Cass. crim., 22 mars 1990, n° 89-82.374
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Le Gunehec
Rapporteur :
M. Jean Simon
Avocat général :
M. Rabut
Avocats :
SCP Delaporte, Briard, SCP Waquet, Farge, Hazan
LA COUR : - Rejet des pourvois formés par X Jean-Jacques, Y Michel, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 22 mars 1989, qui a condamné Jean-Jacques X à 6 mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 francs d'amende pour vente de produit propre à effectuer la falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme et provocation à son emploi, avec cette circonstance que la substance falsifiée était nuisible à la santé de l'homme et Michel Y à 9 mois d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende pour complicité de ce délit, a ordonné la confiscation des marchandises et du matériel saisis ainsi que la publication de la décision et a prononcé sur les réparations civiles. - Joignant les pourvois en raison de la connexité ; - Vu les mémoires produits ; - Sur le pourvoi de Jean-Jacques X ; - Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 3 et 8 de la loi du 1er août 1905, 1 à 4 de la loi n° 76-1067 du 27 novembre 1976, 1 à 4 de la loi n° 84-609 du 16 juillet 1984, 4 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, ensemble de violation du principe specialia generalibus derogant ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir, en 1983 et 1984, donné des instructions ou participé à la mise à exécution d'instructions prises par la direction de la société Denkavit pour utiliser de l'Actifort, produit propre à effectuer la falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme ;
" alors, d'une part, que lorsque des textes spécifiques sont édictés pour réprimer des infractions particulières, c'est au regard de ces seuls textes, en vertu du principe specialia generalibus derogant, que doivent être appréciés les faits éventuellement constitutifs des infractions reprochées à un prévenu ; qu'en l'espèce, la loi n° 76-1067 du 27 novembre 1976 interdisait l'usage des oestrogènes en médecine vétérinaire et la loi n° 84-609 du 16 juillet 1984 l'usage des substances anabolisantes ; que, dès lors qu'il était reproché à X d'avoir donné des instructions pour administrer aux animaux de l'Actifort, produit oestrogène anabolisant, c'est au regard des seuls textes précités que devaient être appréciés les faits qui lui étaient reprochés ; qu'en fondant la déclaration de culpabilité sur un texte inapplicable aux faits de l'espèce, en l'espèce l'article 3 de la loi du 1er août 1905, la cour d'appel a violé le principe sus-rappelé ;
" alors, d'autre part, que, dès lors que la poursuite avait été engagée sur le fondement de l'article 3 de la loi du 1er août 1905, inapplicable aux faits de l'espèce dans la mesure où une sanction particulière de ces faits avait été prévue par des textes spéciaux, la cour d'appel n'avait d'autre pouvoir que celui de renvoyer le prévenu des fins de la poursuite ; qu'ainsi la déclaration de culpabilité et la condamnation sont illégales ;
" alors, de troisième part, que l'abrogation d'une loi pénale a un effet rétroactif sur les faits commis avant son entrée en vigueur et qui n'étaient pas, à la date de cette entrée en vigueur, définitivement jugés ; qu'en l'espèce, il est constant que la loi n° 76-1067 du 27 novembre 1976 interdisant l'usage des oestrogènes en médecine vétérinaire a été abrogée en 1984 sans être remplacée par aucun autre texte portant la même interdiction ; qu'il s'ensuit que l'usage des oestrogènes n'étant plus pénalement réprimé, cet usage ne peut même pas constituer une fraude au sens de l'article 3 de la loi du 1er août 1905 de sorte que les faits d'utilisation d'oestrogène reprochés au prévenu pour 1983 et 1984 ne pouvaient plus être appréhendés sur le fondement de ce dernier texte et que la déclaration de culpabilité est illégale ;
" alors enfin que la loi n° 84-609 du 16 juillet 1984 prohibant l'usage de substances anabolisantes ne peut avoir aucun effet rétroactif et que, jusqu'à l'entrée en vigueur de cette loi, l'utilisation de substances anabolisantes ne pouvait, par conséquent, constituer une fraude au sens de l'article 3 de la loi du 1er août 1905 ; qu'en déclarant cependant le prévenu coupable de fraude au sens de ce texte sans s'expliquer sur la date à laquelle aurait commencé l'utilisation des substances interdites et cependant qu'il n'est nullement établi que l'utilisation de l'Actifort ait été poursuivie postérieurement à l'entrée en vigueur de cette loi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Denkavit, qui pratiquait l'élevage en batterie de veaux de boucherie, a fourni aux éleveurs un produit anabolisant dénommé Actifort, contenant 1 % d'oestradiol et 1 % de Nandrolone, destiné à être injecté aux bêtes 4 semaines avant leur abattage ; que Jean-Jacques X, directeur adjoint du service technique de cette société, a été notamment poursuivi pour avoir vendu ledit produit propre à effectuer la falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme ou provoqué son emploi au moyen d'instructions, avec cette circonstance que la substance falsifiée était nuisible à la santé de l'homme ;
Attendu que pour déclarer le prévenu coupable de cette infraction la juridiction du second degré retient que la décision de traiter les veaux avec le produit Actifort a été prise par Jean-Jacques X, qui en connaissait la composition et a donné au personnel les instructions nécessaires à son utilisation, et que la viande des bêtes abattues était nuisible à la santé humaine ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 3.4° de la loi du 1er août 1905, lequel n'exige pas que le produit utilisé soit lui-même interdit mais seulement qu'il soit propre à effectuer la falsification ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 3 de la loi du 1er août 1905 et 593 du Code de procédure pénale, 6.3 d de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'avoir donné des instructions ou participé à la mise à exécution d'instructions prises par la direction de la société Denkavit pour utiliser l'Actifort, produit propre à effectuer la fabrication de denrées servant à l'alimentation de l'homme ;
" aux motifs que la décision de traiter les veaux avec le produit Actifort avait été prise par le service technique de la société Denkavit qui avait, fin 1983 début 1984, indiqué, aux techniciens devant mettre en œuvre ce traitement dans les étables, les conditions d'utilisation du produit et le moyen de se le procurer ; qu'il résultait de la déclaration de Couplière et des témoignages des techniciens que X était à l'origine de cette décision prise à un moment où le directeur du service technique Van Gool était soit en instance de départ, soit déjà parti de la société Denkavit et que son remplaçant, le vétérinaire Strietman, s'il avait pris ses fonctions se trouvait dans l'incapacité de donner des instructions aux techniciens présents sur le terrain compte tenu de la nature de ses fonctions et du fait que, de nationalité néerlandaise, il ne parlait pas le français ; que les allégations de X prétendant qu'il ignorait que l'Actifort était un produit anabolisant oestrogène ne sont pas admissibles ; que Couplière avait affirmé que X connaissait la composition du produit et lui avait même reproché à l'occasion de n'avoir pas toujours scrupuleusement respecté le taux de 1 % d'oestradiol ; que les instructions données par le service technique de traiter les veaux au moins 4 semaines avant l'abattage ne laissaient pas de doute sur la nature du produit injecté ; que, selon Delpech, X l'avait sollicité en 1984 pour la fabrication de produits hormonaux à base d'oestradiol ; que la lettre dont se prévalait X indiquant que l'Actifort ne contenait pas d'oestradiol avait été rédigée à la demande de ce dernier ; qu'enfin le produit ayant été conditionné dans des flacons ne portant au début qu'une simple étiquette mentionnant le nom du produit sans aucune indication sur sa composition et ensuite dans des flacons entièrement nus ne pouvant être identifiés que par le nom de l'expéditeur figurant sur le carton d'emballage, il serait inconcevable dans ces conditions que X, directeur adjoint du service technique ait pu prendre la responsabilité de faire traiter ou laisser traiter 40 000 veaux avec un produit vétérinaire dont il n'aurait pas connu exactement la composition et le résultat qu'il pouvait en attendre ;
" alors, d'une part, que l'article 3.4° de la loi du 1er août 1905 vise à atteindre " ceux qui exposeront, mettront en vente ou vendront, connaissant leur destination, des produits, objets ou appareils propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux, des boissons ou des produits agricoles ou naturels et ceux qui auront provoqué à leur emploi par le moyen de brochures... ou instructions quelconques " ; que le produit incriminé qui était, en l'espèce, directement administré aux animaux n'était par conséquent pas utilisé pour falsifier les denrées servant à leur alimentation et que le veau vivant ne constitue pas une denrée au sens du texte sus-énoncé ; qu'il s'ensuit que la fraude reprochée au prévenu n'est pas constituée ;
" alors, d'autre part, que le délit de l'article 3.4° de la loi du 1er août 1905 ne peut être constitué que si les instructions à l'effet d'utiliser un produit destiné à falsifier des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux ont été données par écrit, les instructions orales ayant été exclues par le législateur ; qu'il ne résulte d'aucun des motifs de l'arrêt attaqué que le prévenu eût jamais donné la moindre instruction écrite d'utiliser l'Actifort ; que, par conséquent, la déclaration de culpabilité n'est pas légalement justifiée ;
" alors, de troisième part, que X qui n'a jamais été ni directeur, ni directeur adjoint des services techniques de la société Denkavit mais simple technicien du rationnement, faisait valoir, dans ses conclusions demeurées sans réponse, que les premières instructions concernant l'utilisation du produit Actifort avaient été données ainsi qu'il ressortait d'une note écrite en date du 22 août 1983 émanant du docteur Van Gool, directeur du service technique responsable des traitements et méthodes d'élevage, et signée par ce dernier, cependant que lui-même, qui se trouvait à cette date à Narbonne-Plage - ainsi qu'il l'a prouvé - ne pouvait se trouver en même temps - c'est l'évidence - au siège de la société, qu'il y soulignait que la recommandation d'utiliser ce produit avait été faite par le docteur Van Gool lors d'une réunion à Saint-Sauveur-des-Landes à laquelle lui-même n'avait pas assisté (cotes D. 57, D. 61, D. 64, D. 92) et qu'enfin l'organigramme de la société démontrait que ses seules fonctions consistaient à pointer et viser toutes les factures relatives aux éleveurs et à contrôler sur le terrain les conditions d'emploi des aliments pour éviter le gaspillage et assurer une bonne nutrition des bêtes car il n'avait aucune compétence ni aucune fonction lui permettant de prescrire l'utilisation de médicaments ; qu'en ne s'expliquant pas sur ces moyens péremptoires des conclusions et en affirmant contre les éléments du dossier eux-mêmes que le prévenu était directeur adjoint du service technique et que le directeur technique Van Gool était soit en instance de départ soit déjà parti lorsque la décision d'utilisation de l'Actifort avait été prise, tout en constatant par ailleurs, que Van Gool avait, au début de l'année 1983, donné à Couplière la formule du produit Actifort et indiqué à quel prix la société Denkavit pourrait l'acheter, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;
" alors, de quatrième part, que, dans ses conclusions également demeurées sans réponse sur ce point, X avait fait valoir qu'il n'avait jamais, malgré sa demande expresse à cette fin, été confronté avec son accusateur le docteur Delpech ; qu'en retenant à la charge du prévenu les déclarations de ce témoin sans qu'il ait jamais été fait droit à sa demande de confrontation, la cour d'appel a violé les droits de la défense ;
" alors enfin qu'en se bornant à affirmer que le successeur du docteur Van Gool, qui avait pris ses fonctions au départ de celui-ci, était dans l'incapacité de donner des instructions aux techniciens en raison de la nature de ses fonctions et parce qu'il ne parlait pas le français, la cour d'appel n'a nullement justifié la déclaration de culpabilité à la charge du prévenu ; qu'en effet, contrairement aux énonciations de l'arrêt attaqué, les fonctions du directeur technique de la société Denkavit, qui était toujours un vétérinaire, consistaient à définir les traitements à entreprendre ainsi que le régime alimentaire à suivre et à prescrire l'utilisation des médicaments nécessaires à l'élevage, et que, par ailleurs, la circonstance que le docteur Strietman n'aurait pas parlé français n'excluait nullement qu'il pût transmettre ses ordres et ses instructions ou qu'il pût prendre des décisions concernant l'élevage " ;
Attendu, d'une part, qu'il résulte de l'arrêt attaqué que l'Actifort était injecté aux bêtes 4 semaines avant leur abattage en vue de la vente en boucherie de leur viande, denrée servant à l'alimentation de l'homme ;
Attendu, d'autre part, que les juges retiennent que Jean-Jacques X, qui était responsable de l'encadrement technique du personnel, a donné des instructions en vue de l'utilisation de l'Actifort, au lieu et place du directeur du service technique en instance de départ et de son successeur qui, de nationalité néerlandaise, ne parlait pas la langue française ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel qui a répondu sans insuffisance aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ; qu'en effet l'article 3, alinéa 1.4°, de la loi du 1er août 1905 n'exige pas que les instructions qu'il prévoit soient données par écrit ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le pourvoi de Michel Y : - Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 3.4°, 3, alinéa 6, de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes, 593 du Code de procédure pénale, du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, défaut de motifs, manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de complicité de mise en vente d'un produit destiné à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme avec la circonstance que la substance falsifiée est nuisible à la santé de l'homme et l'a condamné de ce chef à une peine de 9 mois d'emprisonnement assortie du sursis et à une amende de 50 000 francs ;
" alors que la circonstance aggravante mentionnée à l'article 3, paragraphe 2, de la loi du 1er août 1905, à savoir " si la substance falsifiée ou corrompue, ou si la substance médicamenteuse falsifiée est nuisible à la santé de l'homme ou de l'animal, l'emprisonnement sera de 6 mois à 4 ans et l'amende de 2 000 à 500 000 francs " n'est pas applicable au délit prévu par l'article 3, paragraphe 1.4°, de la loi précitée qui vise exclusivement l'exposition, la mise en vente ou la vente " des produits, objets ou appareils propres à effectuer la falsification des denrées servant à l'alimentation de l'homme ou des animaux " ; que le prévenu, étant recherché pour avoir vendu un produit propre à effectuer la falsification des denrées, ne pouvait donc légalement se voir reprocher la vente d'une " substance falsifiée " nuisible à la santé de l'homme ou de l'animal ;
" et alors que la peine prononcée étant expressément justifiée selon la cour d'appel par la circonstance aggravante de la dangerosité du produit, la cassation ne saurait être évitée " ;
Attendu que Michel Y a été poursuivi pour complicité de mise en vente d'un produit propre à effectuer la falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme avec cette circonstance aggravante que la substance falsifiée était nuisible à la santé de l'homme ;
Attendu que, pour retenir à la charge du prévenu ladite circonstance aggravante, la juridiction du second degré relève que la viande des bêtes abattues, sur lesquelles avait été pratiquée l'injection d'un produit anabolisant contenant des substances à action oestrogène, nuisait à la santé humaine ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations la cour d'appel a retenu à bon droit à l'encontre du prévenu la circonstance aggravante susvisée qui, prévue par l'article 3, alinéa 2, de la loi du 1er août 1905 telle que modifiée par l'article 9 de la loi du 10 janvier 1978, est applicable à toutes les infractions définies par le premier alinéa de ce texte ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Rejette les pourvois.