CJCE, 2e ch., 26 mai 1971, n° 45-70
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bode
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocat :
Me Bonn
LA COUR,
1 Attendu que les recours tendent à l'annulation
- de la communication du 19 février 1970 par laquelle la défenderesse a fait savoir au requérant que sa candidature au poste faisant l'objet de l'avis de vacance com-603 avait été rejetée ;
- de la nomination du sieur Heinrich audit poste ;
- de l'avis de vacance susvisé ;
2 Qu'en outre, le requérant demande à la Cour d'annuler les décisions rejetant implicitement (recours 45-70), puis explicitement (recours 49-70) sa réclamation du 15 avril 1970, dirigée contre la communication du 19 février 1970 ;
I - Sur la recevabilité
1. Recours 45-70
3A - Attendu que la défenderesse fait valoir que les conclusions relatives au rejet de la candidature du requérant et à la nomination du sieur Heinrich seraient irrecevables parce que tardives ;
Qu'en effet, la réclamation du 15 avril 1970 n'ayant pas conclu dans le même sens, elle n'aurait pas conservé le délai de trois mois prévu, pour les recours contentieux, par l'article 91 du statut des fonctionnaires, délai qui, en l'espèce, était expiré le 5 août 1970, date de l'introduction du recours ;
4 Attendu que, pour qu'une réclamation formée au titre de l'article 90 du statut conserve le droit de recours, il faut et il suffit qu'elle ait matériellement le même objet que le recours contentieux postérieur, sans devoir satisfaire à toutes les conditions de forme auxquelles ce dernier est soumis ;
5 Qu'en l'espèce, aux termes de son intitulé, la réclamation du 15 avril 1970 était dirigée "contre la communication . . . du 19 février 1970 . . . et contre le rejet de ma candidature . . . " ;
Que si cette réclamation ne demande pas expressément le retrait de la nomination du sieur Heinrich, elle s'élève cependant contre l'utilisation, par la défenderesse, de la procédure de recrutement prévue à l'article 29, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires et exprime "l'espoir que ma réclamation permettra de trouver une solution par laquelle la Commission apportera la preuve éclatante de la possibilité d'une politique de personnel intégré parce qu'indépendante" ;
Que la démarche du requérant doit donc être comprise comme mettant en cause tant le refus de donner suite à sa candidature que, par voie de conséquence, la nomination de son concurrent ;
6 Qu'il y a donc lieu de considérer que les présentes conclusions ont été formées dans les délais ;
7B - Attendu, quant aux conclusions tendant à l'annulation du rejet implicite de la réclamation susmentionnée, que la défenderesse excipe de leur irrecevabilité au motif que cette réclamation aurait été elle-même irrecevable ;
Qu'en effet, la décision portant rejet d'une candidature présentée dans la phase promotion/mutation (article 29, paragraphe 1, lettre A, du statut des fonctionnaires) ne pourrait être attaquée isolement, mais seulement par une réclamation ou un recours dirigé contre la décision définitive de nomination ;
Qu'à fortiori, le requérant n'aurait donc pas été recevable à saisir l'autorité investie du pouvoir de nomination d'une réclamation par laquelle il se bornait à critiquer le fait que la communication du 19 février 1970 serait intervenue avec un certain retard et ne contiendrait pas de motifs ;
8 Attendu que cette exception méconnait en fait que la réclamation en cause avait été dirigée aussi bien contre le rejet de la candidature du requérant que contre la nomination du sieur Heinrich ;
Que l'exception doit donc être rejetée ;
9C - Attendu, en ce qui concerne la demande en annulation de l'avis de vacance, que la défenderesse met en doute l'intérêt légitime que le requérant pourrait avoir à ce que la Cour statue en ce sens ;
10 Attendu que cette demande se rattache au moyen du recours selon lequel, à supposer que les conditions d'application de l'article 29, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires aient effectivement été réunies en l'espèce, la défenderesse aurait été obligée d'en faire mention expresse dans ledit avis ;
Que l'intérêt du requérant à faire valoir un tel moyen relève de l'examen du fond ;
2. Recours 49-70
11 Attendu que, dans la mesure où ce recours reprend les conclusions du recours 45-70, sa recevabilité se heurte à l'exception de litispendance, que la Cour doit soulever d'office ;
12 Attendu, quant à la demande en annulation de la décision contenue dans la lettre de la défenderesse du 22 juillet 1970, que cette décision confirme la décision implicite rejetant la réclamation du requérant du 15 avril 1970, décision faisant déjà l'objet du recours 45-70 ;
Qu'aucun élément nouveau de droit ou de fait n'étant intervenu entre le rejet implicite et le rejet explicite, le requérant ne saurait justifier d'intérêt juridique à demander l'annulation de cette décision confirmative, non susceptible de lui faire grief ;
Qu'en effet, aux termes des articles 34, alinéa 1, deuxième phrase du traite CECA, 176, alinéa 1, du traité CEE, et 149, alinéa 1, du traité CEEA, l'institution dont émane un acte annulé par la Cour "est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution" de l'arrêt prononçant l'annulation ;
Qu'il s'ensuit que, lorsque la Cour annule une décision, l'auteur de celle-ci est obligé d'abroger ou, pour le moins, de ne pas appliquer une décision ultérieure, purement confirmative de la première ;
13 Attendu que, pour toutes ces raisons, le recours 49-70 est irrecevable ;
I - Sur le fond du recours 45-70
14 1) Attendu que le requérant conclut à l'annulation des décisions comportant respectivement rejet de sa candidature et nomination du sieur Heinrich, au motif notamment que la défenderesse aurait violé l'article 29 du statut des fonctionnaires en procédant à une nomination selon la procédure prévue au deuxième paragraphe dudit article alors que les conditions d'application de ce paragraphe n'auraient pas été réunies ;
15 Attendu qu'aux termes de l'article 29, paragraphe 2, "une procédure de recrutement autre que celle du concours peut être adoptée par l'autorité investie du pouvoir de nomination . . . Dans des cas exceptionnels, pour des emplois nécessitant des qualifications spéciales" ;
Que l'utilisation de l'expression "cas exceptionnels" démontre que l'application de cette disposition est soumise à des conditions de forme et de fond très strictes, solution qui répond d'ailleurs tant aux besoins du service qu'à l'intérêt légitime des fonctionnaires ;
Que les institutions ne peuvent donc recourir à la procédure exceptionnelle visée à l'article 29, paragraphe 2, qu'après avoir examiné, avec un maximum de soin, si les conditions d'application de cette disposition sont réunies ;
Qu'en outre, la décision d'avoir recours à ladite procédure doit être motivée de telle manière que la Cour puisse, le cas échéant, en contrôler la légalité ;
16 Attendu, en l'espèce, qu'il résulte du dossier que, le 22 octobre 1969, la défenderesse a notamment décidé par la procédure écrite :
- de ne pas retenir les candidatures du requérant et de cinq autres fonctionnaires ;
- de constater "que les qualifications requises pour exercer les fonctions afférentes à l'emploi à pourvoir sont les qualifications spéciales au sens de l'article 29, paragraphe 2, du statut" et "qu'elle se trouve, en ce qui concerne le recrutement d'un fonctionnaire apte à remplir les fonctions de l'emploi susvisé, devant un cas exceptionnel au sens de la même disposition" ;
- "dans ces conditions, . . . de pourvoir l'emploi par une procédure autre que le concours général et de nommer M. Egon Heinrich . . . à l'emploi susvisé" ;
17 Que, bien que la décision de ne pas retenir la candidature du requérant soit juridiquement distincte de celles qui concernent le recours à la procédure de l'article 29, paragraphe 2, du statut et la nomination du sieur Heinrich, elle ne saurait être considérée isolement, une influence des dernières décisions sur la première ne pouvant être exclue en raison du lien établi par la Commission elle-même entre l'ensemble de ces actes ;
18 Qu'il ressort également du dossier que ces décisions ont été adoptes sur la base de propositions exposant les raisons qui n'auraient pas permis de pourvoir le poste litigieux suivant l'une des procédures visées aux lettres à A C du premier paragraphe de l'article 29, mais omettant d'indiquer les raisons pour lesquelles on se trouverait en présence d'un "cas exceptionnel" et d'un emploi "nécessitant des qualifications spéciales", de sorte qu'il y aurait lieu de renoncer à l'organisation du concours prévu à l'article 29, paragraphe 1, première phrase in fine ;
19 Que les pièces susmentionnées font donc apparaitre que la décision de pourvoir l'emploi en cause par une voie autre que le concours est dépourvue de motifs, de sorte qu'il ne résulte pas de la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination si celle-ci a examiné avec tout le soin qui s'imposait si les conditions d'application de l'article 29, paragraphe 2, étaient effectivement réunies ;
Que, dès lors, la procédure ayant conduit à la nomination du sieur Heinrich, étant entachée d'illégalité, il convient d'annuler cette décision et, par voie de conséquence, les décisions comportant rejet respectivement de la candidature du requérant et de sa réclamation du 15 avril 1970, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs soulevés par le requérant à l'égard de ces actes ;
20 2) Attendu que le requérant conclut, en outre, à l'annulation de l'avis de vacance com-603 relatif au poste litigieux ;
21 Attendu que ces conclusions sont liées au grief selon lequel la défenderesse, si elle estimait que l'emploi litigieux pouvait et devait être pourvu suivant la procédure de l'article 29, paragraphe 2, aurait du l'indiquer dans ledit avis ;
Que, compte tenu de ce qui précède, ces conclusions n'ont plus d'intérêt pour le requérant ;
I - Sur les dépens
22 Attendu qu'aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens ;
Que la défenderesse ayant succombé pour l'essentiel, il convient de lui imposer l'ensemble des dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Rejetant toutes autres conclusions, plus amples ou contraires, déclare et arrête :
1) les décisions comportant respectivement rejet de la Candidature du requérant à l'emploi ayant fait l'objet de l'avis de vacance com-603, nomination du sieur Heinrich à cet emploi et rejet de la réclamation du requérant du 15 avril 1970, sont annulées ;
2) le recours 49-70 est rejeté comme irrecevable ;
3) la défenderesse est condamnée à l'ensemble des dépens de l'instance.