement qui peut en résulter, la société requérante ne peut invoquer une absence de gravité des faits qui lui sont reprochés et de dommage causé à l'économie".

69. Conformément à la décision n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, le dommage à l'économie doit être apprécié, d'une part, au regard du montant du marché attribué, qui a été supérieur à celui qui aurait résulté du libre jeu de la concurrence, mais aussi au regard de " la malheureuse valeur d'exemple que ce type de comportements peut susciter pour d'autres marchés publics ".

70. Il y a lieu également de prendre en compte les pertes subies par la collectivité publique du fait de l'échec du premier appel d'offres du 20 mars 2000, et le fait que le marché a été attribué à l'entreprise Vendasi pour un montant de 9 989 021 F HT, alors que l'expert commissionné par le district de Bastia a estimé le coût des travaux à 8 645 617 F HT dans des conditions normales d'exécution. Les conditions d'urgence résultant de l'échec du premier appel d'offres et de la durée des discussions dans le cadre du marché négocié, qui justifiaient selon l'expert de porter l'estimation à 9 636 651 F HT, sont en effet elles-mêmes imputables à la concertation entre les soumissionnaires. Il y a donc lieu d'évaluer le surcoût consenti par le district pour parvenir à l'exécution du marché dans les délais requis à 1 343 404 F (204 800 euro), dont la bénéficiaire unique a été l'entreprise Vendasi.

2. SUR LES ÉLÉMENTS PROPRES A CHAQUE ENTREPRISE

a) La société Vendasi

71. La société Vendasi a été, pendant toute la procédure d'appel d'offres puis du marché négocié, l'organisatrice de l'entente.

72. Elle a, en toute connaissance de cause, déposé des offres non conformes afin de retarder la conclusion du marché et d'augmenter artificiellement les prix, ce qui a engendré un surcoût pour le district de Bastia. De plus, le rabais final, de 6 % " accordé " par l'entreprise Vendasi l'a été en négociant ses prix avec son sous-traitant, l'entreprise Vendasi ayant pris une marge de plus de 41 % sur les tarifs de ce dernier. Or, l'entreprise Vendasi, très au fait des procédures d'appel d'offres grâce à sa notoriété dans l'île et la position de son gérant, maire de Furiani, avait dès le départ élaboré un devis conforme qui aurait permis d'éviter le marché négocié, le retard des travaux et le surcoût pour le district.

73. L'entreprise Vendasi a donc rendu le district captif tout au long de la procédure d'appel d'offres puis de marché négocié afin de pousser les prix à la hausse et de créer artificiellement, eu égard aux circonstances exceptionnelles de l'espèce, une urgence néfaste à la concurrence.

74. Son chiffre d'affaires pour l'exercice 2005 a été de 23 385 453 euro. Compte tenu des éléments particuliers et des éléments généraux précédemment exposés, la sanction doit être fixée à 680 000 euro.

b) La société Trojani BTP

75. La société Trojani BTP a participé à l'entente en vue de couvrir l'offre de l'entreprise Vendasi au stade de l'appel d'offres et communiqué son acte d'engagement à la société Vendasi. Cependant, par jugement du 13 décembre 2006, elle a été mise en liquidation judiciaire et il n'y a donc pas lieu de prononcer de sanction pécuniaire à son encontre.

c) la société Les Frères Piacentini

76. La société Les Frères Piacentini a participé à l'entente en déposant des offres de couverture. Elle a admis qu'elle n'avait ni la capacité ni la volonté de soumissionner et ne s'est, d'ailleurs, plus souvenu avoir pris part au marché négocié où elle a cependant déposé une offre semblable à celle de l'entreprise Vendasi. Son intervention n'a eu d'autre but que de faire croire à l'existence d'une concurrence lors de la conclusion du marché et de favoriser l'attribution du lot à la société Vendasi.

77. Son chiffre d'affaires pour l'année 2004 s'élevant à 3 828 990 euro, la sanction pécuniaire doit être fixée à 38 000 euro.

3. SUR LES SUITES À DONNER

78. Les faits révélés par le déroulement de l'appel d'offres concernant le marché public de travaux pour la reconstruction de la tribune Ouest du stade Cesari à Furiani sont susceptibles de recevoir une qualification en vertu des dispositions de l'article L. 420-6 du Code de commerce. C'est pourquoi l'ensemble du dossier sera transmis au Procureur de la République du Tribunal de grande instance de Bastia.

79. Par ailleurs, selon les dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce, " le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise."

80. En raison des circonstances qui ont entouré ces pratiques commises lors de la reconstruction du stade Cesari à Furiani qui constituait un enjeu important mais a révélé de nombreux dysfonctionnements, il y a lieu d'ordonner la publication dans les quotidiens " le Figaro " et " Corse-Matin " aux frais partagés entre les entreprises Vendasi et Piacentini.

DÉCISION

Article 1er : Il n'est pas établi que la société Codelfa a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Il est établi que les sociétés Vendasi, Trojani BTP et Frères Piacentini ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce à l'occasion du marché public de la reconstruction de la tribune Ouest du stade Armand Cesari à Furiani.

Article 3 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

• à la société Vendasi, une sanction de 680 000 euro ;

• à la société Frères Piacentini, une sanction de 38 000 euro.

Article 4 : Aucune sanction n'est prononcée à l'encontre de la société Trojani BTP en liquidation judiciaire.

Article 5 : Le dossier est transmis au Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Bastia en application de l'article L. 420-6 du Code de commerce.

Article 6 : Dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, les sociétés Vendasi et Frères Piacentini feront publier à frais communs et à proportion des sanctions pécuniaires, dans une édition du " Figaro " et de " Corse Matin ", le résumé suivant de la présente décision complété par les articles 1er à 5 inclus du dispositif de la décision.

Cette publication sera effectuée en caractères gras sur fond blanc de 5 millimètres de hauteur, dans un encadré, sous le titre : "Décision n° 06-D-13 du 6 juin 2006 du Conseil de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre par les entreprises Vendasi, Trojani et Frères Piacentini, dans le cadre d'un marché public de travaux pour la reconstruction du stade Armand Cesari à Furiani.

" Les sociétés Vendasi, Trojani et Les Frères Piacentini ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs offres concernant l'appel d'offres du 20 mars 2000. Cet échange est démontré par la découverte dans le dossier de la société Vendasi d'une page de l'acte d'engagement de la société Trojani indiquant le prix auquel cette dernière s'apprêtait à soumissionner, par les similitudes relevées entre les différentes offres, leur niveau élevé et le caractère incomplet des cadres de décomposition exigés par le règlement de la consultation.

Les sociétés Vendasi et Les Frères Piacentini ont échangé des informations préalablement au dépôt de leurs réponses au marché négocié qui a suivi l'appel d'offres déclaré infructueux, leurs réponses présentant les mêmes défauts que ceux de leurs offres précédentes. L'offre déposée par la société italienne Codelfa Preffabricata SPA s'est révélée être un faux.

Les trois entreprises corses se sont ainsi concertées afin que la société Vendasi soit déclarée attributaire du marché au prix convenu par celle-ci, les deux autres entreprises déposant des offres de couverture. Leurs pratiques ont faussé le jeu de la concurrence et permis l'attribution du marché à la société Vendasi, à un prix plus élevé que l'estimation du maître de l'ouvrage qui a dû consentir un surcoût de 1 343 404 F, soit 204 800 euro, pour parvenir à l'exécution du marché dans les délais requis et dont la bénéficiaire a été la société Vendasi organisatrice de l'entente.

Le texte de la décision peut être consulté sur le site Internet du Conseil de la concurrence : http://www.conseil-concurrence.fr

Article 7 : La société qui effectuera les démarches en vue de la publication, adressera, sous pli recommandé, copie des publications prévues à l'article 5 au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, dès leur parution et au plus tard, le 1er novembre 2006.