CA Rennes, 7e ch. civ., 23 octobre 2002, n° 01-01650
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SMABTP (Sté)
Défendeur :
Ace Insurance (SA), AIG Europe (SA), Axa Assurances IARD, Axa Corporate Solutions Assurances (SA), Axa Belgium, Fortis Corporate Insurance, Société Financière et Industrielle du Péloux, Sodistra ZI, Zurich Belgique, Zurich International France (ès qual.), Plasteurop (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Laurent
Conseillers :
M. Garrec, Mme Lafay
Avoués :
SCP Gauvain & Demidoff, SCP Chaudet & Brebion, Mes Gautier, Bourges, SCP Bazille & Genicon, SCP Guillou & Renaudin
Avocats :
Mes Cenac, Lesage, Caston Cabouche, Associes, Troy, Verne, Riouallon, SCP Boedec & Raoul-Bourles,
La société Batiroc, maître d ouvrage principal, a décidé en 1991 de faire construire un bâtiment à usage industriel devant être exploité pour la production de bardes de lard reconstituées par la société Cap Diana (compagnie alimentaire Pleucadienne). Celle-ci était maître d ouvrage délégué. La maîtrise d'œuvre a été confiée à la SARL Thebault Ingénierie. La société Sodistra, assurée par la Cie Axa Assurance IARD, a eu la charge du lot panneaux isothermiques et bardages selon marché du 20 janvier 1992. En vue d'assurer l'isolation thermique des locaux, la société Sodistra a mis en œuvre des panneaux fabriqués par la société Plasteurop, assurée par la SMABTP. Ces panneaux sont composés d'une âme en mousse de polyuréthanne enserrée entre une paroi extérieure en tôle d'acier et une paroi intérieure en polyester. Les travaux se sont déroulés de septembre 1991 à avril 1992. Les réserves relatives aux panneaux isothermiques émises lors de la réception intervenue le 26 mai 1992 ont été levées le 28 septembre 1992. La façade intérieure des panneaux isolants ayant présenté des désordres qui se généralisaient, le maître d ouvrage a déclaré le sinistre à son assureur dommages ouvrage, la Cie Cigna qui, après dépôt du rapport de l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal de grande instance de Vannes par ordonnance du 13 janvier 1995, a versé le 22 août 1996 à son assurée une indemnité de 859 001 F HT. L'assureur dommages ouvrage a ensuite assigné Sodistra, Plasteurop et leurs assureurs. La SMABTP déniant sa garantie, Plasteurop a attrait à la cause un certain nombre d'assureurs susceptibles de la garantir de ses responsabilités en raison du caractère sériel des désordres.
Par jugement du 19 décembre 2000, le Tribunal de grande instance de Vannes a notamment, sur la responsabilité de la société Sodistra :
- dit que les désordres qui affectent les panneaux isothermiques rendent l'usine Cap Diana impropre à sa destination puisque les conditions d'hygiène obligatoires relatives à la température et à la propreté ne peuvent plus être maintenues ;
- dit que le vice du matériau ne constitue pas une cause étrangère ;
- retenu en conséquence la responsabilité de plein droit de la société Sodistra sur le fondement de l'article 1792 du Code civil ; sur la responsabilité de la société Plasteurop :
- dit que les panneaux fabriqués par celle-ci apparaissent comme une partie d'ouvrage ou un élément d équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance ;
- retenu en conséquence la responsabilité solidaire du fabricant avec le poseur envers le maître de l'ouvrage sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil ;
Le tribunal a en outre constaté qu'aucune faute n'est imputable à la société Sodistra et a donc condamné Plasteurop et son assureur à la garantir. Il a par ailleurs rejeté la demande en nullité du contrat d'assurance formée par la SMABTP à l'encontre de Plasteurop sur le fondement de l'article L. 113-9 du Code des assurances, condamné l'assureur à garantir son assuré et fait droit à la demande en paiement formée directement par la société Cigna.
Il a enfin rejeté la demande de la SMABTP relative au cumul d'assurances et au plafond de garantie. La SMABTP a fait appel de ce jugement.
La cour renvoie à ses dernières écritures du 10 juin 2002 aux termes desquelles elle soutient notamment :
± que les panneaux Plasteurop ne peuvent être considérés comme des EPERS dès lors qu'il s'agit d'un matériau standard produit par divers fabricants qui a toutes sortes d'usage, n'a pas une conception particulière et spécifique, doit être mis en œuvre sur une structure non fournie ni définie ; elle en conclut que le jugement doit être réformé en ce qu il a retenu la responsabilité du fabricant sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil ;
± que Plasteurop a volontairement dissimulé des éléments de risque ce qui doit entraîner la nullité du contrat d assurance ;
± que la cour doit retenir son plafond de garantie de 6 000 000 F déjà atteint en raison du caractère sériel du sinistre ;
± qu en toute hypothèse il y a cumul d'assurances ce qui doit conduire à la garantie de l'UAP et de La Royale Belge.
La société financière & industrielle du Peloux (SFIP) venant aux droits de Plasteurop conclut à :
± la confirmation du jugement en ce qu'il a qualifié les panneaux qu'elle fabrique d'EPERS ;
± l'illicéité du plafond de garantie en cas d'application de l'article 1792-4 du Code civil ;
± l'irrecevabilité de la demande de nullité de la police d'assurance formée par la SMABTP en raison de l'autorité de chose jugée ;
Elle conclut subsidiairement sur les autres points du litige et notamment sur les garanties dues par les autres assureurs. Formant appel incident elle indique que c'est la contestation de la SMABTP qui l'a contrainte à appeler les autres assureurs dans la cause et demande à être déchargée ou garantie des indemnités de procédure qu'elle a été condamnée à leur verser. La cour renvoie à ses dernières écritures du 17 juin 2002.
Les sociétés Axa assurances IARD mutuelle et Sodistra, son assurée, concluent à la confirmation du jugement et au rejet de la demande de la SA Ace International SA-NV (anciennement Cigna) de capitalisation des intérêts. Elles demandent la somme de 1 524,49 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en appel. La cour renvoie à leurs dernières écritures du 10 juillet 2002.
La Cie Ace International SA-NV venant aux droits de la Cie Cigna conclut à la confirmation du jugement et demande la capitalisation des intérêts par application de l'article 1154 du Code civil à compter du 2 avril 1997. La cour renvoie à ses dernières écritures du 1er juillet 2002.
Zurich international France (conclusions du 15 juillet 2002), Axa corporate solutions, anciennement Axa Global Risks venant aux droits de l'UAP assureur de Plasteurop, et les autres assureurs (conclusions du 14 août 2002) concluent essentiellement qu'elles ne garantissent pas la responsabilité décennale.
SUR CE
Considérant que nul ne conteste que les décollements, déformations et cloquages de la peau en polyester formant paroi intérieure des panneaux ont rendu l'usine Cap Diana impropre à sa destination puisque ces désordres ne permettaient plus de maintenir les conditions d'hygiène nécessaires à l'industrie agro-alimentaire en matière de température et de propreté ;
Qu'il n'est pas plus prétendu que Sodistra a effectué une mauvaise mise en œuvre des panneaux ; que les diverses expertises, contradictoirement versées aux débats, relatives aux nombreux sinistres survenus dans d'autres usines démontrent que les désordres sont dus à un phénomène physico-chimique complexe tenant à la nature des matériaux ;
Qu'il est enfin établi que la somme versée par Cigna à son assurée représente le montant des réparations puisque l'expert judiciaire avait fixé les reprises entre environ 1 250 000 F et 1 510 000 F alors que c'est une somme de 859 000 F seulement qui a été versée par l'assureur dommages ouvrage ;
Sur la responsabilité du fabricant
Considérant que l'article 1792-4 du Code civil dispose que le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou d'élément d'équipement considéré ;
Considérant qu'en l'espèce il résulte de l'avis technique de la CSTB que les panneaux sont fabriqués par Plasteurop pour constituer des entrepôts frigorifiques à température négative ou positive ;
Qu'ils constituent le clos extérieur des bâtiments, la séparation ou les plafonds des ateliers de fabrication de l'entreprise Cap Diana, ce qui en fait indiscutablement soit une partie d'ouvrage soit un élément d équipement ;
Que le fabricant propose une gamme de panneaux que le concepteur de l'immeuble choisit en fonction de la plage de température qu il souhaite obtenir ; qu'après avoir fabriqué des éléments dont les deux parois étaient en tôle, Plasteurop a réalisé des panneaux présentant une face interne en polyester adaptée à l'ambiance agressive de l'industrie agro-alimentaire et satisfaisant aux normes d'hygiène exigées par ce type d'industrie ;
Que les panneaux sont fixés sur rail plastique ; que leur montage est réalisé selon les préconisations du fabricant par emboîtement et complété par un joint ; que leur fixation à l'ossature porteuse se fait par des inserts métalliques incorporés au produit et solidaires de la paroi extérieure ; que le fabricant a également fourni l'ensemble des accessoires nécessaires au montage : rails, crapauds, vis auto-taraudeuses, profils de finition... ;
Qu il résulte de ce qui précède que le fabricant a conçu et produit des panneaux isothermiques, pour satisfaire, en état de service après mise en œuvre conformément aux règles qu il a édictées, aux exigences précises et déterminées à l'avance de maintien d'une certaine température, de résistance à l'ambiance agressive et de conditions d'hygiène exigées par l'industrie agro-alimentaire ;
Que ce produit peut être mis en œuvre sans modification, ce qui n'exclut pas quelques ajustements autorisés par le fabricant à savoir la pose de châssis d'éclairement, le découpage de portes, fenêtres et passages de gaines nécessaires dès lors qu il s'agit de murs et de cloisons ; qu'il importe peu que les ouvrages de dallage ne fassent pas partie du procédé visé par l'avis et que le soubassement ne soit pas défini par le fabricant ;
Considérant que c'est donc à raison que le premier juge a considéré que Plasteurop a conçu, produit et livré des éléments entraînant sa responsabilité solidaire avec le locateur d'ouvrage ; qu'il est indifférent que d'autres fabricants commercialisent ce type de produit ;
Sur la garantie de la SMABTP
1) Sur la nullité de la police
Considérant qu aux termes de l'article 1351 du Code civil l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes partes, et formée par elles et contre elles en la même qualité ;
Considérant qu'à la suite de désordres survenus dans une fromagerie sur des panneaux isolants produits par Plasteurop, l'assureur de l'isoleur, la société Travisol, a indemnisé le maître de l'ouvrage ; qu'appelée en paiement, la SMABTP a conclu à la nullité de la police souscrite par la société Plasteurop le 12 décembre 1990 pour dissimulation de l'importance du risque ; que la société Plasteurop a été mise en cause ; que par jugement du 15 février 2000 le Tribunal de grande instance de Paris a dit la SMABTP mal fondée à invoquer la nullité de la police et l'a condamnée à couvrir le sinistre ; que ce jugement a été confirmé par la Cour d'appel de Paris le 24 janvier 2002 ;
Que cette décision rendue entre la SMABTP et la société Plasteurop devenue société financière & industrielle du Peloux porte sur la même demande de nullité fondée sur les mêmes causes et concernant la même police d'assurance ; qu'elle a donc autorité de chose jugée peu important qu'elle ne soit pas passée en force de chose jugée en raison d'un pourvoi ;
Que c'est en conséquence à bon droit que l'assurée conclut à l'irrecevabilité de cette demande par application de article 480 du nouveau Code de procédure civile ;
2) Sur le plafond de garantie
Considérant que les dispositions d'ordre public de la loi du 4 janvier 1978 rendent illicites les plafonds de garantie dans les polices relatives aux garanties obligatoires dont fait partie la garantie décennale des fabricants sur le fondement de l'article 1792-4 du Code civil ;
Que ce plafond est néanmoins licite en ce qui concerne les garanties facultatives souscrites par la société Plasteurop ;
Qu'en l'espèce cependant seule la réparation des désordres est demandée à l'exclusion de tout préjudice d'exploitation ou autre préjudice matériel ou immatériel ;
Que le jugement sera confirmé sur ce point ;
Sur les demandes formées contre les autres assureurs
Considérant que ce qui a été jugé ci-dessus rend inutile l'appel en cause par la société financière & industrielle du Peloux de ses autres assureurs ;
Considérant que ceux-ci ne garantissent pas la responsabilité décennale du fabricant mais sa responsabilité civile après livraison ; qu'il n y a donc aucun cumul d'assurance sur ce point ;
Que la SMABTP ne démontre en outre pas qu elle a réglé des garanties non obligatoires à concurrence de son plafond de 6 000 000 F, étant de nouveau fait observer que seule la garantie obligatoire a été mise en jeu en l'espèce ;
Sur la demande de capitalisation des intérêts
Considérant que l'article 1154 du Code civil dispose que les intérêts échus des capitaux peuvent produire intérêts par une demande judiciaire pourvu qu'il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que cette demande est recevable mais que le point de départ des intérêts capitalisés ne peut être antérieur à la demande de capitalisation intervenue pour la première fois devant la cour par conclusions du 29 octobre 2001 ;
Sur les demandes relatives à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile
Considérant que c'est conformément à l'équité que le premier juge a mis à la charge de la société financière & industrielle du Peloux des indemnités de procédure au profit des assureurs de responsabilité civile ; que c'est cependant le déni de garantie de la SMABTP qui l'a contrainte à les mettre en cause ; que celle-ci sera donc condamnée à la garantir de ces condamnations ;
Qu'en revanche en cause d'appel il est juste, dès lors que la SMABTP succombe en toutes ses demandes principales et subsidiaires, de la condamner directement à payer à Ace Insurance SA-NV, à Zurich international France, à Axa Corporate solutions assurance SA et ses co-concluants ensemble, la somme de 1 500 euro ; Que c'est une même somme qui sera mise à la charge de la société financière & industrielle du Peloux au profit d'Axa assurances IARD mutuelle et de la société Sodistra sous la garantie de la SMABTP ;
Que la SMABTP devra verser à la société financière & industrielle du Peloux la somme de 1 500 euro à titre d indemnité de procédure d'appel ;
Sur les autres demandes
Considérant que la SMABTP qui succombe entièrement en son appel sera condamnée aux dépens d'appel ;
Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré. Y ajoutant : - dit que la SMABTP devra garantir la société financière & industrielle du Peloux des condamnations prononcées contre elle sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. - dit que les intérêts échus des sommes dues à Ace Insurance SA-NV produiront intérêts pour une année entière à compter du 29 octobre 2001. Condamne la SMABTP à payer à la société financière & industrielle du Peloux, à Ace Insurance SA-NV, à Zurich international France chacun, à Axa Corporate solutions assurance SA et ses co-concluants ensemble, la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SMABTP aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.