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Décisions

CJCE, 3 juillet 1986, n° 34-86

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Conseil des Communautés européennes, République fédérale d'Allemagne, République française, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

Défendeur :

Parlement européen

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

Me Lyon-Caen

CJCE n° 34-86

3 juillet 1986

LA COUR,

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 11 février 1986, le Conseil des Communautés européennes a introduit, en vertu des articles 173 du traité CEE et 146 du traité CEEA, un recours dirigé contre le Parlement européen et visant à l'annulation partielle ou, subsidiairement, totale du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1986 (JO L 358) ainsi qu'à l'annulation de l'acte du Président du Parlement européen du 18 décembre 1985 par lequel celui-ci a constaté que ce budget était définitivement arrêté.

2 Le Conseil ainsi que les Gouvernements allemand, français et britannique, qui sont intervenus dans le litige à l'appui des conclusions du Conseil, font en particulier grief au Parlement européen d'avoir augmenté, par suite d'amendements votés lors de la seconde lecture du projet de budget le 12 décembre 1985, certains crédits budgétaires en violation des traités, et notamment de l'article 203, paragraphe 9, du traité CEE et des dispositions correspondantes des traités CEEA et CECA. Ces augmentations auraient en effet pour conséquence un relèvement des dépenses non obligatoires figurant au budget 1986, par rapport à celles de l'exercice 1985, qui dépasserait le taux maximal d'augmentation fixé conformément audit paragraphe 9.

3 Le Parlement européen conclut à titre principal que le recours est irrecevable. A titre subsidiaire, il fait valoir qu'il a respecté la lettre et l'esprit de l'article 203, paragraphe 9, du traité CEE. Ce serait le conseil qui aurait méconnu les dispositions des traités, en particulier celles de l'article 199 du traité CEE, en soumettant au Parlement un projet de budget et, après la première lecture par le Parlement, un projet modifié dont l'adoption aurait mis les communautés dans l'impossibilité de faire face à leurs engagements.

Sur la recevabilité

4 Le Parlement conteste d'abord la possibilité, pour le Conseil, d'invoquer l'article 173 du traité CEE en vue de faire annuler le budget en tant qu'acte du Parlement européen. Selon cette institution, l'article 173 ne prévoit pas que les actes du Parlement européen puissent faire l'objet d'un contrôle de légalité, pas plus d'ailleurs qu'il ne permet au Parlement de mettre en cause, devant la Cour, la légalité des actes du Conseil et de la Commission des communautés.

5 Toutefois, il est à rappeler que la Cour a déjà jugé, dans son arrêt du 23 avril 1986 (parti écologiste 'Les Verts', 294-83, Rec. p. 1339) qu'en vertu de l'article 173 du traité CEE un recours en annulation peut être dirigé contre les actes du Parlement européen destinés à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers, si les autres conditions posées par cette disposition sont réunies.

6 A cet égard, il y a lieu de préciser que le budget général des Communautés est l'acte qui prévoit et autorise préalablement chaque année les recettes et dépenses ; celles-ci doivent être équilibrées, selon l'article 199, alinéa 2, du traité CEE. Il appartient à la Commission d'exécuter le budget, en vertu de l'article 205, dans la limite des crédits alloués, alors que les recettes inscrites déterminent le niveau des montants de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée à transférer, par les États membres, dans les ressources propres des Communautés. Il s'ensuit que le budget, une fois intervenue la constatation du Président du Parlement visée par l'article 203, paragraphe 7, relève des actes de nature à produire des effets juridiques vis-à-vis des tiers.

7 Le Parlement soutient ensuite que, en tout état de cause, la constatation par le Président du Parlement, en application de l'article 203, paragraphe 7, du traité CEE, que le budget est définitivement arrêté, ne peut pas être considérée comme un acte attaquable. En effet, le Président du Parlement n'interviendrait qu'après la fin de la procédure budgétaire, sans pouvoir influencer l'issue de celle-ci. Considérer le constat du Président du Parlement comme un acte attaquable reviendrait, dans ces conditions, à instituer une troisième branche autonome de l'autorité budgétaire, distincte des deux autres, le Conseil et le Parlement.

8 Cette thèse doit également être rejetée. C'est le Président du Parlement qui constate formellement que la procédure budgétaire a été menée à terme par l'adoption définitive du budget et qui confère ainsi force obligatoire au budget, aussi bien vis-à-vis des institutions que des États membres. En exerçant cette fonction, le Président du Parlement intervient par un acte juridique propre, de caractère objectif, au terme d'une procédure caractérisée par l'action conjointe de différentes institutions. Cet acte, il le prend non en tant qu'autorité distincte non prévue par le traité, mais en sa qualité d'organe du Parlement européen.

9 Le Parlement fait enfin valoir que la délibération du Parlement en seconde lecture sur le projet modifié par le Conseil ne saurait faire l'objet d'un recours en annulation.

10 Développant cet argument, le Parlement explique que, dans le cadre de la procédure budgétaire, les rôles du Parlement et du Conseil sont complémentaires et que l'action conjointe de ces deux institutions conduit à l'établissement du budget qui constitue un acte commun n'ayant d'équivalent avec aucun autre acte des institutions de la Communauté. Il serait, par conséquent, exclu que l'annulation éventuelle d'un tel acte ne puisse concerner que les délibérations d'une seule des deux institutions concernées. A cet égard, le Parlement rappelle que, d'après l'article 176 du traité CEE, 'l'institution dont émane l'acte annulé' est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour ; or, le budget de la Communauté serait le fait de deux institutions, si bien qu'il serait soustrait à l'application de cette disposition. Il faudrait donc constater que le contrôle du budget par voie du recours en annulation n'est pas possible.

11 Le Conseil, répondant à cette argumentation, observe que, jusqu'à l'exercice 1975, le budget était en tout cas soumis au contrôle prévu par l'article 173 du traité CEE, l'adoption du budget constituant un acte du conseil produisant des effets juridiques. Il serait inconcevable que les auteurs des révisions du traité en matière budgétaire aient voulu, en élargissant le rôle du Parlement européen dans ce domaine, retirer le budget des catégories d'actes soumis au contrôle juridictionnel. Ce contrôle serait, par ailleurs, le corollaire nécessaire de l'obligation faite aux institutions d'agir dans les limites des attributions qui leur sont conférées.

12 Il y a lieu d'observer que, aux termes de l'article 203, paragraphe 10, du traité CEE, chaque institution exerce les pouvoirs qui lui sont dévolus en matière budgétaire dans le respect des dispositions du traité. A défaut de possibilité de déférer les actes de l'autorité budgétaire au contrôle de la Cour, les institutions qui composent cette autorité pourraient empiéter sur les compétences des États membres ou des autres institutions ou outrepasser les limites qui sont tracées à leurs compétences. Aucune disposition des traités n'exclut d'ailleurs l'ouverture du recours en annulation à l'encontre des actes revêtant un caractère budgétaire.

13 Dès lors, la nature budgétaire des actes attaqués ne fait pas obstacle à la recevabilité du recours. Les observations du Parlement quant aux mesures à prendre en cas d'annulation seront prises en considération après l'examen du fond.

14 Il résulte de tout ce qui précède que les moyens invoqués contre la recevabilité du recours doivent être rejetés dans leur ensemble.

Sur le fond

15 Il convient liminairement d'examiner celles des dispositions de l'article 203 du traité CEE qui se trouvent au centre du débat entre les parties, ainsi que l'application qui en a été faite au cours de la procédure suivie pour l'établissement du budget pour l'exercice 1986. Le paragraphe 9 de cet article régit cette procédure dans la mesure où celle-ci concerne la fixation des dépenses dites non obligatoires, à savoir les dépenses autres que celles découlant obligatoirement du traité ou des actes arrêtés en vertu de celui-ci.

16 Il ressort des dispositions de l'article 203, paragraphe 4, alinéa 2, paragraphe 5, sous A), et paragraphe 6, que le Parlement a le droit d'amender le budget en ce qui concerne les dépenses non obligatoires, que le Conseil peut modifier chacun des amendements ainsi adoptés mais que le Parlement peut, au cours de sa seconde lecture du projet de budget tel que modifié par le Conseil, amender ou rejeter les modifications apportées à ces amendements par le Conseil. En revanche, en ce qui concerne les dépenses obligatoires, le Parlement n'est plus à même, en seconde lecture, de mettre en cause le sort que le Conseil a réservé aux propositions de modification que le Parlement a faites au cours de la première lecture.

17 Toutefois, l'article 203, paragraphe 9, prévoit une limite à l'augmentation des dépenses non obligatoires par rapport aux dépenses de même nature figurant au budget de l'exercice précédent. Cette limite est exprimée par un 'taux maximal d'augmentation' que les institutions de la Communauté sont, en vertu de l'alinéa 3 du paragraphe 9, tenues de respecter au cours de la procédure budgétaire.

18 Aux termes de l'alinéa 2 du paragraphe 9, le taux maximal est annuellement fixé par la Commission sur la base de trois données objectives, à savoir l'évolution du produit national brut, la variation moyenne des budgets nationaux et l'évolution du coût de la vie. Lorsque, au cours de la procédure budgétaire, le Parlement, le Conseil ou la Commission estime que les activités des Communautés exigent un dépassement de ce taux, un nouveau taux peut être établi, en vertu de l'alinéa 5 du paragraphe 9, par accord entre le Conseil et le Parlement.

19 Pour l'exercice 1986, la Commission a constaté, après consultation du comité de politique économique, que le taux maximal d'augmentation s'élevait à 7,1 %. Lors de la présentation de l'avant-projet de budget, la Commission a indiqué qu'elle s'était fixé pour objectif de contenir la croissance des crédits de paiement nécessaires aux dépenses non obligatoires dans la limite du taux maximal de 7,1 %. Elle a cependant ajouté que ce principe devait souffrir certaines exceptions.

20 A cet égard, la Commission a notamment rappelé, dans l''introduction politique générale' de l'avant-projet de budget, que depuis 1978 le volume des crédits d'engagement avait augmente à un rythme nettement supérieur à celui des crédits de paiement et que cette évolution a eu pour résultat, étant donné l'échelonnement dans le temps des réalisations correspondantes, que les besoins financiers pour honorer ces engagements s'accroissent sans cesse. Quelque 10 300 millions d'écus se seraient accumulés depuis 1978, dont 8 200 millions concernent les trois fonds structurels, à savoir le fonds social, le fonds régional et la section 'orientation' du féoga. Afin de procéder à la résorption de ce 'poids du passé' et d'en assurer la couverture financière, la Commission a considéré que l'augmentation des crédits de paiement devait dépasser le taux de 7,1 % dans la mesure nécessaire à la couverture, en 1986, des engagements en cause.

21 En adoptant le projet de budget en première lecture, le Conseil a fixé l'augmentation des crédits d'engagement aussi bien que celle des crédits de paiement à des montants qui se situaient dans les limites du taux maximal de 7,1 %. D'après les calculs du Conseil, le projet de budget s'est traduit par une augmentation de 578,1 millions d'écus en crédits d'engagement, soit 7,05 %, et de 430 millions d'écus en crédits de paiement, soit 7,04 %.

22 Dans les commentaires accompagnant son projet de budget, le Conseil s'est déclaré 'prêt à reconsidérer les crédits inscrits au titre du Feder et du Fse lors de la deuxième lecture du projet de budget et à assurer, à cette occasion, que les montants nécessaires pour respecter les engagements découlant des négociations d'adhésion à l'égard des deux nouveaux États membres soient mis à la disposition des pays concernés'. Il a en outre dit qu'il était convaincu, pour ce qui est du poids du passé, 'de ce qu'il s'agit là d'une question complexe que les deux branches de l'autorité budgétaire doivent résoudre ensemble et de ce que toute solution de cette question s'étalera nécessairement sur plusieurs exercices'.

23 L'alinéa 4 du paragraphe 9 prévoit, au cas où le taux d'augmentation qui résulte du projet de budget établi par le Conseil est supérieur à la moitié du taux maximal, que le Parlement, dans l'exercice de son droit d'amendement, peut encore relever le niveau des dépenses non obligatoires dans la limite de la moitie du taux maximal. En l'occurrence, le Conseil a chiffré cette marge de manœuvre du Parlement à 291,1 millions d'écus pour les engagements et a 216,65 millions d'écus pour les paiements.

24 Il faut observer que les chiffres fournis par le Conseil ne sont pas calculés par rapport à ceux résultant du budget 1985 tel qu'arrêté et publié, mais par rapport à une assiette corrigée, le Parlement ayant adopté, lors de la procédure budgétaire qui a conduit au budget 1985, certains amendements vis-à-vis desquels le Conseil avait formulé des réserves et des objections. Toutefois, étant donné que le budget 1985 n'a fait l'objet d'aucun recours en temps utile, le Conseil ne saurait, dans le cadre de la présente procédure relative au budget 1986, introduire une correction de l'assiette pour l'augmentation des dépenses non obligatoires en contestant la régularité de certains amendements adoptés au cours de la précédente procédure budgétaire ; en effet, les augmentations des dépenses résultant de ces amendements font partie des dépenses 'de l'exercice en cours' qui constituent, d'après l'alinéa 1 du paragraphe 9, la base de calcul pour l'application du taux maximal d'augmentation. Si l'on ne tient pas compte de la correction de l'assiette opérée par le Conseil, la marge de manœuvre du Parlement était de 294 millions d'écus pour les crédits d'engagement et de 217 millions d'écus pour les crédits de paiement.

25 Il est constant que les amendements adoptés par le Parlement en première lecture ont abouti à une augmentation globale des dépenses non obligatoires sensiblement supérieure à la marge de manœuvre qui vient d'être indiquée. Cette augmentation se situait, par rapport au projet de budget adopté par le Conseil, et selon les différentes méthodes de calcul que le Conseil et le Parlement ont suivies, en tout état de cause au-dessus de 1 700 millions d'écus pour les crédits d'engagement aussi bien que pour les crédits de paiement.

26 Il ressort des débats parlementaires que ces augmentations ont, en particulier, visé à contribuer à la résorption du 'poids du passé' ainsi que la Commission l'avait proposée dans son avant-projet de budget et à renforcer en outre les trois fonds structurels pour permettre à ceux-ci de faire face aux problèmes liés à l'adhésion à la Communauté de l'Espagne et du Portugal au 1er janvier 1986. Dans sa résolution sur le projet de budget général du 14 novembre 1985, le Parlement, après avoir rappelé les obligations politiques et juridiques contractées à l'égard des nouveaux États membres, a déclaré qu'il fallait réinscrire, sur la base des chiffres jugés nécessaires par la Commission, 'les crédits indispensables pour faire face à l'élargissement et la majeure partie des paiements découlant d'engagements qui ont déjà été votés lors d'exercices précédents', les deux catégories de dépenses étant indissociables.

27 Lors de sa seconde lecture du budget, le Conseil a décidé d'augmenter les dépenses non obligatoires, par rapport aux chiffres retenus dans le projet de budget, à concurrence de 1 199 millions d'écus pour les crédits d'engagement et de 1 251 millions d'écus pour les crédits de paiement. Ces montants représentaient un taux d'augmentation, sur la base de l'assiette 1985 corrigée telle que retenue par le Conseil, de 14,63 % pour les crédits d'engagement et de 20,5 % pour les crédits de paiement. Par lettre du 29 novembre 1985 au Président du Parlement, le Conseil a rendu compte de la façon dont il avait statué sur les amendements adoptés par le Parlement en première lecture, tout en indiquant que le Conseil était convenu 'en conséquence' de proposer à l'assemblée de fixer pour 1986, s'agissant des dépenses non obligatoires, de nouveaux taux pour les crédits d'engagement (14,63 %) et pour les crédits de paiement (20,5 %).

28 En commençant les débats relatifs à la seconde lecture du budget, le Parlement a laissé entendre qu'il jugeait les modifications acceptées par le Conseil trop modestes et qu'il n'était prêt à se rallier ni aux montants retenus par le Conseil en seconde lecture, ni aux chiffres modifiés du taux maximal d'augmentation. En effet, les débats ont été marqués par le souci d'établir un budget tel que les dépenses liées à l'élargissement et au 'poids du passé' soient suffisamment prises en compte.

29 Au cours de sa 1052e session, tenue à Strasbourg les 11 et 12 décembre 1985, le Conseil a encore formulé une proposition de compromis qu'il a qualifiée d'ultime. A cette occasion, le Conseil s'est déclaré prêt à accepter une nouvelle augmentation des montants retenus en seconde lecture, à savoir de 195,7 millions d'écus à titre de crédits d'engagement et de 241,8 millions d'écus à titre de crédits de paiement. Il a proposé en outre de porter le taux maximal d'augmentation à 17,02 % pour les crédits d'engagement et à 24,46 % pour les crédits de paiement. Le Conseil a habilité son Président à présenter ces propositions au Parlement, tout en précisant que celles-ci seraient retirées au cas où le Parlement ne marquerait pas son accord.

30 Le Parlement n'ayant pas accepté ces propositions de compromis, le Président du Conseil les a formellement retirées. En revanche, le Parlement a adopté des amendements qui ont porté l'augmentation des crédits, par rapport à ceux retenus par le projet modifié du Conseil, à 401,7 millions d'écus pour les crédits d'engagement et à 563,3 millions d'écus pour les crédits de paiement. L'ensemble des crédits afférents aux dépenses non obligatoires a ainsi été porté à 9 801,9 millions pour les crédits d'engagement et à 7 917,7 millions pour les crédits de paiement. Le 18 décembre 1985, le Président du Parlement a constaté que la procédure budgétaire était achevée et qu'en conséquence le budget général pour l'exercice 1986, tel qu'approuve par le Parlement en seconde lecture, était définitivement arrêté.

31 Les chiffres sus indiqués font apparaitre que l'augmentation des dépenses non obligatoires résultant de la seconde lecture du budget par le Parlement était de 18,17 % (engagements) et de 29,10 % (paiements) par rapport au budget 1985 tel qu'arrêté, ces chiffres étant, respectivement, de 19,53 % et de 29,73 % par rapport à l'assiette 1985 corrigée telle que retenue par le Conseil.

32 Cet exposé sommaire permet de constater trois circonstances de fait concernant l'application qui a été faite des dispositions relatives au taux maximal d'augmentation :

A) La Commission, le Conseil et le Parlement ont été d'accord pour estimer que le taux d'augmentation tel que fixé par la Commission n'était pas suffisant pour permettre le bon fonctionnement des Communautés au cours de l'exercice 1986 ;

B) Le Conseil et le Parlement n'ont pas été en mesure de se mettre d'accord sur un nouveau taux maximal d'augmentation bien que les positions finalement retenues par les deux institutions aient été assez proches l'une de l'autre ;

C) Les crédits retenus par le Parlement en seconde lecture et entérines par le budget tel qu'arrêté le 18 décembre 1985 par le Président du Parlement dépassent le taux maximal d'augmentation tel que fixé par la Commission et les différents taux modifiés qui avaient été proposés par le Conseil.

33 La constatation figurant sous B) est contestée par le Conseil. Celui-ci fait valoir que, en allant au-delà des augmentations proposées en seconde lecture par le Conseil, le Parlement a implicitement accepté les chiffres du taux maximal établis par le Conseil. Le Parlement a cependant observé qu'une telle thèse reviendrait à accepter un nouveau taux qui serait unilatéralement fixé par le Conseil alors que le traité exige un accord entre le Conseil et le Parlement. Il a rappelé en outre que le Parlement n'a pas seulement le choix d'accepter ou de refuser le nouveau taux proposé par le Conseil mais qu'il peut également à tout moment, en vertu de l'article 203, paragraphe 8, du traité, rejeter le projet de budget dans son ensemble.

34 Il convient de préciser, à cet égard, que, si le traité prévoit que la fixation du taux maximal par la Commission doit être effectuée sur la base d'éléments objectifs, aucun critère n'a été prévu pour la modification de ce taux : il suffit, d'après l'alinéa 5 du paragraphe 9 de l'article 203, que le Conseil et le Parlement se mettent d'accord. Étant donné l'importance d'un tel accord, qui donne aux deux institutions, agissant de concert, la liberté d'augmenter les crédits pour dépenses non obligatoires au-delà du taux constaté par la Commission, cet accord ne peut pas être réputé réalisé à partir de la volonté présumée de l'une ou de l'autre institution.

35 la constatation figurant ci-dessus sous C) est contestée par le Parlement. Cette institution soutient que les dépenses non obligatoires de l'exercice 1986, relatives à l'élargissement et à la résorption du 'poids du passé', n'avaient pas d'équivalent dans l'exercice 1985. Elles ne pouvaient donc pas être visées par la procédure établie par l'article 203, paragraphe 9, et consistant à appliquer aux dépenses non obligatoires de l'exercice en cours un taux maximal d'augmentation.

36 Cet argument ne saurait être accueilli. L'alinéa 1 du paragraphe 9 prévoit que, 'pour l'ensemble des dépenses autres que celles découlant obligatoirement du traité ou des actes arrêtés en vertu de celui-ci', un taux maximal 'par rapport aux dépenses de même nature de l'exercice en cours' est fixé chaque année. L'expression 'dépenses de même nature' ne peut se référer qu'aux dépenses mentionnées au début de cette phrase, à savoir celles qui sont non obligatoires. Il en résulte que le traité ne reconnait pas l'existence de dépenses non obligatoires dont l'augmentation échapperait au champ d'application du taux maximal d'augmentation.

37 Dans son mémoire en défense, le Parlement reproche, de plus, au Conseil de s'être comporté de façon illégale en présentant un projet de budget incomplet, notamment en ce que celui-ci ne comprenait pas les crédits nécessaires pour faire face à l'élargissement et à la résorption du 'poids du passé'. Le Conseil aurait ainsi violé les principes généraux d'une budgétisation complète et sincère. Ce comportement aurait contraint le Parlement à compléter le budget et, dès lors, limité les pouvoirs de celui-ci.

38 Quelle que soit l'incidence de cet argument sur le dépassement, par les amendements adoptés par le Parlement, du taux maximal d'augmentation, il suffit de constater sur ce point qu'il n'appartient pas à la Cour, mais au Conseil et au Parlement, agissant de concert, de déterminer les exigences que posent, pour le budget des Communautés, des situations particulières telles que l'adhésion de nouveaux États membres ou la résorption du 'poids du passé'.

39 Force est, dès lors, de constater que l'acte du Président du Parlement du 18 décembre 1985, par lequel celui-ci a constaté que le budget 1986 était définitivement arrêté, est intervenu à un moment où la procédure budgétaire n'était pas encore terminée, à défaut d'accord entre les deux institutions concernes sur les chiffres à retenir pour le nouveau taux maximal d'augmentation. Cet acte est, dès lors, entache d'illégalité.

Sur les conséquences à tirer de l'illégalité constatée

40 Le Conseil demande l'annulation du budget 1986 pour autant que les crédits d'engagement et les crédits de paiement au titre des dépenses non obligatoires dépassent les nouveaux taux d'augmentation proposés par le Conseil par lettre du 29 novembre 1985 au Président du Parlement. Le Conseil demande en outre à la Cour de déclarer que le constat d'arrêt définitif du budget, tel que prononcé par le Président du Parlement le 18 décembre 1985, a été fait en violation des traités, en particulier de l'article 203, paragraphes 7 et 9, du traité CEE et des dispositions parallèles des traités CEEA et CECA. A titre subsidiaire, le Conseil demande l'annulation du budget 1986 dans son ensemble et, par voie de conséquence, de l'acte du Président du Parlement du 18 décembre 1985 ; il invite la Cour à indiquer, en cas d'annulation totale, les effets qui sont à considérer comme définitifs.

41 Le Parlement demande à la Cour, pour le cas ou celle-ci estimerait le recours fondé, de dire que l'annulation porte sur l'ensemble du budget de façon à s'étendre à l'intégralité de la procédure budgétaire qui serait viciée dès le début par le comportement illégal du Conseil. Le Parlement souligne qu'une annulation partielle serait contraire au caractère d'acte unique du budget et qu'elle laisserait, en outre, subsister le projet modifié, en seconde lecture, par le Conseil, résultat contraire à l'article 203, paragraphe 9.

42 Il y a lieu d'observer d'abord que, s'il incombe à la Cour de veiller à ce que les institutions constituant l'autorité budgétaire respectent les limites de leurs compétences, il ne lui appartient pas d'intervenir dans le processus de négociation entre le Conseil et le Parlement qui doit aboutir, dans le respect de ces limites, à l'établissement du budget général des Communautés. Il convient, en conséquence, de rejeter les conclusions principales du Conseil tendant à une annulation partielle du budget, qui aurait pour effet de mettre en vigueur la version de ce document résultant des propositions faites par le Conseil au Parlement le 29 novembre 1985.

43 Il faut remarquer ensuite que l'irrégularité qui s'attache à l'acte du Président du Parlement du 18 décembre 1985 trouve son origine dans la circonstance que celui-ci a constaté, aux termes de l'article 203, paragraphe 7, que le budget était 'définitivement' arrête alors qu'un arrêt définitif n'était pas encore acquis, les deux institutions n'étant pas encore tombées d'accord sur les chiffres concernant un nouveau taux maximal d'augmentation.

44 En regardant, rétrospectivement, la situation telle qu'elle se présentait lors de la seconde lecture du budget par le Parlement, il parait que les positions respectives des deux institutions ne pouvaient guère faire obstacle à la possibilité d'arriver à un accord. En effet, les augmentations des dépenses non obligatoires établies par le Parlement représentaient des taux d'augmentation de 18,17 % pour les crédits d'engagement et de 29,10 % pour les crédits de paiement, alors que les taux résultant des dernières propositions du Conseil - les propositions de compromis, bien qu'ultérieurement 'retirées' - étaient, respectivement, de 17,02 % et de 24,46 %.

45 La Cour n'a pas à examiner dans quelle mesure l'attitude du Conseil ou du Parlement au cours de toute la négociation budgétaire les a empêchés d'arriver à un accord. Elle doit se borner à déclarer que, cet accord essentiel faisant défaut, le Président du Parlement ne pouvait pas légalement constater que le budget était définitivement arrêté ; dès lors, cette constatation doit être annulée.

46 L'annulation de l'acte du Président du Parlement a pour effet de priver le budget 1986 de sa validité. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions du Conseil tendant à l'annulation totale de ce budget.

47 Il appartient au Conseil et au Parlement de prendre les mesures que comporte l'exécution du présent arrêt et de reprendre la procédure budgétaire au point précis ou le Parlement a, en seconde lecture, augmenté les crédits au titre de dépenses non obligatoires en dépassement du taux maximal d'augmentation fixé par la Commission sans s'être mis d'accord avec le Conseil sur le chiffre d'un nouveau taux.

48 La constatation de l'invalidité du budget 1986 intervient à un moment où une partie importante de l'exercice 1986 s'est déjà écoulée. Dans ces circonstances, la nécessité de garantir la continuité du service public européen ainsi que d'importants motifs de sécurité juridique, comparables à ceux qui interviennent en cas d'annulation de certains règlements, justifient que la Cour exerce le pouvoir que lui confère expressément l'article 174, alinéa 2, du traité CEE en cas d'annulation d'un règlement et qu'elle indique les effets du budget 1986 qui doivent être considérés comme définitifs. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de juger que l'annulation de l'acte du Président du Parlement ne peut pas mettre en cause la validité des paiements effectués et des engagements pris en exécution du budget 1986 jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt.

49 Le Conseil a encore présenté, dans le cadre de la présente procédure, une demande qui ne concerne pas l'application faite du taux maximal d'augmentation, mais le relèvement, par le Parlement, en seconde lecture, de certaines lignes budgétaires visant des dépenses qui sont, d'après le Conseil, des dépenses obligatoires.

50 Après l'annulation de l'acte du Président du Parlement du 18 décembre 1985, cette demande est devenue sans objet. Il y a lieu, par ailleurs, d'observer que les problèmes de délimitation des dépenses non obligatoires par rapport aux dépenses obligatoires font l'objet d'une procédure interinstitutionnelle de conciliation instituée par la 'déclaration commune' du Parlement européen, du Conseil et de la Commission du 30 juin 1982 (JO C 194), et qu'ils sont de nature à être résolus dans ce cadre.

51 En définitive, il convient dès lors :

- d'annuler l'acte du Président du Parlement du 18 décembre 1985 constatant que le budget 1986 était definitivement arrêté ('arrêt définitif du budget General des Communautés européennes pour l'exercice 1986') ;

- d'indiquer que cette annulation ne peut pas mettre en cause la validité des paiements effectués et des engagements pris, avant le prononcé du présent arrêt, en exécution du budget 1986 tel que publié au Journal officiel ;

- de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

52 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. Toutefois, selon le paragraphe 3, alinéa 1, du même article, la Cour peut compenser les dépens en totalité ou en partie, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. Les parties ayant succombé chacune en certains de leurs moyens, il y a lieu de compenser les dépens ; les parties intervenantes doivent supporter leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Déclare et arrête :

1) L'acte du Président du Parlement européen du 18 décembre 1985, constatant que le budget 1986 était definitivement arrêté ('arrêt définitif du budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1986', JO L 358, p. 1), est annulé.

2) L'annulation de l'acte du Président du Parlement européen du 18 décembre 1985, précité, ne permet pas de mettre en cause la validité des paiements effectués et des engagements pris, avant le prononcé du présent arrêt, en exécution du budget 1986 tel que publié au Journal officiel des Communautés européennes.

3) Le recours est rejeté pour le surplus.

4) Chacune des parties, y compris celles intervenues dans le litige, supporter à ses propres dépens.