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Décisions

CA Orléans, ch. solennelle, 18 mars 2005, n° 04-01325

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Unibail Développement (SARL)

Défendeur :

Lugagne Delpon (Epoux) , Ader, Combes-Berton & Mozziconacci (SCP)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Marion

Conseillers :

MM. Gouilhers, Foulquier

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Desplanques-Devauchelle, Me Bordier

Avocats :

Mes Lacan, Vidal de Verneix, SCP Trias Vérine Vidal

TGI Paris, 26 mars 1999

26 mars 1999

A l'audience publique du 21 janvier 2005, ont été entendus Monsieur Bernard Bureau, Président de Chambre, en son rapport et les avocats en leurs plaidoiries.

Lecture de l'arrêt à l'audience publique du 18 mars 2005 par Monsieur Jacques Marion, Premier Président en application des dispositions de l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.

Par acte au rapport de la SCP D. et J. Ader, Combes-Berton & Mozziconacci, notaires, en date du 28 août 1997, la société Arc, marchand de biens, a vendu aux époux Lugagne Delpon les lots n° 11, 36 et 37 constitués d'un appartement dans l'immeuble en copropriété 10 rue d'Alger à Paris 1er ;

Par acte au rapport de la SCP Angénieux, Gilles, Ceyrac, De Buhren, Montes, Bigot, notaires, en date du 3 octobre 1997, la société Arc a vendu à Jean-Luc Lepine les lots n° 24 et 25 constitués de deux chambres de service dans le même immeuble ;

Tous ces lots étaient occupés par Renée Dugas, veuve Jamet, locataire ;

Par acte au rapport de la SCP Angenieux, Gilles, Ceyrac, De Buhren, Montes, Bigot, notaires, en date du 3 octobre 1997, Jean-Luc Lepine a vendu aux époux Lugagne Delpon les lots n° 26 et 31 constitués de deux chambres de service dans le même immeuble;

Par un jugement du 26 mars 1999 sur le détail duquel il est inutile de revenir compte tenu de l'étendue résiduelle du litige devant la cour de renvoi, le Tribunal de grande instance de Paris a, notamment :

- annulé les deux premières ventes précitées pour non-respect du droit de préemption de Renée Jamet;

- déclaré parfaite la vente des lots n° 11, 36, 37, 24 et 25 par la société Arc à Renée Jamet ;

- statué sur les effets des annulations et les restitutions diverses;

- condamné in solidum la SCP Ader et la société Arc à rembourser aux époux Lugagne Delpon la somme de 439 822,48 F correspondant aux dépenses engagées par eux;

- condamné la SCP Ader à garantir la société Arc à concurrence de la moitié de la somme précitée;

La somme de 439 822,48 F comprenait, aux termes du dernier paragraphe de la page 12 du jugement "l'indemnisation des sommes que les époux Lugagne Delpon ont déjà versées à l'organisme prêteur";

Ce jugement a été confirmé dans ses grandes lignes par un arrêt de la Cour d'appel de Paris, en date du 27 février 2001, qui a, cependant, réduit le préjudice des époux Lugagne Delpon à la somme de 245 179 F en écartant les sommes réclamées au titre des prêts immobiliers au motif que : " la nullité de la vente entraîne, en raison de son effet rétroactif l'annulation du contrat de prêt et les époux Lugagne Delpon devront régler ce point avec la Société Générale, qui d'ailleurs, n'est pas partie à l'instance, eux-mêmes devant lui restituer le montant du crédit et celle-ci devant leur restituer la totalité des sommes qu'ils ont versées ";

Saisie d'un pourvoi par les époux Lugagne Delpon la Cour de cassation, par arrêt du 3 février 2004, a cassé l'arrêt de la Cour de Paris en ses seules dispositions relatives au rejet des demandes fondées par les époux Lugagne Delpon au titre des frais et charges accessoires au contrat de prêt immobilier en estimant qu'en statuant comme indiqué ci-dessus sans rechercher si tous les frais exposés par les époux Lugagne Delpon avaient la nature de restitutions et si certains d'eux ne constituaient pas un préjudice subi du fait de l'annulation de la vente, la Cour de Paris n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Dans ses conclusions récapitulatives du 4 janvier 2005, la société Unibail Développement venant aux droits de la société Zéphyr, venant elle-même aux droits de la société Arc, demande à la Cour de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Arc à payer aux époux Lugagne Delpon la somme de 67 050,50 euro (439 822,118 F) et de limiter sa condamnation à la somme de 37 377,29 euro au motif que l'annulation de la vente entraîne la résolution du contrat de prêt immobilier et que toutes les sommes dont les époux Lugagne Delpon demandent le remboursement sont des accessoires au contrat de prêt qu'ils n'auraient jamais dû payer ; qu'en raison de la résolution du prêt, ils ne devaient rembourser à la banque que le capital et les intérêts au taux légal et non les intérêts au taux conventionnel ; que, de même, les frais de cautionnement, les frais de dossier, les pénalités et les primes d'assurance ne pouvaient être exigés par la banque ; qu'ils ont donc participé à leur préjudice en payant sans raison les dites sommes ; qu'enfin, ayant arrêté leur préjudice aux sommes payées jusqu'au 1er mars 1999 devant le tribunal, ils sont irrecevables à demander devant la Cour, pour la première fois en appel, des sommes supplémentaires ; qu'à titre subsidiaire, la société Unibail Développement demande à être subrogée dans les droits des époux Lugagne Delpon contre la Société Générale et à être garantie à concurrence de moitié par la SCP Ader conformément aux dispositions définitives de l'arrêt de la Cour de Paris sur ce point ;

Dans ses conclusions récapitulatives du 4 janvier 2005, la SCP D. Ader, J. Ader, Combes-Berton & MozzicoNacci soutient les mêmes moyens que la société Unibail Développement quant à l'irrecevabilité de la demande additionnelle en actualisation de leur créance par les époux Lugagne Delpon ; elle fait valoir qu'en application des dispositions de l'article L. 312-14 du Code de la consommation, l'annulation de la vente entraîne résolution du prêt immobilier et que le prêteur de deniers est donc tenu de restituer intégralement les versements effectués; que si les époux Lugagne Delpon ont négligé de faire valoir auprès de la Société Générale la résolution du prêt immobilier et s'ils ont choisi de supporter les frais et accessoires de ce prêt, les notaires ne sauraient en supporter les conséquences ; qu'ainsi les époux Lugagne Delpon doivent être déboutés de leurs demandes et ne sauraient, en tout cas, pas solliciter les intérêts au taux conventionnel mais, tout au plus, les intérêts légaux ; qu'à titre subsidiaire, ils doivent être renvoyés à justifier du montant des sommes qu'ils réclament ; qu'enfin, la demande de garantie formée par la société Unibail Développement à concurrence de la moitié des sommes accordées aux époux Lugagne Delpon ne saurait prospérer car la société Arc est tout aussi fautive que les époux Lugagne Delpon de n'avoir pas appelé en cause la banque afin de faire constater la résolution du prêt.

Dans leurs conclusions récapitulatives du 3 décembre 2004 les époux Lugagne Delpon font valoir en substance que la société Arc n'a exécuté l'arrêt de la Cour de Paris que le 23 mai 2002 et qu'avec cet argent, ils ont enfin pu rembourser le prêt immobilier le 1er août 2002 ; ils soutiennent qu'ils n'avaient pas à appeler en cause le prêteur qui n'a commis aucune faute envers eux et a parfaitement rempli ses obligations ; que, par ailleurs, la banque n'avait aucune raison de leur faire remise des frais, accessoires et pénalités du crédit ; que, dès lors, compte tenu des fautes de la société Unibail Développement et de la SCP Ader, ils sont fondés à réclamer à ces dernières la somme de 57 610,47 euro avec intérêts au taux légal à compter du 28 août 1997 et capitalisation de ces intérêts au titre des intérêts, accessoires, frais et pénalités qu'ils ont dû exposer pour l'obtention du prêt adossé à la vente annulée ;

Sur quoi, LA COUR,

Attendu que la demande des époux Lugagne Delpon tendant à obtenir la condamnation de leurs adversaires au paiement de sommes qui sont le complément de celles initialement demandées devant le premier juge est recevable au sens de l'article 566 du nouveau Code de procédure civile;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 312-12 du Code de la consommation et de l'article 1184 du Code civil, l'annulation de la vente entraîne la résolution de plein droit du contrat de prêt immobilier souscrit pour parvenir à la vente ; que ce contrat est réputé n'avoir jamais été conclu et l'organisme prêteur n'a droit qu'aux intérêts au taux légal sur le capital avancé, à compter de la mise en demeure adressée à l'emprunteur revendiquant le bénéfice de la résolution ;

Mais attendu que ce bénéfice n'est qu'une faculté ouverte à l'emprunteur qui peut préférer conserver à des fins personnelles le montant du prix restitué par le vendeur ; que, dans une telle hypothèse, les termes de la convention entre le prêteur de deniers et l'emprunteur continuent à s'appliquer (cf : Cass. Civ. 1ère 06 janvier 1998 Bull. Civ. I, n°6);

Attendu, en l'espèce, qu'il n'est pas contesté que les époux Lugagne Delpon ont effectué un simple remboursement anticipé du prêt immobilier souscrit par eux auprès de la Société Générale sans se prévaloir de l'interdépendance des deux contrats et sans revendiquer le bénéfice de la résolution de plein droit du contrat de prêt ; qu'ils ont donc purement et simplement exécuté le contrat de prêt dont le remboursement anticipé est une des causes d'extinction ;

Attendu, dans ces conditions, que la plupart des sommes dont les époux Lugagne Delpon demandent le remboursement par leurs adversaires proviennent non pas de l'annulation de la vente mais de l'exécution volontaire, par eux, d'une convention dont ils auraient pu soulever la résolution de plein droit ; que, dès lors, les dites sommes ont la nature de restitutions que les époux Lugagne Delpon auraient pu exiger de la banque s'ils avaient fait valoir la résolution du contrat et le lien de causalité entre le paiement de ces sommes et la faute imputable à la SCP Ader et à la société Arc fait défaut ; qu'il ne peut donc être fait droit à la demande en paiement des sommes constituées par les intérêts au taux conventionnel, les primes d'assurance, les pénalités de remboursement anticipé et les frais de dossier ;

Attendu, en revanche, que les époux Lugagne Delpon justifient avoir versé une somme de 3 018,49 euro au titre des frais de cautionnement du prêt immobilier; que l'acte de cautionnement, souscrit auprès de la société financière Crédit Logement, est distinct du contrat de prêt ; que, d'ailleurs, selon le droit positif, le cautionnement aurait continué à produire ses effets, nonobstant le caractère rétroactif de la résolution du contrat de prêt, jusqu'au remboursement intégral de la somme prêtée ; que, dans ces conditions, les époux Lugagne Delpon n'auraient pu obtenir du Crédit Logement la restitution du coût du cautionnement puisque cet organisme a rempli ses obligations personnelles initiales et qu'il restait tenu, postérieurement à la résolution, jusqu'au remboursement par l'emprunteur ; que, dès lors, l'engagement a été exécuté dans son intégralité et la rémunération du service reste acquise au Crédit Logement ; que cette rémunération ayant été payée par les époux Lugagne Delpon en garantie d'un contrat de prêt dépourvu pour eux de tout intérêt puisque la vente a été annulée, le coût du cautionnement constitue pour les époux Lugagne Delpon un préjudice personnel incontestable dont ils sont en droit de demander le remboursement aux responsables de l'annulation de la vente ; que la SCP Ader et la société Unibail Développement seront donc condamnées, in solidum, à leur payer la somme de 3 018,49 euro avec intérêts au taux légal à compter du jugement prononçant l'annulation de la vente ; que le jugement du Tribunal de grande instance de Paris sera donc réformé en ce qu'il ordonne la restitution de sommes supplémentaires correspondant au remboursement des sommes versées par les époux Lugagne Delpon à la Société Générale.

Attendu que la capitalisation des intérêts de la somme due doit être ordonnée dans la mesure où sont réunies les conditions d'application de l'article 1154 du Code civil ;

Attendu que la demande de la société Unibail Développement tendant à être subrogée dans les droits des époux Lugagne Delpon à l'encontre de la Société Générale est sans objet puisque la seule somme mise à la charge de la société Unibail Développement concerne les frais de cautionnement payés au Crédit Logement et non à la banque ; que cette demande sera rejetée ;

Attendu que la SCP Ader a été définitivement déclarée responsable, à concurrence de moitié, de l'annulation de la vente ; que, dans ces conditions, elle devra garantir la société Unibail Développement à hauteur de 50% de la condamnation de la somme de 3 018,49 euro mise à sa charge sans pouvoir lui reprocher de ne pas avoir mis en cause la Société Générale alors qu'elle pouvait exercer elle-même une telle action en intervention forcée ;

Attendu qu'il n'y a aucune iniquité à laisser supporter aux parties, qui succombent toutes, peu ou prou, en leurs prétentions, la charge des frais irrépétibles qu'elles ont exposés ; qu'elles seront donc déboutées de leurs demandes de bénéfice des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience solennelle sur renvoi de cassation, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort : Vu les articles 566 et 700 du nouveau Code de procédure civile ; Vu l'article L. 312-12 du Code de la consommation ; Vu les articles 1134 et 1154 du Code civil ; Déclare recevable les demandes des époux Lugagne Delpon en remboursement des sommes versées postérieurement au (1 mars 1999 ; Constate que les époux Lugagne Delpon n'ont pas fait valoir auprès de la Société Générale la résolution de plein droit du contrat de prêt à la suite de l'annulation de la vente pour laquelle ce prêt avait été obtenu ; Constate que les époux Lugagne Delpon ont, au contraire, pleinement exécuté le contrat de prêt en procédant à son remboursement anticipé ; Constate que les sommes demandées par les époux Lugagne Delpon proviennent, à l'exception du coût du cautionnement, de l'exécution par eux de ce contrat et non de la faute de la société Arc et de la SCP Ader ; Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCP Ader et la société Unibail Développement à payer aux époux Lugagne Delpon la somme de 439 822,48 F comprenant les sommes qu'ils avaient payées à la Société Générale ; Constate que les autres chefs de préjudice des époux Lugagne Delpon ont été indemnisés par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris définitif sur ces points ; Statuant à nouveau sur le point réformé : Dit que la seule somme payée par les époux Lugagne Delpon au titre du prêt immobilier dont ils n'auraient pu obtenir la restitution intégrale s'ils avaient fait jouer la résolution de plein droit du contrat est le coût de l'engagement de caution à eux fourni par le Crédit Logement ; Condamne, in solidum, la société Unibail Développement et la SCP Ader, Combes-Berton & Mozziconacci à payer aux époux Lugagne Delpon la somme de trois mille dix-huit euro et quarante-neuf centimes d'euro (3 018,49 euro) au titre du remboursement des frais de cautionnement exposés par eux avec intérêts au taux légal à compter du jugement ; Dit que les intérêts de cette somme porteront eux-mêmes intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter des conclusions du 5 novembre 2004 ; Condamne la SCP Ader, Combes-Berton & Mozziconacci à garantir la société Unibail Développement à concurrence de la moitié de la condamnation au paiement de la somme de 3 018,49 euro ; Déclare sans objet la demande de subrogation de la société Unibail Développement dans les droits des époux Lugagne Delpon envers la Société Générale ; Déboute les parties de leurs autres demandes non contraires. Condamne, in solidum, la société Unibail Développement et la SCP Ader, Combes-Berton & Mozziconacci aux dépens de première instance et d'appel exposés tant devant la Cour de Paris que devant la cour de renvoi ; Accorde, pour ces derniers, à la SCP Desplanques-Devauchelle, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.