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Décisions

CA Paris, 7e ch. A, 10 janvier 2006, n° 04-16874

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Axa France IARD (Sté), Axa France Vie (Sté), Axa France Collectives (Sté)

Défendeur :

Choisy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Garban

Conseillers :

Mme Le Gars-Stone, M. Raguin

Avoués :

Me Melun, SCP Taze Bernabe-Belfayol Broquet

Avocats :

Mes Bourgeois, Primatesta

TGI Paris, du 8 avr. 2004

8 avril 2004

Le 10 mars 1989, Philippe Choisy a été nommé, à effet du 1er avril 1989, agent général d'assurance stagiaire des sociétés UAP IARD, UAP Vie et UAP Collectives, aux droits desquelles viennent aujourd'hui les sociétés Axa France IARD, Axa France Vie et Axa France Collectives (ci-après sociétés Axa). Il a été titularisé à compter du 1er avril 1991.

Suivant traité de nomination d'agent général UAP du 30 juillet 1997, à effet du 1er avril 1997, M. Choisy a opté pour le nouveau statut des agents généraux d'assurance résultant du décret du 15 octobre 1996.

L'annexe X du traité de nomination prévoit que :

" L'agent général s'interdit pendant 3 ans de présenter directement ou indirectement des opérations d'assurances dans son ancienne zone d'activité commerciale, ou d'y exercer une activité ayant trait à de telles opérations et à ne pas faire souscrire des contrats d'assurances auprès de ses anciens assurés.

Hors les cas de cession de gré à gré, s'il renonce à son indemnité de fin de mandat ou s'il est révoqué par l'UAP pour une cause non-reconnue valable par les instances compétentes, ce délai est ramené à 6 mois.

Sans préjudice d'éventuels dommages-intérêts, la violation de cette interdiction est sanctionnée par la déchéance de son droit à l'indemnité de fin de mandat. "

Par lettre du 4 janvier 1999, valant avenant au traité de nomination, M. Choisy est devenu mandataire des sociétés Axa depuis le transfert autorisé par arrêtés des 24 décembre 1997 et 30 décembre 1998 du portefeuille des sociétés UAP.

Les parties conviennent que jusqu'en 1998 M. Choisy a été considéré comme un agent performant. Leurs relations se sont ensuite détériorées, selon M. Choisy en raison des dysfonctionnements de la gestion du nouvel assureur Axa risquant d'aboutir à une détérioration du portefeuille, selon les sociétés Axa en raison du projet de M. Choisy de s'installer comme courtier tout en emmenant avec lui partie du portefeuille.

Le 25 mars 1999, les sociétés Axa ont adressé à M. Choisy un courrier rappelant globalement les conditions contractuelles de cessation d'activité. Selon courrier du 31 mai 1999, elles lui ont reproché un manque de suivi des obligations de gestion dans les dossiers Anett et APS.

Selon un courrier du 28 juin 1999, M. Choisy a contesté ces reproches, déclarant qu'il s'agissait d'une stratégie pour le contraindre à cesser son activité et a précisé qu'en conséquence son mandat s'interromprait le 31 décembre 1999 et demandé le versement de l'indemnité compensatrice à bonne date.

Il a ainsi cessé ses fonctions d'agent général à Thouars le 31 décembre 1999 et s'est installé en qualité de courtier à Saumur.

Par acte du 26 juin 2000, il a assigné les sociétés Axa devant le Tribunal de grande instance de Paris, demandant le paiement, dans le dernier état de ses écritures :

- des intérêts au taux légal sur la somme de 20 000 F (solde de fin de gestion non payé) à compter du 11 février 2000 et sur la somme de 182 201,07 F (solde de gestion payé le 12 avril 2000) du 11 février au 12 avril 2000 ;

- des indemnités compensatrices de fin de mandat pour un total de 285 622,35 euro (Vie et IARD), avec intérêts au taux légal à compter du 29 février 2000 ;

- de la somme de 30 409 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de celle de 22 867 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les sociétés Axa se sont opposées à ces demandes, faisant valoir, notamment, que M. Choisy avait manqué à son obligation statutaire de non-rétablissement et de non-concurrence et est en conséquence déchu de son droit à indemnité de fin de mandat. Elles ont réclamé la condamnation de M. Choisy à leur payer la somme de 760 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi suite au transfert illicite du portefeuille leur appartenant, outre la somme de 10 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 8 avril 2004, le tribunal a :

- condamné in solidum les sociétés Axa à payer à M. Choisy :

* les intérêts au taux légal sur la somme de 3 048,98 euro du 26 juin 2000 au 25 juillet 2000,

* la somme de 253 433,19 euro à valoir sur les indemnités compensatrices de fin de mandat, avec intérêts au taux légal à compter du 26 juin 2000 ;

- avant dire droit sur un éventuel solde dû au titre des indemnités compensatrices de fin de mandat, ordonné une mesure d'expertise à l'effet notamment de fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre le cas échéant de chiffrer le solde pouvant être dû au titre des indemnités compensatrices ;

- condamné les sociétés Axa à payer à M. Choisy la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

LA COUR,

Vu l'appel de ce jugement interjeté par les sociétés Axa France IARD, Axa France Vie et Axa France Collectives ;

Vu les conclusions des appelantes en date du 3 octobre 2005 par lesquelles elles demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement ;

- de dire M. Choisy déchu de son droit à indemnité de fin de mandat;

- de le condamner à leur rembourser la somme de 289 784,25 euro indûment perçue ;

- de le condamner à leur payer la somme de 760 000 euro en réparation des préjudices qu'elles ont subis à la suite des actes de concurrence déloyale qu'il a commis ;

- de le condamner à leur payer la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Vu les conclusions en date du 22 février 2005 de M. Choisy par lesquelles il demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner les appelantes à lui verser la somme de 6 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Sur ce,

Considérant que les sociétés Axa soutiennent que M. Choisy a manqué à son obligation statutaire de non-concurrence, manquement qui le prive de son droit à indemnité compensatrice, notamment, en engageant une campagne de démarchage et de presse, en se prévalant à l'égard des compagnies concurrentes et alors qu'il était encore agent général du "transfert de portefeuille, en faisant souscrire auprès de compagnies concurrentes dans le cadre de son cabinet de courtage des contrats d'assurance par d'anciens assurés de l'agence ; que cette concurrence déloyale a entraîné une baisse significative du chiffre d'affaires de l'agence ;

Considérant que M. Choisy conteste tout acte de concurrence déloyale, faisant valoir :

- qu'à partir du moment où les sociétés Axa ont succédé à la compagnie UAP, il s'est heurté, comme les autres agents généraux ainsi qu'il ressort des documents qu'il produit, à des dysfonctionnements majeurs dans les secteurs "automobiles" et "entreprise" qui ont conduit d'importants clients de l'agence à résilier leur contrat qu'ainsi, les sociétés Anett et APS ont résilié leur contrat en raison de dysfonctionnements importants ;

- que la société Anett a dénoncé son contrat (à effet au 11 avril 1999) antérieurement à la résiliation de son propre contrat avec les sociétés Axa (31 décembre 1999), de sorte qu'il ne peut lui en être fait grief ; que les sociétés Axa ne peuvent prétendre qu'il a tardé à les informer de cette résiliation alors que leur propre courrier du 31 mai 1999 montre le contraire ; que la limite de 2 % du chiffre d'affaires en courtage ne lui était pas applicable en vertu de règles régissant ses relations avec les sociétés Axa, de sorte qu'il a pu faire souscrire par la société Anett une assurance dans le cadre de son activité de courtage, et ce avant le terme de son propre mandat ;

- qu'il ne peut y avoir de concurrence entre une activité de courtier et une fonction d'agent général ; que le nombre de clients de son ancienne agence de Thouars (1 000) comparé au nombre de clients de son entreprise de Saumur (255) montre que le reproche de "pillage" est infondé ;

- que la lettre circulaire qu'il a adressée aux clients de l'agence à son départ, qui a reçu l'aval de M. Perrotin, inspecteur des sociétés Axa, annonçant clairement son successeur, ne correspond en rien à un acte de concurrence déloyale ;

- que la pièce que les sociétés Axa prétendent avoir retrouvée dans le dossier d'une cliente, Mme Rival, qui fait état de "transfert de portefeuille" n'est pas probante, comme le tribunal l'a à juste titre retenu ;

Mais considérant que les sociétés Axa démontrent par l'ensemble des documents qu'elles produisent que M. Choisy qui, ayant démissionné de ses fonctions d'agent général à Thouars et s'étant réinstallé en qualité de courtier dans la ville toute proche de Saumur, s'est livré à des actes de concurrence déloyale à leur encontre ;

Considérant que M. Choisy ne peut sérieusement prétendre qu'il ne pourrait y avoir de concurrence entre les activités de courtier et d'agent d'assurance, alors que l'un et l'autre sont en charge de la distribution des contrats d'assurance, même si leurs obligations juridiques et leur statut diffèrent ;

Considérant que par la lettre qu'il a adressée le 23 décembre1999 aux clients de l'agence, il présente certes son successeur, mais notant "en effet, attiré depuis plusieurs années déjà par le secteur des PME- PMI, j'ai décidé de recentrer mon activité sur l'assurance des entreprises et des risques industriels en tant que courtier, à Saumur", en profite pour faire connaître sa nouvelle activité dont les clients pourront facilement trouver l'adresse dans la ville toute proche de Saumur ; que cette lettre a été annexée au constat de remise des dossiers signé par M. Choisy et son successeur, en présence de M. Perrotin, inspecteur des sociétés Axa, circonstance qui ne permet pas à M. Choisy de conclure qu'elle a reçu l'aval de M. Perrotin ;

Considérant que l'encart publicitaire relatif à son activité à Saumur qu'il a inséré dans la brochure éditée à l'occasion d'un championnat de moto-cross intervenu le 1er mai 2000 à Thouars, ressort également d'un comportement déloyal, étant remarqué que même si cette brochure n'a été tirée qu'à six cents exemplaires elle s'adressait au premier chef à une clientèle de motocyclistes et donc concernée par la souscription de contrats d'assurance ; que la mention de l'activité à Saumur de M. Choisy dans un document intitulé "Passeport pour un emploi dans le Thouarsais" à l'occasion d'un forum organisé du 28 septembre au 1er octobre 2000 à Thouars n'est pas non plus sans signification quant au désir de M. Choisy de conserver des clients à Thouars, pas plus que ne l'est la fiche le concernant qu'il a laissé figurer dans l'Annuaire des Entreprises du Pays Thouarsais 2001;

Considérant qu'il apparaît, en outre, que le 29 janvier 1999, la société Anett, que les parties s'accordent à reconnaître comme le plus gros client de l'agence, a résilié tous ses contrats d'assurance "à titre conservatoire", à effet du 1er avril 1999 ; que M. Choisy n'a informé les sociétés Axa de cette résiliation que par télécopie du 30 avril 1999, à une date où il n'était plus possible pour celles-ci de négocier avec leur cliente pour l'amener à renoncer à sa résiliation ; que M. Choisy ne peut sérieusement prétendre tirer des termes d'un courrier des sociétés Axa du 31 mai 1999 la preuve de ce qu'il les aurait avisées de la résiliation dès le 19 février 1999, alors que le courrier de l'assureur du 31 mai 1999 concerne précisément le mécontentement de celui-ci en apprenant aussi tardivement la résiliation en cause ; qu'ainsi, quel que soit le fait que M. Choisy ait eu la possibilité statutaire de procéder à des activités de courtage au-delà de la limite de 2 % de son chiffre d'affaires, le fait d'avoir caché à ses mandantes la dénonciation de ses contrats par une cliente très importante et d'avoir fait souscrire à celle-ci des contrats auprès de sociétés d'assurance concurrentes, constitue un acte de concurrence déloyale de sa part ; qu'il y a lieu d'ajouter que les reproches adressés par M. Choisy aux sociétés Axa sur leur gestion du dossier Anett qui aurait amené celle-ci à dénoncer son contrat est sans incidence sur le fait qu'il leur a délibérément caché cette résiliation ;

Considérant qu'en ce qui concerne la société APS, cliente également importante de l'agence, celle-ci a, par courrier du 29 janvier 1999, résilié ses contrats à effet du 1er avril 1999, résiliation dont M. Choisy n'a avisé les sociétés Axa que par télécopie du 30 avril 1999, interdisant là encore à celles-ci toutes négociations avec leur cliente, l'attitude déloyale de M. Choisy apparaissant démontrée quelles que soit les insuffisances de gestion dont auraient pu faire preuve l'assureur;

Considérant que la preuve des actes de concurrence déloyale commis par M. Choisy ressort également d'un courrier du 6 décembre 1999 adressé par M. Choisy à la société CGU Courtage, dans lequel il mentionne "dans le cadre du transfert du portefeuille, je vous prie de trouver ci-joint le contrat concernant Madame Rival Paulette (usage retraitée)" ; que si M. Choisy conteste le caractère probant de ce document, aucun élément ne permet pourtant de le mettre en doute ;

Considérant que, dans ces conditions, il y a lieu, infirmant le jugement déféré, de dire que M. Choisy a violé son obligation statutaire de non concurrence et de le dire en conséquence déchu de son droit à indemnité de fin de mandat ;

Considérant que les sociétés Axa font valoir que le portefeuille de l'agence de Thouars a perdu entre le 31 décembre 1998 et le 31 décembre 1999 461 dossiers et subi une chute de 34,9 % de son chiffre d'affaires, chute qui s'est poursuivie en 2000, les encaissements étant passés de 9 686 200 F en 1998 à 3 637 713 F en 2000 ; que ce "pillage" de l'agence a profité à M. Choisy, le lien de causalité entre les fautes de ce dernier et leur préjudice étant parfaitement démontré ; qu'elles sollicitent, en vertu de l'article 1382 du Code civil, l'allocation de la somme de 760 000 euro à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que M. Choisy s'oppose à cette demande ;

Considérant qu'il apparaît nécessaire, avant dire droit sur ce point, de recourir à une mesure d'expertise dans les termes exposés au dispositif ci-dessous et aux frais avancés des sociétés Axa;

Par ces motifs, Infirme le jugement du 8 avril 2004 ; Dit que M. Choisy a commis des actes de concurrence déloyale et le déclare déchu de son droit à indemnité compensatrice; Le condamne à rembourser aux sociétés Axa France IARD et Axa France Vie la somme de 289 784,25 euro ; Avant dire droit sur la demande de dommages-intérêts des sociétés Axa France IARD et Axa France Vie, ordonne une mesure d'expertise, Commet pour y procéder M. William Nahum, 4 avenue Hoche, 75008 Paris (Tél 01. 42. 12. 80. 50. Fax 01. 42. 12. 80. 70.), avec mission : - de se faire remettre les documents comptables relatifs à l'agence des sociétés Axa de Thouars pour les années 1998, 1999 et 2000, ainsi que les documents relatifs à l'activité de courtage exercée par M. Choisy à Thouars pour les années 1998 et 1999 et les documents relatifs à son activité de courtage à Saumur pour l'année 2000 ; de se faire remettre tous documents qu'il jugera utiles pour l'accomplissement de sa mission ; - de dire, au vu de ces documents, si les actes de concurrence déloyale commis par M. Choisy ont entraîné un préjudice pour les sociétés Axa et d'en chiffrer le montant ; Dit que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile et qu'il déposera son rapport, en double exemplaire, au service de la mise en état de la cour avant le 1er mai 2006 ; Dit que les sociétés Axa France IARD, Axa France Vie et Axa France Collectives devront consigner au greffe de la cour la somme de 4 500 euro à valoir sur la rémunération de l'expert avant le 10 février 2006, faute de quoi la désignation de l'expert sera caduque ; Dit que cette somme doit être versée au régisseur d'avances et de recettes de la Cour d'appel de Paris, 34 quai des Orfèvres, 75055 Paris Louvre SP ; Désigne le conseiller de tamise en état pour contrôler les opérations d'expertise ; Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ; Réserve les dépens.