CA Paris, 13e ch. A, 26 janvier 2004, n° 03-05625
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
CNCT
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Avocat général :
M. Darbeda
Conseillers :
MM. Nivose, Waechter
Avocats :
Mes Bine-Fischer, Antonini
Rappel de la procédure :
La prévention :
X Paul, en qualité de prévenu, et la SNC Y, en qualité de civilement responsable, sont poursuivis par citation directe à la requête du Comité National contre le Tabagisme, pour y répondre des faits de publicité indirecte ou clandestine en faveur du tabac ou de ses produits,
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire, a :
- Sur l'action publique :
* rejeté les exceptions soulevées par X Paul et la SNC Y,
* déclaré X Paul coupable de publicité indirecte ou clandestine en faveur du tabac ou de ses produits, faits commis du 1er avril 2002 au 30 avril 2002, à Paris, infraction prévue par les articles L. 3512-2 AL.1, L. 3511-3, L. 3511-4 AL.1, L. 3511-1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 3512-2 AL.1, AL.3 du Code de la santé publique,
Et par application de ces articles, a condamné X Paul à une amende délictuelle de trente mille euro (30 000,00 euro),
- déclaré la SNC Y, civilement responsable de X Paul, vu l'article L. 3512-2 4° du Code de la santé publique,
- déclaré la SNC Y, solidairement responsable, en totalité, de l'amende mise à la charge de X Paul,
- a dit que la présente décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de quatre vingt dix euro (90,00 euro), dont est redevable X Paul,
- Sur l'action civile :
- déclaré recevable, en la forme, la constitution de partie civile du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT),
- condamné X Paul et la SNC Y à payer solidairement au Comité National Contre le Tabagisme, partie civile poursuivante, la somme de mille euro (1 000,00 euro) à titre de dommages et intérêts, toutes causes de préjudices confondues,
- condamné X Paul à payer au Comité National contre le Tabagisme, la somme de quatre cent cinquante euro (450,00 euro), au titre de l'article 475-1° du Code de procédure pénale,
- rejeté la demande de publication formée par la partie civile,
- rejeté la demande formée par X Paul et la SNC Y sur le fondement de l'article 472 du Code de procédure pénale,
Les appels :
Appel a été interjeté par :
- Monsieur X Paul, le 17 juillet 2003 contre CNCT Comité National Contre le Tabagisme, des dispositions pénales et civiles,
- Monsieur le Procureur de la République, le 17 juillet 2003 contre la SNC Y et Monsieur X Paul,
- le Comite National Contre le Tabagisme (CNCT), le 17 juillet 2003 contre la SNC Y et Monsieur X Paul,
Déroulement des débats :
A l'audience publique du lundi 15 décembre 2003, Monsieur le Président a constaté l'absence des prévenus.
Maître Marie-Hélène Antonini, avocat du CNCT, Comité National Contre le Tabagisme, a déposé au nom et pour le compte de la partie civile, des conclusions régulièrement visées par le Président et le Greffier,
Maître Maryanne Bine-Fischer, avocat de X Paul et de la société Z, anciennement SNC Y a déposé au nom et pour le compte de ce prévenu, des conclusions régulièrement visées par le Président et le Greffier,
Maître Maryanne Bine-Fischer, conseil de X Paul, a indiqué sommairement les motifs de l'appel de ce dernier,
Maître Marie-Hélène Antonini, conseil du Comité National Contre le Tabagisme - CNCT a indiqué sommairement les motifs de l'appel de ce dernier,
Monsieur Darbeda, avocat général, représentant le Ministère public à l'audience de la cour, a sommairement indiqué les motifs de l'appel interjeté par le procureur de la République de Paris,
Monsieur le Président Guilbaud a fait un rapport oral,
Ont été défendus :
Maître Marie-Hélène Antonini, avocat du Comité National Contre le Tabagisme, CNCT, partie civile, en sa plaidoirie,
Monsieur Darbeda, avocat général, en ses réquisitions.
Maître Maryanne Bine-Fischer, avocat de X Paul, prévenu, et de la SNC Y, civilement responsable, en sa plaidoirie, qui a eu la parole en dernier,
Monsieur le Président a ensuite averti les parties que l'arrêt serait prononcé le lundi 26 janvier 2004.
A cette date, il a été procédé à la lecture du dispositif de l'arrêt par l'un des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré, conformément aux dispositions de l'article 485 dernier alinéa du Code de procédure pénale;
Décision :
Rendue contradictoirement après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels relevés par le prévenu Paul X, le Ministère public et le CNCT, à l'encontre du jugement déféré auquel il est fait référence.
Par voie de conclusions le CNCT, qui s'estime insuffisamment indemnisé de son préjudice, demande à la cour de :
- le déclarer recevable en son appel,
- confirmer les dispositions pénales du jugement entrepris mais l'infirmer en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 1 000 euro,
- condamner le prévenu au paiement de la somme de 30 000 euro en réparation du préjudice subi ainsi qu'à celle de 1 500 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Il rappelle que le magazine "Action Auto Moto" n° 88 d'avril 2002 comporte une pleine page reproduisant Monsieur Schumacher en position de vainqueur heureux présentant sur le revers de son épaule le nom de son sponsor, le fabricant de cigarettes Marlboro et que sur le bras du coureur arrivé en deuxième position une seule mention est lisible, celle de la marque de cigarettes West.
Il fait valoir que l'impact d'une telle présentation des marques de cigarettes dans un magazine grand public prisé des plus jeunes n'est plus à démontrer et que le préjudice du CNCT qui combat l'association d'idée " Tabac, Sport, Loisirs, Réussite " n'est pas contestable.
Monsieur l'avocat général requiert la confirmation du jugement déféré.
Par voie de conclusions conjointes, Paul X et la société Z, anciennement Y, demandent à la cour de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
- relaxer Paul X des fins de la poursuite,
- subsidiairement, limiter le montant de l'amende, compte tenu de l'absence de démonstration de la réalité de l'impact négatif du magazine sur le public et sa propension à fumer des cigarettes, à une somme symbolique,
- débouter le CNCT de sa demande de dommages et intérêts ou la limiter à la somme de 1 euro.
Ils font valoir que la photographie litigieuse ne peut s'analyser en une publicité indirecte et qu'en tout état de cause l'absence de contrepartie rend impossible la qualification de publicité en faveur du tabac.
Ils soutiennent qu'en publiant cette photographie, " Action Auto Moto " n'a fait que répondre au droit à l'information du public qui est une liberté fondamentale dont la limitation ne saurait être justifiée en l'espèce sous le prétexte de la protection de la santé publique.
Ils soulignent en effet que le législateur de 1993 a consacré la suprématie du droit à l'information du public sur la protection de la santé publique en permettant aux téléspectateurs de voir à la télévision, en direct comme en différé, les courses de formule un sans aucune censure.
Ils exposent que cette différence de traitement, au profit du média télévisuel, est totalement injustifiée et en conséquence contraire à l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et du Citoyen qui protège l'égalité de traitement.
Ils affirment par ailleurs que le CNCT ne rapporte pas le moindre élément justifiant de la réalité du préjudice qu'il aurait directement subi du fait de la publication de la photographie litigieuse.
Rappel des faits
Les premiers juges ont complètement et exactement rapporté les circonstances de la cause dans un exposé des faits auquel la cour se réfère expressément.
Il suffit de rappeler que le magazine "Action Auto Moto" n° 88 d'avril 2002, dont Paul X est directeur de la publication, comporte une pleine page reproduisant le pilote Michaël Schumacher en position de vainqueur présentant sur le revers de son épaule le nom de son sponsor, le fabricant de cigarettes Marlboro.
Par ailleurs, l'on perçoit le bras du coureur arrivé en deuxième position, sur lequel est lisible la marque de cigarettes West qui est aujourd'hui massivement distribuée sur le territoire français.
Sur ce, LA COUR
Sur l'action publique
Considérant que la cour ne saurait suivre Paul X et la société Z en leur argumentation ;
Considérant en effet que la loi Evin du 10 janvier 1991 a instauré une prohibition quasi-totale de toute publicité en faveur du tabac ;
Considérant que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique n'incrimine pas seulement la propagande, mais aussi la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou des produits du tabac et qu'on entend par publicité, au sens de ce texte, tout acte, qu'elle qu'en soit la finalité, ayant pour effet de rappeler ces produits ou leurs marques ;
Considérant qu'en l'espèce les marques de tabac dont les noms sont reproduits sont suffisamment connues pour que la seule citation de leur nom rappelle les cigarettes commercialisées et incite à la consommation de ces produits ;
Que peu importe que le diffuseur de cette publicité illicite ait été rémunéré ou non par les fabricants de tabac ;
Considérant que le principe de la liberté d'expression ne s'oppose pas à ce que le législateur en réglemente l'exercice en vue de le concilier avec d'autres règles ou principes et notamment celui de la sauvegarde de la santé publique ;
Considérant que l'autorisation de la retransmission, par les chaînes de télévision, des compétitions de sport mécaniques qui se déroulent dans des pays où la publicité pour le tabac est autorisée, prévue par l'article L. 3511-5 du Code de la santé publique, ne constitue nullement une discrimination au sens de l'article 14 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et ne justifie en rien la violation par la presse écrite des dispositions du Code de la santé publique prohibant la publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac ;
Considérant que Paul X, en sa double qualité de gérant de la société éditrice Y, devenue Z, et de directeur de la revue " Action Auto Moto " ne pouvait ignorer le caractère hautement litigieux de la publicité diffusée ;
Qu'il a ainsi nécessairement décidé et autorisé ces actes constitutifs de publicité en faveur du tabac ou des produits du tabac ;
Considérant que par ces motifs, et ceux pertinents des premiers juges qu'elle fait siens, la cour confirmera la décision attaquée sur la déclaration de culpabilité et sur l'amende prononcée qui constitue une juste application de la loi pénale ;
Considérant que la cour confirmera également la décision critiquée en ce qu'elle a, à bon droit, par application de l'article L. 35I2-2,4° du Code de la santé publique, déclaré la SNC Y solidairement responsable en totalité de l'amende mise à la charge de Paul X;
Sur l'action civile
Considérant que l'impact d'une telle présentation des marques de cigarettes, dans un magazine grand public prisé des plus jeunes, est important ;
Considérant que le préjudice du CNCT qui combat précisément l'association d'idée " Tabac, Sport, Loisir, Réussite " n'est pas contestable ;
Considérant que la cour, qui dispose des éléments nécessaires et suffisants pour apprécier le préjudice certain, subi par la partie civile et résultant directement des faits visés à la prévention, infirmera l'estimation trop restrictive qu'en ont faite les premiers juges et condamnera solidairement Paul X et la Société Z (anciennement Y) à payer au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
Que la Cour par ailleurs condamnera Paul X à payer à la partie civile la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale (tribunal et cour) ;
Par ces motifs, et ceux non contraires des premiers juges qu'elle adopte expressément, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement attaqué en toutes ses dispositions pénales, le réformant sur les intérêts civils, Condamne solidairement Paul X et la société Z (anciennement Y) à payer au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 10 000 euro au titre des dommages et intérêts, Condamne Paul X à payer au Comité National Contre le Tabagisme la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, Rejette toutes conclusions plus amples ou contraires.